
C’est l’histoire d’un acheteur. Mais aussi la chronique des relations entre gestion de flotte et achats, avec des liens complexes entre les deux parties. Notre acheteur, toujours à l’affût d’une économie, décide unilatéralement de supprimer le bris de glace dans l’assurance de la flotte. Pour lui, cette décision contribue à tirer les coûts vers le bas. Une aubaine.
Au gestionnaire de flotte de se débrouiller. Car à chaque bris de glace, ce dernier va se voir questionner par les conducteurs avec une dépense orpheline à gérer, sans solution. En général, cela se termine par une note de frais produite par le conducteur. Ce qui va coûter, in fine,...
C’est l’histoire d’un acheteur. Mais aussi la chronique des relations entre gestion de flotte et achats, avec des liens complexes entre les deux parties. Notre acheteur, toujours à l’affût d’une économie, décide unilatéralement de supprimer le bris de glace dans l’assurance de la flotte. Pour lui, cette décision contribue à tirer les coûts vers le bas. Une aubaine.
Au gestionnaire de flotte de se débrouiller. Car à chaque bris de glace, ce dernier va se voir questionner par les conducteurs avec une dépense orpheline à gérer, sans solution. En général, cela se termine par une note de frais produite par le conducteur. Ce qui va coûter, in fine, plus cher à l’entreprise.
Une bonne pratique aurait été de signer un accord forfaitisé avec un spécialiste du remplacement et de la réparation du vitrage. Mais pour cela, il aurait fallu un échange entre le gestionnaire de flotte et l’acheteur. De bonnes relations qui, même si le principe fait consensus, sont loin de représenter la norme.
Pour mieux évaluer ce rapport acheteur-responsable de parc, les spécialistes des flottes tracent une frontière en dessous et au-dessus des 1 000 véhicules. Une limite floue cependant car tout dépend aussi de la personnalité des parties prenantes et bien sûr de l’organisation de l’entreprise.
Achats-flotte : des relations complexes…
« Sous les 1 000 véhicules, cette relation reste compliquée car peu d’acheteurs sont experts en flottes. Le service achats peut avoir alors essentiellement en tête le prix le plus bas. Il a donc tendance à peu tenir compte de la valeur résiduelle du véhicule, du coût d’entretien ou de celui de l’usure », expose Baudouin de Mégille. À noter que ce consultant spécialiste des flottes était auparavant directeur de Veolia Environnement Gestion Automobile, une organisation à la tête des 32 000 véhicules, 40 gestionnaires de parc et 2 acheteurs.
Baudouin de Mégille poursuit : « Dans ce type de relation, le responsable de parc n’est pas un élément reconnu dans l’organigramme de l’entreprise. Conclusion : l’acheteur domine. Certes, il connaît mieux le processus des achats mais il est moins affûté quand il est question de gérer la flotte. » Dans les sociétés dotées de plus de 1 000 véhicules, la donne change et le rapport de force s’équilibre avec une meilleure collaboration des deux parties, surtout quand le gestionnaire de flotte est mieux positionné dans la hiérarchie.

… et rarement au beau fixe
Mais le duo acheteur-gestionnaire reste bancal dans nombre de sociétés : les services ne collaborent pas assez ensemble, se parlent peu, ne se réunissent pas suffisamment, ne partagent pas de projets. Et les problèmes de management se font nombreux. L’acheteur travaille dans son coin et/ou le gestionnaire de flotte trouve « superflu » de renseigner les autres services. Accaparé par ses activités, ce fleet manager peut avoir tendance à se concentrer sur son cœur de métier, à privilégier l’efficacité au détriment de la communication.
Les causes de ces attitudes sont nombreuses. Mais très souvent, le responsable de parc limite sa communication par habitude, par peur de perdre en pouvoir, par crainte de voir son emploi phagocyté par un tiers, voire radicalement externalisé. En effet, nombre de services veulent s’occuper des flottes, chacun essayant de faire prévaloir ses idées.
Une flotte demeure pourtant un poste de dépenses important. Lors de la restitution d’un véhicule, les frais de remise en état s’élèvent en moyenne aujourd’hui en France à 700 euros. Pour un parc de 1 000 véhicules, avec un renouvellement tous les quatre ans, le calcul est vite fait. Mais ces frais peuvent nettement se réduire si le responsable de parc et l’acheteur imposent ensemble une discipline et des processus, des franchises de restitution et/ou une sensibilisation des conducteurs à ce problème, voire une participation aux frais de restitution en cas d’abus.
Alors, comment faire pour mieux travailler ensemble ? Les réponses sont nombreuses. Celle de l’acheteuse Margaux Lamarche résume bien la situation. Cette dernière a rédigé un mémoire intitulé « Nouvelle approche de la gestion de la flotte automobile et performance achats » pour son diplôme de responsable de la fonction achats (niveau bac + 4) obtenu via les organismes de formation Cegos et Neoma. Ses préconisations, par le levier de l’autopartage essentiellement, ont permis à son employeur de diminuer le coût de son parc de 13 %.
Bien répartir les rôles
« Pour que le couple fonctionne au mieux, je conseille que l’acheteur intervienne au début de chaque projet pour constituer le dossier et la stratégie. Il doit se déplacer, venir sur le terrain, voir comment le gestionnaire de flotte travaille. C’est mieux dans ce sens. Ce gestionnaire doit aussi être inclus, dès le début, dans le recensement des besoins. Chacun comprend alors les problèmes de l’autre. Le fleet manager est un expert de son métier, il le maîtrise et l’acheteur doit acheter : c’est ce qui se fait de mieux », décrit Margaux Lamarche. « Quand j’analyse ce couple gestionnaire-acheteur, j’ai le sentiment que la situation s’améliore, estime Maxime Sartorius, président du fleeteur Direct Fleet. Il y a bien sûr des contre-exemples. Mais je suis surpris par la qualité de l’entente entre ces deux services. »
Mais il existe encore de nombreuses flottes générant des conflits récurrents. Pour prévenir ces oppositions onéreuses entre achats et gestion de flotte, il faut avoir en tête que ces dissensions sont, en général, la conséquence d’un problème de management : missions mal définies, périmètres peu clairs, règle du jeu mal posée, valeurs de l’entreprise obscures… « Pour régler cela, l’important est de définir l’objet du conflit puis de monter un groupe de réflexion pour améliorer les pratiques managériales de l’entreprise. Cela peut être compliqué : la hiérarchie est parfois tentée d’éviter le conflit plutôt que de le regarder en face. La peur du conflit reflète très souvent une peur du changement… », rappelle le médiateur Jean-François Thiriet, auteur de Ni hérisson, ni paillasson : plus jamais peur des conflits (Gereso Édition, mai 2018).
Organiser le dialogue
Pour prévenir les tensions entre achats et gestion de flotte, il faut aussi dialoguer le plus possible en formalisant les rencontres entre les deux services. La gestion de flotte (ou les achats) peut en organiser régulièrement et brièvement, en un lieu et un temps connus de tous. Lors de ces brèves interventions, il est entendu que tout le monde doit pouvoir exposer les problèmes rencontrés. On en parle, on les prévient, on les devance. Il est aussi possible d’organiser un système où un acheteur (ou un responsable de parc) puisse envoyer un courrier électronique lorsqu’un problème survient à son échelle. Ensuite, le manager doit être attentif aux moindres indices de tension ou d’insatisfaction.
Ces indices peuvent être un haussement de ton entre l’acheteur et le gestionnaire de flotte. Le fait que certains ne disent plus bonjour à d’autres. Des dossiers résolus d’habitude en un jour qui le sont désormais en trois. Dans ce cas, il faut réunir de suite les belligérants en leur demandant, individuellement ou collectivement, d’exposer les faits. Chacun doit être traité de façon égale et l’on trouvera collectivement des solutions d’apaisement et de résolution du problème. Un délai pour résoudre le problème sera donné avec un rendez-vous, in fine, pour vérifier le (bon) résultat.

En résumé, le système mis en place ne doit pas laisser de temps à un problème de s’envenimer, de s’amplifier. En traitant le souci à la source, on gagne beaucoup de temps. « Avec ces rencontres, nous assurons beaucoup mieux la gestion globale de la flotte. Pour ma part, j’assiste une fois par mois à la réunion de la dizaine de gestionnaires de flotte de l’entreprise », confirme Armand Gourgeon, directeur des achats du Groupe Scopelec, un spécialiste des infrastructures télécom-réseaux énergétiques à la tête de 3 050 véhicules.
Jouer la complémentarité

Pourquoi ces rencontres sont-elles si importantes ? « Parce que le bon acheteur doit comprendre le job du gestionnaire de parc, pose Philippe Petit, manager de l’offre de formations achats pour Cegos et auteur de Toute la fonction Achats (Dunod, 2016) et de La boîte à outils de l’Acheteur (Dunod, 2018). Le but est que le binôme fonctionne bien. L’acheteur s’intéresse alors aux missions du responsable de parc. Cela débouche sur un respect réciproque entre les deux. »
De plus, ces échanges amènent à mieux négocier avec les prestataires car il est rare qu’un acheteur connaisse la manière dont un loueur négocie des frais de restitution ou une grille de vétusté. Le métier de gestionnaire de parc est une tâche compliquée, pointue. Sans explication, difficile pour l’acheteur d’appréhender tout cela.

« Le service gestion de flotte nous fait remonter ses besoins. Les fleet managers sont à la fois proches des conducteurs et des prestataires. Sans eux, impossible de réduire le TCO car ces gestionnaires ont un impact important sur la qualité des restitutions de véhicule, le suivi des contrats ou la relation avec les conducteurs. Et ils disposent de leviers essentiels pour améliorer les choses. Pour notre part, nous en avons d’autres. Tout le monde contribue aux objectifs fixés. D’où une complémentarité », souligne Benjamin Pignol, directeur des achats du spécialiste des travaux publics et de l’aménagement urbain Segex, doté d’une flotte de 700 véhicules. Conclusion : quand l’acheteur s’intéresse aux travaux du gestionnaire et que ce dernier communique avec lui parfaitement, c’est un gage de réussite.
Cette coopération débouche, c’est un autre conseil, sur la définition des différentes politiques à construire pour bien gérer la flotte. Cela passe, en premier lieu, par la création d’une car policy. Cette dernière doit être simple – attention aux usines à gaz ! – et définie par une équipe regroupant, a minima, le gestionnaire de flotte et l’acheteur, le service comptabilité, les RH et les finances.
Travailler en équipe
« Ce fonctionnement permet à l’acheteur de comprendre pourquoi il faut choisir telle ou telle marque, tel ou tel type de modèle. Le TCO se construit petit à petit, ajoute Baudouin de Mégille. L’acheteur s’apercevra alors que la plus petite remise d’un constructeur peut être plus intéressante que la grosse remise d’un autre. » Cette démarche autour de la car policy abordera enfin les coûts annexes de l’assurance, de la sinistralité et de la formation à la conduite nécessaire pour faire reculer cette sinistralité et le nombre de contraventions. Un vrai travail… d’équipe.
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