
Pour les professionnels familiers de ce dossier, le nouveau texte de loi qui oblige les entreprises à désigner leurs collaborateurs auteurs d’infractions au Code de la route est loin de constituer une surprise.
« La dénonciation était déjà fortement suggérée », rappelle maître Vincent Desriaux, avocat spécialiste des questions de sécurité au travail au sein du cabinet Michel Ledoux & Associés (voir également l’entretien). L’avocat pointe d’ailleurs la « bizarrerie » de l’ancienne loi qui amenait des chefs d’entreprise à déclarer aux autorités qu’ils ne savaient pas qui était au volant de leurs véhicules…
De nombreuses entreprises avaient...
Pour les professionnels familiers de ce dossier, le nouveau texte de loi qui oblige les entreprises à désigner leurs collaborateurs auteurs d’infractions au Code de la route est loin de constituer une surprise.
« La dénonciation était déjà fortement suggérée », rappelle maître Vincent Desriaux, avocat spécialiste des questions de sécurité au travail au sein du cabinet Michel Ledoux & Associés (voir également l’entretien). L’avocat pointe d’ailleurs la « bizarrerie » de l’ancienne loi qui amenait des chefs d’entreprise à déclarer aux autorités qu’ils ne savaient pas qui était au volant de leurs véhicules…
De nombreuses entreprises avaient anticipé cette évolution des textes de loi. Pour l’assureur Groupama, qui compte environ 5 000 véhicules sur l’ensemble du territoire, l’identification des collaborateurs auprès des autorités en cas d’infraction était de fait une évidence : « La nouvelle loi n’apporte aucun changement à notre fonctionnement », indique Philippe Brillaud, responsable de la flotte pour la région Centre-Atlantique.
Une évolution déjà prise en compte
« Nous dénonçons systématiquement les conducteurs, nous ne pensons pas qu’il soit possible de procéder différemment. Pour l’intérêt personnel des utilisateurs et pour l’image de l’entreprise, le respect des règles de circulation doit être une préoccupation quotidienne », estime Philippe Brillaud. Et de rappeler que le non-respect du Code de la route par les conducteurs de son entreprise est d’autant moins souhaitable que l’ensemble de la flotte est logotée au nom de l’assureur. Ce fonctionnement est aussi vrai depuis plus d’un an pour Daiichi Sankyo qui compte 250 véhicules de fonction. Pour ce laboratoire pharmaceutique, la dénonciation des contrevenants a représenté un moyen d’appliquer avant l’heure l’esprit de la loi.
« Même s’ils roulent plus que les particuliers et sont donc davantage susceptibles d’être verbalisés, les conducteurs de l’entreprise doivent comme tout le monde respecter les normes de sécurité définies dans le Code de la route », résume ainsi la responsable de la flotte de Daiichi Sankyo, Caroline Scherschel-Lindé.
Un raisonnement au cas par cas
Les entreprises qui ne pratiquaient pas systématiquement l’identification jusqu’ici n’en étaient pas pour autant laxistes vis-à-vis du comportement routier de leurs collaborateurs. Chez Orange, la dénonciation des conducteurs était laissée à l’appréciation au cas par cas dans les agences du territoire. La limite à la tolérance était atteinte dès que la gravité des infractions dépassait un certain niveau, d’excès de vitesse par exemple, ou bien encore une certaine fréquence.
Pour des entreprises dotées de plus petites flottes, c’est souvent la rareté des amendes qui justifiait l’indulgence vis-à-vis des contrevenants. « Sur une trentaine de véhicules, nous avons au plus une quinzaine d’infractions par an », justifie Thierry Pannier, responsable du parc d’ICF Habitat Nord-Est, un acteur du logement social dont une majorité de véhicules roulent entre 2 000 et 3 000 km par mois.

Mais quel que soit le degré d’anticipation des textes dans les entreprises, toutes partagent maintenant un point commun : elles vont devoir organiser au mieux l’identification des conducteurs en interne pour pouvoir transmettre leurs identité et adresse à réception de l’avis de contravention.
Pour rappel, le texte de loi souligne que ces informations doivent être indiquées soit par lettre recommandée avec avis de réception « à l’autorité mentionnée sur cet avis », soit par voie dématérialisée sur le site de l’Antai.fr dans un délai de 45 jours (voir l’encadré ci-dessus).
Pour les plus petites structures, cette obligation ne devrait pas bouleverser leur mode de fonctionnement. Toujours chez ICF Habitat Nord-Est, Thierry Pannier n’anticipe pas de grands changements sinon une modification du circuit des amendes et un peu de travail administratif supplémentaire.
Pour de plus grandes flottes comme celle d’Orange qui rassemble plus de 21 000 véhicules, la difficulté de l’identification des conducteurs réside surtout dans la variété du parc, réparti entre voitures de fonction et véhicules en autopartage. Pour une voiture de fonction, le rapprochement entre un véhicule et un collaborateur ne posera pas de problème, observe le directeur général de la gestion des véhicules de l’opérateur, Patrick Martinoli : « Si le véhicule est conduit par une autre personne, charge au collaborateur de désigner qui conduisait. »
La question du véhicule partagé
Avec l’autopartage, le conducteur est forcément un membre de l’entreprise et son identification est relativement simple, note Patrick Martinoli : « Nous savons systématiquement qui a pris le véhicule : celui-ci est ouvert avec un badge, il est alors sous la responsabilité de la personne qui l’a employé et nous avons la preuve que le véhicule était sur la route ou pas. »

Pour les entreprises qui ne possèdent pas de tels dispositifs, reste la solution des carnets de bord (voir l’entretien avec Maître Vincent Desriaux). Ces derniers permettent aussi d’identifier le conducteur pour des cas particuliers d’utilisation. Ainsi, un salarié peut commettre une infraction au volant d’un véhicule emprunté à l’un de ses collègues, comme à l’occasion d’un départ en vacances de ce dernier.
Pour faire face à ces cas de figure, des entreprises envisagent de renforcer encore l’identification des conducteurs. En installant des dispositifs qui les obligent à badger systématiquement pour accéder aux véhicules de fonction, de service ou d’emprunt, afin d’éviter toute confusion.
Quelle gestion pour les amendes ?
En limitant la réponse aux avis de contravention à deux possibilités seulement – soit l’identification du conducteur, soit l’envoi d’un justificatif pour vol ou destruction du véhicule –, la nouvelle loi va avoir une autre conséquence : de plus en plus d’entreprises vont s’orienter vers une automatisation du traitement des amendes.
« Chez Orange, notre base de données va être adressée à l’Antai par l’intermédiaire du prestataire Gac Technology, explique Patrick Martinoli. Dorénavant, l’organisme nous informera via notre logiciel de gestion que tel véhicule a commis une infraction et nous répondrons aussitôt à qui le véhicule a été attribué, ou qui en était le conducteur, avec son adresse. »
Une solution simple sur le papier mais qui pourrait être plus complexe à mettre en œuvre, notamment pour les parcs en location. « Tous les loueurs n’acceptent pas que ce soit le système d’information de leurs clients qui déclare leurs véhicules auprès de l’Antai », a pu constater Patrick Martinoli.
Et pour les entreprises qui souhaiteraient passer directement des conventions avec l’Antai pour dématérialiser les envois et paiements d’amendes, l’agence indique « étudier les situations au cas par cas, [les demandes peuvent être adressées à antai-gestion-flotte@interieur.gouv.fr, NDLR] ». Mais, précise l’agence, le conventionnement reste pour l’instant réservé aux flottes importantes : « L’ordre de grandeur est de 1 000 véhicules. »
Du côté des conventions accordées aux prestataires, les restrictions sont moins fortes. Il y a deux ans à peine, ces conventions n’étaient signées qu’avec des propriétaires de flottes mises en location « de premier rang ». Désormais, « les entreprises gérant pour des tiers des véhicules qu’elles ne possèdent pas peuvent aussi passer une convention », stipule l’Antai. Cela ouvre la possibilité à des fleeters mais aussi des prestataires de solutions de gestion de flotte, comme Gac Technology pour Orange, de proposer à leurs clients une interface avec l’Antai.
Faut-il faire ou non appel à un tiers ?
Reste que tous les loueurs n’ont pas forcément de convention avec l’organisme. ALD Automotive en a signé une et commercialise depuis plus d’un an maintenant le service ALD fine management. « Toutes les infractions relevées par l’Antai sont affichées directement sur le portail de nos clients. Ils peuvent alors désigner depuis ce portail le conducteur pour que le PV papier arrive directement à son attention », argumente Jérôme de Retz, directeur marketing d’ALD.
D’autres loueurs reçoivent l’intégralité des PV de leurs clients en version papier et traitent alors pour eux les requêtes en exonération ou l’identification du conducteur. « Pour le client, la finalité reste identique mais cette gestion est confiée à un tiers qui porte la responsabilité de la désignation, poursuit Jérôme de Retz. Chez nous, le client garde la main sur la désignation. Nous considérons que seul le client sait parfaitement qui conduisait la voiture. »
Des écueils à éviter
Et si l’interfaçage entre les loueurs et l’Antai fait disparaître les documents papier et réduit les possibilités d’erreur, il n’est pas exempt d’écueils. « Aujourd’hui, les informations recueillies grâce à l’interfaçage avec l’Antai [via le fleeter ERCG] demeurent trop succinctes, estime Caroline Scherschel-Lindé pour Daiichi Sankyo. L’Antai automatise le traitement des amendes mais la procédure peut encore être compliquée en cas de réclamation, faute de détail dans les données comme le numéro de l’amende, son montant ou le type d’infraction commise. En outre, en cas d’erreur informatique, ce qui arrive parfois, les recours sont difficiles. »

Un fonctionnement encore à structurer
Pour les entreprises, demeure la possibilité de gérer les amendes en interne. « Le client qui ne souhaite pas utiliser le service du loueur et veut traiter directement avec l’Antai doit attendre que le PV papier arrive à l’entreprise. Il se rend ensuite sur le portail de l’Antai avec la référence de la contravention, désigne le collaborateur et l’Antai envoie un nouveau PV pour la personne. Le gain de temps est alors très faible car les données transmises ne sont pas sauvegardées », détaille Jérôme de Retz pour ALD, qui défend son métier.
Et si le traitement des amendes peut être renouvelé selon différentes modalités dans les entreprises, ces dernières anticipent une autre conséquence de la loi : la perte de points sur les permis des salariés. « Le fait de dénoncer systématiquement les conducteurs va sans doute entraîner une perte plus importante de points chez nos collaborateurs », avance Patrick Martinoli pour Orange. Cette perspective incite des entreprises à enrayer ces pertes qui pourraient déboucher sur la perte de permis en finançant des stages de récupération.
Là encore, les approches varient. Certaines entreprises préfèrent mettre l’accent sur la prévention. « Les formations que nous finançons pour les collaborateurs sont axées entre autres sur l’éco-conduite et les risques de la conduite quotidienne, décrit Philippe Brillaud pour Groupama. Mais nous ne finançons pas de stage de récupération de points. »
Prévenir la perte des points

Aux conducteurs qui ne disposaient pas de beaucoup de points sur leur permis, Daiichi Sankyo avait offert de financer un stage de récupération lorsqu’en juillet 2015 le laboratoire a choisi l’identification de ses conducteurs verbalisés. Ce système a alors évolué : « Les salariés peuvent souscrire un abonnement annuel auprès d’un organisme proposé et financé pour partie par l’entreprise. Cet organisme peut les aider dans leurs démarches de règlement des litiges ou de réclamation liés aux amendes, et le cas échéant leur permettre d’effectuer un stage de récupération de points », explique Caroline Scherschel-Lindé. D’autres entreprises réfléchissent encore à la solution à adopter. « Un comité d’études interne a été créé pour voir les suites à donner en cas de perte de points et d’impossibilité pour les conducteurs de rouler pour leur travail. Les solutions peuvent aller de deux jours de congé accordés au conducteur pour suivre son stage de récupération, et/ou au paiement de tout ou partie du stage. Il est également envisagé de cumuler les deux solutions mais à raison d’un stage tous les deux ou quatre ans par exemple… Nous examinons les solutions pour trouver la meilleure à adopter », relate Patrick Martinoli pour Orange.
Une autre question se pose à l’opérateur de télécoms : « Rien ne prouve que les points ont été perdus à titre professionnel, reprend le responsable. Le collaborateur peut très bien les avoir perdus pendant ses trajets privés, avec son propre véhicule. La nécessité de contribuer à leur récupération n’est pas alors réellement justifiée et nous nous interrogeons sur notre contribution. »
Vérifier ou non les permis ?

Derrière cette question émerge celle plus générale de la connaissance par l’entreprise du nombre des points sur les permis des salariés. Car si la loi renforce l’éventualité pour ces derniers de perdre leurs points, elle n’en donne pas pour autant une meilleure visibilité aux entreprises sur l’ampleur de ces pertes (voir aussi l’entretien avec Maître Vincent Desriaux).
« Nous ne sommes pas censés demander s’il reste des points sur un permis. Cette information ne peut reposer que sur du déclaratif. Nous pouvons demander à un salarié de présenter son permis régulièrement, mais cela n’est pas toujours simple et nécessite d’organiser une rencontre avec les personnes responsables », poursuit Patrick Martinoli.
Chez Daiichi-Sankyo, la taille plus petite de l’entreprise autorise un contrôle plus régulier : « Nous demandons aux collaborateurs d’effectuer une déclaration bisannuelle de validité de leur permis », explique Caroline Scherschel-Lindé.

Pour Groupama, le problème est en partie résolu : « Dans le cadre de son obligation de sécurité, l’entreprise peut demander périodiquement la production de l’original du permis ; en cas de suspension ou de retrait, le bénéficiaire doit informer immédiatement l’employeur, observe Philippe Brillaud. D’autre part, les contrats des véhicules sont le plus souvent de 24 mois, le permis est donc vérifié à cette occasion, avec une copie archivée au dossier. »
Mais la fréquence des contrôles ne résout pas forcément la question de la détention du permis : « Le permis n’est valable que si on le montre, fait remarquer un gestionnaire de flotte qui préfère rester anonyme, peut-être par crainte de donner des idées à ses collaborateurs. Un conducteur peut montrer son permis et partir après au commissariat le déposer pour un retrait. » Et la faute peut ne pas être intentionnelle « parce que le conducteur ne sait pas encore qu’il a par exemple été flashé sur la route. Il ne saura qu’un mois plus tard qu’il a perdu la totalité de ses points. Ce sont des cas de figure qui arrivent », rappelle Vincent Desriaux, avocat au sein du cabinet Michel Ledoux & Associés.
Des situations toutefois rares, comme le note Caroline Scherschel-Lindé pour Daiichi : « Le dispositif est bien organisé par l’Antai : les personnes sont informées par courrier lorsqu’elles n’ont plus beaucoup de points et elles peuvent consulter leur solde à tout moment sur un site. »
Quoi qu’il en soit, les gestionnaires de parc ont du pain sur la planche…