
« Le transport reste plutôt mal perçu sous l’angle environnemental et sociétal : il est considéré comme encombrant sur le domaine public et polluant, même s’il n’est à l’origine que de 22 % des sources de CO2, contre 55 % pour les VL », résume David Billandon, responsable qualité sécurité sûreté environnement pour le transporteur Sotradel.
Reste que selon Airparif, l’association pour la qualité de l’air en Île-de-France, poids lourds et VUL pèsent 40 % des émissions urbaines d’oxyde d’azote (NOx) dues au trafic, et 30 % de celles de CO2. Et les grandes agglomérations – Paris, Grenoble et Lille en tête – sont de plus en plus nombreuses à vouloir...
« Le transport reste plutôt mal perçu sous l’angle environnemental et sociétal : il est considéré comme encombrant sur le domaine public et polluant, même s’il n’est à l’origine que de 22 % des sources de CO2, contre 55 % pour les VL », résume David Billandon, responsable qualité sécurité sûreté environnement pour le transporteur Sotradel.
Reste que selon Airparif, l’association pour la qualité de l’air en Île-de-France, poids lourds et VUL pèsent 40 % des émissions urbaines d’oxyde d’azote (NOx) dues au trafic, et 30 % de celles de CO2. Et les grandes agglomérations – Paris, Grenoble et Lille en tête – sont de plus en plus nombreuses à vouloir limiter leur accès aux véhicules thermiques, en particulier diesel.
Les transporteurs en phase de test
Cela contraint les transporteurs à revoir leurs stratégies. Pour passer en mode durable, ces derniers se sont transformés en démonstrateurs : ils multiplient les tests, les partenariats et les projets de recherche pour trouver les solutions qui correspondent le mieux à leur activité. Avec pour enjeu de les généraliser à l’ensemble de la flotte. Une démarche au long cours, comme en témoigne Jean-Christophe Le Buzit, porteur du projet City Distribution au sein du transporteur Dachser France : « Notre vision est la suivante : nous menons des tests mais il n’est pas question d’adopter une solution isolée. Notre ambition est de créer, à moyen-long terme en France et en Europe, des zones zéro émission avec des processus standards adaptés. Mais nous n’en sommes pas encore là et nous souhaitons prendre notre temps avant de standardiser les processus. »
Ces expérimentations couvrent l’ensemble des domaines d’activité du secteur : en premier lieu le transport et la logistique, mais aussi les bâtiments, l’entretien ou encore la gestion des déchets, voire les drones, les robots et les véhicules autonomes.
Pour verdir l’activité dans son ensemble, le levier à actionner le plus évident reste de faire évoluer la flotte. Chez nos témoins, la première étape a donc consisté à éliminer les véhicules trop anciens et qui ne respectaient plus les dernières normes européennes. « Depuis 2015, nous avons introduit des tracteurs et porteurs Euro VI. Tous les véhicules qui entrent sont désormais Euro VI ou possèdent une norme ultérieure, et 80 % de la flotte se compose de modèles Euro V ou Euro VI », expose Jean-Christophe Le Buzit pour Dachser France.
Le respect de ces normes assureraient de faibles émissions de CO2 et de NOx pour les poids lourds, selon une étude parue début 2017 de l’ICCT (International Council on Clean Transportation), une ONG spécialiste des transports propres.
Renouveler le parc de véhicules
Mais cela ne suffit pas pour préserver l’accès aux agglomérations où se concentrent les livraisons. C’est pourquoi les transporteurs testent des solutions alternatives au diesel, avec l’électrique et le gaz naturel véhicule (GNV) en vedettes.
Dans le cadre du consortium international Metrofreight, Laetitia Dablanc, directrice de recherche à l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux) dirige une quinzaine de projets consacrés au fret urbain. « Nous avons notamment mis en évidence un marché potentiel assez élevé à court terme pour la livraison par véhicules électriques (VE) en France », indique-t-elle.
Un potentiel pour l’électrique
En utilisant le TCO comme indicateur, son équipe a montré qu’en théorie, mais de manière très réaliste, ce marché pourrait concerner environ un quart des acteurs de la livraison. « Ce qui ne représente pas du tout le marché réel, à l’heure actuelle extrêmement faible : moins de 1 % des acteurs ont acquis des VE », note Laetitia Dablanc.
Parmi eux, Deret a été l’un des pionniers et s’appuie sur 54 camions électriques de 5,5 t réservés aux livraisons en centre-ville. « En tant que petit acteur, nous devions proposer une solution innovante et décalée pour nous imposer sur le marché. Cela a été l’élément déclencheur de notre passage à l’électrique il y a huit ans », relate Patrick Maillet, directeur administratif et commercial de Deret. Encouragée par la poussée politique des Verts en Europe en 2007, l’entreprise a donc cru très tôt à l’électrique pour livrer en zone piétonne et en centre-ville.
Un manque de contreparties politiques
« Cependant, le diesel aujourd’hui ne coûte pas plus cher que l’essence, contrairement à la tendance annoncée il y a dix ans. Nous nous sommes trompés sur l’évolution du prix des matières fossiles : celui-ci n’a pas augmenté comme prévu par les analystes », constate Patrick Maillet qui réclame depuis presque dix ans des contreparties aux politiques.
« Pour l’instant, avoir investi en avance dans l’électrique n’a pas d’intérêt purement économique à périmètre équivalent, si ce n’est pour l’acquisition de nouveaux clients et la notoriété. En revanche, cela nous a coûté très cher financièrement : la rentabilité sur deux ou trois ans n’existe pas, nous avons dû attendre la fin de la cinquième année pour l’atteindre », rappelle Patrick Maillet.
Pour la chercheuse Laetitia Dablanc, « il faudrait un choc psychologique et des aides plus élevées distinguant les VUL des VP » afin convaincre les transporteurs de se saisir du marché de l’électrique.
Malgré ce handicap, plusieurs transporteurs du dernier kilomètre ont basculé une partie de leur flotte en électrique. Soit comme Deret pour se démarquer sur un marché concurrentiel, soit pour en tester l’intérêt économique et en prévision d’une fermeture des centres urbains.
Outre Star’s service (voir notre article), Dachser France a testé depuis 2010 bon nombre de véhicules électriques et hybrides dans son agence de Patin (93) près de Paris, dont un prototype de porteur de 7,5 t, remotorisé en tout-électrique en 2017.
De l’électrique dans les flottes
Pareillement, DHL Express France compte une quarantaine de « routes vertes » en France, dont une dizaine en propre : des Zoé, des Colibus et des Nissan. « Nous recourons à des véhicules hydrogène et électriques dans plusieurs villes dont Strasbourg, Toulouse, Nice, Paris et Lyon », précise Brice Devinoy, directeur des opérations. La ville de Nice est même déjà livrée à 100 % en électrique. Et DHL, qui prévoit d’acheter une trentaine de modèles électriques en 2018, essaie un véhicule hydrogène à Lyon.
« Entre les zones à circulation restreinte (ZCR) et les économies sur le gazole, si la fiabilité mécanique est telle qu’annoncée, la démarche devrait être économiquement viable », souligne Brice Devinoy. En pointant toutefois le manque de maturité des petits VE de moins de 4 m3.
Quant à sa flotte de plus de 10 m3, DHL mise pour 2018 sur l’électrique. « Les constructeurs ont fait de bonnes annonces. 2018 sera donc l’année pour aller vers ces véhicules mais très progressivement. Leurs prix restent en effet entre deux et trois fois plus élevé qu’un diesel pour un cubage identique, et l’économie sur le gazole ne permet pas de rentrer dans ses frais. Toute la profession va devoir faire un effort », estime Brice Devinoy.
Le choix de l’hybride
En attendant, il est aussi possible de miser sur l’hybridation. Deret possède ainsi 30 camions de 7,5 t hybrides diesel pour la moyenne distribution et les livraisons urbaines et péri-urbaines. Dachser commence aussi à tester des semi-remorques avec une capacité de production électrique : « Des panneaux photovoltaïques sont installés sur leur toit pour alimenter les systèmes embarqués, la géolocalisation et la navigation. Ce projet en phase expérimentale est testé en Allemagne pour des trajets longue distance », détaille Jean-Christophe Le Buzit.
Face à cette faiblesse de l’offre de VU et de PL électriques, le GNV a creusé son sillon, tant pour le transport routier que pour la livraison du dernier kilomètre. Parmi nos témoins, comme avec l’électrique, c’est Deret qui possède le plus de véhicules GNV. Ce transporteur s’appuie sur deux tracteurs GNV et s’est équipé en 2016 de 18 camions GNV de 7,5 t. Dotés d’une autonomie de 250 km, ils sont employés pour aller chercher des marchandises sur des plates-formes éloignées.
Le GNV monte en puissance
Le Groupe Labatut mise aussi quasi systématiquement sur des véhicules GNC et GNL pour son activité de location de véhicules industriels avec chauffeurs. Dachser s’est aussi penché sur le sujet : « Nous avons testé le GNC avec des porteurs de 12 et 19 t à Paris au premier semestre 2017, sur des périodes comprises entre un mois et demi et trois mois. Notre volonté est d’investir demain dans ce type de matériel », anticipe Jean-Christophe Le Buzit.

Dachser travaille aussi à convaincre ses partenaires d’accompagner le mouvement : « Nous disposons de trois porteurs de 12 t à Rouen via un sous-traitant ; il a trouvé la solution très prometteuse et prévoit de passer en GNC les cinq véhicules qu’il exploite pour nous. Nous pourrons ensuite basculer au bioGNV quand les installations rouennaises seront prêtes », expose Jean-Christophe Le Buzit.
Les transports Megevand Frères et Sotradel ont été parmi les pionniers du GNV en lançant en 2010 le projet Équilibre pour comparer cette motorisation au diesel. Megevand compte quatre moteurs GNV sur un total de seize, et Sotradel trois porteurs GNV sur un parc de cinquante ensembles routiers. « 6 % de la flotte roule au GNV. Nous avons pour objectif d’atteindre 10 % en 2018 et 15 % d’ici 2019. Deux véhicules ont été commandés fin 2017 pour un usage courant, et peut-être un troisième pour un client spécifique. Ce dernier cas reste rare : les clients se préoccupent des énergies mais sans exigence particulière », constate David Billandon pour Sotradel.
Pour Pascal Megevand, directeur R&D et SI de Megevand Frères, ces clients vont cependant être contraints de s’intéresser au sujet. Et ce en dépit du surcoût de 2 à 8 %, voire 10 %, que suppose l’exploitation d’un véhicule GNV pour les clients. Un surcoût dû principalement au prix facial des véhicules (30 000 euros, soit 30 à 40 % de plus par rapport au diesel), mais aussi aux coûts indirects liés au GNV, telles la formation et la communication auprès des chauffeurs.
« Alors qu’a été lancé le Plan de Protection de l’Atmosphère (PPA) de Haute-Savoie, nous sentons un mouvement de fond vers la prise en compte des externalités du transport. Non pas pour des questions de responsabilité environnementale, mais parce que cela va toucher aux intérêts des acteurs, constate Pascal Megevand. Nos clients de la grande distribution ont un chiffre d’affaires qu’ils ne peuvent abandonner, celui du commerce en centre-ville, mais aussi en zone urbaine avec les hypers », explique-t-il.
Les chargeurs intéressés par le gaz
Si, comme à Grenoble en 2016, la circulation est interdite du jour au lendemain en raison d’un pic de pollution, les livraisons ne seront pas effectuées et les clients des transporteurs seront eux aussi confrontés à une perte financière importante.
« Payer quelques pourcentages de plus pour avoir des véhicules GNV reste un moindre coût comparé à la perte d’un chiffre d’affaires, avance Pascal Megevand. D’autant que le surcoût n’est que temporaire : il sera amené à disparaître avec la hausse de la production de véhicules GNV. La grande distribution a été un moteur fort et des industriels commencent à suivre le mouvement. »
Mais pas question de basculer la totalité de la flotte en GNV. « Certains usages sont encore impossibles à satisfaire avec cette énergie. Nous approchons le GNV comme un moyen de diversifier nos achats. Aujourd’hui, les négociations autour de véhicules diesel inférieurs à la norme Euro V sont catastrophiques pour nos transporteurs qui n’arrivent pas à les céder. Il y aura beaucoup moins de problèmes pour revendre les modèles GNV », pronostique Pascal Megevand.
Avant tout, diversifier les flottes
Plus original, Dachser France envisage de tester prochainement un Scania bioéthanol. « Plus nous trouverons de mixité et plus nous trouverons des solutions adaptées », commente Jean-Christophe Le Buzit. « Pour nous, le temps du tout-pétrole est fini. La diversification des motorisations reste la solution à beaucoup de nos problèmes et le meilleur moyen d’anticiper l’avenir », confirme Pascal Megevand. Face à ce constat, Pascal Megevand recommande à chaque gestionnaire de parc de se poser la question suivante : « Comment répondre aux enjeux de demain et donc quelle technologies choisir ? Pour cela, le principe demeure toujours le même : audit, monitoring et adaptation de l’énergie selon l’usage. »
Si Megevand Frères a choisi le GNV, c’est parce qu’« il est adapté à notre exploitation, accessible, et parce que c’est l’énergie en laquelle nous croyons le plus. À l’inverse, nous ne croyons pas du tout à l’électrique, notamment en raison du poids des batteries pour les camions et de la rareté des ressources nécessaires à leur construction, comme le cobalt », explique Pascal Megevand.
Inversement, Deret est venu au GNV parce qu’il n’y a pas d’offre de PL électrique, et non par conviction. « Nous pensons qu’il s’agit une énergie transitoire plutôt que d’une énergie d’avenir. Pour nous, l’avenir réside dans l’hydrogène et la pile à combustible, juge Patrick Maillet pour Deret (voir le témoignage). Toutefois, si le modèle GNV n’est pas encore mature, il demeure une bonne alternative au diesel en attendant le développement des énergies non fossiles, alors que le GNV issue de la biomasse représente une très faible part de la consommation en France. »

GNV et électrique en concurrence ?
Avec une limite mise en avant par Patrick Maillet pour le GNV : « Notre plate-forme principale, située à Saran (45), ne dispose pas de station de gaz à proximité. Nos chauffeurs sont obligés de faire un détour de près de 60 km par Rungis pour faire le plein, ce qui représente une contrainte majeure aujourd’hui. »
Quoi qu’il en soit, électrique et GNV s’emploient souvent en complémentarité plutôt qu’en concurrence. « Notre entité Vert Chez Vous ne possède que des véhicules propres, des moins de 3,5 t électriques ou GNV. Avec elle, nous distribuons le dernier kilomètre en mode écologique pour le B2B comme le B2C », indique Édouard Sierocki, directeur général du Groupe Labatut dont environ 30 % de la flotte roule à l’électrique, au GNC ou au GNL. La société a démarré en 2012 avec des vélos cargos électriques et le GNV a été incorporé il y a environ trois ans, alors que le réseau d’avitaillement était encore restreint (voir le témoignage d’Édouard Sierocki). GNV plus électrique, la piste à suivre ?
Dossier - Dernier kilomètre : les transporteurs en mode durable
- Dernier kilomètre (1ère partie) : les transporteurs en mode durable
- Alors, GNV, GNL ou GNC ?
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