
Au départ, les causes qui déclenchent la mise en place d’une formation à l’éco-conduite sont nombreuses. Cela peut venir du fait que de nombreux (tous ?) gestionnaires de flotte s’aperçoivent que la consommation de leurs véhicules reste anormalement plus élevée que celle indiquée par les constructeurs, ou que l’autonomie de leurs véhicules électriques n’est pas celle attendue. Cela peut aussi tenir, comme chez Sodexo France, à un service de prise en main des véhicules à l’image de celui offert par Toyota. Ce spécialiste du service à la personne et de la restauration sur site a ensuite fait appel à cette prestation pour l’ensemble de ses...
Au départ, les causes qui déclenchent la mise en place d’une formation à l’éco-conduite sont nombreuses. Cela peut venir du fait que de nombreux (tous ?) gestionnaires de flotte s’aperçoivent que la consommation de leurs véhicules reste anormalement plus élevée que celle indiquée par les constructeurs, ou que l’autonomie de leurs véhicules électriques n’est pas celle attendue. Cela peut aussi tenir, comme chez Sodexo France, à un service de prise en main des véhicules à l’image de celui offert par Toyota. Ce spécialiste du service à la personne et de la restauration sur site a ensuite fait appel à cette prestation pour l’ensemble de ses véhicules.
1. Motiver la mise en place de l’éco-conduite
Pour passer à l’éco-conduite, les motivations peuvent donc être multiples. Reste à les lister. « Les cours visent, selon moi, quatre objectifs : l’écologie, les économies financières, le confort de conduite et, enfin, la sécurité », résume Jérôme Couaillier, responsable pédagogique chez Mobilité Club Académie (ex Automobile Club Prévention). Ce préventeur forme 13 000 salariés par an. « Mais ces cursus peuvent aussi offrir l’occasion de se faire conseiller sur le choix et le verdissement de son parc, poursuit Jérôme Couaillier. Dans tous les cas, la formule la plus efficiente consiste à proposer à ses salariés un cursus d’un jour et de le renouveler par des cours de rappel d’une heure, un an après. Pour bien faire, ce dispositif sera donc suivi d’un “rappel” à chaque changement de véhicules. »
Des gains financiers, de la sécurité…
« L’éco-conduite est devenue un vrai sujet du fait des hausses des prix des carburants et de l’évolution de l’environnement automobile dans son ensemble, avec le développement de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et l’arrivée des technologies hybrides et électriques », confirme Patrick Mirouse, président du groupe ECF (École de Conduite Française) qui s’appuie sur 550 sites de formation en France. « Et depuis début 2012, la demande des entreprises en formations à l’éco-conduite explose. Si nous recevions une demande par semaine auparavant, nous en sommes désormais à une par jour », constate Patrick Mirouse. Un vrai sujet donc, et quasiment l’un des rares leviers pour abaisser les coûts d’une flotte…

« Pourquoi j’ai mis en place des cursus d’éco-conduite en 2020 ? La raison en est double au départ, répond Stéphane Nevière, responsable du département véhicules de Sodexo France (3 300 véhicules). Tout d’abord, nous voulions limiter l’exposition de nos collaborateurs au risque routier en travaillant l’acquisition d’une conduite par anticipation. Ensuite, nous avions l’ambition de réduire la consommation de carburant et les rejets de gaz à effet de serre. Mais nous nous sommes aussi rendu compte que ces formations amenaient à mieux utiliser notre parc de véhicules électriques et hybrides. En formant à l’éco-conduite, nos collaborateurs ont pu accroître l’autonomie de ces modèles. Et cela aura d’autant plus d’intérêt lorsque notre parc sera à 100 % électrifié », anticipe Stéphane Nevière.
… mais aussi de la RSE
« Notre but a été d’améliorer la sécurité de nos chauffeurs et de nos passagers, tout en limitant notre empreinte carbone, précise de son côté Jérôme Wolny, associé et cofondateur du groupe Mobi France spécialiste en transport de personnes en situation de handicap (450 véhicules). Nous avons lancé ces cursus en 2019 car nous voulions anticiper les demandes de clients. Ces derniers peuvent en effet nous imposer une formation à l’éco-conduite pour des questions écologiques et/ou de qualité de notre service », souligne Jérôme Wolny.
2. Organiser l’éco-conduite
Reste à préparer le terrain pour dispenser la formation à l’éco-conduite. Lorsque le responsable de parc est convaincu du bien-fondé de la démarche, il doit mener une première investigation. « En préambule, je préconise donc d’analyser sa consommation de carburant et sa sinistralité. Sur ce second point, il faut s’alarmer lorsque son taux d’accidentalité dépasse les 0,3 accident par véhicule. Au-delà, la menace d’accidents graves se fait bien réelle », prévient Alain Rohel, le dirigeant de LVR Fleet, une structure spécialisée dans le management du risque routier (42 000 véhicules en suivi de prévention). Ensuite, il faudra analyser le retour sur investissement que l’on obtient. Chez LVR, le formateur rembourse 40 % du coût de la prestation si la sinistralité ne recule pas de 15 % la première année.
Former les nouveaux entrants
Il existe plusieurs façons de construire une politique d’éco-conduite. Cette politique peut cibler la livraison d’un véhicule à un salarié. « Nous contactons alors notre préventeur, explique Stéphane Nevière pour Sodexo France. Nous lui indiquons la marque du modèle et les coordonnées du collaborateur. À sa charge de contacter le salarié pour organiser une formation d’une journée. »
La démarche n’est pas très différente pour le groupe Mobi France qui s’appuie sur un parc de 450 véhicules pour autant de chauffeurs. « Nous formons tous nos conducteurs à l’éco-conduite, rappelle Jérôme Wolny. Cela entre dans notre plan de formation des nouveaux conducteurs : ils reçoivent une formation de trois heures à l’éco-conduite dans les trois mois qui suivent leur embauche. » Avec deux volets. Le premier est théorique : on explique comment mieux conduire, comment adapter sa vitesse. « Le second est pratique et un préventeur s’installe dans le véhicule de notre salarié pour analyser sa conduite. Ce trajet est ensuite refait avec des conseils et nous mesurons le gain de consommation obtenu avec une conduite adaptée », conclut Jérôme Wolny.
Mise en place de l’éco-conduite : le déclic
La mise en place d’un plan de prévention routière peut aussi avoir pour origine une exposition particulière aux risques routiers. Au sein de la Fondation Santé Service, un opérateur d’hospitalisation et de soins à domicile francilien, le « déclic » pour lancer ces actions de prévention a tenu à un problème important de sinistralité parmi ses 1 200 salariés.

« J’ai intégré la fondation en 2015, relate Didier Thomassin, le responsable de la flotte. Je gère aujourd’hui plus de 1 000 véhicules, principalement des hybrides rechargeables de fonction. À l’époque, à 0,75, notre taux de sinistralité était élevé en raison d’une accidentalité propre à la région parisienne, mais aussi du fait du métier de nos salariés : ils sont sur la route au quotidien pour se rendre aux domiciles des patients. Le risque de faire face à un sinistre corporel important était non négligeable. Il fallait donc faire quelque chose. Par ailleurs, le tarif de notre police d’assurance augmentait tous les ans et il devenait difficile de trouver une compagnie acceptant de nous assurer », expose Didier Thomassin. Pour la Fondation Santé Service, la subvention importante, soit un tiers du coût du plan de prévention routière, proposée par l’assureur pour faire appel à un préventeur et diminuer la sinistralité a fait le reste… Et après une première expérience qui ne répondait pas à l’ensemble des besoins, Didier Thomassin a enfin trouvé préventeur à son pied.
Cibler les conducteurs multi-sinistrés
Depuis deux ans, la Fondation Santé Service déploie donc un plan de prévention routière auprès de tous ses salariés, avec une sensibilisation accrue des conducteurs multi-sinistrés. Pour ceux qui ont connu un accident mineur comme de la tôle froissée, des formations collectives de prévention routière sont organisées. Pour ceux qui ont commis des actes plus graves, comme franchir des feux rouges, un cursus individuel d’une demi-journée est organisé. Une méthode que valide Patrick Clemens, le responsable d’ECF Prévention, le département de l’École de Conduite Française qui développe l’éco-conduite en entreprise : « Il faut cibler les quelques salariés qui pèsent 20 % de la sinistralité en reprenant les cours en face-à face avec eux. Un plan de formation doit être mené sur la durée sur une période de 18 à 24 mois. Ce doit être un processus long d’apprentissage », résume Patrick Clemens.
Les quatre crédos
Pour les spécialistes, une bonne formation à l’éco-conduite suit quatre crédos. Tout d’abord, elle doit être menée en présentiel avec l’accompagnement d’un coach, lors d’une cession de deux à quatre heures. Ensuite, il faut procéder à des rappels avec de l’e-learning. On peut alors imaginer un cours vidéo par mois pendant neuf à 18 mois pour bien assimiler la théorie sur des thèmes comme le choix du bon véhicule, les pneus, etc. Il faudra ensuite ajouter une analyse de la conduite avec une connectique embarquée. Ce dispositif précisera, pour chaque véhicule, les kilomètres parcourus, le CO2 émis, la consommation de carburant ou d’énergie, voire les accélérations et les freinages. « En tout, cela peut représenter sept heures par salarié, recommande David Raffin, directeur général du spécialiste de l’éco-conduite Actua Formation. Ce qui n’est pas anodin. L’éco-conduite se veut un perfectionnement à la conduite pour comprendre les enjeux d’un véhicule avec, en plus, une compréhension des changements technologiques liés à l’arrivée de l’hybride et de l’électrique. L’idéal reste donc d’établir un programme global en formant à la théorie en amont, avec une formation présentielle et en complétant avec de l’e-learning et de la télématique en aval », préconise David Raffin.
Accompagner et animer
« Mais il faut aussi savoir qu’il faudra, après ce cursus, accompagner et animer des challenges, et insister sur la formation des managers sur le long terme. Sinon, l’effet ne dure pas dans le temps, prévient Geneviève Valette, directrice des activités mobilité au sein du formateur Codes Rousseau. On peut ainsi publier les résultats de la baisse des consommations par équipe ou analyser les freinages. »
3. Lever les freins à l’éco-conduite
Pour mener à bien une formation à l’éco-conduite, le principal obstacle concerne le temps qu’entendent y consacrer les salariés (et leurs patrons…). Pour beaucoup, débordés, une demi-journée est bien souvent une demi-journée de trop… La conduite reste de fait une pratique que les salariés estiment maîtriser sur le bout des doigts, Pour contrer cela, Sodexo s’y prend à l’avance pour fixer les rendez-vous ; les taux d’acceptation de ces cursus sont alors de l’ordre de 90 à 95 %.
Peser les coûts…
Responsable des achats de business services pour L’Oréal France, Axel Carron revient sur la politique d’éco-conduite menée auprès des 800 commerciaux de l’entreprise. « Le seul frein que nous avons rencontré est d’ordre organisationnel. Des collaborateurs éprouvent des difficultés à se libérer professionnellement pendant une demi ou une journée. Mais nous arrivons finalement à convaincre tout le monde de l’intérêt de ce type de cursus. Même ceux qui ont l’impression de savoir très bien conduire en reviennent avec le sentiment d’avoir acquis de nouveaux réflexes et de s’être débarrassé de mauvaises habitudes », détaille Axel Carron.
Le coût peut constituer un autre facteur de rejet. Mais il faut savoir qu’une bonne formation à l’éco-conduite revient à moins de 300 euros par salarié. « Au final, tout le monde a apprécié ces cursus qui nous coûtent 250 euros par salarié, pour trois à quatre heures de prise en main de la voiture », confirme Axel Carron. De plus, ces sommes sont remboursables par le biais des systèmes de formation continue de type OPCO. Ce qui peut faire baisser l’addition. Et quand on les met au regard de la seule diminution de la consommation de carburant, ces sommes apparaissent dérisoires. Il reste cependant à prévoir ce budget dans son plan de formation. Sinon, ce peut être un facteur de blocage.
… et les gains
Ensuite, il est important, pour faire accepter ces cursus, de mettre en avant leur intérêt humain, qu’il s’agisse de réduire la pollution ou la probabilité d’avoir un accident. Il faut aussi que le mode opératoire soit le plus simple possible, avec des collaborateurs à prendre par la main en termes d’organisation. En résumé, moins les collaborateurs en font, meilleure est l’acceptation. In fine, cette acceptation s’obtient en forçant un peu les choses. Ainsi, Sodexo impose, avant de pouvoir choisir une voiture, d’effectuer un parcours en e-learning d’éco-conduite. Sans ce cursus, pas d’accès à sa voiture de service ou de fonction qui se doit d’être « attirante » : prévoir un Kia Niro électrique ou une Tesla dotée de 450 km d’autonomie reste aussi très recommandé.
L’ultime frein tient à l’appui ou non des managers. Dans certaines entreprises, les cadres de proximité ne considèrent pas le risque routier comme une priorité. Il est alors difficile de bénéficier de leur appui, avec en corollaire le fait que les salariés considèrent le cursus d’éco-conduite comme une contrainte. D’où l’importance d’avoir les managers avec soi et de bénéficier d’un appui puissant de la direction… « Sinon, c’est une bataille de tous les jours pour que le message passe », commente, désabusé, un fleet manager qui préfère ne pas être cité.
4. Valoriser les bénéfices de l’éco-conduite
Enfin, il ne faut pas oublier de mettre en avant le fait que la mise en place de l’éco-conduite rapporte. Ce que valide Sodexo. « Bien que cela soit difficile à quantifier, constate Stéphane Nevière, on peut estimer que cette formation fait diminuer de 10 % à 15 % la consommation aux 100 km d’un collaborateur. C’est une satisfaction pour nous. » « Sur un parcours, on peut, si les consignes d’éco-conduite sont respectées, gagner un litre d’essence aux 100 km », renchérit Jérôme Couaillier pour Mobilité Club Académie. Pour un salarié roulant 20 000 km par an, cela fait un gain annuel de 200 l de carburant, soit environ 400 euros d’économie par an et par voiture. C’est loin d’être négligeable.
Des risques et des coûts en baisse
« Nous parcourons environ 4 millions de kilomètres par an, estime Jérôme Wolny pour le groupe Mobi France. Nous avons calculé que l’éco-conduite fait consommer 8 % à 10 % d’essence en moins. À cela, j’ajouterai une dépense moindre en freins et en pneus. Nous employons aussi des adjuvants. Avec une conduite écologique, nous nous rapprochons maintenant des estimations de remplissage d’adjuvants préconisées par le constructeur, soit un plein tous les 9 000 km. Avant, c’était beaucoup plus aléatoire. »
Les actions de prévention routière contribuent aussi à réduire l’exposition au risque routier. Si la route demeure le quotidien des collaborateurs, le dispositif déployé doit les aider à prendre conscience qu’il faut rester vigilant au volant pour ne pas engendrer des accidents du travail parfois mortels. « En 2021, précise Didier Thomassin, pour la Fondation Santé Service, notre sinistralité a ainsi reculé de 20 %. »
Au global, il faudra donc passer du coût total du conducteur au coût total d’utilisation. Et ces deux montants diffèrent. Le premier reste plus théorique et le vrai coût est celui qui s’explique par la conduite de l’utilisateur. « Aujourd’hui, si un gestionnaire de flotte veut faire des économies, il faut s’intéresser à la conduite des collaborateurs », résume Laurent Hauducœur, directeur commercial de Traxall France.
La conduite pour maîtriser les coûts
À la tête de 60 000 véhicules en gestion, ce fleeter s’est associé au formateur Nouvelle Route pour proposer des cursus d’éco-conduite à ses clients. « Selon nos analyses, cette conduite vertueuse peut faire économiser de 5 à 10 % sur le budget carburant, les pneus et la sinistralité. Pour cela, il faut former les collaborateurs, les sensibiliser, les “incentiver”. Dans un monde où tous les coûts augmentent, la façon dont les véhicules sont employés devient un élément central, le levier n° 1 pour maîtriser les dépenses », conclut Laurent Hauducœur.
Dossier - Éco-conduite : quelle mise en place ?
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