
Le gestionnaire de parc n’existe pas, mais je l’ai rencontré. À interroger les prestataires du marché des flottes et les entreprises elles-mêmes, il apparaît que cette fonction reste un concept flou. Consultant expert et directeur de RRMC, Robert Maubé se livre à une segmentation du marché pour mieux appréhender la situation. Le parc des entreprises compterait 4,4 millions de véhicules. Le quart de ce volume est mobilisé par les grands groupes et les PME à la tête de flottes de plus de 50 véhicules. Logiquement, 75 % du marché recouvrent des flottes de moins de 50 véhicules. Robert Maubé va plus loin et affirme que la moitié des flottes...
Le gestionnaire de parc n’existe pas, mais je l’ai rencontré. À interroger les prestataires du marché des flottes et les entreprises elles-mêmes, il apparaît que cette fonction reste un concept flou. Consultant expert et directeur de RRMC, Robert Maubé se livre à une segmentation du marché pour mieux appréhender la situation. Le parc des entreprises compterait 4,4 millions de véhicules. Le quart de ce volume est mobilisé par les grands groupes et les PME à la tête de flottes de plus de 50 véhicules. Logiquement, 75 % du marché recouvrent des flottes de moins de 50 véhicules. Robert Maubé va plus loin et affirme que la moitié des flottes françaises ont moins de 9 véhicules. « Et les pratiques de gestion varient énormément selon le segment de marché », affirme le consultant.
Dans les TPE, cette gestion est confiée à l’assistante du dirigeant ou au responsable de la comptabilité. Parfois, le dirigeant lui-même pilote sa flotte. « La fonction n’existe qu’à partir d’une centaine de véhicules », constate Robert Maubé. Et même si à partir de ce seuil, les entreprises commencent à vouloir optimiser leur flotte, la fonction de responsable des véhicules n’est pas reconnue car souvent, les entreprises n’appréhendent pas les enjeux financiers de cette ligne budgétaire.
La face cachée de la gestion des parcs
« C’est le syndrome de l’iceberg, poursuit Robert Maubé. Les entreprises ne voient que le loyer, alors que le TCO pèse au moins trois fois ce montant. » Une flotte de 100 véhicules mobilisent un budget de 1,3 million d’euros. Dès que l’on passe à 250 unités, ce chiffre atteint 3,3 millions. Pour d’autres postes de dépenses aux montants équivalents, les entreprises font appel à un contrôleur de gestion et un responsable en titre. Ce qui n’est pas valable pour la flotte parce que les dirigeants n’en mesurent pas l’ampleur. « Au cours de mes neuf derniers audits, relate Robert Maubé, j’ai découvert que dans trois entreprises, la flotte constituait le deuxième poste de dépenses après les salaires, alors que le directeur général et le directeur administratif et financier l’ignoraient. Dans deux autres sociétés, le parc mobilisait plus de 10 % des charges. Enfin, dans l’un des cas étudié, le budget des véhicules représentait 5 % du chiffre d’affaires. »
Mais dès que les dirigeants s’intéressent de près à leurs flottes, ils se rendent compte de l’importance de ce budget et de la complexité de sa gestion. De fait, avec souvent plusieurs centaines de véhicules sur la route et une multitude de factures aux montants modestes, la gestion de ce poste s’avère plus ardue qu’il n’y paraît au préalable. Les dirigeants se heurtent alors à un choix difficile : soit doter ce budget d’un vrai responsable, soit en externaliser la gestion. Cela étant, l’ensemble des compétences liées à la gestion d’une flotte ne peuvent pas être externalisées. De plus, les offres proposées par les différents prestataires ont leurs limites. Enfin, confier ce poste à un intervenant extérieur revient à perdre le contrôle des coûts. L’externalisation ne doit donc pas se faire n’importe comment : certaines tâches peuvent être confiées à un prestataire, d’autres non.
L’externalisation ne règle pas tous les problèmes
À titre d’exemple, la gestion des relations avec les conducteurs permet de conserver un lien avec les collaborateurs. Si cette fonction est confiée à un prestataire, la responsabilité du conducteur est diluée et le véhicule ne sera plus géré en « bon père de famille ». Les frais de remise en état s’envolent, la sinistralité dérape et l’image de l’entreprise en pâtit. De plus, un intervenant extérieur n’est pas tenu à l’impossible. S’il hérite d’une situation dégradée, il aura du mal à l’optimiser. Avant d’externaliser, l’entreprise doit évaluer sa flotte et remettre de l’ordre dans sa gestion. Si la fonction de gestionnaire de flotte reste floue pour de nombreuses entreprises, celle de gestionnaire de la mobilité est encore davantage dans les limbes. Aujourd’hui, le TCO est entré dans le vocabulaire des prestataires et des entreprises qui ont une véritable vision de la gestion de flottes. Mais cette notion n’est pas encore utilisée par tous les décideurs. Dans ces conditions, le TCM (Total Cost of Mobility) demeure une notion abstraite ou largement ignorée. Pourtant, parallèlement au budget flotte, les collaborateurs mobiles de l’entreprise génèrent des notes de frais pour l’hébergement, les outils informatiques nomades (ordinateur portable, téléphone mobile, smartphone), les voyages en train ou en avion ou encore la location de véhicules en courte durée. Les spécialistes considèrent en effet que les frais liés à la mobilité recouvrent 20 à 25 % du coût d’un commercial à la route. Or, ce budget mériterait d’être rationalisé avec des gains substantiels à la clé. Les rares entreprises qui ont nommé un responsable de la mobilité le rattachent à la direction des moyens généraux mais une telle organisation reste rare.
La notion de mobilité reste encore dans les limbes
Robert Maubé, consultant expertet directeur de RRMC
Gestionnaire du parc du spécialiste de la protection incendie Tyco Fire & Integrated Solutions France, Frédérique Baumann revient sur ce sujet : « Gérer en parallèle les smartphones, les ordinateurs portables, les voyages en train et la mobilité dans son ensemble pourrait avoir sa logique, mais je ne dispose pas d’assez de temps pour prendre en charge tous ces postes. Si la gestion de la mobilité était centralisée, nous pourrions réaliser des économies. Mais je ne maîtrise pas bien la notion de TCM, contrairement à celle de TCO que j’emploie au quotidien. Dans nos appels d’offres, il s’agit du principal critère de choix », détaille la responsable. Qui met d’ailleurs en avant, pour ses missions à venir, « le durcissement de la traque aux coûts cachés », aux côtés de la prévention des risques routiers.
Frédérique Baumann met aussi l’accent sur l’évolution importante que suppose l’intégration des objectifs de développement durable : « Depuis mon arrivée en 2008, le métier a évolué vers une volonté renforcée de concilier enjeux économiques et environnementaux. Nous avons essayé de référencer des véhicules hybrides et électriques, mais ces technologies sont onéreuses et ne répondent pas à nos modes d’utilisation. Nos collaborateurs parcourent 3 à 5 000 km par mois. L’autonomie de l’électrique ne correspond pas à leurs besoins. Mais nous restons à l’écoute », explique-t-elle. L’entreprise a aussi réaménagé sa car policy pour réduire son empreinte environnementale. « Il a fallu trouver un équilibre entre la valorisation de nos collaborateurs et la diminution de nos émissions de CO2, reprend la responsable. La difficulté de cet exercice renforce l’intérêt de mon métier. Il faut se tenir informé en permanence. Les loueurs longue durée et les constructeurs m’aident dans ce sens et je lis Flottes Automobiles tous les mois. »
L’État veut mieux positionner ses gestionnaires de flotte
Dans les collectivités locales et territoriales, la fonction de gestionnaire de flotte reste tout aussi méconnue que dans le privé. Mais la situation évolue. Le parc de l’État constitue une bonne illustration des progrès en cours. Dans le cadre de la RGPP (Révision générale des politiques publiques), l’État veut réformer 10 000 de ses 70 000 véhicules et a décidé d’externaliser leur gestion ; un contrat de fleet management signé avec ALD Automotive se déploie donc progressivement. En outre, Jean-Pierre Sivignon a été nommé chef de la mission parc automobile. « Cela fait plus d’un an que je travaille sur ce sujet et je n’ai pas suivi de formation spécifique. Pour moi, il est davantage question d’accompagner le changement », souligne-t-il.
Auparavant, les véhicules des ministères et des préfectures étaient sous la responsabilité des chefs de garage. Avec la disparition de ces ateliers, la mission interministérielle souhaite créer une fonction spécifique pour inscrire le changement dans la durée. À l’heure actuelle, l’État cherche à définir le profil et le périmètre de compétences de ce gestionnaire de flotte. Objectif : l’intégrer au répertoire des métiers de l’État et de la fonction publique. Pour Jean-Pierre Sivignon, ces responsables ne seront en aucun cas des chefs de garage améliorés. Ils assumeront des responsabilités précises qui incarnent la réforme de l’État. La gestion automobile mobilise déjà l’intérêt des agents : lorsque Jean-Pierre Sivignon a recruté un adjoint, il a reçu de nombreuses candidatures. Et ce, « contrairement à d’autres collègues spécialisés dans d’autres domaines des achats », précise-t-il. Et de poursuivre : « Finalement, le poste est revenu à une diplômée de Sciences-Po. Le niveau est donc élevé et nous voulons recruter davantage de femmes pour montrer que l’automobile n’est pas un sujet exclusivement masculin. » L’État embauchera en interne des gestionnaires de flotte pour chaque ministère et pour chacun des quinze départements ministériels en région.
Cette valorisation de la fonction n’aurait pu se faire sans avoir clarifié les enjeux automobiles au préalable. L’État était confronté à un cercle vicieux, à l’image de nombreuses entreprises du secteur privé. Car pour nommer un gestionnaire de flotte professionnel avec un vrai pouvoir de décision, il faut appréhender les enjeux budgétaires. Or, en l’absence de gestionnaire compétent, les décideurs ne disposent pas de suffisamment d’informations pour prendre la mesure des coûts et agir en conséquence… Petit exercice de logique à soumettre aux décideurs : qui de la poule ou de l’oeuf est arrivé en premier sur terre ?