
Lancée en 2016 par l’Ifsttar et la Fondation Maif, l’étude TSICA (pour « téléphone et systèmes d’information en conduite automobile ») répertorie et quantifie les usages du téléphone au volant. L’enjeu : mieux comprendre pourquoi les conducteurs développent ces pratiques, afin de mieux prévenir les risques.
Après de premiers résultats, l’étude a été reconduite en 2017. « Alors que l’étude de 2016 était très longue et comportait environ 150 questions, la version 2017 est un véritable baromètre qui devrait être reconduit en 2018 sous la même forme. Malgré les différences entre les deux études, nous avons quand même essayé de comparer 2016 et 2017 », a indiqué Marie-Pierre Bruyas, chargée de recherche en psychologie cognitive au sein du laboratoire TS2-Lescot à l’Ifsttar.
59 % des professionnels utilisent leur téléphone au volant
Au total, 2 671 personnes, dont 87 % conduisent régulièrement un VP ou un VUL (2 311 personnes), ont répondu à un questionnaire en ligne entre le 16 juin et le 13 juillet 2017. Parmi elles, 990 personnes, soit 43 % des conducteurs, ont déclaré utiliser leur téléphone au moins occasionnellement en conduisant, contre seulement 39 % en 2016. Plus grave, les usages fréquents sont en augmentation, passant de 24,8 % à 29,6 % entre 2016 et 2017.
Du côté des professionnels, le téléphone se confirme comme un outil de travail : ils sont désormais 52 % à déclarer utiliser leur téléphone fréquemment, contre 27 % des autres conducteurs, soit près du double.

Seul point positif : l’usage des dispositifs embarqués augmente également. « Les kits mains libres nomades restent ciblés sur les petits conducteurs, tandis que l’usage des kits mains libres intégrés augmente avec le nombre de kilomètres parcourus. Plus on roule et mieux on est équipé », note Marie-Pierre Bruyas.

Attention aux usages autres que conversationnels
Autre enseignement de l’étude, le téléphone reste principalement utilisé pour les conversations (39 % de tous les conducteurs). « Celles-ci sont très souvent professionnelles, pour résoudre des problèmes mais aussi simplement pour passer le temps et ne pas s’endormir au volant », indique Marie-Pierre Bruyas. Mais les autres usages les rattrapent et concernent désormais 38 % des conducteurs.
Les chercheurs ont ainsi constaté que l’envoi et la réception de SMS et d’email, ainsi que le GPS mais aussi l’utilisation des réseaux sociaux sont en augmentation, même s’il n’est pas évident de quantifier ces usages.

Quels effets sur la sécurité routière ?
Les résultats de ce baromètre sonnent l’alerte. « Depuis quelques années, les courbes de la mortalité routière stagnent et ont même augmenté en 2017, rappelle Marc Rigolot, directeur général de la Fondation Maif. Aux deux fléaux que sont la vitesse et l’alcool s’est ajouté un nouveau fléau : l’utilisation du smartphone pendant la conduite, et surtout des écrits. »
« Les études d’accidentologie montrent qu’un regard hors de la route qui dure plus de deux secondes augmente le risque d’accident, confirme Marie-Pierre Bruyas. La prévention routière doit donc cibler tous les usages téléphone en main. »
Un enseignement visiblement pris en compte par le gouvernement, puisque l’une des futures mesures de sécurité routière annoncées début janvier cible les conducteurs qui commettent une infraction le téléphone à la main.
Commandes vocales et dispositifs intégrés : des pistes pour réduire les risques
Mais outre la sanction, que faire pour sensibiliser des usagers de plus en plus accros au smartphone ? « Nous savons ce que les conducteurs font au volant et nous savons que cela ne va pas s’arrêter. Il faut maintenant réfléchir aux moyens de rendre plus sécuritaire l’usage du téléphone », résume Marie-Pierre Bruyas.
La chargée de recherche regrette la méconnaissance des commandes vocales du téléphone par les conducteurs, dont l’utilisation est moins dangereuse que la manipulation à la main. Une utilisation qui augmente avec le nombre de kilomètres parcourus, les pros maîtrisant mieux leur téléphone.
Marc Rigolot pointe aussi l’importance de l’équipement des véhicules, en particulier des flottes : « Lorsque les voitures seront équipées de systèmes capables de filtrer les choses importantes ou non et de gérer de manière intégrée les interactions avec le smartphone, cela permettra de réduire le risque. »
Couper son téléphone, une problématique sociale
Attention, cela ne doit toutefois pas se traduire par une utilisation accrue du téléphone. D’autant qu’il existe aussi des technologies permettant de désactiver le smartphone pendant la conduite. Celles-ci peuvent toutefois poser un problème d’acceptabilité : « Il n’est pas évident d’accepter d’être coupé du monde, note Marc Rigolot. Or, plus les gens sont sur la route, plus la tentation est forte d’utiliser le téléphone pour gagner du temps et être efficace dans son travail. Il est très compliqué pour certaines structures d’imposer des règles strictes d’usage car le téléphone est perçu comme un gain de temps. »
Et l’arrivée des véhicules connectés et autonomes devrait renforcer cette perception. « La place du téléphone dans la voiture ne pourra plus être considérée de la même façon. Par exemple, ne vaudra-t-il mieux pas utiliser son téléphone plutôt que de s’endormir au volant d’un véhicule autonome ? », interroge Marie-Pierre Bruyas. Si bien qu’à l’avenir avec la généralisation des véhicules autonomes, « il sera peut-être nécessaire de repenser non seulement les usages du téléphone mais aussi ses interdictions. »