
En matière de prévention routière, les entreprises ont des demandes précises en fonction de l’activité de leurs salariés, résume d’emblée Olivier Duvert, président de l’organisme de formation Nouvelle Route. Pour un commercial, la formation insistera par exemple sur la gestion de la fatigue et l’usage du téléphone. Pour un livreur, on mettra plutôt en avant le stress et la vitesse, alors que pour un conducteur exerçant dans l’aide à la personne, on mettra l’accent sur la notion de retard », décrit ce prestataire Cette attente des entreprises pour des cursus de prévention routière plus ciblés tend à s’affirmer aujourd’hui. Et les organismes...
En matière de prévention routière, les entreprises ont des demandes précises en fonction de l’activité de leurs salariés, résume d’emblée Olivier Duvert, président de l’organisme de formation Nouvelle Route. Pour un commercial, la formation insistera par exemple sur la gestion de la fatigue et l’usage du téléphone. Pour un livreur, on mettra plutôt en avant le stress et la vitesse, alors que pour un conducteur exerçant dans l’aide à la personne, on mettra l’accent sur la notion de retard », décrit ce prestataire Cette attente des entreprises pour des cursus de prévention routière plus ciblés tend à s’affirmer aujourd’hui. Et les organismes spécialisés y répondent avec des formations ad hoc qui s’éloignent de plus en plus des stages collectifs de conduite sur circuit.
Cibler les formations
Des formations sur circuit qui pourraient bien avoir les effets inverses de ceux escomptés. « C’est vrai avec les risques liés à la maîtrise de la conduite pour le freinage d’urgence ou l’évitement. Ainsi, le travail sur le contrôle du véhicule lors d’une perte d’adhérence peut avoir tendance à accroître, chez certains conducteurs, l’illusion de maîtriser leur véhicule. Au final, ces conducteurs peuvent même se montrer plus accidentogènes », prévient Patrick Clemens, directeur national du développement du département prévention chez le prestataire ECF (École de Conduite Française).
De façon générale, ce sont les discussions autour de la formation, entre l’entreprise cliente et le prestataire spécialisé, qui amènent à orienter la nature des futurs stages des salariés. Mais souvent, en amont, les entreprises ont identifié les personnels à risque et la nature des risques auxquels ils s’exposent. Pour parvenir à ce résultat, la rédaction du document unique (D.U.) demeure bien souvent un levier efficace.
Cela a été le cas pour les conducteurs du centre social La Pépinière à La Charité-sur-Loire (58), pour lequel la rédaction du D.U. a aidé à analyser les besoins en formation routière, avec à la clé la détermination du contenu d’un cursus. « Rédiger ce D.U. a fait ressortir l’importance de la formation autour du transport des usagers », souligne Tony Chardon, directeur adjoint de cet espace socioculturel. Dans ce centre qui se consacre à l’animation sociale d’un territoire semi-rural de quatorze communes à l’ouest de Bourges, la flotte se compose de quatre véhicules.
« Lors de la rédaction du D.U. en 2020, il est apparu que nos agents sont quasi quotidiennement au contact de passagers qu’ils doivent gérer dans leurs véhicules : enfants, personnes âgées, etc. », relève Tony Chardon. Et ces agents ne sont pas formés au transport de personnes. Plus récemment, l’intégration d’un véhicule aménagé, destiné aux prestations de France Services sur le territoire, a également poussé la structure à mettre en place une formation spécifique des personnels. Pour mémoire, le dispositif France services vise à accompagner les administrés dans différentes démarches du quotidien, (impôts, carte grise, retraite, etc.). Actuellement, plus de 2 600 points France services sont proposés dans l’Hexagone.
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Identifier les risques
Chez le spécialiste de la fourniture de bureau Bruneau, l’élément déclencheur de la formation repose en partie sur une analyse des risques menée par les équipes sécurité de l’entreprise. « Ces équipes sécurité suivent la sinistralité et les constats de sinistres ; elles ont aussi connaissance de situations à risque qui peuvent faire l’objet de remontées par nos équipes », détaille Matthieu Modard, responsable distribution petit matériel pour ce fournituriste. Sur la base de ces éléments, les besoins des équipes opérationnelles sont identifiés « et nous nous concertons avec le pôle ressources humaines pour la recherche d’un partenaire qui puisse répondre à nos attentes de formation », reprend Matthieu Modard. L’organisme Nouvelle Route a ainsi été retenu après la sortie du covid-19 et Bruneau a lancé en 2022 une formation pour l’ensemble de ces personnels roulants, soit 80 conducteurs. Au menu : la maîtrise des règles du comportement routier sécuritaire et l’identification des situations accidentogènes (météo, travaux, adhérence, etc.).
Tenir compte des alertes
Chez le fabricant de solutions de levage Manitowoc, à la tête d’un parc d’environ 200 véhicules, le renforcement des mesures de prévention du risque routier remonte à une dizaine d’années. Une initiative notamment motivée à l’époque par plusieurs « alertes ». « Si nous n’avons jamais eu d’accidents très graves, quelques indicateurs nous ont amenés à regarder de plus près la question de la sécurité routière des conducteurs. Il s’agissait en l’occurrence du nombre d’amendes pour de grosses infractions routières, et d’un accident important, mais sans conséquences graves pour le conducteur », relate Noël Carret, responsable environnement de travail et HSE.
Traductions des entorses faites au Code de la route, ces amendes ont eu pour bénéfice de servir de levier aux mesures de prévention définies par Manitowoc. « L’ensemble des collaborateurs ont été informés que les grosses infractions donneraient lieu à une convocation par les services des ressources humaines », complète Noël Carret. Ces convocations ont contribué en interne à montrer aux salariés la volonté de la direction de s’engager plus fermement dans la sécurité routière. Un premier pas alors que jusqu’ici, même certains cadres dirigeants ne considéraient pas le respect du Code de la route comme une priorité. La désignation des auteurs d’infractions par l’entreprise depuis 2017 a ensuite contribué à accélérer la prise de conscience des salariés sur la nécessité de respecter les obligations légales sur la route, rappelle Noël Carret.
Si des entreprises orientent leurs salariés vers des formations spécifiques, d’autres peuvent aussi choisir de n’orienter qu’une partie d’entre eux vers un type particulier de formation. C’est le cas du spécialiste de l’audit et de la certification Bureau Veritas qui forme prioritairement ses « gros rouleurs », soient des salariés qui dépassent les 40 000 km annuels sur la route. La flotte de Bureau Veritas comprend près de 5 000 véhicules.
Conducteurs et risque professionnel au volant : les causes des accidents

Des démarches ciblées ou élargies
Mais ces entreprises n’en négligent pas moins de sensibiliser l’ensemble de leurs salariés à la sécurité routière : ceux qui effectuent des trajets de mission comme ceux qui effectuent des trajets domicile-travail. Ce « tronc commun » prend plusieurs formes : depuis les campagnes d’affichage aux causeries sécurité qui englobent la question de la prévention au risque routier. Bureau Veritas intègre ainsi la question du risque routier dans les échanges réguliers en interne sur le thème plus large de la sécurité au travail.
« Nous tenons plusieurs fois par an des causeries sécurité sur plusieurs sujets dont la sécurité routière, illustre Benoît Pasut, directeur QSSE Operating Group France Afrique de Bureau Veritas. Nous déployons aussi des campagnes sécurité animées par les managers. Ces campagnes durent 45 minutes et reposent entre autres sur la projection de vidéos. Nous y traitons différents risques dont le risque routier. » La sensibilisation du plus grand nombre à la sécurité routière passe aussi, chez Bureau Veritas, par la diffusion d’e-mails sur ce thème. « Ils servent de flashs de rappel à l’ensemble des salariés en fonction de l’actualité des accidents subis par les véhicules du parc. Dans ces flashs, nous revenons sur les causes de l’accident et sur les actions correctives à mettre en place pour éviter sa récurrence », décrit Benoît Pasut. Ces e-mails évoquent donc des situations de danger dans lesquelles ont pu se retrouver les conducteurs de l’entreprise sur la route, sans pour autant avoir subi d’accident.
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Les chartes conducteur
Autre document à mettre en avant sur cette question du risque routier : les chartes conducteur diffusées en interne au sein des entreprises. « Nous y rappelons des règles basiques de l’utilisation du véhicule : avoir son permis à jour, mettre sa ceinture de sécurité, avoir une bonne hygiène de vie, prendre garde aux dangers du téléphone au volant, etc. », énumère Sébastien Feys, responsable transport de Prolaidis, un grossiste en produits alimentaires à la tête d’une soixantaine de véhicules.
Chez Manitowoc, la charte de fonctionnement, récemment réécrite, rappelle aussi des règles de base : « faire signer son ordre de mission, disposer d’un permis valide, préparer son trajet ou éviter de se rendre à une réunion si on peut la faire par vidéoconférence », expose Noël Carret. En soulignant que cette charte est signée chaque année par les conducteurs comme piqûre de rappel. À noter que ces règles sont aussi transmises aux nouveaux arrivants dans l’entreprise lors de l’accueil sécurité.
Plus largement, la crise sanitaire, les augmentations des tarifs des carburants et des véhicules, et le nécessaire verdissement des flottes contribuent aussi à redistribuer les cartes de la sécurité routière. Partant du principe que le trajet le moins risqué, mais aussi le moins coûteux et le moins polluant, reste celui que l’on ne fait pas. Le recours à la visioconférence est donc par exemple encouragé chez Manitowoc. Et lorsque les déplacements restent indispensables, ceux-ci sont encadrés par la charte de fonctionnement interne décrite ci-dessus, qui rappelle les règles d’utilisation des véhicules de l’entreprise.
Réfléchir à l’organisation
Parmi ces règles chez Manitowoc, il y a celle d’inclure le temps de déplacement dans la journée de travail. « Nous sensibilisons les managers à la nécessaire prise en compte du temps de déplacement dans les missions. Et nous continuons à nous assurer que les personnes ne rentrent pas chez elles et restent dormir à l’hôtel si le temps de trajet est trop important dans une journée », signale Noël Carret. En rappelant aussi que pour les trajets intersites, la charte de Manitowoc donne désormais la priorité au covoiturage.
Dans les cas de livraisons ou de missions de dépannage, à défaut de pouvoir substituer les visioconférences ou le covoiturage aux déplacements, l’optimisation des tournées s’impose comme un levier de sécurité routière. « Nous avons développé en interne un outil pour une meilleure planification des tournées et nous allons y recourir pour limiter le temps de conduite des collaborateurs », avance sur ce point Benoît Pasut chez Bureau Veritas.
Cette prise en compte globale de la sécurité routière est d’ailleurs plébiscitée par les prestataires spécialisés. « Les campagnes de prévention dans les entreprises restent de fait trop souvent axées sur le conducteur aux dépens d’une appréhension plus globale du risque routier », déplore Patrick Clemens, directeur national du développement du département prévention chez ECF. Et ce responsable de citer l’exemple de la sensibilisation aux risques liés à la consommation d’alcool. Si ce sujet reste, à juste titre, un incontournable de la prévention du risque routier en entreprise, son importance doit néanmoins être relativisée.
Une approche globale…
« L’alcool est engagé dans 1 % des accidents mortels de poids lourds, 12 % de ceux de VUL et 19 % de ceux de VP », rappelle Patrick Clemens. Aussi, plutôt que d’axer uniquement les formations sur des thèmes de prévention qui insistent sur les défaillances du conducteur (alcool, drogue, fatigue, compétences de conduite, etc.), ce formateur met l’accent sur l’importance d’aborder le risque routier par le biais du prisme de l’organisation même de l’entreprise. « La prévention du risque routier représente un projet global, insiste Patrick Clemens. Elle passe aussi par une analyse des trajets des conducteurs, l’organisation des tournées, des communications, etc. »
Une approche globale qui amène les entreprises à reconsidérer l’analyse de l’accidentologie de leur flotte. « Chez Prolaidis, nous pensions que les accidents étaient plutôt dus à des causes liées à l’inattention ou à la précipitation. Mais avec notre organisme de formation, nous nous sommes rendu compte qu’il était important de prendre en compte d’autres facteurs comme la fatigue, l’hygiène de vie, tout particulièrement dans notre domaine d’activité où nous prenons nos postes tôt le matin », se remémore Sébastien Feys.
… et évolutive
Et si le dispositif mis en place doit s’adapter à la situation spécifique de l’entreprise, il ne doit pas pour autant rester figé. Pour maintenir les conducteurs en alerte, il reste nécessaire de renouveler régulièrement les thèmes de sensibilisation et d’en varier la nature. Chez Bureau Veritas, malgré la baisse de la sinistralité constatée depuis quatre à cinq ans, la prévention du risque « demeure un combat qui n’est jamais gagné. Un accident peut toujours se produire et être très grave, confirme Benoît Pasut. C’est la raison pour laquelle nous renforçons sans cesse nos mesures de prévention et que nous réfléchissons à ce qu’il est possible de faire en plus. » Récemment, Bureau Veritas a ainsi signé la charte des « sept engagements pour une route plus sûre », mise en avant auprès des entreprises par la Délégation interministérielle à la sécurité routière. Un document qui rappelle les règles de conduite essentielles mais aussi l’implication de l’entreprise dans leur déploiement.
Dossier - Sécurité routière : des actions de terrain
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