
La mobilité durable ne consiste pas seulement à faire rouler des véhicules propres. Avant de passer au GNV, le transporteur Megevand Frères avait déjà défini des bonnes pratiques, notamment en collaborant avec les chargeurs. « Il y a quinze ans, nous avons noué un partenariat fort avec le groupe Auchan pour optimiser les flux, ce qui va naturellement dans le sens du développement durable. Nous enlevons les marchandises chez leurs fournisseurs, puis les livrons sur leur plate-forme. Une fois sur place, nous rechargeons directement les camions pour livrer leurs clients. Nous avons ainsi réduit le nombre de kilomètres parcourus à vide », décrit...
La mobilité durable ne consiste pas seulement à faire rouler des véhicules propres. Avant de passer au GNV, le transporteur Megevand Frères avait déjà défini des bonnes pratiques, notamment en collaborant avec les chargeurs. « Il y a quinze ans, nous avons noué un partenariat fort avec le groupe Auchan pour optimiser les flux, ce qui va naturellement dans le sens du développement durable. Nous enlevons les marchandises chez leurs fournisseurs, puis les livrons sur leur plate-forme. Une fois sur place, nous rechargeons directement les camions pour livrer leurs clients. Nous avons ainsi réduit le nombre de kilomètres parcourus à vide », décrit Pascal Megevand, directeur R&D et SI (voir le reportage).
Les déchets pour optimiser le transport
Pour des transports plus verts, de nombreuses entreprises assurent aussi la logistique inverse des déchets. C’est le cas de Deret : « Nous assurons déjà la récupération des déchets (emballages, palettes, plastiques, cartons, etc.) pour 80 % de nos clients, soit 15 à 20 % du volume, ce qui fait que nos camions ne circulent jamais à vide », note Patrick Maillet, directeur administratif et commercial du transporteur.
Fonctionnement semblable pour le Groupe Labatut qui récupère entre autres les cartons et plastiques pour les reconditionner ou les recycler en préparation. « Nous nous obligeons à gérer tout le volet déchets auprès des différentes filières. Nous avons également une traçabilité et un suivi de tous les volumes de déchets traités et recyclés (carton, papier, film plastique et bois) », détaille Édouard Sierocki, directeur général.
Plus original : Sotradel a cherché à valoriser ces déchets. « Nous nous sommes rendus compte qu’un de nos clients travaillant en montagne (zone protégée) recourait à des chips de calage en polystyrène, un matériau onéreux et très volatil, donc polluant. Nous avons donc décidé de transformer notre carton pour lui donner une seconde vie », relate David Billandon, responsable qualité sécurité sûreté environnement pour le transporteur. Grâce à l’achat d’une broyeuse, Sotradel produit désormais du carton «déchiqueté» qui sert à conditionner les produits livrés en environnement naturel. Celui-ci est traitable en déchetterie, voire revendable. « Nous sommes passés de 110 à 23 t de DIB (déchets industriels banals) grâce à la revalorisation », se félicite David Billandon.

Accroître la capacité des véhicules
Autre piste : augmenter la capacité des camions. Megevand Frères a par exemple installé des remorques à double étage de chargement. Pareillement, Dachser a doté 60 % de ses semi-remorques d’un double plancher, et un tiers de sa flotte en France s’équipe de caisses mobiles. Ce dernier système génère un gain notoire d’optimisation : « + 27 % de capacité de charge par rapport à un semi traditionnel avec double plancher. Et il permet de charger 82 palettes contre seulement 64 avec un semi double plancher. De plus, Dachser a changé la typologie de sa flotte pour les transports France-Maghreb : 95 % des semis sont passés en méga, avec à la clé 20 % de capacité supplémentaire », avance Jean-Christophe Le Buzit, porteur du projet City Distribution du transporteur Dachser France (voir aussi notre reportage).
Reste à appliquer les bonnes pratiques au quotidien. Et l’informatique n’est pas toujours la solution miracle pour faire face aux contraintes d’exploitation. « Les logiciels de tournées sont très vite mis à rude épreuve dans une ville comme Paris, entre les bouchons et les chantiers », avertit Patrick Maillet pour Deret.
« Nous ne croyons pas aux outils d’optimisation du marché qui remplaceraient l’expérience d’un exploitant connaissant bien son métier. L’être humain est pour l’instant irremplaçable, confirme Pascal Megevand de Megevand Frères. Seule la compétence de l’exploitant offre de combiner rapidement des marchandises pour optimiser un trajet, ce que les logiciels de gestion arrivent rarement à faire tant il y a d’impondérables dans nos activités. » En revanche, ce transporteur attend des reportings détaillés, avec une grille de lecture qui a du sens.
Le transporteur Deret s’appuie sur un parc de 134 véhicules dont 2 tracteurs GNV, 30 camions de 7,5 t hybrides diesel, 18 camions GNV de 7,5 t et 54 camions électriques de 5,5 t réservés aux livraisons en centre-ville (voir le témoignage de Patrick Maillet, directeur administratif et commercial chez Deret).
L’humain au cœur de l’optimisation
Cette association homme-machine est bien illustrée chez DHL Express France où une équipe de quatre ingénieurs optimise les routes et les circuits plusieurs fois par an, en s’appuyant sur des processus informatiques et des logiciels qui tournent en permanence.
Les transporteurs ont aussi en main des leviers indirects pour verdir leur activité, avec en tête l’éco-conduite. Au sein du Groupe Labatut, dans le cadre de l’activité de location de véhicules industriels avec chauffeurs, l’ensemble des conducteurs en bénéficie à raison de deux sessions par an.
« Il est très important de former régulièrement les conducteurs pour rappeler les bonnes pratiques, une fois par an au minimum, afin de maintenir l’effort de baisse des émissions et de la consommation », renchérit David Billandon pour Sotradel qui possède un formateur en interne.
Megevand Frères mise aussi sur une formation d’éco-conduite depuis six à sept ans. « En accompagnement de la livraison d’un matériel, Volvo nous avait proposé un formateur pour le chauffeur. Cela a produit d’excellents résultats et depuis ce formateur revient régulièrement chez nous, à raison d’un ou deux, voire trois chauffeurs formés tous les ans », expose Pascal Megevand.
Éco-conduite : des gains à mesurer
Cette formation est personnalisée : le chauffeur est seul avec le formateur. « Cela coûte cher mais au moins c’est efficace », argue le dirigeant. Couplée à une incitation financière, ce dispositif a généré un gain de plusieurs points de pourcentage sur la consommation. « Mais ce gain dépend beaucoup de la personne : il y a eu peu d’effets pour certains chauffeurs tandis que d’autres ont obtenu des résultats fabuleux », nuance Pascal Megevand.
Pour aller plus loin, Sotradel a investi dans l’informatique embarquée. « Chaque exploitant connaît les performances environnementales de son conducteur qui profite pour sa part d’une évaluation et de conseils en temps réel », souligne David Billandon.
Fonctionnement semblable chez Deret chez qui le développement de la télématique accompagne l’évolution du parc. « Nous le renouvelons tous les 36 mois pour les porteurs et tous les 48 mois pour les tracteurs car les technologies changent régulièrement. Les nouveaux camions consomment moins, sont mieux dotés en aides à la conduite et offrent un meilleur suivi des chauffeurs. Et nous pouvons connaître leur comportement de conduite, par exemple pour l’usage du frein moteur et l’anticipation du freinage. Et il faut s’attendre à ce que les véhicules soient toujours plus connectés », résume Patrick Maillet.
Plus rare, des transporteurs se penchent sur l’entretien vert. « Nous exigeons de notre société de nettoyage que les véhicules soient lavés sur des sites qui retraitent les eaux usées et que les produits employés soit biodégradables », explique David Billandon pour la flotte de 50 moteurs de Sotradel.
Pour les pneus, Sotradel a signé un partenariat avec Bridgestone : « Ensemble, nous avons défini des fiches de vie véhicule où chaque pneu est référencé, ce qui autorise un suivi personnalisé de l’usure et du cycle de vie du pneu », indique David Billandon. Toutes les générations de pneus sont testées dans différentes conditions d’usage, y compris les pneus verts. « Nous favorisons ces derniers pour les véhicules parcourant de longues distances. Mais ce n’est pas possible pour les véhicules effectuant de petits parcours ruraux, pour lesquels le taux d’usure est plus élevé », complète ce responsable.
Dernier poste d’optimisation souvent oublié : le bâtiment. « Nous ne contractons que pour des bâtiments haute qualité environnementale (HQE), très bien isolés et éclairés. Nous avons aussi intégré de l’éco-pâturage sur les plates-formes où cela était possible, avec des moutons en charge des espaces verts », décrit Édouard Sierocki pour le Groupe Labatut. Qui a aussi mis en place du covoiturage sur toutes ses plates-formes de logistique comptant entre 100 et 150 personnes.
Repenser les bâtiments logistiques
Chez Dachser, le verdissement des bâtiments passe plutôt par l’énergie solaire. Toute la toiture du hub logistique européen, construit il y a six ans et situé au centre de la France, est couverte de panneaux photovoltaïques. « Nous revendons l’électricité pour compenser une partie de nos émissions de CO2. De même, notre siège social allemand a été conçu pour ne pas consommer trop d’énergie, et possède entre autres un système de récupération de la chaleur générée par les serveurs informatiques », spécifie Jean-Christophe Le Buzit.
Enfin, les transporteurs sont aussi en veille sur les sujets prospectifs. L’enjeu : préparer aujourd’hui la flotte de demain. Au premier rang, drones et robots sont susceptibles de transformer le secteur (voir aussi notre article sur le robot-livreur TwinswHeel). Le Groupe Labatut a déjà dans ses tiroirs des projets, pour l’instant encore confidentiels. « Nous prévoyons de les lancer entre 2020 et 2022, notamment en raison des contraintes administratives liées aux homologations. Mais tout va dépendre de l’évolution réglementaire et du potentiel sur le marché », prévient Édouard Sierocki.
Des drones et des robots-livreurs en ville ?
En parallèle, le Groupe Labatut a avancé sur le volet assistance robotisée dans ses entrepôts, pour le déchargement des marchandises et l’intégration en stock afin de réduire la pénibilité pour les employés. « Prendre soin de la planète d’un côté et du bien-être de nos salariés de l’autre est pour moi indubitablement relié », résume Édouard Sierocki. En Allemagne, Le groupe Deutsche Post DHL a déjà mené des expérimentations de livraisons par drone en environnement urbain. « Les drones constituent une technologie prometteuse mais pas réaliste à court terme, sauf pour aller dans des endroits inaccessibles », note Brice Devinoy pour DHL Express France.
Constat identique de Vincent Talon, P-DG de TwinswHeel, une société qui développe un robot-livreur : « Les drones volants sont adaptés pour livrer dans des zones escarpées mais leur utilisation est très compliquée en ville : les habitants risquent de ne pas apprécier le bruit et le fait d’être observé d’en haut. Et il est difficile de poser les drones dans les rues. Enfin, le transport de seulement 4 kg coûte une fortune énergétiquement. Le droïde roulant est donc vraiment le pendant du drone en ville », argumente Vincent Talon (voir notre article).
D’autres transporteurs ne sont pas pleinement convaincus par ces technologies. « Les drones ne correspondent pas à notre typologie d’activité, tout comme que les véhicules autonomes pour l’instant, mais nous restons en veille », reconnaît Jean-Christophe Le Buzit pour Dachser France. De fait, des évolutions encore plus radicales guettent les transporteurs, avec l’arrivée des véhicules autonomes sur le marché.
Adhérent du LUTB (pôle de compétitivité des transports collectifs de personnes et de marchandises en milieu urbain), Sotradel a engagé avec ce pôle une réflexion sur un projet de véhicules autonomes sur sites privés et industriels. « L’enjeu est de diminuer à la fois les émissions, la consommation et la pénibilité pour les conducteurs lors des navettes sur les sites industriels », explique David Billandon. En effet, le projet Équilibre a démontré qu’à elle seule, la partie manœuvres représente environ 10 % et jusqu’à 12 % de la consommation totale du véhicule (voir le reportage).
Le véhicule autonome au tournant
« Nous pourrions imaginer soit des remorques 100 % autonomes et électriques, soit des camions hybrides faisant appel à l’énergie électrique à l’arrivée sur les sites pour se mettre à quai. Une autre solution, plus simple à mettre en œuvre techniquement mais qui nécessiterait de revoir l’organisation, serait de disposer d’un système électrique capable de détacher et déplacer les remorques », envisage David Billandon. Sotradel ne se positionne en revanche pas sur le principe des convois routiers automatisés de camions.
« Pour nous, le “platooning“ dans la configuration actuellement envisagée est inadapté, affirme David Billandon. Cela pose des problèmes de responsabilité et d’assurance pour le camion de tête, d’autant plus s’il y a des camions de plusieurs entreprises, ce qui soulève aussi des questions d’organisation. » Autres points problématiques : la classification des heures de surveillance et non plus de conduite, ainsi que la pénibilité du travail pour les personnels présents dans les camions de la file. « De plus, un train de six véhicules occuperait environ 120 m de chaussées et masquerait les panneaux de signalisation et les sorties aux autres usagers. Cela fonctionne très bien aux États-Unis où il y a des voies très longues, mais cela ne peut pas se faire partout en France », juge David Billandon. D’autant que pour ce dernier, « au vu des performances des camions en vitesse stabilisée sur autoroute, le gain de consommation reste faible. »
Qu’elle séduise ou non les transporteurs, la conduite autonome devrait transformer leurs métiers. « Nos chauffeurs, démarcheurs et livreurs passent énormément de temps dans les bouchons. Grâce au véhicule autonome, ils pourront se réserver la partie client et gagner 2 h à 2 h 15 par jour et par personne. Mais cette évolution sera très lente », souligne Brice Devinoy, directeur des opérations de DHL Express France.
Le transporteur Megevand Frères est à la tête de 25 remorques et 16 moteurs uniquement de 44 t, dont 4 GNV utilisés depuis 2015 pour les trajets entre la Haute-Savoie et le delta du Rhône. Deux moteurs GNV sont en projet pour 2018.
Un métier en mutation
Une mutation du rôle des chauffeurs qu’anticipe déjà Deret : « Nous savons très bien que les points de vente sont faits pour vendre et pas pour réceptionner ou stocker les colis, rappelle Patrick Maillet. Nous sommes donc convaincus que le rôle du chauffeur-livreur devra évoluer vers une logique de service. »
« Demain, conclut Patrick Maillet, le transporteur devra être un maillon supplémentaire dans la chaîne logistique en assurant le traitement des déchets du magasin en lien avec la livraison, la logistique inverse et même la mise en magasin grâce à des entrepôts situés à proximité. »
Rendez-vous dans quelques années pour un premier bilan.
Dossier - Dernier kilomètre : les transporteurs en mode durable
- Dernier kilomètre (1ère partie) : les transporteurs en mode durable
- Alors, GNV, GNL ou GNC ?
- Communiquer pour faire accepter les évolutions
- Patrick Maillet, Deret : « L’électrique est le moins perturbant pour le citoyen urbain »
- Des initiatives multiples
- Dernier kilomètre : se rapprocher des centres villes
- Des bases logistiques mobiles pour les villes
- Édouard Sierocki, Groupe Labatut : « Le “vert“ prend une place de plus en plus importante »
- Dernier kilomètre (2nd partie) : les pistes d’avenir du transport
- Des robots-livreurs bientôt dans les villes ?
- Solutrans : une édition 2017 sur le thème de la durabilité
- Urban Lab 2, le prototype frigorifique
- Brice Devinoy, DHL Express France : « Éviter de livrer plusieurs fois le même colis »
- Dachser – City Distribution : la boîte à outils du transport
- Projet Équilibre : du GNV dans la vallée de l’Arve