
En matière de prévention des accidents de la route dans le cadre professionnel, il faut garder en tête la règle des 20-80. Cela signifie, en l’occurrence, que, dans la majorité des cas, une minorité, soit 20 % des conducteurs tout au plus, sont à l’origine de 80 % des sinistres. Et il existe un noyau dur et un noyau encore plus dur… En moyenne, le préventeur Codes Rousseau constate « que 5 à 7 % des conducteurs multi-accidentés entraînent environ 28 à 40 % de la sinistralité ». C’est pourquoi il est essentiel de s’occuper en priorité de ces quelques pourcents de salariés, des personnalités en général plus difficiles que les autres. Mais...
En matière de prévention des accidents de la route dans le cadre professionnel, il faut garder en tête la règle des 20-80. Cela signifie, en l’occurrence, que, dans la majorité des cas, une minorité, soit 20 % des conducteurs tout au plus, sont à l’origine de 80 % des sinistres. Et il existe un noyau dur et un noyau encore plus dur… En moyenne, le préventeur Codes Rousseau constate « que 5 à 7 % des conducteurs multi-accidentés entraînent environ 28 à 40 % de la sinistralité ». C’est pourquoi il est essentiel de s’occuper en priorité de ces quelques pourcents de salariés, des personnalités en général plus difficiles que les autres. Mais attention : la politique de prévention doit aussi se montrer bienveillante : les accidents peuvent arriver à tout le monde, mais pas les multi-accidents.
Bien cibler les conducteurs
« Il faut travailler en priorité sur les multi-sinistrés. Ils représentent parfois 5 % des conducteurs mais ils génèrent un tiers des accidents, des dégâts et des coûts financiers. Et comme ils sont peu nombreux, un ciblage, en termes de prévention et de formation, donne de bons et d’assez rapides résultats », recommande Maxime Mettra, directeur prévention à la LVR (La Vie Routière), un prestataire qui aide ses clients à limiter leurs risques routiers.
Avec cette population, quatre objectifs sont à atteindre : limiter au maximum la survenance d’accidents graves, maîtriser le nombre et le coût des sinistres, favoriser le bien-être au travail et respecter le Code du travail (L4121). Et le jeu en vaut la chandelle. Voici quelques pistes à suivre.
1. Organiser la démarche
Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, il est important de constituer un groupe de travail associant la gestion de flotte, les ressources humaines, les assurances et la direction. Cette dernière composante reste essentielle : elle valide toute la politique et fait prendre conscience aux salariés que le problème est sérieux. Au sein du groupe ERI, spécialiste de la maintenance-rénovation des bâtiments et des infrastructures de transport, la responsable prévention et sécurité, Souba Soundirampoulle, est ainsi directement rattachée au président du groupe, tant la sécurité se positionne au centre des préoccupations. À la tête de 450 véhicules, le groupe ERI emploie 900 salariés et compte une quinzaine de conducteurs multi-accidentés.
Le rôle des données
Cette démarche implique également de se doter de données fiables. Ce qui suppose une politique de déclaration systématique des sinistres assurés ou non pour en avoir connaissance, les analyser et repérer les causes pour déterminer les axes de prévention à suivre. Car sans ces données qui peuvent être nombreuses, l’entreprise perpétue un fonctionnement néfaste, dangereux et coûteux.
Pour le groupe Elis par exemple, spécialiste en entretien et location de produits textiles, un salarié multi-accidenté est un collaborateur qui a connu deux sinistres responsables dans les douze derniers mois. Elis emploie 12 000 salariés et gère 4 200 véhicules en France.

« Quand un sinistre est déclaré dans l’outil mis à disposition par notre préventeur, il est intégré dans nos bases de données, décrit Sébastien Virfolet, responsable assurance d’Elis. Une alerte se déclenche alors et le conducteur doit suivre un entretien post-accident où nous lui transmettons des messages sur “l’évitabilité” des accidents. Au second sinistre, le conducteur est déclaré multi-accidenté. Notre but est de repérer ces conducteurs le plus vite possible pour adapter notre discours et les sensibiliser. Il ne faut pas banaliser les mauvais comportements. De plus, si les actions de prévention sont rapidement menées, cela a un impact favorable sur l’absence de récidive dans le futur », poursuit Sébastien Virfolet.
2. Repérer les conducteurs multi-accidentés
« Il existe plusieurs types de conducteurs multi-accidentés, rappelle David Raffin, directeur général d’Actua Formation, spécialiste de la formation à l’éco-conduite, au risque routier et à la transition énergétique. Ce peut être le conducteur trop confiant qui n’a rien à apprendre, le stressé qui commet des erreurs, l’inexpérimenté qui se trouve exposé sur la route ou la personne sous influence d’une substance psychotrope (alcool, drogue, médicament). Dans tous les cas, l’important est de comprendre le pourquoi de l’accident, d’écouter le salarié. On ne peut pas juste le pointer du doigt, d’autant que de la moitié des employeurs n’offrent pas de formation routière à leurs collaborateurs », souligne David Raffin.
Repérer les conducteurs multi-accidentés amène aussi à cerner les causes majeures des accidents responsables. En général, il s’agit principalement de conduite en milieu urbain et de sorties de stationnement, deux principaux facteurs de sinistres relativement simples à identifier. Cela permet alors de repérer les multi-récidivistes et de déterminer le sujet de la formation qu’ils devront suivre. À noter : il peut aussi être intéressant de se pencher sur les « infractionnistes » qui reçoivent des PV pour défaut de stationnement ou autres. Ces conducteurs ont pareillement un comportement inadapté.
3. Débriefer les accidents
Pour bien faire, l’accidenté, et encore plus le multi-accidenté, doivent être « débriefés » par un professionnel. Pendant une quinzaine de minutes, l’objectif reste d’analyser le pourquoi de l’incident et de mener une analyse de son évitabilité. Le préventeur LVR (La Vie Routière) propose ainsi à ses clients de balayer, avec le conducteur fautif, le sinistre sur une base de 80 questions : jour de l’incident, moment de la journée, positionnement des véhicules, environnement lors du choc, avec une coanalyse de ce qu’il aurait fallu faire pour que l’accident n’ait pas lieu.
Ce débriefing a aussi comme fonction première de marquer le coup : il signale à l’accidenté qu’il a commis un acte grave, que l’entreprise et son manager sont au courant et qu’il va falloir comprendre le pourquoi de ce sinistre afin qu’il ne se reproduise plus. Ce fonctionnement est aussi valable pour le groupe ERI déjà évoqué plus haut, un spécialiste de la maintenance/rénovation des bâtiments et des infrastructures de transport (900 salariés, 450 véhicules).
Un acte managérial
« Chez nous, après le débriefing, un compte rendu est envoyé au manager et au service prévention. Ensuite, le supérieur réalise un acte managérial. C’est important, pointe Souba Soundirampoulle, responsable prévention et sécurité du groupe ERI. Auparavant, le N + 1 ne prenait pas le temps de lire le débriefing, mais ce n’est plus le cas maintenant : ce supérieur hiérarchique fait partie de la prévention et il doit indiquer avoir lu le commentaire de l’accident. Ainsi, il reboucle avec l’accidenté et échange sur les circonstances de l’accident. »
« À un conducteur qui a eu un accident, nous imposons un débriefing par le préventeur salarié Onet de l’agence à laquelle appartient l’accidenté. Le tout est consigné dans nos bases de données », expose de son côté Nathalie Da Silva, la responsable prévention des risques routiers et éco-mobilité d’Onet, spécialiste des services aux entreprises, qui s’appuie sur une flotte de 4 000 véhicules et 4 000 engins.
4. Former les conducteurs multi-accidentés

Une fois le multi-accidenté repéré et la cause du sinistre analysé, il faut former ce conducteur. « Quand l’accident a eu lieu, nous intervenons immédiatement pour que le salarié sache qu’il doit changer de comportement et acquérir les bons gestes, reprend Souba Soundirampoulle pour le groupe ERI. J’agis en priorité sur les conducteurs multi-accidentés et notre but est qu’il n’y en ait plus. »
Dans cet objectif, les préventeurs proposent des cursus sur une demi-journée à un jour. Pour sa part, Geneviève Valette, directrice des activités prévention et mobilité de Codes Rousseau, prône de « former le multi-accidenté en individuel dans sa voiture et sur sa zone de chalandise. Je ne crois pas, pour lui, aux cours collectifs. Chaque individu est spécifique. Il faut créer une relation de confiance entre le formateur et le sinistré : pour ce dernier, c’est quelque chose qui n’est pas neutre dans sa vie professionnelle. Et lorsque des actions systématiques sont prévues, les résultats sont bons, la sinistralité baisse et les rechutes restent rares », argumente Geneviève Valette.
Une formation de terrain
Après un accident au sein du groupe ERI, une session de formation est donc organisée en compagnie d’un formateur dans un véhicule avec trois caméras pour filmer la conduite. « Cette vidéo est visionnée et la conduite est analysée, les mauvaises habitudes sont traquées. On peut par exemple voir que l’on “serre” trop dans les virages, que l’on ne regarde pas dans ses rétroviseurs, que les accélérations sont trop brutales, que les rapports sont poussés, que la vitesse est trop élevée ou que les distances de sécurité ne sont pas respectées. Autant de mauvaises pratiques qui, si on les élimine, évitent la majorité des accidents responsables ou non », avance Souba Soundirampoulle.
Une prise de conscience
Le fonctionnement ne diffère pas chez Onet : « Chaque année, le top 20 des conducteurs les plus accidentés provenant de nos vingt agences concernées est formé spécifiquement, avec une prise en compte du management de l’agence. Notre responsable risque routier intervient alors auprès des agences avec des actions spécifiques afin de lancer ensemble des actions pour corriger le tir. L’idée est de former à la conduite préventive. En effet, dans les statistiques françaises, sur dix décès sur la route, six personnes ne sont pas responsables de l’accident qui les a tuées », détaille Nathalie Da Silva.
La formation demeure la partie délicate de l’opération : l’enjeu est de sensibiliser et de faire comprendre au salarié qu’il adopte de mauvais comportements, mais sans le stigmatiser. Avec une démarche bien menée, le conducteur changera sa vision du risque et son comportement. Il reste donc essentiel d’amener à une prise de conscience.
5. Suivre les récidivistes
Tout ce processus nécessite de la patience : ce travail est long et sans effet magique. « Les multi-accidentés qui ne se corrigent pas après une formation restent rares, juge Olivier Duvert, dirigeant de Nouvelle Route, spécialiste de la formation à l’éco-conduite et de la prévention du risque routier. Mais ils demeurent des éléments difficiles à gérer. Ils n’en font qu’à leur tête. Chacun peut avoir un accident responsable mais ceux qui estiment que tout cela n’est pas très grave, qu’il n’y a pas mort d’homme, sont compliqués à amender. »
« Resteront les personnalités qui ne composeront pas. Combien sont-elles ? On peut estimer qu’elles correspondent à 5 % des personnalités difficiles. Pour ces dernières, il faut se dire et redire qu’à l’impossible, nul n’est tenu », note Gaël Salomon, fondateur de Berenice Conseil, spécialiste de la transformation des entreprises.
Des personnalités difficiles
Gaël Salomon reprend : « Ces collaborateurs ont parfois connu ou connaissent des difficultés personnelles, issues de leur histoire intime et non liées à l’entreprise. Pour le manager, la résolution du problème se situe donc ailleurs. Les services de santé de l’employeur, l’assistante sociale, le médecin du travail, le psychologue doivent être requis pour détecter ce qui ne va pas et pourquoi. Ces derniers pourront travailler à une “prévention de la désinsertion professionnelle”. Mais ce n’est plus du ressort de l’entreprise et de ses managers. Et si toutes les discussions n’ont rien donné, il faudra laisser place à la contrainte légale et à la sanction », conclut Gaël Salomon.
Si après formations et mises en situation, les accidents perdurent, il faudra de fait procéder à des sanctions car ces comportements placent l’employeur en responsabilité : le dirigeant d’un salarié qui a causé un accident fatal peut être condamné pour manque de vigilance face au risque routier, s’il n’a rien mis en place pour lutter contre la sinistralité de son entreprise. Les peines vont jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amendes. Et pour mémoire, la majorité des employeurs n’a pas développé de plan de formation aux risques routiers.
Des sanctions
Pour Onet, Nathalie Da Silva revient sur cette situation, en soulignant qu’elle n’y a pas été confrontée jusqu’ici. « Si les problèmes perdurent avec un salarié donné, nous prévoyons d’évaluer ce conducteur avec la collaboration indispensable de son responsable et du préventeur Onet. Dans ce cadre, toute l’agence est sensibilisée et l’on mesure ainsi l’environnement de travail, les trajets effectués, le type de véhicule utilisé, etc. Et si les problèmes persistent encore, nous disposons de sanctions applicables et décrites dans le règlement intérieur ».
5. Travailler sur la durée
Car la prévention des accidents et la lutte contre les multi-accidentés constituent « des vis sans fin, rappelle Sébastien Virfolet, le responsable assurance du groupe Elis. Mais quand les messages passent, sont réitérés, et que les formations sont réalisées, l’impact se fait très visible. Chez nous, depuis que nous avons établi le triptyque “identification-sensibilisation-formation”, nous n’avons quasiment plus connu de nouveaux multi-accidentés. Ce parcours fonctionne. Le programme a été lancé en 2021 et les effets positifs sont arrivés en 2023 », relate Sébastien Virfolet.
Communiquer
De son côté, pour agir sur la durée au sein du groupe ERI, Souba Soundirampoulle communique activement par le biais d’affiches de prévention, de SMS ou de vidéos de quinze à vingt secondes sur des thèmes d’actualité comme les départs en vacances, ou l’arrivée de l’hiver et des routes glissantes. Cette entreprise propose aussi des jeux pour inciter les conducteurs à regarder et comprendre les messages de prévention routière. Par exemple, les trois personnes qui répondent le plus vite et font un sans-faute à un quizz envoyé à l’ensemble des salariés de l’entreprise reçoivent, chacune, la somme de 100 euros.
Enfin, une entreprise doit aussi assurer « la formation de ses nouveaux entrants, conseille Patrick Pennetier, directeur technique de Mobilité Club Académie (ex Automobile Club Prévention), un formateur à la prévention routière. On sécurise alors l’avenir. Car le simple fait d’intégrer une personne, sur un parcours routier pas connu et avec une nouvelle productivité demandée, génère des facteurs de risque d’accidents. » Une boucle vertueuse.
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