C’est la règle des 80/20, estime Frédéric Follie, responsable hygiène et sécurité du groupe chimique et pharmaceutique Bayer : « Sur les trois dernières années, nous avons constaté qu’une proportion assez faible de conducteurs était responsable de 30 à 35 % de la sinistralité globale du réseau. » Heureusement, les accidents sont le plus souvent minimes, modère le responsable. Ce qui ne doit pas amener à négliger ces « multi-accidentés », bien au contraire : « Statistiquement, ce sont les conducteurs les plus susceptibles d’avoir des accidents graves », poursuit Frédéric Follie.
Repérer les conducteurs à risque
Pour suivre ces conducteurs, il faut d’abord les connaître. Une évidence mais qui implique un suivi pointu de l’accidentologie. « Le manager direct ne se souvient pas forcément de tous les sinistres de chaque conducteur, remarque Philippe Brunel, responsable assurance et risk management du transporteur express TNT. C’est le service assurance qui déclenche une alerte auprès du responsable quand les accidents s’étalent sur plusieurs années. »
Chez Bayer, plusieurs indicateurs ont été élaborés pour suivre la sinistralité à l’échelle de la flotte et isoler les conducteurs à risque : « Nous suivons le nombre total de sinistres par million de kilomètres parcourus ; le pourcentage d’accidents responsables sur le nombre total de sinistres ; et l’indice de fréquence qui reprend le nombre total de sinistres sur le nombre total de véhicules en circulation. Ces trois indicateurs donnent une idée précise de ce qui se passe sur le terrain », détaille Frédéric Follie.
Chaque entreprise élabore ses propres outils mais toutes partagent un élément commun : le bilan des sinistres d’un conducteur doit être analysé sur plusieurs années. « Le conducteur est considéré à risque s’il a eu trois accidents ou/et infractions importantes, à partir de 20 km/h de dépassement de vitesse, sur une période de trois ans. De même, s’il a connu deux accidents et/ou une infraction importante sur six mois », avance Audrey Masero, la responsable des services généraux de Monsanto.
À noter : chez le semencier, les conducteurs qui ont commis « un seul accident entraînant la perte matérielle totale du véhicule ou une blessure nécessitant une hospitalisation », sont intégrés systématiquement dans la liste des conducteurs à prendre en charge en priorité.
Une fois ces conducteurs à risque identifiés, les entreprises ont élaboré des démarches spécifiques. Le plus souvent, un bilan de conduite est réalisé dans un premier temps. « Nous reprenons un historique de l’accidentologie avec un rappel des accidents, des coûts, etc. », décrit Philippe Brunel chez TNT. Compte tenu des implantations de TNT, c’est le responsable local qui fait passer « un entretien personnalisé avec le salarié où un certain nombre de questions préparées sont posées. Elles mettront en avant l’utilisation du véhicule, l’environnement de conduite, les pratiques du conducteur ainsi que son organisation », relate le responsable de TNT.
Écouter et accompagner les conducteurs
En complément de l’entretien, un audit de conduite est mené avec le salarié. « C’est une formation en présence d’un spécialiste qui se déplace pour le salarié. Il revient avec lui sur sa sinistralité et sa conduite est analysée. En fonction des observations, un accompagnement est mené sur tel ou tel point », reprend Philippe Brunel.
Chez Bayer, la démarche est similaire : « Avec les conducteurs, nous recherchons les causes de l’accidentologie du côté de leur organisation du travail, de leurs compétences en conduite. Ils ont peut-être pris de mauvaises habitudes et ont besoin d’une formation adaptée pour une conduite plus sûre », explique Frédéric Follie.
Si des formations peuvent être envisagées, les entretiens et audits peuvent aussi déboucher sur une adaptation des équipements des véhicules, voire un changement. « Chez certains chauffeurs de VUL, des accidents répétés peuvent être dus à un véhicule inadapté pour des tournées avec des chemins d’accès difficiles chez les clients », indique Philippe Brunel pour TNT.
Dans tous les cas, cette démarche vise aussi à marquer les esprits. Chez TNT, l’objectif est de « pousser le collaborateur à la réflexion », note Philippe Brunel. La prise de conscience passe notamment par l’inconfort des confrontations : avec le supérieur hiérarchique mais aussi avec l’auditeur.
Rappeler leur responsabilité aux conducteurs
Philosophie identique chez Bayer : « Le but est de responsabiliser les conducteurs, de les rendre davantage acteurs de leur sécurité au quotidien. Ils sont aussi porteurs de l’image de la société et des enjeux humains et économiques, y compris dans l’acte de conduite qui est un acte professionnel à part entière », rappelle Frédéric Follie.
Et si la prise en charge du conducteur se veut marquante, une piqûre de rappel est aussi prévue. « Nous suivons régulièrement l’évolution des sinistres et nous répétons l’entretien : un an puis deux ans après le premier », conclut Philippe Brunel pour TNT.