
« Le TCO, tout le monde en parle, personne ne le pratique vraiment », assène d’entrée de jeu Robert Maubé, conseil en gestion de flotte et directeur du cabinet RRMC. Pour qui le vrai TCO moyen tourne autour de 1 000 euros par mois pour une flotte commerciale standard, avec des modèles compacts parcourant de 40 à 50 000 km/an. « Or, neuf entreprises sur dix ne le connaissent pas et ne disposent pas des outils informatiques pour consolider l’ensemble des données de leur flotte », poursuit le consultant.
« Le TCO est un élément de langage qui couvre des acceptions très différentes, je retrouve autant de TCO que de clients », ironise Maxime Sartorius, président de Direct Fleet, spécialiste indépendant de la gestion de flotte.
Si le TCO est considéré comme l’alpha et l’oméga d’une gestion de parc efficace et rationnelle, cette approche est en effet abordée différemment selon l’organisation et l’histoire de l’entreprise. Des gestionnaires – à l’image de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir – emploient le TCO sans le nommer. C’est par exemple le cas de nombreuses collectivités territoriales.
La partie émergée de l’iceberg des coûts
« Aujourd’hui, nous n’avons pas encore mis en place l’approche TCO mais nous avons mené des actions ciblées sur toute la palette de coûts », témoigne Guillaume Itier, directeur du matériel et des travaux du conseil départemental de l’Hérault, à la tête de plusieurs milliers de véhicules (voir le témoignage).
D’autres font leur marché dans les composantes diverses de ce coût total de possession, focalisant leurs actions sur les postes prioritaires. Et les scenarii possibles se font alors multiples, pour un concept pourtant jugé fédérateur et unique…
« Nous réalisons le calcul du TCO sur certains véhicules mais nous n’y recourons pas encore sur l’ensemble de la flotte », rapporte ainsi Bernard Falcou, de GRTgaz. Pour le gestionnaire du réseau de transport de gaz, ce responsable du département véhicules au sein de la direction achats approvisionnements logistique suit notamment les 1 220 véhicules légers du parc.
De son côté, Bernard Fourniou, président de l’Observatoire du véhicule d’entreprise (OVE, Arval), défend son métier, la location longue durée : « Adoptée par 66 % des flottes des entreprises françaises, elle a généralisé l’approche du TCO qui englobe l’ensemble des coûts d’usage et apporte un outil d’aide à la décision complet et objectif aux gestionnaires dans le choix de leur car policy. »
Encore faut-il que ces coûts d’usage soient cernés et appréhendés correctement. « Souvent, le TCO utilisé ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. Surtout, cet indicateur est loin d’être figé puisque ses composantes fonctionnent en vases communicants : dès qu’un paramètre change, l’équilibre global en est bouleversé », pointe Robert Maubé pour RRMC.
« Le problème avec une voiture, c’est qu’elle bouge, contrairement à un photocopieur. Et en roulant, fatalement, elle génère des coûts », reprend, non sans humour, le consultant. En moyenne, un véhicule d’entreprise parcourt 30 000 km par an, soit 80 km par jour. Cela implique pratiquement un acte quotidien entre les péages, les amendes, l’entretien, le carburant, etc. Et cela reviendrait à 200 actes comptables par an pour chaque véhicule !
Le TCO, une notion par définition mouvante
Autre difficulté liée à ce TCO : « Sa gestion est un sujet extrêmement transverse qui nécessite de faire parler les achats avec la DRH et les services généraux, sans oublier l’implication de la direction générale », résume Maxime Sartorius pour Direct Fleet.
« Notre volonté d’optimiser le TCO se conjugue avec la nécessité de maintenir la motivation des collaborateurs », confirme Jérôme Dutrey, directeur des achats indirects de BDR Thermea. Chez ce spécialiste du chauffage qui s’appuie sur 1 200 véhicules dont 400 en France, la direction générale s’est impliquée dans la refondation de la car policy entamée en 2013 (voir le témoignage).
Cette transversalité, qui impose de tisser des compromis entre plusieurs services, suppose aussi pour corollaire l’imbrication de multiples interlocuteurs, voire leur télescopage… Pas facile dès lors d’obtenir une vision globale recoupée sur tous les postes et d’agréger toutes les données disséminées dans les tuyaux de systèmes d’information hétérogènes (voir l’encadré).
Le TCO s’impose en mode transversal
Surtout que les organisations changent au fil de la vie parfois houleuse des entreprises : fusions-acquisitions, recentrages stratégiques, changements de direction et de méthodes de travail affectent les configurations de certains périmètres. Et la gestion de la flotte n’est pas épargnée par ces moments de flottement où les décisions se figent ou au contraire s’accélèrent.
Illustration avec Fayat. À la tête d’environ 4 000 véhicules dont un peu plus de la moitié d’utilitaires, ce groupe du BTP gère en achat 60 % de son parc et le reste en LLD. Une hétérogénéité due aux pratiques historiques des entités rachetées par le groupe qui a bâti sa progression grâce à une politique soutenue de croissance externe. « L’autonomie est l’une des valeurs fondatrices de Fayat, chaque filiale garde donc une grande latitude de gestion de son parc, tout en étant incitée à profiter de la politique d’achat centralisée de Fayat », décrit Pierre-Yves Kapfer, acheteur contrats-cadres groupe. Pour les achats, nous fonctionnons par groupes de travail thématiques comprenant un panel représentatif des plus importantes filiales » (voir le témoignage).
Mais la situation peut parfois être plus compliquée. « De grands groupes ayant récemment fait l’objet de plans de restructurations ont parfois créé des situations chaotiques dans la gestion de la flotte, dommage collatéral souvent sous-estimé par les meneurs de réorganisation, fait remarquer maxime Sartorius pour Direct Fleet.
Le consultant poursuit : « En séparant les directions opérationnelles et les directions fonctionnelles avec la création de centres de services partagés (CSP), ces entreprises perdent la vision globale de la gestion de leur flotte, les composantes du TCO se retrouvant ballotées entre les services RH, la direction financière et les opérationnels. Une voiture est un objet très concret qu’on ne peut désincarner par une vision comptable réductrice ! »
Le TCM, réalité ou concept marketing ?
Et la situation pourrait bien se compliquer à l’avenir car au-delà du TCO, le TCM, son cousin plus « branché », commence à se faire une place dans les conversations, faute de s’imposer dans les pratiques.
« Le TCM est un concept encore émergent qui se décline dans des politiques de gestion de flotte très localisées, et se cantonne essentiellement, pour le moment, à la création de solutions d’autopartage, analyse Bernard Fourniou, pour l’OVE. Or, cette réflexion globale sur les trajets des collaborateurs offre comme principal intérêt de rapprocher divers coûts jusqu’ici éparpillés (billets d’avion, taxis, location de deux-roues, coût de stationnement des visiteurs, etc.) et de déclencher des changements de comportement structurants pour les organisations. »
Le scandale récent provoqué par la facture pharaonique de frais de taxis laissée par Agnès Saal lors de sa présidence du Centre Pompidou et de l’INA donne un aperçu des dérives potentielles d’une politique trop ouverte sur les déplacements…
Même si dans les entreprises, les politiques généralisées de « cost killing » ont abonné nombre de cadres dirigeants aux compagnies aériennes « low cost » et aux rendez-vous d’affaires sur Skype, ces initiatives restent parcellaires et pas forcément pensées dans une politique globale de mobilité.
« Par rapport à certains de nos voisins d’Europe du Nord notamment, le TCM manque de maturité dans les entreprises françaises, constate Bernard Fourniou. L’établissement de forfaits mobilité globaux au sein d’entreprises pionnières déclenche d’ailleurs des questionnements face au traitement fiscal de ces pratiques innovantes. »
Le TCM ou la mobilité à repenser
Outre l’inertie du contexte législatif et fiscal, les entreprises qui veulent impulser ces changements se heurtent aussi aux résistances en interne, et à celles de leur écosystème qui n’est pas toujours constitué que de start-ups parisiennes.
« Au-delà de la gestion du TCO, nous menons une réflexion plus globale sur l’organisation de la mobilité de nos collaborateurs et le nombre de kilomètres parcourus par an, témoigne Jérôme Dutrey, pour BDR Thermea. 50 000 km par an représente 130 journées de 8 heures, c’est énorme comme source de fatigue et de perte de productivité pour les collaborateurs. Mais cette réflexion est encore balbutiante dans la mesure où notre secteur d’activité reste attaché à la relation personnelle avec ses fournisseurs. »
« Concrètement, le TCM est encore au stade de discours des dirigeants d’entreprise qui veulent se donner un air de modernité en instaurant le co-voiturage et l’autopartage, ajoute Maxime Sartorius pour Direct Fleet. Dans les faits, ces usages restent anecdotiques. »
Pourtant, une étude de Frost & Sullivan estime que le nombre de véhicules partagés dans les entreprises européennes devrait passer de 1 900 en 2013 à 85 000 en 2020. Les évolutions sociétales qui remplacent l’économie de possession par l’économie de partage devraient participer à cette mutation à mesure aussi que la génération Y succède aux baby-boomers dans les entreprises et comme utilisateurs des flottes…
Dossier - TCO : la théorie et la pratique
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