
En nombre, les accidents corporels routiers ne constituent heureusement pas le premier risque pour les entreprises. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, ils ne représentaient qu’environ 11 % du total des arrêts de travail en 2017 (voir le tableau ci-dessous). Mais cette faible proportion n’est en aucun cas une raison pour les négliger : « Le risque routier est rare en termes d’accident du travail mais ses conséquences peuvent être très importantes en gravité », synthétise Patrick Lacroix, responsable de la commission automobile à l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise, l’Amrae. Outre cette...
En nombre, les accidents corporels routiers ne constituent heureusement pas le premier risque pour les entreprises. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, ils ne représentaient qu’environ 11 % du total des arrêts de travail en 2017 (voir le tableau ci-dessous). Mais cette faible proportion n’est en aucun cas une raison pour les négliger : « Le risque routier est rare en termes d’accident du travail mais ses conséquences peuvent être très importantes en gravité », synthétise Patrick Lacroix, responsable de la commission automobile à l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise, l’Amrae. Outre cette fonction, Patrick Lacroix est risk manager chez Idex, un spécialiste de l’efficience énergétique.
La part du risque routier dans la sinistralité – Arrêt de travail global en 2017
La part du risque routier dans la sinistralité – Arrêt de travail global en 2017 | |
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Durée d’arrêt de travail en jours des accidents routiers mission et trajet en 2017 * | 76,6 |
Nombre de jours indemnisés liés aux accidents routiers mission et trajet | 4 107 782 |
Pourcentage des jours indemnisés pour le risque routier sur le total des arrêts de travail d’au moins quatre jours | 11,6 % |
Durée des arrêts de travail tous risques hors risque routier en 2017 en jours | 67,0 |
Source : ministère du travail et ministère de l’intérieur. * La durée d’arrêt de travail des accidents routiers (moyenne des jours d’arrêt limitée à l’année considérée) est égale au nombre de jours indemnisés liés aux accidents routiers, divisé par le nombre d’accidents routiers. Cet indicateur a été calculé uniquement pour les accidents occasionnant au moins quatre jours d’arrêt de travail. |
Pour rappel, en 2019, l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr) recensait 406 salariés tués au cours d’un trajet lié à leur travail. Les trois quarts de ces décès se sont produits lors d’un trajet domicile-travail, un quart lors d’un trajet en mission, et 14 002 salariés ont été blessés dans l’une ou l’autre des situations (voir le tableau ci-dessous).
Nombre de victimes des accidents professionnels de trajet – 2018-2019
Accidents lors d’un trajet domicile-travail | Accidents de trajets professionnels | Total | ||||
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Année | 2018 | 2019 | 2018 | 2019 | 2018 | 2019 |
Nombre de tués | 335 | 295 | 147 | 111 | 482 | 406 |
Nombre de blessés | 10 178 | 9 890 | 4 319 | 4 112 | 14 497 | 14 002 |
Source : Onisr |
L’Onisr a recensé 406 salariés tués au cours d’un déplacement lié à leur travail en 2019. Les trois quarts de ces décès se sont produits lors d’un trajet domicile-travail, un quart lors d’un déplacement en mission, et 14 002 salariés ont été blessés dans ces deux situations.
Des conséquences multiples

Au-delà de la dimension humaine dramatique, difficile d’évaluer les répercussions pour les entreprises des accidents routiers qui ont entraîné des dommages corporels. Car ces impacts ne se limitent pas à grever le budget de la flotte, ils se répercutent sur l’activité tout entière. Loïc Balac, directeur de Cap Culinaires, a pu évaluer les conséquences d’un accident routier sur la bonne marche sa société.
Spécialiste des produits alimentaires intermédiaires (sauce, marinade, jus), cette entreprise basée à Pleucadec, dans le Morbihan, n’a pas de flotte en propre, mais elle est concernée par les accidents routiers de trajet, entre domicile et travail. « Nous avons eu quelques accidents de trajet dont un très sérieux l’an dernier », retrace Loïc Balac. Cet accident a été causé par un blaireau qui traversait la chaussée. Conséquence : « Le conducteur a eu pratiquement douze mois d’arrêt de travail et il reprend son poste progressivement. » Avec un préjudice direct sur la production. « Cette personne est conducteur de ligne avec un niveau de qualification et d’encadrement des équipes. Nous avons donc perdu temporairement une compétence », pointe Loïc Balac.
Des franchises à la hausse
De nombreux chiffres circulent sur les montants financiers que génère pour les entreprises un accident routier au cours duquel un salarié est blessé ou décède. Des montants peu fiables tant les situations diffèrent. Reste que certains coûts se mesurent facilement. Premier d’entre eux, celui des franchises. « En cas d’accident, l’entreprise doit régler les franchises, de l’ordre de 400 à 600 euros. Pour deux sinistres, cela revient à rajouter 1 200 euros par an et par véhicule. Avec un VU dont le loyer atteint 400 euros, c’est 100 euros par mois de TCO supplémentaire », indique Franck Llagostera, directeur opérationnel du loueur Athlon.
Les accidents pèsent aussi sur les primes d’assurance des flottes. Avec des révisions à la hausse que les entreprises peuvent difficilement contenir en faisant jouer la concurrence. Et des montants d’indemnisation toujours plus importants à régler : pour les victimes d’accident et les réparations des véhicules, les assureurs cherchent à maîtriser au mieux leurs coûts. « Nous visons pour les entreprises de l’ordre de dix et douze sinistres pour cent véhicules, quelle que soit la nature du sinistre, y compris de petits dégâts de l’ordre de l’accrochage de stationnement. Dès que le nombre de douze sinistres est dépassé, qu’il atteint les quinze, il faut agir », expose Christophe Giraud, directeur du département flottes automobiles et nouvelles mobilités du courtier Gras Savoye (voir le témoignage).
Les assureurs attendent donc des entreprises accidentogènes qu’elles lancent des mesures efficaces contre la dégradation de leur accidentologie. « Le travail de prévention vise à éviter la banalisation de l’accident, celui qui entraîne un sinistre corporel grave chez le collaborateur ou sur un tiers qui se fait renverser sur la route », justifie le responsable de Gras Savoye.
Un impact sur les cotisations
Autre conséquence mesurable d’un accident : la Caisse d’Assurance Maladie majore par exemple son taux de cotisation « accidents du travail/maladies professionnelles » de « 25 %, 50 %, voire 200 % pour une durée qui peut varier de quelques jours à plusieurs années », souligne l’Assurance Maladie dans son bilan annuel 2018 sur le risque professionnel. Et l’objectif « n’est pas de procurer des recettes à l’Assurance Maladie – Risques professionnels, mais d’exercer une pression financière en vue d’inciter à la mise en œuvre la plus rapide des mesures de prévention préconisées par injonction. »
Chez Cap Culinaires, l’accident de trajet évoqué précédemment a été le déclencheur d’une journée de sensibilisation collective des salariés au risque routier. Une journée organisée avec des entreprises voisines. « Ce n’est pas tant le montant de l’augmentation de la cotisation à la Carsat qui a motivé notre action, note Loïc Balac. Nous menons des actions de sécurité sur nos modes opératoires, nos éléments de process, mais nous n’oublions pas le risque trajet. »
Sensibiliser les dirigeants
Ce travail passe le plus souvent par un plan de prévention. Celui-ci organise en plusieurs étapes le retour de l’entreprise vers des taux d’accidentologie moindres. « Ce plan débute par une sensibilisation au risque routier des plus hauts niveaux hiérarchiques de l’entreprise : des PDG ou DG », avance Christophe Giraud. Chez Idex, cette sensibilisation des dirigeants prend la forme d’une communication du détail des coûts des sinistres et se décline auprès des postes de responsabilité intermédiaire : ceux des directions régionales et des filiales. « Nous communiquons le coût des sinistres à notre charge non assurés et le coût moyen estimé par jour d’arrêt de travail du conducteur, c’est-à-dire le coût avec les charges des salariés qui ne travaillent pas, même s’ils ne sont pas nombreux. Nous transmettons enfin le coût des restitutions de véhicules », énumère Patrick Lacroix. Pour ses 3 000 véhicules dont 90 % de VUL tôlés, Idex fonctionne en LLD et en auto-assurance.
Le travail de sensibilisation passe aussi par le recensement des personnels à risque. « Nous faisons souvent des liens entre comportements à risque, PV et consommation de carburant. Quand nous identifions les collaborateurs mal placés sur ces trois thèmes, nous nous rendons compte que ce sont souvent les mêmes », constate Christophe Giraud pour Gras Savoye (voir l’encadré ci-dessous).
Après l’état des lieux vient le plan de prévention. Un plan dont les actions s’inscrivent dans la durée, sur trois ou quatre ans, rappelle Christophe Giraud. Ces actions ont un coût avec « des formations sur piste qui reviennent à environ un millier d’euros pour cinq collaborateurs, ou des audits de conduite avec trois collaborateurs dans un véhicule qui conduisent sous le regard d’un préventeur. Ce dernier analyse les écarts de conduite et indique des actions correctives à chacun », détaille le représentant de Gras Savoye. D’autres actions peuvent être impulsées comme une formation en e-learning.
Des éléments déclencheurs
« Les entreprises entament rarement une formation sans élément déclencheur. C’est souvent un accident très grave mais cela peut-être aussi la demande de l’assureur qui attend une baisse du nombre d’accidents pour continuer à assurer le parc. Car l’augmentation de la prime ne suffit pas forcément pour faire changer les comportements », pointe Olivier Duvert, dirigeant de l’organisme de formation Nouvelle Route.
Un troisième élément déclencheur est celui de la responsabilité des dirigeants de l’entreprise. « Dès qu’il y a un accident grave, le dirigeant ou son équipe se rend compte de leur responsabilité pénale et cherche une solution pour limiter leur responsabilité », rappelle Olivier Duvert. Pour rappel, le Code pénal prévoit des peines allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende dans le cas d’un décès qui ferait suite à une « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. » Un « TCO » lié aux accidents que les dirigeants ne sont sans doute pas prêts à payer.
À l’inverse, les différentes dispositions d’un plan de prévention ont des effets plutôt rapides. « La sinistralité recule de 20 à 25 % la première année », avance Christophe Giraud pour Gras Savoye. De bons résultats qu’il faut pérenniser.