
« L’organisation des flottes ? Quel bazar ! » Quand cet expert en management décrit les organisations qui prévalent avec les flottes, il ne peut s’empêcher de soupirer. « Je préfère garder l’anonymat sur ce sujet, poursuit-il. Mais la gestion de flotte souffre d’un manque clair de gouvernance. En matière de voitures, chacun à son “idée“ et beaucoup veulent s’en occuper. Le service RH car cela touche à la rémunération des salariés. Les achats et la finance puisqu’un véhicule coûte 12 000 euros par an. L’informatique avec les logiciels embarqués veut aussi mettre son grain de sel, tout comme les services généraux », déplore cet expert. Conclusion ...
« L’organisation des flottes ? Quel bazar ! » Quand cet expert en management décrit les organisations qui prévalent avec les flottes, il ne peut s’empêcher de soupirer. « Je préfère garder l’anonymat sur ce sujet, poursuit-il. Mais la gestion de flotte souffre d’un manque clair de gouvernance. En matière de voitures, chacun à son “idée“ et beaucoup veulent s’en occuper. Le service RH car cela touche à la rémunération des salariés. Les achats et la finance puisqu’un véhicule coûte 12 000 euros par an. L’informatique avec les logiciels embarqués veut aussi mettre son grain de sel, tout comme les services généraux », déplore cet expert. Conclusion : les responsables de parc, seuls vrais spécialistes de la question, sont ballotés entre différents dirigeants. « Avec un corollaire : tout le monde s’occupe de gestion de flotte, personne n’en est vraiment responsable », conclut-il.
Les fondamentaux
Pour résumer les enjeux, le formateur et consultant Robert Maubé du cabinet RRMC préfère, lui, évoquer des flottes bien organisées. Avec comme condition de respecter deux fondamentaux : « Une flotte doit tout d’abord disposer d’une gouvernance clairement définie : qui en est responsable ? Puis d’une organisation opérationnelle : qui s’occupe de quoi ? », rappelle-t-il. Problème : les dirigeants ont souvent du mal à considérer la voiture comme un outil de travail comme un autre. « La maîtrise des coûts n’est donc pas toujours à la hauteur de ce qui est préconisé pour les autres achats… En quinze ans de carrière, je n’ai connu qu’un seul client capable de me dire, compte audité certifiant son analyse à l’appui, combien il avait dépensé, une année donnée, pour sa flotte », complète Robert Maubé.

Une autre difficulté tient aussi à la méconnaissance des modes d’organisation, alors qu’à l’opposé cette connaissance aide à prendre le recul nécessaire pour bien administrer. « Pour mettre en œuvre une démarche visant à l’excellence, il faut en revenir aux “basiques“ », assure Jean-Louis Arosio, coach et consultant en excellence opérationnelle, associé du cabinet de conseil Cohésion International et auteur Du Lean à l’excellence opérationnelle (Maxima, 2020). Soit donc se poser la question fondamentale : comment adapter l’organisation pour répondre aux besoins des clients en interne comme en externe ? « Le client doit dicter sa façon de travailler. Cela posé, restera à définir le but à atteindre dans les cinq ans. Ce peut être le verdissement de sa flotte. Il restera ensuite à entraîner ses collaborateurs dans cette politique pour en faire des acteurs de cette excellence opérationnelle », ajoute Jean-Louis Arosio.
1. Une gouvernance clairement définie
La question de la gouvernance se pose très rapidement pour un responsable de parc : « Je demande en vain de savoir qui est mon supérieur hiérarchique, se plaint une gestionnaire qui préfère ne pas être nommée. On se retrouve aujourd’hui en pleine réorganisation et personne ne répond à cette question… » Impossible alors de gérer au mieux un service. Pour Robert Maubé, le pourcentage d’entreprises au clair de qui décide de la politique liée à la flotte ne dépasse les 25 %.
Des appuis pour le gestionnaire
En outre, les principes d’une saine gestion sont aussi à respecter. « Avant une quelconque organisation, il faut s’assurer d’avoir “bordé“ la qualité de l’information disponible », pointe Marie-Hélène Benarouch, consultante et associée du cabinet DB Consulting spécialisé en achat de mobilité opérationnelle. Si les données d’un loueur ne sont pas identiques à celles du responsable de parc, il y a incapacité à gérer. « Ensuite, il est impératif de s’appuyer sur une car policy que tout le monde doit connaître. Enfin, le gestionnaire doit pouvoir se reposer sur un “sponsor“. Et plus ce dernier est haut placé dans la hiérarchie, mieux c’est et moins la car policy sera remise en cause », souligne-t-elle.

Il est donc essentiel de bénéficier « d’appuis ». C’est le cas de Catherine Dutang, gestionnaire de la flotte de 150 véhicules de l’équipementier automobile Jtekt Europe. « Mon supérieur hiérarchique est le vice-président. En parallèle, je suis son assistante de direction. Le circuit d’information est donc plus rapide. La direction générale a aussi une très bonne visibilité de ce qui se passe dans la flotte. Cela me permet de mieux travailler avec les RH ou les achats. Cela “assoit“ ma fonction car si j’ai besoin d’une validation, je l’obtiens rapidement », expose cette responsable.
Mais les lignes hiérarchiques ne sont pas toujours aussi claires. Pour les gestionnaires de flotte, l’important sera donc d’éduquer leurs dirigeants. De les pousser à clarifier l’organigramme, à trancher, voire à faire des choix parfois douloureux. Pas facile et très délicat… Pourtant, une argumentation est possible et doit débuter par des faits quantifiables. En moyenne, en France, une flotte à destination des commerciaux par exemple, coûte, tout compris en TCO, quelque 12 000 euros par an et par voiture. Cela mérite qu’un spécialiste se penche sur la question.
Ensuite, il faudra mettre en avant la transition énergétique. Avec la loi d’orientation des mobilités (LOM) et la réglementation CAFE (Corportate Average Fuel Economy) qui oblige à diminuer les émissions de CO2, ce TCO va considérablement s’alourdir dans les prochaines années. « Cette augmentation sera de l’ordre de 30 % si rien n’est fait, estime Robert Maubé. Conclusion : Si la flotte me coûte 12 millions d’euros en 2021, ce montant sera de l’ordre de 16 millions en 2025. » Poser le problème de cette façon devrait offrir des arguments sonnants et trébuchants pour convaincre les directions de l’importance d’avoir un pilote dans l’avion. Car une bonne gestion pourrait aussi contribuer à abaisser le TCO par véhicule de 5 à 15 % par an en fonction du « courage managérial » de l’entreprise.
2. Une organisation opérationnelle
La question de la gouvernance réglée, reste à définir le mode organisationnel. Deux situations prévalent : la flotte centralisée ou celle décentralisée avec, entre les deux, des arrangements multiples.
La flotte centralisée
La centralisation convient au plus grand nombre. Un gestionnaire organise alors la flotte en un point central, que les véhicules soient disséminés ou non dans l’Hexagone, que les engins soient attribués ou non à un salarié, qu’ils soient ou non en pool. Cela peut correspondre avec le siège social où va se gérer la partie commerciale, le renouvellement et la maintenance du parc. C’est aussi à cet endroit que se définit la car policy et que se nouent les relations entre services généraux ou achats. Le tout peut s’organiser suivant le mode managérial à privilégier de l’amélioration continue.

« Nous vivons dans un monde en perpétuelle et rapide évolution, explicite Éric Delavallée, consultant et dirigeant du cabinet IM Conseil, enseignant à l’IAE de Paris et auteur de L’Organisation en mouvement : adopter le changement permanent (IM Editions, 2020). L’organisation d’un service n’est pas achevé qu’elle est déjà à changer. Conclusion : l’organisation d’une entreprise n’est jamais stable. Je prône donc un processus de changement permanent. » Ce qui suppose, pour ce consultant, « de fonctionner plus en préventif qu’en curatif » avec des plages de discussions régulières, une fois par trimestre par exemple, pour évoquer les problèmes et les régler au fil de l’eau.
Paris et Lyon
Cette politique est celle de la ville de Paris dont la flotte suit les principes des normes Iso, à la fois centralisée et en amélioration continue (voir le témoignage). La ville de Lyon suit aussi cette politique. Elle est même en phase de centralisation des services. « Nous avons un rôle de conseil auprès des directions opérationnelles qui gèrent les espaces verts, les bâtiments, la sécurité de la ville », décrit Sébastien Bouchet, nouveau directeur de la logistique garage festivités (LGF). Cet ingénieur de 42 ans gère 785 véhicules et environ 800 vélos avec l’aide d’une équipe de 60 salariés.
« Chaque année, nous définissons ensemble les besoins des différents services. Nous réfléchissons avec eux sur l’utilité d’un véhicule, à quoi il va servir pour déterminer s’il peut être passé en électrique. Nous bâtissons ensuite un cahier des charges pour construire un plan de déplacement et de remplacement des véhicules. Notre processus centralisé est aujourd’hui opérationnel et nous sommes “mûrs“ pour la certification. Nous pouvons donc développer un management de la qualité, de l’amélioration continue, avec comme possibilité d’intégrer la flotte dans les services généraux. Le tout doit se faire avec l’implication des agents, dans la concertation », rappelle Sébastien Bouchet.
La flotte semi-centralisée

Mais une gestion de flotte peut se compliquer lorsqu’elle est partagée entre plusieurs entités. Il faut alors développer une organisation avec deux piliers : une partie administrative et commerciale au siège – il s’agit alors d’une gestion centralisée – et une maintenance technique assurée par un relais local et donc décentralisée. C’est l’organisation de la flotte d’Orange, soit 17 000 véhicules dont 1 000 de fonction et 4 000 en autopartage.
« Notre organisation se calque sur celle d’Orange, débute Patrick Martinoli, directeur délégué des projets innovation pour la flotte et les mobilités. Une direction centralise la gestion de la flotte à partir du siège parisien et nous déléguons à environ 80 correspondants locaux l’intendance, la maintenance, les relations avec les conducteurs ou le suivi jusqu’au renouvellement au jour le jour des véhicules. Cela prend donc la forme d’une organisation centralisée avec des délégations régionales. » L’objectif : que chaque entité d’Orange soit responsable de la gestion de ses véhicules, le tout encadré par une politique de groupe pour « homogénéiser » la flotte.
« Nous pouvons donc négocier au mieux avec les constructeurs ou les loueurs. Pour que le tout fonctionne de façon optimale, nous coiffons toutes ces décisions par l’utilisation d’un logiciel de gestion. Avec cet outil, nous bénéficions en central de mesures précises de tous les TCO réels de tous nos véhicules, un à un. Et nous pouvons vérifier en permanence que le TCO théorique d’un véhicule correspond bien à son TCO réel », poursuit Patrick Martinoli.

Alain Teig, président de l’association Echomobility qui regroupe une vingtaine de gestionnaires de flotte en Auvergne-Rhône-Alpes, préconise aussi cette organisation. « L’important est de centraliser l’achat et la gestion de sa flotte pour éviter les incohérences dans le choix des fournisseurs que chaque business unit pourrait faire, précise-t-il. Cela aide aussi à mieux suivre les contrats, à optimiser les coûts pour, in fine, proposer une stratégie de qualité à l’ensemble de l’entreprise », conclut-il.
La gestion décentralisée

Une gestion décentralisée a aussi ses défenseurs. Dont Bruno Renard, coordonnateur de la RSE du CEA Grenoble et en charge de la gestion des 130 véhicules. « Notre organisation vise à responsabiliser le plus possible les conducteurs et le référent local, résume-t-il. Nous décentralisons donc la gestion de la flotte le plus possible, tout en gardant la main en central : une forme de délégation intégrale mais encadrée. Nous sommes ainsi le plus efficace possible. »
Quand un problème survient, il est alors réglé en local. « Cela évite en outre les coûts d’une trop forte centralisation avec leur corollaire de salaires en doublon entre le centre et la périphérie. Mais ce ne sont pas ces économies salariales qui nous ont guidés. Nous avons décentralisé pour disposer d’une flotte maintenue à un niveau optimal dans un cadre qui permet des rappels à l’ordre en cas de dysfonctionnement. Nous avons donc une forme de consensus où les salariés emploient les voitures de l’entreprise en en prenant soin comme si c’était la leur », se réjouit Bruno Renard. À suivre.
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