
Fayat Énergie Services est symbolique de l’intérêt nouveau des entreprises françaises pour la mobilité douce. Forte de 4 936 salariés pour une flotte de 1 600 véhicules, cette division ingénierie du groupe de BTP Fayat a mis en test son forfait mobilités durables en 2021, avant de le généraliser à l’ensemble de ses salariés en 2022. Dans le même temps, elle a proposé aux titulaires de voitures de fonction un crédit mobilité.
FMD et CM : les avantages
« Je conseille vraiment aux gestionnaires de flotte de se lancer dans cette aventure, estime Damien Corviole, le directeur achats et patrimoine de Fayat Énergie Services. C’est intéressant...
Fayat Énergie Services est symbolique de l’intérêt nouveau des entreprises françaises pour la mobilité douce. Forte de 4 936 salariés pour une flotte de 1 600 véhicules, cette division ingénierie du groupe de BTP Fayat a mis en test son forfait mobilités durables en 2021, avant de le généraliser à l’ensemble de ses salariés en 2022. Dans le même temps, elle a proposé aux titulaires de voitures de fonction un crédit mobilité.
FMD et CM : les avantages
« Je conseille vraiment aux gestionnaires de flotte de se lancer dans cette aventure, estime Damien Corviole, le directeur achats et patrimoine de Fayat Énergie Services. C’est intéressant pour les collaborateurs. Cela donne une bonne image de l’entreprise, tant sur l’aspect social que sociétal. Et quand on analyse les coûts, cela ne revient pas plus cher que gérer une flotte », avance ce responsable. Damien Corviole souligne aussi que cette démarche peut générer des économies et a minima endiguer la hausse du TCO du parc. « C’est l’argument que j’ai mis en avant lors de la présentation de cette politique à la direction. En outre, cela contribue à l’attractivité de notre société et à la fidélisation des collaborateurs », conclut ce responsable.

Des gestionnaires de flotte vont plus loin. « Cela m’a aussi permis d’élargir mon périmètre professionnel, glisse, mezza voce, un professionnel qui préfère garder l’anonymat. Depuis le lancement de ces politiques de mobilité, ma visibilité dans l’entreprise s’est accrue. »
Pas étonnant alors que le marché de ces solutions de mobilité douce soit en pleine croissance. Le rapprochement capitalistique entre Skipr France, qui commercialise le « titre resto » de la mobilité, et des mastodontes comme ALD Automotive et Sodexo, s’en veut une des meilleures preuves. « Le FMD constitue le sujet du moment et le CM représente une alternative à la voiture de fonction, résume Jan de Lobkowicz, le directeur de Skipr France. Notre nombre de clients est ainsi passé de 80 en 2021 à 300 en 2022, porté principalement par le FMD ».
Une forte demande
Un constat d’autant plus marquant que ces « techniques » étaient encore confidentielles il n’y a pas trois ans. « Je note un véritable engouement de mes clients pour les mobilités durables », avance Denis Guillardeau, président de CG Mobilité (Conseiller Gestion), un fleeter qui propose aussi des audits de parc et du conseil RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) en misant sur des mobilités alternatives.
« Ceci précisé, les salariés se montrent plus réticents. C’est un peu “ma ‘bagnole’ de fonction contre ma planète”. Mais cela évolue depuis fin 2022 avec un début 2023 où l’on nous sollicite. Aujourd’hui, je dois régler le problème pour hier », reprend Denis Guillardeau. Alors qu’en 2021, les clients expliquaient que cela pouvait attendre…
« Les entreprises veulent remplacer, dans un court délai, leurs voitures de fonction par le CM, ajoute Daniel Vassallucci, dirigeant d’Optimum Corporation, spécialiste en gestion de flotte et en conseil en mobilité durable. Et cela s’accélère. En janvier 2023, nous avons répondu à trois importants appels d’offres pour une mise en place de CM. C’est un sujet que l’on ne peut plus laisser de côté même s’il reste plus difficile pour les populations de plus de 45 ans. Mais les plus jeunes poussent et ils consomment les trajets autrement. Ils ne se montrent plus intéressés par une voiture de fonction qui reste 90 % de son temps sur un parking », pointe ce responsable.
Poser les bases
Pour passer au forfait mobilités durables et au crédit mobilité, les spécialistes préconisent, tout d’abord, de définir la stratégie de son entreprise. Développer la mobilité douce doit-elle avoir pour buts de décarboner sa flotte, réduire ce parc ou attirer de nouveaux salariés ? Pour obtenir une réponse à ces questions, il est important de se réunir et de discuter avec toutes les composantes de l’entreprise : gestion de flotte bien sûr, mais aussi achats, RH, RSE. Et évidemment la direction générale qui doit être le moteur et l’instigatrice du projet. Car la mobilité douce à un coût. Pour le FMD, il faudra tabler sur 300 à 800 euros par an et par salarié. Quand l’entreprise compte 1 000 salariés, cela fait un budget.
Financer pour le plus grand nombre
L’intérêt des mobilités douces est par définition multiple. Mais le principal argument reste d’ouvrir le recours au déplacement décarboné à l’ensemble des salariés d’une entreprise. C’est la politique que mène Christel Padilla, responsable des RH pour le spécialiste des services numériques (ESN) Talent Business Solutions. Cette société d’ingénieurs informatiques salarie quelque 120 collaborateurs de 35 ans en moyenne, et s’appuie sur un parc de 85 voitures de fonction. Talent Business Solutions vient de convertir ses équipes à la mobilité douce avec des vélos de fonction, et réfléchit à une offre de FMD.
Le FMD pour tous les salariés…
Car ce FMD se veut aussi un excellent outil pour proposer une mobilité subventionnée à tous les salariés. Selon la deuxième édition du baromètre Forfait Mobilités Durables de juin 2022, « 38 % des employeurs du secteur privé interrogés déclarent avoir déployé le FMD au sein de leur organisation, soit une progression de 12 points par rapport à 2021. » Il y a un an, au premier trimestre 2022, près de 80 % des employeurs sondés avaient connaissance du FMD et 40 % des organisations envisageaient de le déployer.
C’est le cas de la société Fayat Énergie Services évoquée au début de cet article. Depuis fin 2022, l’ensemble des salariés ne disposant pas de véhicules de fonction est concerné. Il suffit alors – c’est déclaratif –, de préciser le nombre de kilomètres parcourus et de faire appel à une mobilité douce pour recevoir de bons d’achat à employer dans des enseignes spécialisées. Les enthousiastes ont été ravis de recevoir ces bons d’achat ; d’autres en ont profité pour changer leurs habitudes et venir à leur travail en vélo ou à pied. Pour mémoire, Fayat Énergie Services rassemble 4 936 salariés et gère 1 600 véhicules.
… ou le CM total ou partiel
Le crédit mobilité constitue aussi une bonne manière de développer la mobilité douce en entreprise. Un employeur du secteur de l’ingénierie a ainsi lancé cette politique en 2022. Pour cette entreprise qui reste anonyme, il s’agit de proposer, aux titulaires de voitures de fonction, de bénéficier d’une somme d’argent pour remplacer tout ou partie de ce véhicule. Le salarié peut alors utiliser le CM pour régler l’ensemble des mobilités douces, avion non compris. La somme atteint, pour le CM total, 8 000 euros par an pour un salarié qui accepte d’abandonner une Peugeot 3008 de fonction dont le TCO annuel atteint 13 010 euros – ce gestionnaire de flotte est précis. La différence de 5 010 euros se décompose en 150 euros de frais de pilotage, 3 600 euros de charges sociales et 1 260 euros de marge pour l’employeur.
Mais cette société d’ingénierie mise aussi sur des CM partiels aux salariés qui veulent rouler au volant d’une voiture de fonction moins énergivore. Quelqu’un souhaitant, par exemple, changer de catégorie de voiture en passant de D à C, percevra pour cela un CM partiel de 1 200 euros. S’il passe de D à A, il sautera trois catégories et percevra 3 x 1 200 euros, soit 3 600 euros. S’il opte pour l’électrique, il recevra un CM partiel de 1 200 euros en plus. Ce qui couvre trois semaines de location courte durée pour les vacances, les transports en commun, des billets de train pour les week-ends, des achats ou des locations de très beaux vélos…
Décarboner en renforçant le pouvoir d’achat
Les causes de cette très forte progression des nouvelles mobilités sont nombreuses. Tout d’abord, les car policies « douces » contribuent à atteindre les objectifs de décarbonation fixés par l’accord de Paris pour 2030. « Notre principal but reste de limiter notre empreinte carbone, commente anonymement la directrice RSE d’un grand groupe de conseil. Nous avons comme ambition de faire reculer de moitié nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Notre politique de mobilité nous y aidera. » Ce grand groupe a de fait lancé, fin 2022, le CM à destination de ses 2 000 salariés titulaires d’une voiture de fonction. Avec 6 000 euros prévus pour les salariés qui y renoncent totalement, et 1 000 euros pour ceux qui y renoncent très partiellement. Le groupe offre aussi, à la totalité des 5 000 salariés sans voiture de fonction, un FMD de 500 euros par an et par salarié.
Marque employeur…
Thierry Cosme, directeur général de RoadMate, avance d’autres explications à la place grandissante des nouvelles mobilités. Son entreprise commercialise depuis 2019 une solution-carte de paiement pour diminuer l’empreinte carbone d’une entreprise à travers les avantages salariaux de la mobilité durable. « Notre croissance tient principalement à la volonté de nos clients d’améliorer leur marque employeur. Nous avons grandi sur fond de fin de covid, de hausse du prix de l’essence et de soucis de pouvoir d’achat. En finançant la mobilité douce, les employeurs fidélisent leurs équipes. Ils montrent aussi leur engagement éco-responsable en s’appuyant sur une analyse fine des baisses d’émissions de gaz carbonique, baisses dues à l’utilisation de transports durables », expose Thierry Cosme.
… et pouvoir d’achat « vert »
Ces FMD et autres CM contribuent donc à renforcer le pouvoir d’achat de salariés malmené par une inflation qui atteindrait, selon l’Insee, les 5,5 % entre juin 2022 et juin 2023. « Passer au FMD donne la possibilité d’offrir des avantages financiers significatifs pour nos collaborateurs, confirme la directrice RSE évoquée précédemment. Cela contribue aussi à améliorer notre marque employeur en injectant plus de flexibilité dans les modes de transport proposés à nos salariés : prendre la voiture quand il fait froid ou un mixte train-vélo quand il fait meilleur. »
« Ces mobilités douces contribuent aussi à accroître, chez nos clients, le pouvoir d’achat des salariés », appuie Denis Saada, président de Betterway, l’une des solutions de gestion de la mobilité présente sur le marché. Avec son passe-carte de crédit, les salariés peuvent ainsi dépenser les allocations de mobilité prévues par leur employeur. « Et c’est du pouvoir d’achat “vert” qui amène les collaborateurs à financer des mobilités vertueuses », argumente Denis Saada. Conséquence : entre début 2022 et mars 2023, le nombre de porteurs de la carte Betterway a été multiplié par quarante.
Ensuite, il y a la peur du gendarme avec notamment l’obligation légale, pour les employeurs de plus de cinquante salariés, de mettre sur pied un plan de mobilité entreprise (PDME). L’occasion (imposée) fait alors le larron.
Une question de QVT
Enfin, ces politiques de mobilité douce influent grandement sur la qualité de vie au travail (QVT) en favorisant une activité physique d’environ trente à soixante minutes par jour. « La pratique du vélo dans les trajets domicile-travail améliore la santé des “vélotaffeurs”, avance OIivier Issaly, président de Zenride, une société qui équipe les salariés de ses clients en vélos de fonction. C’est l’une des raisons pour lesquelles les clients viennent nous voir. Ils savent aussi que leur marque employeur en sortira renforcée, avec une fidélisation accrue pour des employés qui utilisent ces vélos deux fois par jour, sur une location d’au moins trois ans. » Et cela pour 30 euros par mois à payer par le salarié, et environ 50 euros pour l’entreprise, réduction fiscale incluse pour des vélos neufs, entretenus, assurés, dotés d’un casque-gilet et avec une formation à la mise en selle. Dans ce secteur, Zenride louait 1 000 vélos en 2021, 3 000 en 2022 et table sur 9 000 en 2023.

Bien étudier la fiscalité
Dans cette volonté, vertueuse, de décarboner les flottes et d’améliorer le pouvoir d’achat de leurs troupes, les entreprises rencontrent toutefois quelques difficultés. La principale tient à la question fiscale. Le CM, par exemple, doit-il être vu un avantage en nature (AEN) ou comme un salaire ? Des sociétés se couvrent en envoyant un rescrit social à l’Urssaf pour lui demander de trancher. Pour mémoire, selon l’Urssaf, « le rescrit social est un dispositif permettant d’obtenir une décision explicite de recouvrement sur l’application, à une situation précise, de la réglementation. L’absence de décision à l’issue du délai de trois mois interdit à l’organisme de recouvrement tout redressement de cotisations fondé sur le point de législation faisant l’objet de la demande. »
CM et rescrit social
C’est la technique employée par une société qui préfère ne pas être citée. « J’ai envoyé ce rescrit à l’Urssaf, précise le gestionnaire de flotte. Nous avons considéré le CM comme un AEN fiscalisé à 12 %. Mais c’est un frein car si je dois passer en salaire ce CM de 10 000 euros, ce n’est plus du tout la même chose… » C’est pourquoi les plus prudents voient ce CM comme un salaire. C’est la préconisation du loueur ALD Automotive France. « C’est celle que nous conseillent nos fiscalistes, explique William Ithier, le directeur Business Développement d’ALD. Comme ce CM n’est pas réglementé pour le traitement fiscal, nous partons du principe qu’un euro versé sous forme de CM est à prendre comme un euro de salaire versé au collaborateur, avec les charges qui y affèrent. » Pour clarifier la situation, le monde de la mobilité essaie de convaincre les pouvoirs publics de statuer sur le régime fiscal du CM. Et beaucoup regardent du côté de la Belgique où le CM est défiscalisé totalement, à raison d’un maximum de 2 000 euros employés pour acheter de la mobilité douce.
FMD et NAO
Pour le FMD, les freins demeurent moins importants. Ainsi, l’obligation de passer par les négociations annuelles obligatoires (NAO) ralentit la mise en place de ce dispositif. In fine, les employeurs vont s’y mettre et certains redoutent déjà des abus. C’est le cas du fleeter et conseil Denis Guillardeau, de CG Mobilité : « Avec tous ces systèmes de CM associés à de l’autopartage, je redoute, et c’est arrivé, que des salariés indélicats acceptent le CM et emploient les voitures partagées simultanément… J’en informe déjà mes clients : il faut se prémunir contre ces débordements », avertit-il. À bon entendeur…
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