
Les flottes se dirigent-elles vers des prestations d’entretien plus vertes ? Sécheresse, incendies, violents orages, grêle : l’été 2022 aura été celui de toutes les calamités météorologiques. On pourrait alors s’attendre à une prise de conscience décisive orientant les entreprises vers des comportements plus respectueux de l’environnement. Est-ce le cas ? Avec les flottes, la réponse n’est pas si claire.
Pour Anthony Ferro-Milon, responsable du marché atelier chez Norauto, l’impact est réel. « Il y a une prise de conscience depuis trois ans environ. Il suffit pour cela de lire ce qui s’écrit dans les espaces de discussion sur internet,...
Les flottes se dirigent-elles vers des prestations d’entretien plus vertes ? Sécheresse, incendies, violents orages, grêle : l’été 2022 aura été celui de toutes les calamités météorologiques. On pourrait alors s’attendre à une prise de conscience décisive orientant les entreprises vers des comportements plus respectueux de l’environnement. Est-ce le cas ? Avec les flottes, la réponse n’est pas si claire.
Pour Anthony Ferro-Milon, responsable du marché atelier chez Norauto, l’impact est réel. « Il y a une prise de conscience depuis trois ans environ. Il suffit pour cela de lire ce qui s’écrit dans les espaces de discussion sur internet, estime ce responsable. Ce qui s’est passé l’été dernier a beaucoup choqué et accentué la sensibilité sur ces sujets. » Cela se traduit-il par une demande des flottes pour des prestations d’entretien plus vertes ? Là encore, la réponse n’est pas évidente. Laurent Proust, président de BestDrive, note une évolution : « Les flottes de VL et VUL continuent de montrer un fort intérêt pour les sujets RSE. Auparavant, des dossiers étaient remplis, sans forcément se traduire par des actions concrètes. Aujourd’hui, cela commence à changer. »
Entretien vert : la RSE s’impose peu à peu dans les flottes
Stéphanie Decompois, directrice marketing et communication d’Euromaster, a un avis plus nuancé. « L’évolution n’est pas spectaculaire. Les grandes flottes nous interrogent et nous demandent comment nous nous comportons sur le plan environnemental et comment nous pouvons les aider sur ces sujets. Mais cela reste des questions d’ordre général. Et les flottes se montrent plus vigilantes sur ce qui ressort de la responsabilité sociale qu’environnementale », expose cette responsable. Concernant l’impact des catastrophes de l’été, Stéphanie Decompois juge qu’il est trop tôt pour l’évaluer : « Le monde économique met du temps à intégrer ces problématiques, c’est un mouvement de fond long. »
Pourtant, ces préoccupations commencent à être prises en compte. Comme avec l’augmentation nette des ventes de boîtiers bioéthanol, illustre Anthony Ferro-Milon pour Norauto. Ces boîtiers adaptent les voitures à essence à la consommation de bioéthanol, un biocarburant produit à partir de betteraves et de céréales, avec des émissions de CO2 jusqu’à moitié moins importantes que celles de l’essence classique. « Ce gain ne se mesure pas uniquement à l’échappement, mais de la production à l’échappement », tient à préciser Anthony Ferro-Milon. Ce produit a multiplié ses ventes par sept cette année, annonce ce responsable. Qui admet aussitôt que ces achats viennent avant tout des particuliers, en plus de quelques administrations publiques et grands groupes.
En outre, ces hausses des ventes de boîtiers bioéthanol répondent aussi, voire surtout, à des motivations d’ordre économique. Ce carburant est en effet beaucoup moins cher que l’essence pure. Or, en ces temps d’inflation énergétique, tout est bon pour trouver des pistes d’économies. Et tant mieux si l’on parvient à être plus écologique tout en réduisant les coûts.
Le bon modèle économique
Pour sa part, Point S a entrepris cette année de diminuer sa consommation énergétique pour des raisons économiques et environnementales. « Afin de baisser notre consommation d’énergie de 10 % d’ici fin 2022, nous responsabilisons tout le monde aux éco-gestes, nous faisons attention à l’éclairage, au chauffage, et à tout ce qui est énergivore, comme l’informatique », affirme Stéphane Touquet, responsable national grands comptes de Point S.
Mais dans le cadre du verdissement, la question du modèle économique reste essentielle. Et ce sujet doit s’envisager de façon globale, tant les implications d’une responsabilité environnementale sont importantes sur l’activité d’une entreprise. Les enseignes d’entretien et de réparation qui se sont lancées le savent bien : tous les compartiments de leur activité s’en sont trouvés influencés. Citons les changements de consommation d’énergie et d’eau qui modifient les comportements quotidiens des collaborateurs, ou l’adaptation de certains processus qu’il faut accompagner par des formations adéquates, sans oublier les initiatives touchant au sourcing et à la logistique.
Si un prestataire très engagé dans le respect de l’environnement décide de recourir à des produits d’entretien ou à des pièces les moins polluants possibles, toute sa démarche est donc à revoir. « Nous arrivons à ce type de sourcing grâce à nos sites de production, en France ou à l’étranger, et aussi grâce à de petits fabricants qui nous apportent des compléments de gamme », témoigne Anthony Ferro-Milon pour Norauto. Une démarche lancée en pleine crise sanitaire qui conduit l’enseigne à raisonner plus « local » et à regarder ce qui se fait en France et en Europe.
Rentabiliser les efforts
« Nous parvenons à trouver des produits pour notre gamme sous marque distributeur, poursuit Anthony Ferro-Milon. Mais il faut avoir conscience qu’il s’agit de partis pris, notamment d’accepter d’avoir moins de marges sur des produits. Par ailleurs, sourcer un produit écologique, c’est étudier tout son cycle de vie, ce qui reste complexe. En France, nous sommes aidés par la certification ». Avec aussi, en filigrane, le juste positionnement du prix : « Il faut être vigilant sur le “pricing“ : trouver des produits vertueux au même prix est difficile, reprend Anthony Ferro-Milon. C’est un vrai modèle économique à définir. »
De fait, la construction d’un modèle économique incluant le respect de l’environnement demeure un travail de longue haleine, qui se fait sur la base de paramètres très divers. Et rentabiliser ces efforts n’est pas garanti. « Des actions peuvent avoir un retour sur investissement automatique, d’autres auront un ROI très long, voire pas du tout, commente Laurent Proust. Il faut une vision à long terme, poursuit ce responsable de BestDrive. Ainsi, Continental (actionnaire principal de l’enseigne) s’est fixé l’objectif d’une neutralité carbone totale d’ici 2050. Il faut donc investir dès à présent, comme en formant nos collaborateurs à l’électrique. C’est un investissement lourd, avec un ROI faible, mais il est nécessaire pour être crédible », rappelle Laurent Proust. Qui entend travailler sur l’énergie solaire en installant des panneaux photovoltaïques. « Ce sont des investissements sur la durée. Nous lançons des pilotes dans des centres détenus en propre, avant de nous tourner vers nos franchisés », complète-t-il.
De son côté, le spécialiste du lavage Éléphant Bleu investit dans la technologie des portiques afin de recycler l’eau employée pour les lavages. Mais pour un centre relativement ancien, l’investissement se situe entre 60 000 et 100 000 euros. « C’est moins cher pour les bâtiments entièrement neufs », indique néanmoins Édouard Vienne, responsable animation réseau de l’enseigne.
Des démarches tous azimuts
Chacun définit donc ses priorités et établit le modèle économique adapté à ses objectifs. Mais il faut que la démarche soit « structurée ». C’est le terme avancé par Stéphanie Decompois, directrice marketing et communication d’Euromaster. Et c’est l’ambition de cette enseigne qui s’est attelée à une tâche importante : établir un bilan carbone, aidée en cela par sa maison-mère Michelin. « Nous avons réalisé un bilan sur plusieurs sites, pas tous, car la démarche reste lourde et coûteuse, remarque cette responsable. Et nous avons vu que notre bilan est déjà positif, proche de la neutralité. »
Cette démarche aide aussi à fixer des objectifs et à prendre les bonnes mesures. Euromaster a par exemple travaillé sur la bascule de l’ensemble des ateliers à l’éclairage aux LED, mais aussi sur la question du gâchis généré par l’usage de produits comme des compresseurs qui consomment beaucoup d’énergie, sur la sensibilisation des conducteurs à l’éco-conduite, sur l’usage de la télématique, etc. « Nous avons une grosse flotte et ces initiatives nous apprennent des choses que nous pouvons ensuite transmettre à nos clients », ajoute Stéphanie Decompois. L’enseigne Norauto a pareillement dressé un bilan carbone pour certains de ses centres.
Entretien vert dans les flottes : gare aux pièges
Une fois la démarche structurée, vient la confrontation à la réalité du terrain, avec de nombreux pièges. Car bien souvent, en voulant limiter l’impact environnemental d’une technologie ou d’un produit, on déplace le problème ou on en crée un autre. En ne consommant plus d’énergie fossile, les véhicules électriques peuvent se montrer beaucoup plus écologiques que leurs homologues thermiques. Mais leurs batteries contiennent des substances encore très difficiles à recycler ou à valoriser. Autre illustration, citée par Anthony Ferro-Milon pour Norauto, les AdBlue destinés aux moteurs diesel et qui transforment les substances polluantes en vapeur d’eau. « Ces additifs génèrent d’autres problèmes, comme la cristallisation des injecteurs, avec des pannes très coûteuses à réparer », tempère-t-il.
Dans un modèle idéal, un nombre croissant d’enseignes sont amenées à réfléchir à l’économie circulaire. L’objectif : favoriser le réemploi en donnant une seconde vie à de nombreux éléments d’entretien automobile, et donc réduire le gaspillage des ressources. D’abord parce que la réglementation invite les enseignes à s’y mettre. La loi anti-gaspillage, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, a en effet prévu un calendrier échelonné pour habituer petit à petit les acteurs du monde économique à utiliser les pièces de réemploi. Mais dans le monde automobile, cette réglementation reste encore relativement peu contraignante, compte tenu de la difficulté à former une véritable filière autour de ce concept. Des enseignes s’y mettent pourtant, à l’image d’A+Glass qui a signé un accord avec Opisto, spécialiste français des pièces d’occasion.
« Il est important de commencer cette démarche rapidement, même si le marché n’est pas encore tout à fait prêt, explique Marie-Pierre Tanuji de Jongh, présidente du directoire d’A+Glass. Les pièces de réemploi touchent pour l’instant plutôt les particuliers au pouvoir d’achat limité, et les flottes se montrent moins intéressées. »
Vers l’économie circulaire
De plus, de nombreux freins existent. À commencer par le fait que ces pièces concernent surtout la mécanique lourde, comme l’observe Laurent Proust de BestDrive : « Or, notre cœur de métier reste l’entretien rapide. » Il y a bien le marché du rechapage des pneus, mais il couvre surtout les poids lourds et le secteur des transports routiers, « toujours en avance sur ces sujets environnementaux », selon Stéphanie Decompois pour Euromaster. Il faut aussi tenir compte de l’état d’esprit des manufacturiers et des clients. L’offre des premiers « reste très orientée catalogue, rappelle Stéphane Touquet pour Point S. Et par ailleurs, si l’on voit apparaître la demande en pneus rechapés dans des appels d’offres, les clients ont encore du mal à considérer ces pneus comme des neufs », résume ce responsable. De fait, bien que parfaitement adaptés aux poids lourds, les pneus rechapés pour VL et VUL présentent encore quelques difficultés techniques, d’après certains prestataires. Ce qui empêche la mise en œuvre d’une véritable économie circulaire sur ce marché.

S’évaluer par la certification…
Pour s’adapter aux contraintes liées au respect de l’environnement, des entreprises misent sur les labels et certifications. Ces labels font donc office de preuves destinées aux flottes qui attendent des garanties de leurs prestataires, souvent dans le cadre d’appels d’offres et plus largement d’une démarche RSE. Mais ces dispositifs constituent aussi un moyen indispensable pour s’évaluer. D’autant que ces labels et certifications sont attribués pour une durée donnée, d’où la nécessité de les renouveler régulièrement.
La première norme importante, et la seule existante à l’échelle internationale, demeure l’ISO 26000 apparue en 2010. Cette norme ne donne pas lieu à une certification, contrairement à d’autres normes ISO, mais elle aide un organisme public ou privé à structurer son action autour des problématiques liées à la RSE, l’environnement n’étant que l’un des thèmes abordés par l’ISO 26000. Cette norme sert aussi, entre autres, à la démarche d’Ecovadis, organisme spécialisé dans la notation de la RSE, avec 75 000 entreprises évaluées de par le monde. En France, A+Glass et Carglass ont obtenu ce label qui leur a permis de structurer leurs actions.
Il existe aussi des certifications purement hexagonales, comme celle de l’association Eco Entretien, soutenue par des organismes publics tels que l’Ademe et le ministère de la Transition écologique et solidaire. Cette certification est conçue pour le secteur automobile, tout comme le label Enseigne Responsable, délivré par le collectif Génération Responsable, émanation de l’industrie automobile (Mobilians en est l’un des fondateurs) et de la grande distribution.
Euromaster a décroché pour la deuxième fois ce label, « prouvant les gros progrès accomplis en un an », note Stéphanie Decompois. Norauto et BestDrive l’ont aussi obtenu. « La tête de réseau s’est engagée, précise Laurent Proust pour BestDrive, mais les franchisés, eux, gardent la liberté de se certifier ou pas. Mais nous bénéficions ainsi d’une feuille de route claire. »
… et les labels
Laurent Proust évoque aussi les difficultés qu’il y a à gérer, sur ce sujet de l’environnement, un réseau composé pour une bonne part de franchisés. « Il y a des écarts de consommation que nous essayons de comprendre ; l’état des bâtiments peut apporter une explication », éclaire-t-il. Laurent Proust en tire aussi une façon « douce » de procéder : il a par exemple lancé une initiative liée à l’éco-conduite. « Cette action non coercitive a abouti à une baisse de la consommation de 7 % en quatre mois, illustre-t-il. Je crois beaucoup à l’appel aux initiatives, et à l’importance de ne pas forcer les choses d’en haut. »