
« Pour une seule voiture, compter environ 400 à 450 lignes de facture annuelles », estime d’emblée Philippe de Crouy Chanel, fondateur de Fleet Gestion, spécialiste du fleet management. Une quantité de données qui devient colossale quand on la multiplie par le nombre de véhicules du parc, « sans parler des données en provenance de la télématique embarquée », complète ce responsable.
Certes, pour recueillir ces données, l’utilisation des logiciels de gestion se répand, facilitant la tâche du responsable de parc : « Face à cette masse d’informations, il faut un outil capable de ressortir des informations consolidées : consommation de carburant,...
« Pour une seule voiture, compter environ 400 à 450 lignes de facture annuelles », estime d’emblée Philippe de Crouy Chanel, fondateur de Fleet Gestion, spécialiste du fleet management. Une quantité de données qui devient colossale quand on la multiplie par le nombre de véhicules du parc, « sans parler des données en provenance de la télématique embarquée », complète ce responsable.
Certes, pour recueillir ces données, l’utilisation des logiciels de gestion se répand, facilitant la tâche du responsable de parc : « Face à cette masse d’informations, il faut un outil capable de ressortir des informations consolidées : consommation de carburant, analyse des déplacements, coûts de restitution, de location, etc. », énumère Édouard Rance, président du fleeter ERCG.
Chez le spécialiste de la publicité urbaine JCDecaux, dont la flotte compte environ 2 200 véhicules, avec 1 500 VU dont 1 300 en LLD et 500 VP tous en LLD, c’est le logiciel Winflotte qui réalise cette « consolidation » des données. Il est utilisé au siège comme dans les 17 directions régionales qui l’emploient pour transmettre les données liées à leur parc.
La difficile collecte des données
« Toutes les informations sur les prises de carburant sont directement communiquées à l’outil de gestion. Nous mettons systématiquement sur la fiche véhicule l’ensemble des éléments qui peuvent nous intéresser : PV de livraison, tout ce qui concerne la vie du véhicule en réparations, maintenance, entretien, etc. Avec l’historique, nous pouvons ensuite retracer l’ensemble des événements », détaille Mathieu Charpentier, directeur de la flotte automobile de JCDecaux (voir le témoignage).
Reste que si les logiciels demeurent incontournables pour suivre la plupart des parcs, ils n’apportent pas de solution miracle en matière de recueil des informations. Plusieurs écueils peuvent en effet venir gripper cette collecte qui permet au gestionnaire de disposer de tous les éléments indispensables à son travail.
Première difficulté, d’ordre technique mais bien réelle, notamment pour les fleeters : les obstacles à la collecte automatisée des données des fournisseurs. En cause : des formats des fichiers aléatoires, qui rendent parfois inopérants les transferts de données des prestataires opérant sur la flotte.
« Si le fichier n’est pas systématiquement identique, nous ne pouvons pas extraire les informations nécessaires, explique Philippe de Crouy Chanel. Il faut par exemple que la date se trouve toujours au même emplacement. Nous pouvons perdre beaucoup de temps à retraiter un fichier ou à demander aux fournisseurs d’envoyer le fichier que nous attendons. »
Autre difficulté : affecter les dépenses dues à une voiture à une entité précise dans l’entreprise et à un conducteur. Une tâche pourtant cruciale : « Les données les plus importantes sont celles des ressources humaines », résume Édouard Rance pour ERCG. Grâce aux informations de la base de données RH, les « affectations analytiques » deviennent possibles : le gestionnaire peut attribuer les coûts d’un véhicule à un centre de paiement. Mais la tâche est ardue : dans un groupe, il peut y avoir plusieurs sociétés et dans chaque société, plusieurs régions, départements, ainsi que des agences, et dans chacune des agences, des centres de coûts. Ce qui ne fait que multiplier les points d’entrée pour le responsable de flotte.
Un objectif : identifier le conducteur
Pour le gestionnaire de parc, ces bases de données RH sont aussi centrales pour identifier le conducteur et disposer des informations indispensables à son sujet : ses coordonnées personnelles ou professionnelles, son adresse e-mail, son numéro de téléphone, etc. « Lorsque l’on doit envoyer les pochettes de livraison des voitures, cela ne se fait pas systématiquement à l’adresse professionnelle », relève Édouard Rance.
« Nous n’avons pas vraiment de difficulté pour suivre les attributions des voitures, constate pour sa part Mathieu Charpentier chez JCDecaux. À la direction de la flotte automobile, nous sommes en relation étroite avec l’ensemble des autres directions de la société, en particulier les RH. Lors de changements d’affectation du véhicule, de région, etc., les utilisateurs doivent respecter des procédures : informer leur hiérarchie qui informe à son tour le gestionnaire de parc local, c’est-à-dire le directeur technique ou son assistante », rapporte Mathieu Charpentier.
Autre défi de taille pour le responsable de parc : obtenir de manière régulière et fiable les kilométrages des véhicules. Là encore, ces données constituent une base fondamentale pour la gestion : inutile donc d’employer un logiciel, aussi sophistiqué soit-il, s’il n’est pas alimenté régulièrement par les kilométrages.
« Un gestionnaire de parc sans relevés kilométriques fiables et fréquents est en ‘‘grande souffrance’’, plaisante à peine Maxime Sartorius, président du fleeter Direct Fleet. Avant de parler des coûts, l’essentiel, une fois réunies les données du parc (véhicules, contrats, collaborateurs, etc.), c’est d’alimenter a minima le logiciel avec des relevés kilométriques. »
Les limites de la gestion en mode Excel
Pour obtenir ces informations, les procédures diffèrent selon la taille et la nature des flottes. Pour les parcs les plus réduits, l’envoi d’e-mails peut être une solution. Elle demeure toutefois laborieuse à mettre en place avec des flottes plus importantes. Et de toute façon peu efficace pour la gestion : « Quand le responsable envoie des e-mails pour obtenir des relevés kilométriques, il reçoit des réponses qu’il transfère dans un fichier Excel où les nouvelles données écrasent chaque mois les anciennes, déplore Maxime Sartorius. Il n’y a donc plus d’historique de kilométrage et pas de vision dynamique de la consommation. »
De petites entreprises s’approprient également des outils collaboratifs comme Google Drive afin de centraliser sur un document les relevés de l’ensemble des conducteurs. D’autres entreprises, bien plus nombreuses, s’appuient sur les cartes carburant pour véhiculer l’information du relevé kilométrique.
C’est le cas du laboratoire pharmaceutique Daiichi-Sankyo France SAS qui recense 250 véhicules de fonction en LLD auprès de trois loueurs. Les relevés sont réalisés sur la base des retraits effectués avec la carte carburant : « Notre outil de gestion permet d’envoyer des e-mails afin que les relevés kilométriques soient mis à jour lorsqu’ils nous paraissent incohérents. L’outil intègre ces mises à jour automatiquement. Si cela devait se faire manuellement et mensuellement, cette opération serait très lourde », note Caroline Scherschel-Lindé, coordinatrice achat et flotte automobile au département achat de l’entreprise. « Les relevés kilométriques les plus fiables restent ceux réalisés par des professionnels : c’est-à-dire quand les collaborateurs se déplacent au garage pour les entretiens périodiques. Mais cela ne suffit pas bien entendu. Et ces relevés ne sont pas automatiques, il faut les demander aux loueurs », reprend Caroline Scherschel-Lindé.
Aller à la source de l’information
La fiabilité de ces données demeure pourtant indispensable pour connaître le montant d’un poste de dépenses comme le carburant dont il est inutile de rappeler ici l’importance. Non seulement parce que le carburant pèse lourd dans le coût du parc, mais surtout parce que l’information sur le kilométrage représente une source déterminante d’informations sur la flotte.
« Avec les cartes carburant, on peut noter de grosses incohérences sur les relevés kilométriques. On peut aussi voir si un conducteur a pris un nouveau véhicule. Le relevé kilométrique, ce sont les yeux et les oreilles du gestionnaire de parc. Il peut donc être intéressant de payer plus cher en passant par un pétrolier plutôt que de laisser les conducteurs libres de régler leurs frais de carburant à la pompe d’un supermarché ou d’un centre “low cost“ », insiste Maxime Sartorius. Mais avec la limite de la taille de l’entreprise : « Ce second fonctionnement ne pose pas de problème en dessous de dix véhicules. Mais la situation se complique lorsque le parc grandit sur l’ensemble du territoire », complète-t-il.
Plus de prestataires = plus de données
Si la récolte en interne des données nécessaires à la gestion du parc demande une attention spécifique, c’est aussi vrai de celles recueillies auprès des prestataires, toujours plus nombreux à participer à la vie des flottes.
Dans une quête d’économies, nombre d’entreprises choisissent en effet de revoir leurs contrats de location pour traiter les prestations avec des enseignes spécialisées. Une démarche souvent avisée, source de gains et de nouveaux outils de gestion. « Avec notre outil, nous obtenons plus de détails et nous décelons un certain nombre d’anomalies de surconsommation ou d’utilisation inappropriée au regard de la procédure automobile définie dans l’entreprise. Et nous croisons ces informations avec celles transmises par les prestataires », indique Caroline Scherschel-Lindé pour Daiichi-Sankyo.
Reste que si faire appel aux prestataires offre de disposer d’outils de gestion efficaces avec des économies à la clé, cela entraîne aussi une augmentation du nombre des données à traiter. « Avec les assureurs, pour les rappels de prime d’assurance en début d’année, nous recevons un fichier Excel avec la demande d’y intégrer le parc automobile, et de renvoyer ce document mi-novembre. À la suite de quoi l’assureur retourne un tableau avec des cartes vertes et des primes », illustre Maxime Sartorius.
Mêmes processus laborieux pour la gestion des informations des cartes carburant : il faut aller sur l’extranet du fournisseur, sortir le fichier des consommations, des transactions, le déposer dans l’outil de gestion de parc. Tout cela reste du travail manuel.
Des fleeters pour gérer les données ?
Pour les entreprises qui font appel à des fleeters, l’impact sur le volume de données à traiter demeure moindre. « Notre logique est d’organiser la concurrence entre les fournisseurs en place chez le client et parfois avec de nouveaux entrants pour baisser les coûts, détaille Philippe de Crouy Chanel qui défend son métier. Mais il ne faut pas que cela apporte un surcroît de travail à l’entreprise. En tant que fleeter, nous traitons les factures afin d’envoyer un export comptable qui puisse s’intégrer automatiquement au logiciel de comptabilité, sans que cela génère plus de travail. » C’est bien ce qui se passe chez Daiichi-Sankyo : « L’utilisation d’un outil de gestion facilite aussi le recueil des informations de facturation auprès de nos prestataires. Les interfaçages sont réalisés par le biais de l’outil. Les prestataires envoient la facturation fichier et papier à notre prestataire de gestion de flotte qui les intègre, effectue un pré-contrôle et nous adresse ensuite un fichier unique de facturation à implanter dans l’outil comptable. Ainsi, nous contrôlons les factures sans avoir à effectuer préalablement de saisie », explique Caroline Scherschel-Lindé.
Néanmoins, avec la multiplication des prestataires, le recueil des données ne se fait pas toujours aussi fluide. « Des frais peuvent disparaître de la zone radar, commente Maxime Sartorius. Comme au sein des entreprises qui décident de ne pas mettre les pneus chez les loueurs, un poste qui peut constituer jusqu’à 4 % du TCO. Constat semblable pour le bris de glace quand l’entreprise décide qu’il n’est plus pris en charge par le courtier d’assurance. »
Sont alors mises en cause les dépenses laissées à la responsabilité du conducteur et qui ne sont pas remontées auprès du gestionnaire de flotte. « Lorsque les entreprises décident de sortir les prestations du contrat-cadre, nous essayons toujours de les pousser à en signer un nouveau avec le prestataire qui proposera d’envoyer les données », conseille Maxime Sartorius.
Organiser la circulation de l’information
À défaut, la culture d’entreprise, avec les processus d’échange et de validation établis entre les échelons hiérarchiques, peut prendre le relais (voir l’encadré). « Chez JCDecaux, la pratique de l’achat par le passé nous a amenés à tout connaître sur la flotte et nous avons conservé cette démarche », relève à ce propos Mathieu Charpentier.
La perte d’informations sur les dépenses, liée au manque de retours sur les prestations, peut-elle être dommageable au point d’obérer les bénéfices envisagés par le recours aux prestataires ? Pour Maxime Sartorius en tout cas, il est indispensable de ne pas négliger le poids économique de ce défaut d’informations sur ces dépenses « orphelines » : « À chaque présentation annuelle des coûts de leur flotte aux entreprises, nous indiquons le pourcentage de données que nous avons pu consolider sur le parc », souligne-t-il.
Et si des améliorations peuvent être apportées en interne pour ces remontées d’informations, d’autres sont également envisageables du côté des prestataires. « Avec le recueil de données, il y a toujours des optimisations possibles, estime Caroline Scherschel-Lindé pour Daiichi-Sankyo. Il serait ainsi intéressant d’avoir plus de données sur l’état général des véhicules que nous ne voyons pas au quotidien ou sur leurs pneus. »
Un seul outil pour toutes les données
Autre piste pour fluidifier la circulation des données : la possibilité de faire appel à un outil unique pour croiser les informations des prestataires. « Dans la gestion de flotte, on parle d’un seul véhicule avec un coût unique mais dont on a connaissance avec plusieurs outils éclatés, pointe Mathieu Charpentier qui énumère pour le parc de JCDecaux : Mix Telematics pour les remontées d’informations de la télématique embarquée, Winflotte pour la gestion du parc, SAP pour la facturation et d’autres outils comme l’application Mechanics pour notre garage. »
Pour le représentant de JCDecaux, la gestion pourrait être facilitée par l’utilisation d’un outil capable non seulement de centraliser les coûts épars de la flotte, mais aussi d’en donner un récapitulatif dans le temps. « Globaliser rapidement les coûts épars sur des périodes de trois à cinq ans pour des postes différents (entretien, coûts de réparation, de restitution, du loyer réel), cela reste une gymnastique qui n’est pas si évidente pour l’instant », nuance toutefois ce responsable.
Cette attente pour un outil de synthèse des données est légitime, estime Maxime Sartorius qui anticipe des solutions de cette nature pour la gestion de flotte de demain : « Le responsable de parc va bénéficier de plus en plus de sources de données, de tous les horizons. L’enjeu sera alors de trouver la plate-forme qui accueillera l’ensemble des données disponibles. »
La gestion de flotte se métamorphose
Des solutions existent d’ores et déjà, comme les API, pour Application Programming Interfaces ou interfaces de programmation, qui évitent les interventions manuelles : « L’entreprise pourra connecter son application standard avec ses fournisseurs via des API, et aspirer automatiquement toutes les données. Cela va chambouler le métier de gestionnaire de parc », anticipe Maxime Sartorius. Pas toutefois au point de s’y substituer, note-t-il : il restera une coordination humaine très forte à assurer. Pour le gestionnaire, il faudra toujours posséder une vraie fibre d’analyse, se doter d’outils informatiques, les relier avec ses fournisseurs et derrière se concentrer sur sa valeur ajoutée : car policy, choix des loueurs, des constructeurs, etc. De nouvelles perspectives pour le responsable de parc du futur.