
À l’heure où nous achevons ce dossier, le confinement a pris fin depuis seulement quelques jours. Dans cette perspective, les flottes que nous avons interrogées avaient toutes réfléchi à la manière dont leur activité allait reprendre ou se poursuivre dans ces conditions inédites. Pour vivre avec le virus au quotidien, la grande nouveauté réside en premier lieu dans l’adaptation aux mesures sanitaires.
Les flottes qui ont continué à rouler pendant le confinement ont déjà établi des règles qui varient selon les usages des véhicules. « Au CHU de Grenoble, des protocoles de nettoyage et de désinfection pour les ambulances ont été mis en place,...
À l’heure où nous achevons ce dossier, le confinement a pris fin depuis seulement quelques jours. Dans cette perspective, les flottes que nous avons interrogées avaient toutes réfléchi à la manière dont leur activité allait reprendre ou se poursuivre dans ces conditions inédites. Pour vivre avec le virus au quotidien, la grande nouveauté réside en premier lieu dans l’adaptation aux mesures sanitaires.
Les flottes qui ont continué à rouler pendant le confinement ont déjà établi des règles qui varient selon les usages des véhicules. « Au CHU de Grenoble, des protocoles de nettoyage et de désinfection pour les ambulances ont été mis en place, comme lors de l’épidémie d’Ébola », témoigne Christophe Boarini, responsable des 13 véhicules du SAMU 38 au CHU. Le spécialiste grenoblois du transport urgent Cetup suit quant à lui depuis le début les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les pilotes de ses 201 véhicules (voir le témoignage).
Des mesures sanitaires déjà en place

L’entreprise JG Électricité, qui a poursuivi son activité durant le confinement, s’est elle aussi adaptée pour respecter les gestes barrières. « Nous ne nous déplaçons plus qu’à deux, voire à un seul par véhicule, souligne le gérant Jérémy Ghienne. Si nous n’avons pas de matériel à transporter, nous privilégions l’usage des VP avec un collaborateur à l’avant et un à l’arrière en quinconce. Et nous mettons des masques à disposition. » L’entreprise a aussi reçu l’ordre sur certains chantiers de nettoyer les poignées de porte et les outils à chaque toucher, mais « ce n’est pas évident », note ce dirigeant qui gère six véhicules.
Gestes barrières et protection
Chez le spécialiste nantais du transport de personnes Titi Floris, des consignes de nettoyage des véhicules ont été données aux conducteurs. « Ils peuvent passer au siège pour récupérer le matériel nécessaire.
Nous avons fait notre propre désinfectant maison à partir de vinaigre blanc et d’huiles essentielle pour nettoyer les tissus et les plastiques », expose François-Xavier Dugué, responsable de la gestion des 1 400 véhicules de la flotte. À la tête de 85 véhicules, la ville du Plessis-Robinson (92) a quant à elle défini une procédure de prise en charge et de restitution des véhicules de la voirie et de la propreté (voir le témoignage). Il en va pareillement pour la cinquantaine de véhicules d’astreinte du département de la Moselle : « Du gel, des lingettes et des gants sont disponibles pour le jour du basculement du véhicule entre deux agents, détaille Thierry Fristot, en charge du pilotage des 408 véhicules. Ils nettoient le volant, le levier de vitesses et les poignées. Il semblerait en effet que le virus ait une durée de vie plus ou moins longue selon les surfaces de contact, les plastiques et les tissus, de plus d’une journée. Ce sont des précautions d’usage et ce même si les agents ne sont pas déclarés malades. »
Le Groupe Qualiconsult, spécialiste du contrôle des bâtiments, équipements et infrastructures, s’est pareillement organisé. Avec des mesures à destination de ses collaborateurs qui se rendent sur les sites où leur intervention est indispensable, et surtout des « référents covid » qui assurent la sécurité des chantiers, notamment concernant le respect des gestes barrières. Un peu plus de 30 % de la flotte de 2 000 véhicules a été mobilisée pour ces missions.
« Les véhicules sont réunis sur un plateau, décrit Vincent Leroux-Lefebvre, directeur achats et logistique du groupe. Nous ne les désinfectons pas car ils ne sont pas en pool, mais nous nous assurons que le véhicule n’a pas roulé les dix derniers jours avant qu’un collaborateur le reprenne. Au bout de dix jours, il est sensé n’y avoir presque plus de traces du virus, bien que nous ne soyons sûrs de rien. » Le Groupe Qualiconsult a aussi disposé des sprays désinfectants dans les véhicules et des points de distribution de gel hydroalcoolique et de masques dans ses agences. « Nous fournissons en outre des gants et des masques aux référents covid qui sont plus exposés, avec une petite poubelle de voiture », ajoute Vincent Leroux-Lefebvre (voir le témoignage).
Protéger les conducteurs
Selon les cas, toutes ces mesures vont devoir être développées, renforcées ou pérennisées après le confinement. Au moment où nous l’avons interrogé, Thierry Fristot travaillait par exemple avec le service hygiène et sécurité du département de la Moselle pour déterminer lors de la reprise les consignes à mettre en œuvre en vue d’une utilisation sereine des véhicules en parcs relais.

De façon générale, le déconfinement est synonyme de désinfection. « Pour le retour à la normale, nous devrons gérer la désinfection des véhicules démobilisés de notre parc mutualisé », confirme Didier Dupeyron, responsable des 132 véhicules du parc automobile du CHU Grenoble Alpes. Cinq véhicules de cette flotte ont ainsi été mis à disposition des équipes de dépistage du covid-19.
Le spécialiste de la pose et de la relève de compteurs LS Service – dont la flotte de 750 véhicules est restée à l’arrêt pendant tout le confinement – a aussi prévu une désinfection complète des véhicules à la reprise. Et la protection du conducteur constitue un enjeu clé. « Nous instaurerons sûrement le port du masque, sachant qu’un poseur voit une dizaine de clients par jour et un releveur plus de 200 clients », annonce Bruno Lucien, gestionnaire de la flotte pour LS Services. « Nous allons faire tout ce que préconise la loi avec les EPI (gel hydroalcoolique, mouchoirs, masques, etc.) pour les chauffeurs en contact avec le public, et des kits de désinfection pour les véhicules », valide pour Titi Floris François-Xavier Dugué qui travaille sur la prévention du risque avec un avocat.

François-Xavier Dugué prévoit d’ailleurs une nouvelle distribution de matériel sanitaire et de nettoyage avant la reprise. « Nous nous organisons pour nous conformer à la nouvelle obligation d’affichage de la réglementation à destination des passagers, complète-t-il. Mais avec le transport de personnes, au vu de la proximité dans le véhicule, il est difficile de respecter les gestes barrières. Enfin, nous nous renseignons auprès de fournisseurs, notamment des aménageurs, sur des plexiglas ou des systèmes de cloisonnement sanitaire destinés à protéger le poste de conduite », conclut-il.
Car les mesures sanitaires risquent de durer. « Comme nous sommes dans une grande phase de renouvellement, nous avions déjà recensé tous les véhicules pour une livraison fin mai, elle sera seulement repoussée à septembre. Nous avons rassuré nos collaborateurs sur la tenue de la journée de renouvellement en septembre ou octobre, avec des mesures de distanciation sociale et de désinfection des véhicules », anticipe déjà Vincent Leroux-Lefebvre pour le Groupe Qualiconsult.
Une organisation sur la durée
Et malheureusement, les flottes ont elles aussi du mal à trouver du matériel de protection. Le SAMU 38 a déjà dû en racheter tant pour les véhicules que pour les personnels et il fait encore face à des soucis d’approvisionnement. « Nous rencontrons des difficultés à remettre du matériel de protection à nos salariés, en particulier des masques et du gel hydroalcoolique, même si des commandes devraient nous être livrées prochainement, souligne François-Xavier Dugué pour Titi Floris. Par chance, j’ai pu récupérer auprès de constructeurs automobiles des kits de protection en grand volume, employés habituellement pour protéger les volants, sièges et pommeaux des véhicules neufs. »
EPI : des difficultés d’approvisionnement
« Nous devons trouver des solutions pour approvisionner nos 3 300 chauffeurs en masques, sachant qu’il faut deux masques à usage unique par jour et par chauffeur. Cela représente 130 000 masques par mois et un budget de 2 millions d’euros par an », signale Jean-Charles Houyvet, directeur général adjoint du Groupe My Mobility, à la tête de 3 300 véhicules.

Or, ce spécialiste du transport scolaire d’enfants en situation de handicap rencontre des problèmes, notamment pour faire livrer des masques sur des sites différents : « Les colis se font généralement détourner ou sont volés, déplore Jean-Charles Houyvet. Les fournisseurs de masques nous demandent donc de venir chercher les masques et d’assurer leur distribution… Cette logistique coûte très cher aux entreprises. »
Dernièrement, les commandes ont enfin commencé à arriver : « Il y a quelques semaines, nous avons réceptionné une commande de 50 000 masques qui permet aujourd’hui un approvisionnement continu de nos agences », se félicite Vincent Leroux-Lefebvre pour le Groupe Qualiconsult, qui a donné presque tous ses masques aux soignants des hôpitaux, des cliniques et des Ehpad dans toute la France en début d’épidémie, n’en gardant que pour ses collaborateurs confrontés au risque d’amiante.
Assurer la reprise
En parallèle, les flottes ont vérifié que leurs véhicules seraient tous opérationnels à la reprise. Celles dont les véhicules sont restés à l’arrêt pendant plusieurs semaines avaient pris des précautions. Titi Floris avait ainsi donné pour consigne à ses salariés de démarrer leur véhicule au moins une fois par semaine pour éviter la décharge de la batterie, et de vérifier visuellement l’état des pneus et leur pression. Pour les véhicules restés garés dans les agences, un agent était chargé de contrôler régulièrement leur présence et d’effectuer les tâches nécessaires.
Mesure identique pour la Métropole de Brest : « Afin de limiter l’impact de l’immobilisation des véhicules sur deux mois, un agent dédié fait le tour des sites pour démarrer les véhicules dont nous avons le double les clés, et les faire tourner une demi-heure par semaine, mentionne Laurent Bouvet. Il vérifie également le niveau de carburant et la pression des pneus. Cela nous assurera une flotte opérationnelle pour la reprise », poursuit ce responsable du service véhicules et engins, à la tête d’environ 2 000 véhicules.

Au sein de l’agence de communication Gutenberg Agency, Paula Opris a aussi cherché à minimiser les pannes éventuelles en diffusant un petit mémo sur les précautions à prendre avec les véhicules restés à l’arrêt (batterie déchargée, pneus déformés, etc.) : « Nous avons conseillé à nos collaborateurs d’essayer de démarrer les voitures au moins une fois par semaine, voire de faire un petit tour pour les entretenir, précise cette gestionnaire des 72 véhicules. Nous leur recommandons en outre de vérifier les niveaux et surtout de désinfecter l’intérieur du véhicule et les poignées, de les laver si possible, etc. »
De son côté, le Groupe MyMobility a demandé à ses chauffeurs de tous démarrer les véhicules un jour donné. L’objectif : recueillir des indications sur la charge de la batterie via la télématique afin de procéder à de la maintenance préventive, mais aussi obtenir des informations sur le niveau de carburant pour si besoin demander aux chauffeurs de faire le plein avant de reprendre le travail. Là aussi, la consigne était de nettoyer les véhicules avant la reprise.
Remettre sur roues
D’autres flottes se sont organisées différemment : la ville du Plessis-Robinson a commencé la troisième semaine d’avril la remise en service des véhicules restés stationnés, « dont les pneus ont pu se dégonfler, les batteries se décharger et les joints sécher. Nous pensons démarrer en commençant par les véhicules de transport en commun, puis les utilitaires et enfin les véhicules particuliers », détaille David D’Amario, responsable transport et garage de la ville.
« Afin de disposer de véhicules en bon état pour la reprise, nous envisageons de créer des équipes spécialisées. L’une d’entre elles ferait le tour de tous les sites pour vérifier que les véhicules redémarrent bien, une autre s’occuperait d’aller chercher les véhicules commandés, etc., anticipe Philippe Manceau, responsable de la flotte pour la Métropole européenne de Lille (725 véhicules). Une autre piste serait de se faire accompagner par un prestataire sur place pour remettre chacun de nos sites sur roues, reprend-il. La solution choisie dépendra de la date réelle de reprise, de la proportion d’agents qui reprennent le travail en même temps et du type de population, si elle est très sédentaire ou si elle a rapidement besoin de se déplacer » (voir le témoignage).
Autres mesures : le Groupe MyMobility a profité du confinement pour remettre en état les véhicules victimes d’un accrochage, changer les pare-brise, mener à bien les contrôles techniques, etc. « Notre objectif était que le parc soit impeccable lors de la reprise », annonce Jean-Charles Houyvet. Pareillement, David D’Amario a lui-même procédé à la révision des véhicules présents dans le garage de la ville du Plessis-Robinson et organisé la venue de quelques concessionnaires sur place.
Des actions à prioriser
Mais malgré leurs efforts d’anticipation, les flottes devront prioriser leurs actions. « Chez LS Services, comme nous ne pourrons pas reprendre du jour au lendemain, nous profiterons de la période de transition pour mener à bien les contrôles techniques et les entretiens », prévoit Bruno Lucien. « Nous attaquerons prioritairement les révisions et les contrôles techniques en retard dès la fin du confinement, hormis urgences ou accidents », confirme Thierry Fristot pour le département de la Moselle.
« Les choses ne seront pas simples lorsque l’activité va reprendre, d’autant que nous allons basculer sur notre période saisonnière de location de véhicules, estime quant à lui François-Xavier Dugué pour Titi Floris. En effet, durant l’été, les véhicules, notamment de transport scolaire, sont proposés à la location auprès de particuliers ou de professionnels. La transition est souvent très intense et nous allons devoir rapidement réaliser tous les contrôles techniques et les entretiens afin de remettre les véhicules dans les meilleures dispositions à nos clients. Il va donc falloir être réactif et s’assurer que nos prestataires le seront également. »
Enfin, certains tentent déjà d’anticiper au mieux les conséquences de la crise à plus longue échéance, notamment en repensant la gestion de la flotte. « Au sein de la Métropole européenne de Lille, nous avons spontanément lancé une étude tant la situation est inédite et suggère un examen attentif que notre hiérarchie nous a invités à poursuivre », explique Philippe Manceau.
Anticiper à plus long terme
Avec comme objectif pour cette métropole de savoir comment la flotte circule en temps de crise. « La télématique embarquée nous aide à étudier ces chiffres. L’objectif est d’apprendre de la situation en prévision d’une éventuelle prochaine crise, mais aussi de se rendre compte de ce qui est vraiment important », expose Philippe Manceau. L’étude a d’ores et déjà montré que la majorité des véhicules en circulation sont des véhicules d’assainissement, l’une des plus importantes directions de l’établissement.
Pour sa part, Paula Opris s’est penchée avec son manager sur la prochaine « gestion de la flotte » de Gutenberg Agency. « L’idée est de mettre un peu d’air pur dans notre process qui date de 2012, explique-t-elle. Nous avons utilisé notre emploi du temps “spécial confinement” pour travailler sur ce projet, en mettant à profit nos propres expériences passées combinées avec les nouveautés actuelles (constructeurs, loueurs, lois et décrets) et les enjeux de notre agence. En pratique, nous avons eu un peu plus de temps pour regrouper et analyser l’ensemble des informations afin travailler sur notre TCO 2020, en comparaison avec notre TCO 2019, poursuit-elle. C’est un bon exercice, il servira par la suite à cibler les dérapages éventuels et à définir les besoins de façon plus juste. Par exemple, nous savons déjà que les plafonds de nos cartes carburant seront un peu plus adaptés aux besoins réels. »
Gutenberg Agency, qui planchait sur son plan de mobilité avant la crise, a vu ses projets ralentis mais pas forcément retardés. « Les services impliqués ont travaillé sur ce sujet, se félicite Paula Opris. Le confinement aura, je l’espère, encouragé à moderniser le plan de mobilité et à prendre en compte son impact sur une flotte qui doit absolument évoluer avec notre époque. Quid de l’hybridation, de l’électrification avec un “switch“ vers un véhicule thermique pour les longs trajets, des tarifs de la LLD qui restent encore très élevés, des moyens, etc. ? Je suis sûre que le confinement apportera d’autres questions et réponses que nous mettrons en pratique par la suite, dans des circonstances moins catastrophiques », avance Paula Opris.
Le verdissement toujours d’actualité
Déjà avancé en matière de responsabilité sociétale et environnementale de la flotte (201 véhicules), le transporteur Cetup veut aussi continuer sur sa lancée malgré la crise. « Notre commission environnement doit présenter la mise à jour de notre plan d’actions, indique la co-gérante Laurence Capossele. Et ces deux derniers mois, nous avons maintenu les actions pour être reconnus auprès des donneurs d’ordre et des acheteurs comme une entreprise française de transport léger durable. »
Mieux, la crise pourrait conduire à une revalorisation du métier de gestionnaire de flotte, au même titre que beaucoup d’autres : « Selon moi, la situation a obligé l’entreprise à se réorganiser très vite et à prendre conscience que les métiers supports doivent être présents quasiment tout le temps. Cela a remis les métiers “non productifs” au centre de l’équation », conclut Vincent Leroux-Lefebvre pour le Groupe Qualiconsult.
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