Énergies : de nouveaux écosystèmes pour les poids lourds

B100, HVO, GNV ou électricité et hydrogène : alors que la consommation de gazole décroît, les énergéticiens investissent dans les énergies nouvelles vers lesquelles les constructeurs de poids lourds orientent leurs productions. Objectif : concrétiser la transition énergétique que l’État et les transporteurs réclament.
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Iveco et Shell-GNL
Iveco et Shell-GNL

Pour les poids lourds, les nouvelles énergies s’imposent peu à peu. La décrue de la consommation de gazole dans les ventes de carburants routiers se poursuit en effet chaque année depuis 2019, constate l’UFIP Énergies et Mobilités. En 2019, cette part avait diminué de 1,9 %, à 78,9 % de la consommation française de carburants routiers. En 2020, elle a baissé de 3,8 % à 75,1 %, et à 72,8 % au premier semestre 2022. Conscients que ce recul est lié à la transition énergétique voulue par l’État et les transporteurs, mais aussi aux fluctuations incontrôlables du prix des carburants pétroliers, les énergéticiens mettent en avant leurs solutions alternatives pour PL en multipliant leurs investissements dans les nouvelles énergies : B100 à base de colza, HVO comme le XTL ou le GTL, GNV comprimé ou liquéfié, électricité et hydrogène.
Ce foisonnement de l’offre n’est pas sans enjeux politiques et socio-économiques à court, moyen ou long terme. Obnubilées par le vieux schéma monopolistique du pétrole, diverses nations s’efforcent de monopoliser une ou plusieurs énergies nouvelles, tandis que l’UE prône une mixité énergétique plus complexe, mais plus écologique car renouvelable. Les clients transporteurs conditionnent aussi leurs choix au coût des énergies. Résultat : craignant qu’une erreur ne leur coûte leur indépendance, les énergéticiens et les constructeurs de PL s’associent pour prôner un mix autour de plusieurs énergies et proposer des écosystèmes complets aux transporteurs.

Le bioGNV tient la route

Le premier écosystème à s’être créé est celui du GNV, avec Iveco, Renault Trucks et Scania en pionniers. Aujourd’hui, le GNV reste associé à Iveco qui étudie avec Shell et ENI les possibilités d’accélérer la production de bioGNL, mais aussi à Scania et Volvo Trucks, auquel Renault Trucks a cédé sa place pour se consacrer à d’autres énergies.
Alors que plus de 7 705 VI et plus de 9 703 VUL circulent au GNV en France, les énergéticiens Air Liquide, Shell, AS24, Avia, Endesa, Engie Solutions, Gaz Électricité de Grenoble, Gaz’Up ou encore le breton Gazie développent un réseau français qui atteindra 350 stations GNC ou GNL fin 2023. Modeste par rapport aux 11 000 stations-service fournissant du gazole, ce réseau couvre pourtant une part importante des transporteurs français qui, en majorité provinciaux, adhèrent à la production locale de bioGNV par méthanisation. Les flottes publiques et des transporteurs pour compte propre sont aussi très intéressées par le bioGNV et son efficace réduction de 80 % du CO2. Depuis juin 2022, la France compte 426 unités de méthanisation injectant ce gaz vert dans le réseau de gaz. Selon GRDF, qui a entamé avec Engie, en juillet 2022, la production de gaz par méthanation, association d’hydrogène et du CO2 issu des méthaniseurs, le potentiel de biogaz atteindrait 420 TWh produits en 2050. Soit assez pour alimenter 100 % des VI en circulation, plus une bonne part de l’immobilier si la France limite sa consommation.

Biogaz et gaz fossile

Une production franco-française de bioGNC et de bioGNL décorrélerait aussi leur prix des fluctuations tarifaires du gaz fossile, surtout si les transporteurs achètent leur biogaz sur plusieurs années. Ainsi, Philippe Collin, méthaniseur haut-marnais qui a ouvert sa station de biogaz en 2020, a continué à vendre à ses clients son bioGNV à 1,20 euro/l, alors que les prix avaient grimpé jusqu’à 3 euros/l dans certaines stations.
En ville, la loi du 10 février 2020, qui oblige les entreprises produisant plus de 5 t de biodéchets par an à les valoriser à partir du 1er janvier 2023, devrait aussi contribuer à créer du biogaz pour les flottes urbaines. Cette mesure avait déjà incité des acteurs de la grande distribution, comme Carrefour ou Lidl, à s’impliquer dans la production de bioGNV à partir de leurs déchets et de leurs invendus. TotalEnergies a donc signé un accord avec Veolia pour valoriser, dans le transport lourd, le biogaz issu du traitement des déchets et des eaux usées à hauteur de 1,5 TWh par an à partir de 2025.

B100 et vieux VI diesels

Les biocarburants, qui attirent les transporteurs par leur capacité de réduction du CO2 et leur faible surcoût, captent d’autant plus l’attention des énergéticiens qu’ils sont naturellement compatibles avec les centaines de milliers de PL diesel antérieurs à la norme Euro 6.
Jouant sur la fibre nationale, Renault Trucks a sonné le rappel des transporteurs autour du B100 à base de colza français en s’associant au groupe Avril. Ensemble, ils ont obtenu la vignette Crit’Air1 pour le B100 en mars 2022 en lançant le concept de B100 exclusif. Scania, MAN, Volvo Trucks et DAF commercialisent désormais des motorisations au B100 exclusif et plus de 2 000 camions roulent au B100 en France. S’y ajoutent les flottes captives de groupes industriels comme Colas : leurs vieux véhicules à faible kilométrage trouvent avec le B100 un verdissement inespéré. Le colza est cultivé dans l’ensemble de la France, mais aussi en Belgique et en Espagne.
Outre Avril, les fournisseurs français sont Centre Ouest Céréales avec le COC100, Altens et son Pur100Agri importé de Belgique, Bolloré Energy qui mise sur le Koolza 100, et Total­Energies qui le dénomme B100. Ce carburant étant réservé aux flottes captives, les énergéticiens ont tous inclus dans leur offre la fourniture d’une cuve et la distribution à domicile. Et pour mettre son biocarburant à iso-coût avec le gazole, Avril va jusqu’à régler à l’État la TICPE réduite due par les transporteurs.
Reprochant au B100 sa « faible » diminution de 60 % des émissions de CO2, ses rejets de particules fines et le détournement d’alimentation humaine, la Commission Européenne maintient son quota de 50 000 VI roulant au B100 par pays, une mesure que l’économie circulaire pourrait rendre rémanente au-delà de la fin supposée des VI thermiques.

XTL et carburants de synthèse…

Il en ira peut-être pareillement pour le carburant paraffinique de synthèse HVO-XTL. Celui-ci, issu exclusivement de déchets et de biomasse, est plus calorique que le diesel. Miscible au gazole, il est utilisable dans tous les moteurs diesel sauf si les paramètres de l’Euro 7 obligent les constructeurs à l’en exclure. Développé par Nesté pour les pays nord-européens, le HVO-XTL gagne la France et l’ensemble des pays européens dont certains, comme l’Espagne, le distribuent à la pompe. En France, il est restreint aux flottes captives, ce qui oblige ses fournisseurs à inclure une cuve dans leur offre aux transporteurs.
Daimler Truck, Iveco, Scania, Volvo Trucks, MAN et DAF ont adopté ce carburant de synthèse pour accompagner leur transition énergétique grâce à sa réduction de 92 % du CO2, et les énergéticiens leur emboîtent le pas. MAN a par exemple signé un accord avec Altens et Nesté pour promouvoir ses camions au HVO. TotalEnergies fournit son HVO100, Bolloré Energy a lancé un gazole de synthèse (HVO) sous l’appellation Izipure et Altens fournit un PurXTL importé de Rotterdam. En Espagne, Repsol, Bilbobus et Alsa ont lancé un premier projet pilote employant le HVO. Iveco, lui, s’est associé avec ENI pour « établir une plate-forme intégrée de mobilité durable proposant des véhicules innovants et leurs vecteurs d’énergie durable : biométhane, HVO, hydrogène et électricité, ainsi que leurs infrastructures d’avitaillement ».

… l’offre s’élargit

Shell, lui, commercialise un GTL (Gas-To-Liquid) exempt de soufre, de métaux et d’aromatiques, dont il produit 80 000 barils par jour. Il en a lancé la commercialisation sur les marchés britannique, français, allemand et danois, en tant que produit différencié pour le transport, le bâtiment et la navigation intérieure.

 

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