Délais de livraison : une gestion de flotte repensée

Début 2022, de nombreuses TPE-PME souhaitaient intégrer des véhicules pour accompagner la reprise de leur activité. Mais elles ont vu leurs élans sapés par les constructeurs. « Les approvisionnements en véhicules restent problématiques » résume Jordan Pitaval, responsable des achats d’ADS Group, un spécialiste de la vente et de l’installation de systèmes de sécurité à destination des entreprises (vidéo surveillance, alarme incendie, etc.). Certains renouvellements dans la flotte d’ADS Group, soit 71 véhicules dont 33 utilitaires, ont ainsi été mis à mal par les délais d’approvisionnement du groupe Volkswagen, la marque dominante dans sa car policy. « Nous avions demandé un modèle chez Skoda. Sa livraison potentielle était annoncée en avril 2023 », illustre Jordan Pitaval.

Des délais rallongés…

Spécialiste de la transformation de l’acier, Baudin Châteauneuf compte 1 450 salariés et fabrique entre autres des ouvrages d’art ou des charpentes métalliques. Cette PME familiale importante a aussi rencontré des difficultés d’approvisionnement avec sa flotte. Celle-ci compte environ 700 véhicules, « soit un tiers d’utilitaires de type Berlingo, Jumpy ou Jumper, et deux tiers de VP, de la 208 jusqu’au 5008, détaille Yannick Moraux, directeur du service transport et garage. Des modèles, comme des utilitaires avec des plateaux-ridelles, ont été arrêtés du jour au lendemain, constate ce responsable. D’autres utilitaires sont livrés avec dix mois de retard… C’est catastrophique pour nos chantiers et nos besoins », déplore-t-il.

Les crises subies par l’industrie automobile n’ont pas pour seules conséquences un allongement des délais de livraison ou des défauts d’approvisionnement de véhicules. Elles se répercutent aussi sur les finances des entreprises. Chez ADS Group par exemple, la car policy se compose principalement de la Golf, de la Skoda Octavia et du 2008. « Compte tenu de notre calendrier de renouvellement de la flotte, nous avions échappé jusqu’ici aux problèmes liés aux délais d’approvisionnement. Mais aujourd’hui, Volkswagen nous indique des délais de douze mois pour une Golf, Peugeot de six mois pour un 2008… », pointe Jordan Pitaval. Face à ces délais de livraison de véhicules, les salariés s’orientent logiquement vers le 2008 lors des renouvellements. « Alors qu’en termes de TCO, la Golf reste plus intéressante », regrette ce responsable des achats.

… et des prix en hausse

Mais surtout, ces crises successives ont pour effet de tirer vers le haut les prix des véhicules. Chez Baudin Châteauneuf, ces tarifs sont habituellement négociés avec des protocoles de remise auprès des commerciaux grands comptes, nationaux ou régionaux, des constructeurs. Mais actuellement, ces remises sont drastiquement révisées à la baisse par les constructeurs, constate Yannick Moraux.

« En 2022, les remises des grands groupes comme Renault ou Stellantis ont été réduites de 5 à 10 %, tandis que les véhicules connaissent des augmentations de prix quasiment tous les trimestres », souligne ce responsable. Des augmentations qui peuvent concerner « des modèles livrés sans les radars de recul prévus et pourtant facturés sans compensation financière », relève Yannick Moraux. Résultat de ces révisions des protocoles de remise pour Baudin Châteauneuf : non seulement la flotte constitue un poste de dépenses en forte hausse, mais il devient surtout de plus en plus difficile de projeter son budget dans la durée.

Prolonger les contrats…

Pour compenser les délais de livraison de véhicules et atténuer les effets de la flambée des prix, les gestionnaires de flotte des TPE-PME adoptent différentes stratégies. Face aux retards de livraison, la prolongation de la durée de détention des véhicules s’impose. Chez Baudin Châteauneuf, qui finance sa flotte en achat, Yannick Moraux a choisi de pousser les kilométrages « jusqu’à 220 000 ou 230 000 km, contre 200 000 km en temps normal », indique-t-il.

Du côté des flottes financées en LLD, dans l’attente de la livraison des véhicules commandés, les responsables se tournent vers des prolongements des contrats ou des contrats de location transitoire. « Nous devons nous montrer plus flexibles, passer sur de la moyenne durée ou sur des véhicules d’attente », note Jordan Pitaval chez ADS Group.

Des entreprises sont aussi amenées à reconsidérer leur car policy. Chez Advenis, spécialiste en gestion de patrimoine immobilier, les modèles proposés jusqu’ici aux salariés ne suffisaient pas à satisfaire leurs attentes. Habituée des marques du groupe Volkswagen, l’entreprise s’est donc tournée vers d’autres constructeurs, essentiellement pour mieux tenir ses coûts. « Nous avons préféré réduire notre panel de véhicules à un nombre plus restreint, avec des marques certes moins premium mais pour des loyers similaires en raison de l’augmentation des tarifs, et avec des services de notre loueur sans commune mesure », argumente Alexandre Richet.

… ou changer de fournisseurs

Ce directeur des achats est à la tête d’environ 70 véhicules dont deux tiers de véhicules de service et un tiers de voitures de fonction. « Auprès des constructeurs coréens, nous avons trouvé des voitures livrées dans des délais raisonnables et fiables », relate Alexandre Richet. Un nouveau fournisseur pour la flotte d’Advenis, qui lui permet également d’intégrer des modèles hybrides qui correspondent à sa volonté de verdir son parc. « Nous avons commandé des Tucson hybrides chez Hyundai, livrables en trois ou quatre mois », conclut ce directeur des achats.

La démarche n’a pas été très différente pour les Taxis Vitruve. Jusqu’ici plutôt tourné vers des marques européennes, ce spécialiste du transport de personnes et des taxis, qui s’appuie sur une flotte de 21 véhicules, a notamment fait appel à Suzuki alors que les délais restaient beaucoup trop longs chez Volkswagen ou Renault, ses marques habituelles. Les Taxis Vitruve ont alors rapidement trouvé des véhicules lors de la reprise de l’activité en août 2021, après la crise sanitaire.

Leurs délais de livraison de véhicules plus courts ont aussi incité le dirigeant associé Kéwin Chiche à faire appel à d’autres constructeurs asiatiques. « Honda avait des modèles en stock et Hyundai présentait deux mois de délai seulement », souligne-t-il. Le parc des Taxis Vitruve intègre donc depuis des Honda Jazz et des Ioniq hybrides. Un changement d’autant plus important que l’entreprise travaille à verdir sa flotte. Ces modèles hybrides viennent ainsi compléter les véhicules électriques déjà présents. Les Taxis Vitruve comptent en effet deux Nissan e-NV200 de cinq et sept places, que les chauffeurs rechargent chez eux.

Dans une situation particulièrement complexe, les réponses des TPE-PME pour maintenir leur activité et garantir leur approvisionnement en véhicules ne sont pas très différentes de celles des grandes entreprises…