
En juillet 2019, le ministère de la transition écologique annonçait le lancement d’une étude dirigée par l’Ifpen. L’objectif : « répondre de manière indépendante et scientifiquement fondée » aux questions de l’émission réelle des véhicules thermiques essence et diesel les plus récents, pour lesquels peu de données sont disponibles. Les résultats de cette étude, publiés le 16 décembre 2020, doivent alimenter les recommandations françaises dans le cadre de la définition de la future norme européenne d’émissions Euro 7 pour 2025.
Celle-ci remplacera la norme actuelle Euro 6.d-temp, entrée progressivement en vigueur entre 2017 et 2020 suite au dieselgate. Cette dernière fait appel au cycle d’homologation WLTP, complété par un test en conditions réelles (RDE) pour le CO2, les oxydes d’azote (NOx) et les particules, pour des résultats plus représentatifs des émissions réelles de conduite.
Dans un premier volet de l’étude, l’Ifpen a sélectionné huit modèles homologués selon la norme actuelle Euro 6d-temp, entrée progressivement en vigueur entre 2017 et 2020. Ceux-ci se veulent représentatifs du parc français : ils vont de la citadine au SUV sept places et sont commercialisés par huit marques ayant représenté 62 % des ventes en France en 2019 (Peugeot, Renault, Ford, Volkswagen, BMW, Mercedes, Citroën, Honda).
Une comparaison des performances environnementales diesel-essence
Puis, seize véhicules ont été prélevés sur le parc réel – un essence et un diesel pour chaque modèle –, avec un kilométrage compris entre 22 000 et 58 000 km. Ces véhicules étaient au mieux équipés d’un système stop-and-start. L’institut a ensuite évalué les émissions de ces véhicules pour les gaz à effet de serre (CO2, N2O et CH4) – responsables du réchauffement climatique – et pour les polluants atmosphériques (NOx, HC, PN10, PN23 et CO) – néfastes pour la santé humaine.
Pour chaque véhicule, douze essais ont été réalisés, pour au total plus de 1 000 km, et dans des conditions variées : sur banc à rouleaux conventionnel et climatique en suivant le protocole de l’homologation mais aussi sur route en conditions réelles, avec différents styles de conduite (normale et sévère) et dans des conditions climatiques diverses (normales, – 2 °C et 35 °C). Précisons que des carburants standards moyens ont été utilisés, ils ne représentent pas la variabilité des carburants présents sur le marché (voir le protocole complet).
Des VP Euro 6d-temp plutôt respectueux des normes
Bonne nouvelle : « les émissions de polluants en usage réel de type RDE respectent en moyenne les seuils normatifs, aussi bien en essence qu’en diesel, y compris dans des conditions de conduite très dynamiques ou dans des conditions climatiques froides et chaudes », révèle l’Ifpen. Seules exceptions : deux diesel utilisant un système de dépollution de type piège à NOx (LNT) ont dépassé les normes d’émissions de NOx ; et les essence sans filtres à particules ont dépassé celles de particules fines. Certains véhicules essence ont également émis trop de monoxyde de carbone en usage très dynamique.
Sans surprise, les émissions d’oxydes d’azote (NOx) sont plus élevées en diesel, même en tenant compte de l’impact des systèmes de régénération, mais aussi celles de deux gaz à effet de serre non réglementés : le protoxyde d’azote (N2O) et le méthane (CH4), ainsi que celles d’hydrocarbures imbrûlés (HC). À l’inverse, les émissions de CO2, de particules fines supérieure à 10 nm (PN10 et PN23) et de monoxydes de carbone (CO) sont supérieures en essence. Attention, toutefois : l’étude révèle des surémissions dans des conditions climatiques extrêmes ainsi qu’en cas de conduite plus dynamique.

Dans un second volet destiné à évaluer l’apport de l’hybridation, l’Ifpen a également mesuré les émissions de trois couples de véhicules supplémentaires selon le même protocole. Sur la Toyota Taris hybride non rechargeable (HEV), l’Ifpen a observé un gain significatif en termes d’émissions de CO2, de NOx et de CO par rapport à la version essence, mais seulement sur routes urbaines et avec en contrepartie une hausse non négligeable des émissions de particules.
Quant à l’hybride rechargeable, la comparaison entre un Kia Niro HEV et PHEV a montré que l’efficacité environnementale dépendra de la fréquence de la recharge : le véhicule peut aussi bien approcher le zéro émission qu’égaler les émissions de son homologue non rechargeable. Or, « les études de comportement réalisées à ce stade initial montrent que ces pratiques sont aujourd’hui bien moins vertueuses que la norme n’en fait l’hypothèse, entraînant des émissions de CO2 en usages réels plus importantes que celles homologuées », avertit l’Ifpen.
Faire correspondre le véhicule et l’usage

Pour mieux illustrer ces résultats, l’Ifpen a projeté les émissions de CO2, NOx, CO et PN23 en fonction de différents profils d’usage : taxi en zone urbaine, conducteur moyen en ville ou en campagne et commercial avec trajets sur autoroute (voir le graphique ci-contre). Une analyse qui « démontre l’importance de l’adéquation entre véhicule et usage », conclut l’institut qui recommande de proposer des outils dédiés, sur le modèle du site gouvernemental « Je change ma voiture ».
Les résultats de l’étude ont été présentés le 16 décembre 2020 au comité stratégique de la filière automobile, entraînant de nombreuses réactions. Pour Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, « malgré de réels progrès ces dernières années sur les motorisations thermiques, l’étude montre l’importance d’accélérer la transition vers la mobilité électrique ou électrifiée, et l’importance des conditions d’usage des véhicules hybrides qui influent sur leur niveau d’émissions. »
La filière appelle à la neutralité technologique
Inversement, la Plateforme automobiles et mobilités (PFA) a mis en avant l’importance de conserver différentes motorisations. « C’est cette multiplicité des solutions technologiques qui nous permettra de répondre de la manière la plus optimale au défi environnemental, en tenant compte de la diversité des usages, et en maintenant le prix des véhicules à un niveau abordable pour le plus grand nombre afin de favoriser le renouvellement rapide du parc », argue Luc Chatel, président de la PFA.
De même, la FIEV (Fédération des industries des équipements pour véhicules) appelle à « remettre la science au cœur de la décision politique ». Elle pointe notamment le système des vignettes Crit’Air, basé sur l’année ou la motorisation des véhicules et non leur performance ; ou encore l’absence de prise en compte des émissions de CO2 sur l’ensemble du cycle de vie des véhicules.
« Nous espérons que cette étude réalisée par l’Ifpen suscite un changement matérialisé par les évolutions réglementaires qui doivent découler de ses conclusions. Elle démontre objectivement que la neutralité technologique répond aux objectifs de décarbonation de la mobilité », estime son président Claude Cham.
Pour nos lecteurs qui souhaiteraient en savoir plus sur l’étude, nous avons détaillé ci-dessous les résultats chiffrés.
Des émissions de CO2 11 % plus élevées en essence
Dans le détail, les véhicules diesel ont consommé 5,2 l/100 km en moyenne, contre 6,7 l/100 km pour les essence (+ 1,5 l / + 28 %). En conséquence, les émissions de CO2sont plus élevées de 11 % en essence (151,0 g/km en moyenne) par rapport au diesel (136,1 g/km).
En revanche, les émissions de N2O et de CH4 – deux autres gaz à effet de serre pour l’instant non réglementés – sont plus importantes en diesel qu’en essence. Les véhicules essence ont émis en moyenne 0,9 mg/km de N2O et 2,6 mg/km de CH4, contre respectivement 18,6 mg /km (vingt fois plus) et 13,3 mg/km (cinq fois plus) pour les diesel. « Ces surémissions des véhicules diesel sont pour l’essentiel imputables aux véhicules équipés d’un piège à NOx (LNT, pour Lean NOx Trap), précise toutefois l’Ifpen. Ils émettent en effet respectivement 3,6 fois et 22,6 fois plus de N2O et CH4 que les véhicules diesel n’en faisant pas l’usage. » Au total, un véhicule essence émet en moyenne 6 % de gaz à effet serre de plus qu’un véhicule diesel similaire.
4,4 fois plus d’émissions de NOx en diesel
Du côté des polluants atmosphériques locaux, les émissions moyennes d’oxydes d’azote (NOx) s’élèvent à 20,0 mg/km en essence, contre 89,1 mg/km en diesel (+ 69,1 g / 4,4 fois plus). Cependant, les émissions varient grandement parmi les diesel selon la technologie de dépollution utilisée.
Les six diesel équipés d’un système à l’urée (SCR, pour Selective Catalyst Reduction) n’ont émis que 57 mg/km en moyenne, soit seulement 2,9 fois plus que les essence. Les deux véhicules diesel restants étaient équipés d’un piège à NOx et leurs émissions moyennes se sont élevées à 203,4 mg/km, dépassant largement la norme. En effet, des émissions importantes ont été observées durant les phases de purge du système LNT, « ce qui pourrait s’expliquer par un mauvais contrôle de ces évènements, ou par une détérioration du catalyseur », commente l’Ifpen.
NOx : attention aux conditions de conduite
Il ne faut pas non plus négliger les effets de la température : lors des essais RDE à – 2 °C, les diesel avec SCR ont émis en moyenne + 54 % de NOx par rapport aux essais à 22 °C. De même, avec une conduite dynamique, les émissions de NOx des diesel sont en hausse de 45 %.
Autre constat : les niveaux d’émissions de NOx grimpent de 79 % en essence et de 74 % en diesel sur routes urbaines par rapport au niveau moyen sur l’ensemble du test RDE. Pire : sur les trajets courts (moins de 10 km), elles atteignent en moyenne 172 mg/km en diesel (+ 100 %) et 40 mg/km en essence. Or, « la moitié des trajets dans les centres villes des grandes agglomérations françaises font moins de 5 km », alerte l’Ifpen, si bien que l’essai RDE complet de 80 km n’est pas représentatif de l’usage réel.

Monoxyde de carbone et particules fines : le diesel plus performant
Le diesel pâtit en outre de ses émissions d’hydrocarbures imbrûlés (HC) de 24 mg/km, contre seulement 19 mg/km pour l’essence. Inversement, l’essence émet plus de monoxyde de carbone (CO), avec en moyenne 434 mg/km, soit six fois plus que le diesel (83 mg/km).
Précisons que lors des essais RDE à – 2 °C, les essence ont rejeté + 16 % de CO et + 165 % de HC par rapport aux essais à 22 °C. Les émissions de CO en ont également augmenté de 38 % avec une conduite très dynamique (en ne prenant pas en compte un véhicule essence ayant affiché un niveau de surémissions très important).
Concernant les particules fines de taille supérieure à 23 nm (PN23), les diesel ont émis un nombre moyen de 1,1.1010 particules par kilomètre, quatorze fois moins que l’essence (1,6.1011) – la norme européenne étant de 1012. Ce chiffre grimpe toutefois à 5,8.1010 en tenant compte des régénérations périodiques des filtres à particules sur les diesel, qui n’émettent alors plus que 2,6 fois moins de PN23 qu’un véhicule essence comparable.
Ammoniac : des émissions comparables
Enfin, l’Ifpen a testé deux polluants non réglementés : les particules fines de taille comprise entre 10 et 23 nm (PN10) et l’ammoniac (NH3) – un précurseur de particules fines et un gaz toxique pour l’Homme au-delà de certaines concentrations. Là encore, l’essence rejette généralement plus de PN10.
Les émissions moyennes d’ammoniac (NH3) sont quant à elles comparables : 11 mg/km en diesel et 15 mg/km en essence, mais avec de fortes variations entre les véhicules dans les deux cas. L’institut note toutefois que les véhicules diesel équipés d’un système de dépollution SCR se terminant par un pot catalytique de type SCR-F présentent des émissions d’ammoniac élevées. Privilégier la technologie SCR pour diminuer les émissions de NOx entraînerait dans ce cas le risque d’augmenter celles de NH3.
Évaluer l’apport de l’hybridation
Dans un second volet destiné à évaluer l’apport de l’hybridation, l’Ifpen a également mesuré les émissions de trois couples de véhicules supplémentaires. L’institut a d’abord comparé deux versions de la citadine Toyota Yaris : une essence et une hybride non rechargeable essence. Dans ce cas, l’hybridation apporte une réduction des émissions de CO2 de 14 % en moyenne, avec – 33 % sur routes urbaines mais + 0,6 % sur autoroutes. Elle contribue aussi à diminuer les émissions de CO de 60 % et celles de NOx de 54 %, mais entraîne « une hausse significative des particules », signale l’Ifpen.
Le deuxième couple concernait le SUV Niro, en version essence rechargeable (PHEV) et non rechargeable (HEV). Bilan : « avec un départ batterie chargé (mode CD), le véhicule PHEV enregistre des émissions moyennes de CO2 de 45 g/km sur les essais opérés », indique l’Ifpen. En mode batterie vide, les émissions grimpent à 113 g/km, proches de celles du véhicule HEV (115 g/km).
Si la masse supplémentaire de la batterie PHEV n’a donc pas d’impact à l’usage sur ce modèle, il faut toutefois tenir compte d’une émission de 780 kg de CO2 lors de sa production, soit 4 g/km supplémentaires sur 200 000 km. De plus, la version PHEV est plus émettrice de CO2 à – 2 °C, car la motorisation thermique assure le chauffage de l’habitacle. L’institut n’a pas enregistré de différence concernant les polluants locaux, à l’exception d’émissions de CO plus élevées sur le modèle non rechargeable (78 mg/km contre 17 à 24 mg/km en PHEV), plus sensible au style de conduite.

PHEV : tout dépend de la recharge
Enfin, l’Ifpen a analysé un modèle de berline hybride rechargeable, la Mercedes C300, là encore en deux versions : essence et diesel. Du côté du CO2, les émissions sont très proches en fonctionnement batterie pleine (13,8 g/km en diesel et 15 g/km en essence). Mais la version diesel sort gagnante à batterie vide avec 124 g/km, contre 147 g/km en essence (+ 16 %). Précisons toutefois que l’autonomie étant inférieur en diesel, les émissions de CO2 seront plus basses en essence pour des usages entre 35 et 78 km par jour, à raison d’une recharge quotidienne selon l’Ifpen.
Le véhicule PHEV essence présente également des émissions importantes de CO et de PN sur les usages très dynamiques. « En dehors de ces points, les émissions de polluants locaux des véhicules hybrides rechargeables essence et diesel testés sont maîtrisées, en deçà de la norme Euro 6d-temp et de la moyenne des véhicules conventionnels évalués par ailleurs dans cette étude », note l’Ifpen. À noter que contrairement au SUV PHEV, les émissions de CO2 de ces deux berlines n’augmentent pas à – 2 °C grâce à un chauffage d’habitacle électrifié, mais elles perdent alors en autonomie.