
Sur l’ensemble du cycle de vie du véhicule, la diminution des émissions de CO2 reste un objectif crucial. « Avant même de se lancer dans la production, dès la phase de projet, il est important de déployer une démarche à tous les niveaux de la R&D pour réduire ces émissions, prendre en compte la recyclabilité des matériaux et systèmes, et l’innocuité des matières », expose Jean-Luc Di Paola Galloni, directeur délégué affaires publiques et développement durable du Groupe Valeo.
Illustration avec le pneu. « Entre 70 et 90 % de l’impact environnemental d’un pneu sur son cycle de vie provient de l’usage du véhicule, principalement des émissions...
Sur l’ensemble du cycle de vie du véhicule, la diminution des émissions de CO2 reste un objectif crucial. « Avant même de se lancer dans la production, dès la phase de projet, il est important de déployer une démarche à tous les niveaux de la R&D pour réduire ces émissions, prendre en compte la recyclabilité des matériaux et systèmes, et l’innocuité des matières », expose Jean-Luc Di Paola Galloni, directeur délégué affaires publiques et développement durable du Groupe Valeo.
Illustration avec le pneu. « Entre 70 et 90 % de l’impact environnemental d’un pneu sur son cycle de vie provient de l’usage du véhicule, principalement des émissions de CO2, indique Cyrille Roget, responsable de la communication scientifique et innovation chez Michelin. Mais lorsque ces émissions vont reculer, en lien avec l’électrification des moteurs, la consommation de matières premières représentera en moyenne 50 % de cet impact » (voir le témoignage).
Réutilisation et valorisation
Justement, depuis 2015, la directive européenne 2000/53/CE relative aux véhicules hors d’usage (VHU) restreint l’utilisation de substances dangereuses dans les véhicules neufs et impose des obligations de collecte et de traitement en fin de vie. Elle fixe un taux de réutilisation et de valorisation des VHU à 95 % de leur masse. « Si un véhicule pèse en moyenne 1 000 kg, on ne pourra donc enfouir que 50 kg de déchets », explique Jean-Pierre Labonne, président de la filière déconstruction automobile au sein de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec). Précisons qu’au moins 85 % du poids doit être recyclé ou réutilisé sous forme de pièces issues de l’économie circulaire. Seuls 10 % au maximum peuvent faire l’objet d’une valorisation énergétique, en servant de combustible pour des cimenteries ou des chaufferies.
Aujourd’hui, la principale problématique de la filière VHU reste l’atteinte de ces objectifs. En France, le taux moyen de recyclage atteignait 94,2 % en 2018 d’après l’Agence de la transition écologique (Ademe). « Selon les premiers chiffres de 2019, nous devrions approcher, voire dépasser, l’objectif de 95 %, annonce Éric Lecointre, coordinateur de pôle au sein de la direction de supervision des filières REP (responsabilité élargie des producteurs) pour l’Ademe. Ce serait alors la première fois que la France atteint ces deux objectifs européens ».
Une évolution du cadre réglementaire
Mais la filière VHU fait face à de nouveaux enjeux. « Le contexte réglementaire va fortement évoluer dans les prochaines années en France et en Europe », rappelle Éric Lecointre. La Commission Européenne est ainsi engagée depuis deux ans dans des travaux de révision de la directive VHU, prévue pour 2022. « Elle s’interroge sur le maintien des taux globaux, dévoile Éric Lecointre. Ceux-ci sont atteints relativement facilement car le contenu en métaux reste très significatif dans les véhicules, avec environ 75 % de métaux ferreux ou non ferreux. Mais les situations sont très variables d’un pays à l’autre avec les matières non métalliques. » La Commission envisage donc de fixer des objectifs de valorisation par matière. « Nous avons montré en France, avec l’outil Syderep, qu’il était possible d’avoir un reporting assez précis de la valorisation par matière des véhicules », avance Éric Lecointre (voir le témoignage).
La responsabilité élargie des producteurs
Autre changement : à l’échelle française, la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC) a renforcé le cadre des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP), dont fait partie la filière automobile. « Les constructeurs doivent créer, d’ici le 1er janvier 2022, une ou des structures communes de type éco-organismes pour répondre collectivement à leurs obligations, détaille Éric Lecointre. Ils ont aussi la possibilité d’agréer des systèmes individuels pour récupérer en fin de vie les produits de leur marque. Reste à savoir vers quelle solution ils vont s’orienter, bien qu’a priori ils ne souhaitent pas un éco-organisme unique. »
« Cette évolution constitue un vrai problème pour le métier qui est déjà autonome et indépendant et n’a pas besoin d’un cadre lui dictant son fonctionnement, estime Jean-Pierre Labonne pour la filière déconstruction automobile de la Federec. Nous souhaitons donc que le futur éco-organisme ait un rôle purement financier et non opérationnel. » D’autant que « la filière est équilibrée économiquement, elle n’a pas eu besoin d’éco-contributions pour financer la collecte et le traitement », complète Éric Lecointre.
Recycler les véhicules électrifiés
Par ailleurs, la filière VHU est confrontée à l’arrivée de véhicules électriques en fin de vie. Pour l’instant, « seuls quelques centaines de véhicules hybrides ou électriques entrent dans la filière : les Autolib’, des Toyota Prius et quelques véhicules accidentés », énumère Éric Lecointre. Mais ils devraient être de plus en plus nombreux. « Or, leur traitement présente des différences avec celui des thermiques », avertit Jean-Pierre Labonne.
L’Ademe va ainsi lancer des travaux d’ici fin 2021 pour évaluer l’impact de l’électrification du parc automobile français sur la filière VHU. « Il y a des questions sur la formation des opérateurs, les risques associés au démantèlement des batteries ou encore l’articulation des textes réglementaires avec la filière batteries, décrit Éric Lecointre. Autre question : le chiffre d’affaires rapporté à la voiture traitée sera-t-il sensiblement identique entre un véhicule électrique et un thermique ?, s’interroge-t-il. Certes, la ressource matière est potentiellement plus importante dans un véhicule électrique, avec plus de cuivre et des terres rares, mais il y a moins d’éléments mécaniques. Par exemple, un véhicule électrique n’a pas de pot catalytique. Or, cette pièce est revendue entre 40 et 100 euros et contribue significativement à l’équilibre économique de la filière. »
Batterie et composants électroniques
La batterie pose aussi problème. « Sur un véhicule thermique, en dehors des fluides, tous les éléments extraits lors de la dépollution sont à valeur positive. Sur un véhicule électrique, la batterie est un élément à valeur négative : il faut payer pour l’éliminer », résume Jean-Pierre Labonne. Et cette batterie restant sous la responsabilité des constructeurs, sa revente ne se ferait plus au profit de la filière VHU. « Or, la batterie représente une grosse partie du poids de la voiture », pointe-t-il.
Enfin, l’électrification des moteurs – à laquelle s’ajoutent les travaux d’allègement et la connectivité croissante des véhicules – entraîne l’intégration de nouveaux matériaux et composants plastiques et électroniques. Pour les traiter efficacement, un travail en amont est nécessaire. « Les dispositions de la directive VHU, visant à encourager une conception des nouveaux véhicules qui facilite leur démontage, leur recyclage et l’intégration de matières recyclées, ne sont pas suffisamment détaillées, spécifiques et mesurables et n’ont donc eu qu’un effet très limité », juge la Commission européenne dans un document d’évaluation publié le 15 mars 2021.
« Nous subissons aujourd’hui la non-écoconception des véhicules, confirme Jean-Pierre Labonne. Il faudrait mettre moins de ressources rares ou polluantes dans les véhicules, faire des produits plus simples et plus faciles à séparer. Mais depuis vingt ans, l’inverse s’est produit : les constructeurs ont complexifié les véhicules, ajoutant de nouveaux plastiques, les mélangeant, etc. Nous savons bien recycler les métaux et la plupart des plastiques, mais nous ne savons pas recycler certains plastiques complexes » (voir aussi le témoignage).
Intégrer des matériaux recyclés
En parallèle, face à l’enjeu de la finalité des ressources, une option consiste à faire appel à des matières premières issues du recyclage (MPIR). « La Commission Européenne travaille sur l’intégration de matières recyclées dans les véhicules, en particulier le plastique, et sur le rôle des constructeurs pour favoriser le marché, mentionne Éric Lecointre. Ces derniers ont l’obligation de communiquer le taux de matières recyclées intégré dans leurs véhicules, mais ils ne sont pas soumis à des obligations chiffrées globales ou par matière. » En France, la loi AGEC a également « renforcé le questionnement sur la fixation d’objectifs d’intégration là où cela est pertinent, énonce Éric Lecointre. L’automobile, vu les tonnages en jeu, est un secteur pertinent de consommation de matières recyclées. »
Selon l’Observatoire français du VHU, la plupart des constructeurs intègrent des matériaux recyclés dans leurs véhicules neufs, avec notamment un recyclage des polymères en boucle fermée. « Mais les informations déclarées demeurent sommaires et les exemples fournis pour en attester restent peu nombreux et peu détaillés, hormis pour les constructeurs français », regrette l’observatoire. Ce dernier cite seulement la nouvelle Zoé dont les finitions Zen et Intens ont été habillées avec un textile issu de matériaux recyclés et fabriqué en France en boucle courte.
Des boucles courtes
Renault s’intéresse en effet au sujet : « Il y a environ 30 % de matériaux recyclés dans nos véhicules, dont de l’acier et du plastique », déclare Jean-Philippe Hermine, directeur stratégie et du planning environnement. Et le constructeur veut atteindre 33 % en 2025 en Europe et en 2030 dans le reste du monde. « Cela demande de revoir en profondeur les process, mais nous y gagnons si nous le faisons bien, reprend Jean-Philippe Hermine. Il y a en ce moment une explosion des cours des matières premières. La capacité à maîtriser l’approvisionnement en matières recyclées est stratégique en termes de sécurisation et peut aussi être économique. »
Renault a déjà mis en place des boucles courtes. « Celles-ci sont très intéressantes car elles permettent de maîtriser le prix, la qualité technique et la valeur économique des matières, argue Jean-Philippe Hermine. Notre filiale Indra, spécialiste de la déconstruction, récupère les câblages de vieux véhicules. Ceux-ci sont ensuite achetés par une autre de nos filiales, Gaia, qui les transforme en cuivre pour nos fonderies. »
Recycler les métaux rares et le plastique
Gaia collecte aussi les pots catalytiques. « Nous générons alors des sources en platine, en rhodium et en palladium pour faire de nouveaux pots, voire demain des piles à combustible à hydrogène », complète Jean-Philippe Hermine. Autre illustration : « En recyclant les pare-chocs, nous générons des grades de plastiques recyclés que nous réinjectons pour faire de nouvelles pièces pour nos voitures neuves, poursuit-il. Nous procédons pareillement avec l’aluminium » (voir le témoignage). Renault essaie désormais de développer une boucle pour le cobalt, le nickel et le lithium des batteries, en partenariat avec Solvay et Veolia.
Les équipementiers jouent aussi un rôle important. « Nous avons établi un cahier des charges générique des matériaux recyclés en collaboration avec les constructeurs et pris part à l’élaboration de normes et de travaux volontaires en vue de tester des matériaux recyclés sur nos propres composants, témoigne Jean-Luc Di Paola Galloni. Nous sommes très impliqués dans la réduction de l’usage du plastique, qui a l’énorme avantage structurel de diminuer la masse des composants. » Valeo travaille aussi avec ses fournisseurs sur le métal dont l’acier et l’aluminium. « Sur une petite quantité, nous ne pouvons pas avoir un taux de recyclabilité élevé du fait de contraintes techniques, telle la résistance au chauffage ou à l’abrasion. Mais nous avons une forte marge d’amélioration », précise ce représentant de Valeo.
Réparation et rénovation
« En outre, la réparation foisonne de solutions de mieux en mieux écoconçues, pointe Jean-Luc Di Paola Galloni. Avec d’autres acteurs, nous nous penchons sur la rétractabilité des projecteurs avant ou arrière en cas d’accident grâce à des capteurs comme ceux des airbags. Ainsi, la partie plastique se casse et doit être remplacée, mais le projecteur ne subit pas de dommage grave » (voir le témoignage).
Enfin, la filière développe des programmes de rénovation. « Nos alterno-démarreurs et nos boîtiers de vitesses subissent une activité quasi totale de rénovation », illustre Jean-Luc Di Paola Galloni. « La rénovation de pièces constitue un débouché des centres VHU, qui n’est pas suffisamment exploité actuellement, bien qu’un arrêté oblige les garagistes à proposer de la pièce de réemploi sur les véhicules de plus de cinq ans », estime Jean-Pierre Labonne pour la Federec.
Les pistes sont donc multiples pour limiter l’impact environnemental des véhicules hors de leur phase d’usage. Mais la neutralité carbone restera très difficile à atteindre sur l’ensemble du cycle de vie. La filière doit aussi travailler sur les performances environnementales de l’approvisionnement et de la production. À suivre…
Dossier - Écoconception et recyclage : l’électrique impose de nouveaux enjeux
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