En ville, le transport de marchandises représenterait 20 % des déplacements de véhicules, 50 % du gazole consommé (Laboratoire d’économie du transport de Lyon), occuperait jusqu’à 30 % de la voirie et générerait 70 % des émissions de particules et 35 % pour l’oxyde d’azote (Étude Sia Conseil, avril 2012). Un poids qui ne cesse de croître avec « le développement de l’ecommerce et de la livraison à domicile, ainsi que le retour des magasins de proximité en centre-ville, souligne Bruno Mandrin, directeur messagerie-express de Geodis. La solution passe par la mise en place d’espaces relais en centre-ville afin de recourir à de petits véhicules ou...
En ville, le transport de marchandises représenterait 20 % des déplacements de véhicules, 50 % du gazole consommé (Laboratoire d’économie du transport de Lyon), occuperait jusqu’à 30 % de la voirie et générerait 70 % des émissions de particules et 35 % pour l’oxyde d’azote (Étude Sia Conseil, avril 2012). Un poids qui ne cesse de croître avec « le développement de l’ecommerce et de la livraison à domicile, ainsi que le retour des magasins de proximité en centre-ville, souligne Bruno Mandrin, directeur messagerie-express de Geodis. La solution passe par la mise en place d’espaces relais en centre-ville afin de recourir à de petits véhicules ou tricycles électriques en fin de parcours », affirme-t-il, en mettant en avant sa solution Distripolis.
Objectif : atteindre le centre des villes
« Pour livrer Paris, le parcours d’approche est de 28 km en moyenne. Ces 60 km aller-retour sont les plus coûteux, estime Jean-Luc Fournier, pour le groupe Deret. Les gagnants sont ceux qui ont commencé à s’adapter. Les transporteurs devront suivre ou confier leurs marchandises à ceux qui développent des solutions plus vertes », complète le directeur de la communication de ce transporteur basé dans le Loiret. À Paris, la plate-forme de Deret se situe à Gennevilliers, à Marseille, dans le nouveau centre d’Arenc, dans le prolongement du pôle Euroméditerranée. « Ceux qui viennent de Vitrolles sont dans les bouchons alors que nous avons presque fini de livrer et que le véhicule est prêt à partir pour livrer à Aix-en-Provence », note Jean-Luc Fournier. À Lyon, le schéma implique deux ruptures de charge : « La collectivité nous a confié un espace sur la presqu’île, au parking des Cordeliers. Nous pouvons entrer la marchandise la nuit, à partir de notre plate-forme de Saint-Priest, et livrer au petit jour en véhicule électrique », reprend Jean-Luc Fournier. La flotte électrique de Deret comprend une cinquantaine de Modec d’une autonomie de 100 km et deux Smith pouvant parcourir 140 à 180 km selon le modèle.
Colizen développe une approche similaire. « À Paris, nos stockages sont basés dans le 18e arrondissement, et à Lille, à deux kilomètres de la métropole, à Marquette-lez- Lille, suite à un accord avec le transporteur local Grimonprez. Cela constitue un atout face aux concurrents, pour respecter des contraintes horaires et anticiper des réglementations restrictives sur les livraisons en ville », avance Fabien Esnoult, co-fondateur du livreur spécialisé dans l’e-commerce. Les livreurs de Colizen rejoignent leur base trois fois par jour pour charger les douze véhicules électriques Goupil. Ils passeront prochainement au Kangoo Z.E. avec une prise de recharge rapide. « Une cinquantaine seront loués aux livreurs à des tarifs prénégociés dans le cadre d’un accord avec Renault », annonce Fabien Esnoult. Pour approvisionner ces centres logistiques en ville, les poids lourds restent incontournables. Mais certaines entreprises testent d’autres modes d’approche.
Le choix de modes de livraison alternatifs
Depuis le 1er octobre, Franprix amène chaque jour par barge 26 conteneurs de denrées alimentaires sèches entre le port de Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne) et celui de la Bourdonnais près de la Tour Eiffel. Soit 20 km de route en moins et autant de bouchons évités. Norbert Dentressangle livre ensuite 80 magasins en VUL diesels mais envisage l’hybride. Monoprix utilise le transport fluvial entre le port du Havre et son entrepôt francilien de Combs-la-Ville, puis le ferroviaire jusqu’à la Halle Lamé de Paris Bercy ; 26 véhicules au GNV, équipés de groupes frigorifiques, assurent le « dernier kilomètre ». Ces ruptures de charge impliquent un surcoût d’environ 14 % mais conduiraient à éviter 12 000 camions entrant dans Paris et à réduire de 50 % les émissions de polluants. Dans ce mouvement de recentrage sur le coeur des villes, à quoi ressembleront les futurs centres de distribution urbaine (CDU) ? Deux modèles se dégagent : des espaces relais – souvent installés dans des sous-sols ou rez-de-chaussée de bâtiments existants – et des zones plus vastes ou peuvent cohabiter espaces logistiques, bureaux, écoles ou encore des crèches. Avec un objectif : mutualiser pour rentabiliser. « Les espaces consacrés à la logistique sont employés la nuit. On peut envisager d’autres activités en journée », remarque Bruno Mandrin, pour Geodis.
Repenser la logistique urbaine dans son ensemble
Monaco a choisi ce modèle. Spécialiste de la location d’entrepôts et d’espaces de stockage, Sogaris prévoit de même un hôtel logistique relié au rail sur le site Chapelle International à Paris. Principal frein : le coût du foncier, prohibitif. Parallèlement, les projets d’espaces relais émergent. La Rochelle a interdit le centre-ville aux plus de 3,5 t et a été la première commune à investir dans un CDU. Après le site des Cordeliers, Lyon prévoit un deuxième espace logistique à La Part-Dieu. À Lille, un CDU implanté aux Ports de Lille, approvisionné par la voie d’eau, le fer et la route, est en cours d’expérimentation depuis septembre. « Le fluvial remplacera les semi-remorques en provenance d’Anvers ou de Rotterdam. D’autres projets se développent à Bordeaux, Rouen ou Toulouse », énumère Fabien Esnoult, de Colizen. À Toulouse, une douzaine d’espaces logistiques relais viennent d’être créés pour « verdir » les 11 884 livraisons journalières. L’enjeu ? « Intégrer la logistique dans les projets urbains, créer de nouveaux sites de redistribution des marchandises et adapter les itinéraires », explique Bernard Marquié, adjoint au maire de la ville.
En outre, seuls les véhicules électriques sont autorisés à livrer toute la journée et, dans les zones piétonnes, seuls les véhicules électriques inférieurs à 3 m3 sont acceptés. Ce qui ne simplifie pas toujours les affaires des transporteurs. « Les municipalités doivent prendre des décisions courageuses mais les réglementations doivent devenir moins disparates. Un transporteur ne peut pas s’adapter à des schémas multiples », souligne de fait Jean-Luc Fournier, pour Deret.
Municipalités et transporteurs en face-à-face
Pour sa part, Geodis demande « de la souplesse sur les horaires ». Élargir les tranches horaires de livraison amène à diminuer le nombre de véhicules électriques nécessaires et à les rentabiliser. « Il faut éviter que chaque ville fasse sa ZAPA (zone d’actions prioritaires pour l’air). Mais la solution passe par une implication des agglomérations. Nous avons notamment besoin d’emplacements pour garer les véhicules électriques et les recharger. C’est la clé du dernier kilomètre électrique », affirme Philippe de Clermont-Tonnerre, chargé de missions pour le transporteur Star’s Service. Pas si simple cependant, alors que le mètre carré de foncier est devenu prohibitif.
À Paris, la municipalité a mis une partie de ses parkings à disposition. Mais cela reste insuffisant. « Je ne vais pas me garer et recharger sur les emplacements Autolib, note Fabien Esnoult, pour Colizen. Faut-il pour autant passer à un schéma de plates-formes publiques et mutualisées ?, s’interroge-t-il. Sur le papier, c’est excellent. Mais quel transporteur acceptera de déléguer sa responsabilité à un autre transporteur, de perdre la relation avec le client ? »
L’exemple de La Rochelle, où les plus de 3,5 t doivent déléguer leurs marchandises à Veolia, ne plaît pas à tous. D’autant que le montage juridique reste très flou. « La délégation de service public n’existe pas dans le transport de marchandises », rappelle Jean-Luc Fournier, de Deret. Malgré les interrogations et les difficultés, les acteurs de la messagerie n’en multiplient pas moins les tests, en faisant appel à tous les types de véhicules commercialisés.
FedEx possède aujourd’hui 19 camions électriques et 330 camions à motorisation hybride. À Paris, cinq Modec sillonnent les rues des 7e et 8e arrondissements ; sept tricycles avec assistance électrique se chargent des livraisons dans les rues des 3e, 4e et 10e arrondissements. « Les tricycles se faufilent dans les rues étroites et souvent piétonnes. Un atout précieux aux heures de pointe », précise Fedex. Fedex est client d’Urban Cab qui propose son Urban Box, un container qui se glisse sur les tricycles, pour éviter la rupture de charge, source d’erreurs, de perte de temps et d’efficacité.
Des livraisons en trois roues ou quatre-roues ?
« Nous transformons radicalement la manière dont les colis pénètrent et sont distribués au coeur des villes. Notre approche permet d’entrevoir le développement à grande échelle des véhicules électriques, dans un contexte où, pour le moment, leur usage reste anecdotique », promeut Éric Eustache, directeur général d’Urban Cab, qui dispose d’une base logistique parisienne, près de l’Opéra. Des constructeurs s’engouffrent dans la brèche : Venturi Automobile vient de lancer la construction de son trois-roues, le Wattman, pour satisfaire la demande croissante.
Pour DHL Express, « tout dépend de la distance entre notre plate-forme et le centre-ville. À Lyon, notre agence est située à Gerland, donc le triporteur est la meilleure option. À Toulouse, notre agence est basée à l’aéroport, avec une distance supérieure », décrit Christelle Meckler, responsable environnement pour le transporteur. À Toulouse, DHL Express a ainsi testé le Colibus (6 à 8 m3) et recourt déjà à des triporteurs dans neuf municipalités, en partenariat avec La Petite Reine, Kangourou Vert, Triporteurs du Midi, etc. Bilan : en 2011, DHL Express a livré 103 000 colis par triporteurs, soit 6 500 litres de carburant économisés.
Côté quatre-roues, DHL Express a finalisé en octobre la commande d’une cinquantaine de véhicules électriques, Kangoo et Zoé. Ils seront employés à Paris, mais aussi dans d’autres villes. « À Rouen, seuls les véhicules de livraison verts pourront bientôt pénétrer dans l’hyper-centre. La municipalité met en place une plate-forme logistique pour les livreurs. Grâce à notre propre véhicule électrique, nous serons dispensés d’utiliser cette zone », souligne Christelle Meckler.
L’électrique pour accéder à l’hyper-centre des villes
Au final, le dernier kilomètre électrique est-il rentable ? « Il faut optimiser en amont le transport en poids lourds. Plus ils sont gros et remplis, plus c’est rentable », constate Fabien Esnoult, pour Colizen. « Nos clients doivent accepter une plus grande flexibilité des livraisons, en début de nuit ou en fin de nuit. Ce qu’ils ne toléraient pas forcément auparavant. Il faut sortir du schéma 9 h 00-11 h 00 du matin », complète Jean-Luc Fournier pour Deret. Ce qui occasionne d’autres problèmes : « Nous avons acheté 50 transpalettes électriques pour éviter les nuisances sonores la nuit », reprend le responsable. Les camionnettes sont silencieuses mais la manutention ne l’était pas !
Autre frein, avec les véhicules électriques cette fois : « Le manque d’offre à un prix abordable dans la gamme des 14 m3 », soulève Christelle Meckler, pour DHL. « Une production à plus grande échelle va limiter les écarts de coûts », espère Jean-Luc Jarrin, directeur supply chain pour la chaîne de parfumeries Sephora. De fait, un Modec (ou équivalent) coûte 80 000 euros !
Avec les nouveaux Kangoo Z.E., le Maxity et l’arrivée d’acteurs comme Nissan, la donne pourrait en revanche rapidement changer. Par ailleurs, plus le prix du diesel monte, plus l’écart de coût baisse. « En électrique, 100 km coûtent 4,5 euros de recharge », ajoute Jean-Luc Fournier, pour Deret. Reste la question de la recharge : « Nous avons besoin de recharges rapides car les chauffeurs passent deux à trois fois par jour au dépôt et parcourent environ 150 km par jour. Dans cinq ans, le problème ne se posera plus », estime Fabien Esnoult pour Colizen, qui attend avec impatience ses Kangoo Z.E. équipés.
Une logique globale à repenser
Auprès des clients, le message de l’électrique commence à passer. B. Braun Medical teste depuis juin dernier la solution Deret. « Nous procéderons à un bilan définitif en décembre. Le surcoût existe mais la qualité de service peut compenser. Nous n’avons pas eu un seul litige avec nos clients, des établissements de santé, depuis le démarrage de l’opération. En fonction de ce test, nous pourrions même décider d’adopter cette organisation dans d’autres villes », témoigne Grégoire Aussedat, chef de projet supply chain pour le spécialiste des produits et services médicaux.
« La rentabilité se calcule sur le moyen terme, en captant de nouveaux clients, en gagnant sur les volumes, affirme Jean-Luc Fournier, pour Deret. Mais la clé, c’est de repenser l’organisation. On ne peut pas simplement remplacer un véhicule thermique par un équivalent électrique sans revoir la logistique. » Une rentabilité qui passe aussi par une mutualisation des espaces logistiques et des véhicules. « Ce qui implique des changements culturels de la part des clients », avance Jean-Luc Fournier, pour Deret. La route de l’électrique est encore longue.
Dernier kilomètre : l'électrique, solution d'avenir ?
- Dernier kilomètre : l’électrique, solution d’avenir ?
- « Ajouter un maillon électrique à la chaîne logistique » : Bruno Mandrin, Geodis
- « La clé de l’électrique : un changement radical » : Jean-Luc Jarrin, Sephora
- « Principale contrainte : la recharge » : Philippe de Clermont-Tonnerre, Star’s Service
- Logistique urbaine : réalisations et projets