Électrification des flottes : une réforme fiscale indispensable

L’ONG Transport & Environnement (T&E) recommande, dans un rapport, plusieurs réformes à appliquer concernant la fiscalité des véhicules d’entreprise (véhicules légers) afin inciter à l’électrification des flottes. Pour illustrer son propos, T&E a développé différents modèles en collaboration avec le cabinet de conseil stratégique Revnext.

Le parc roulant de véhicules d’entreprise atteint 2 329 000 unités, estime le rapport. Avec 839 000 véhicules d’entreprise immatriculés en 2020, ces flottes représenteraient 52 % des immatriculations de VP annuelles. La part de véhicules d’entreprise diesel serait deux fois plus élevée (39 %) que celle des véhicules des particuliers (18 %). Les véhicules d’entreprise rouleraient également 1,85 fois plus (variable en fonction du carburant) que les véhicules des particuliers. Ils généreraient 67 % des émissions de CO₂ des véhicules nouvellement immatriculés, soit 2 % des émissions totales de gaz à effet de serre en France. Or, « les voitures d’entreprise, généralement achetées neuves, sont vendues d’occasion sur le marché privé au bout d’une utilisation moyenne de 4 ans. Elle ont ainsi une influence importante sur les véhicules entrant sur le marché des véhicules des particuliers », pointe T&E.

Des flottes thermiques contraintes de passer à l’électrique ?

Rappelons qu’en 2022, 10 % des nouvelles immatriculations de véhicules d’entreprise devront être à faibles émissions (moins de 50 g de CO₂/km). Un objectif qui ne concerne cependant que les entreprises ayant une flotte d’au moins 100 véhicules, selon la loi Climat et Résilience. L’objectif à terme étant d’atteindre 70 % de renouvellement en véhicules à faibles émissions en 2030

Mais, comme l’indique T&E : « La loi Climat et Résilience présente au moins trois faiblesses majeures dommageables pour l’électrification des flottes :

• tout d’abord, l’absence de pénalité en cas de manquement,
• ensuite, l’éligibilité des hybrides rechargeables en tant que véhicules à faibles émissions,
• enfin, les flottes visées représentent seulement 14 % du parc détenu par les personnes morales possédant au moins 100 véhicules, ce qui est susceptible de faire dérailler la transition des flottes d’entreprise vers des voitures polluantes. »

Une réforme progressive de la TVS

Pour pousser les entreprises à électrifier leur flotte, l’ONG propose donc plusieurs réformes concernant la fiscalité automobile. La taxe sur les véhicules de société (TVS) actuelle « bien qu’indexée sur les émissions de CO₂ du véhicule, rate ainsi son objectif, d’après T&E. La politique actuelle n’a aucune fonction définie et augmente progressivement de 0 à 127 g de CO₂/km, fortement de 128 à 192 g de CO₂/km et graduellement au-delà de 193 g. » Les taux élevés de TVS toucheraient principalement les voitures émettant plus de 130 g de CO₂/km, et non pas la majorité des modèles vendus comme la Renault Clio ou la Peugeot 208.

De plus, « les véhicules hybrides émettant moins de 120 g de CO₂/km peuvent se voir exempter du paiement de la TVS pendant 12 trimestres. Par conséquent, 65 % des voitures exemptées de TVS roulent aux carburants fossiles », avance T&E. Cependant, cette exemption sera abrogée dès 2023 d’après la loi finances 2021.

L’ONG envisage une refonte progressive de la TVS sur dix ans. Le barème débuterait à 100 euros par véhicule, toute motorisation confondue, et plafonnerait à 10 000 euros pour les véhicules les plus polluants. Son calcul se baserait sur cette équation :

Ainsi, un facteur d’augmentation de 25 % par rapport à l’année précédente s’appliquerait pour les véhicules émettant plus de 150 g de CO₂/km.

Illustration par l’exemple

Voici deux exemples :

• Pour une citadine (110 g CO₂/km) conservée quatre ans, un acteur économique paiera une somme totale de 2 932 euros de TVS pour une voiture immatriculée en 2023 et 4 356 euros pour une voiture immatriculée en 2026.
• Pour un modèle familial (environ 130 g CO₂/km) conservé quatre ans, un acteur économique paiera une somme totale de 4 841 euros de TVS pour une voiture immatriculée en 2023 et 6 891 euros pour une voiture immatriculée en 2026.

En revanche, un véhicule électrique à batterie ne coûtera que 400 euros pour ces mêmes années d’immatriculations.

« Cette réforme offre de la visibilité aux acteurs économiques et permet de rendre le véhicule électrique à batterie bien plus attractif, même pour le segment des citadines. Dans le cadre de cette réforme, les exemptions actuellement en vigueur pour les voitures hybrides et les motorisations au gaz et aux biocarburants sont abandonnées. Une réforme de la TVS reste une mesure socialement juste, car cela équivaut à un malus CO₂ qui ne s’appliquerait qu’aux acteurs économiques », justifie T&E.

Une réforme de l’avantage en nature…

La fiscalité de l’avantage en nature (AeN) de la France serait l’une des plus basses d’Europe, d’après le rapport, freinant ainsi l’électrification des flottes. « Le régime fiscal n’incite pas suffisamment à choisir un véhicule électrique plutôt qu’un thermique. Du point de vue de l’employé, le coût d’une voiture de fonction thermique en location (ex : Renault Clio) reste effectivement à peu près égal à son homologue électrique (ex : Renault Zoé) », argumente T&E.

Pour que les véhicules les plus polluants coûtent plus cher, T&E souhaite d’abord clarifier la base taxable en intégrant au prix d’achat du véhicule tous les régimes fiscaux contenant une composante environnementale : malus CO₂, malus poids et TVS. Puis, T&E préconise de doubler le taux l’imposition des véhicules d’entreprise émettant plus de 20 g de CO₂/km, conformément au principe du pollueur-payeur, et de conserver la réduction de 50 % du taux d’imposition pour les véhicules électriques.

… et des amortissements

Avec un plafond de 30 000 euros contre 18 300 euros, le véhicule électrique bénéficie actuellement d’un amortissement plus avantageux que le véhicule thermique, même si la déduction d’amortissement d’un véhicule thermique reste avantageuse, selon le rapport. En effet, l’avantage fiscal reçu sous la forme d’amortissement par les sociétés pour un véhicule de fonction peut aller jusqu’à 4 500 euros. Les amortissements déductibles des véhicules thermiques représenteraient « un coût de 2,72 milliards d’euros par an pour l’État, soit 93 % du total des dépenses en amortissements », selon T&E.

Pour y remédier et inciter à les flottes à s’électrifier, le rapport propose de s’inspirer de la fiscalité de la Belgique en supprimant sur cinq ans (2023-2027) des déductions d’amortissements pour les voitures polluantes. Pour les véhicules électriques les plafonds resteraient similaires en 2023 et 2024. Ils se réduiraient ensuite progressivement jusqu’à atteindre 18 300 euros, soit le plafond actuel des véhicules thermiques, en 2027.

Objectif : électrification des flottes

Avec ces trois réformes sur la fiscalité, l’ONG pense que l’électrification des flottes pourrait aboutir. « Les véhicules électriques à batterie constitueraient 97 % des ventes de véhicules d’entreprise avec 1 million d’unités supplémentaires d’ici à 2030, soit deux fois plus que les prévisions actuelles. » Avec ces mesures, T&E estime que les émissions émissions de CO₂ des flottes seront réduites de 11,2 millions de tonnes d’ici à 2030 et de 43 millions de tonnes de CO₂ sur l’ensemble de la durée de vie des véhicules.

Pour rappel, le rapport T&E n’a pris en compte que la fiscalité des véhicules particuliers en vue de l’électrification des flottes. Et n’a donc pas traité les utilitaires légers, soit pourtant 40 % des véhicules d’entreprise. « Il est nécessaire d’explorer la possibilité d’appliquer une approche fiscale similaire aux utilitaires légers. Et ce, tout en trouvant le moyen d’exempter les TPE et PME qui représentent 50 % des utilitaires légers en France », conclut T&E.