
Le verdissement des flottes représente le principal levier actionné par les entreprises pour faire un pas vers une mobilité plus décarbonée. Et 2021 marque un tournant.
« L’électrique et surtout l’hybride rechargeable bénéficient depuis le début de l’année d’un véritable engouement en raison de l’augmentation des émissions théoriques de CO2 liée à l’entrée en vigueur du WLTP, de la hausse des taxes et donc du TCO. La loi d’orientation des mobilités (LOM) pousse à trouver des alternatives au thermique avec l’obligation dès 2022 – sans sanctions prévues pour le moment – de choisir des véhicules à faibles émissions, à hauteur de 10 % des...
Le verdissement des flottes représente le principal levier actionné par les entreprises pour faire un pas vers une mobilité plus décarbonée. Et 2021 marque un tournant.
« L’électrique et surtout l’hybride rechargeable bénéficient depuis le début de l’année d’un véritable engouement en raison de l’augmentation des émissions théoriques de CO2 liée à l’entrée en vigueur du WLTP, de la hausse des taxes et donc du TCO. La loi d’orientation des mobilités (LOM) pousse à trouver des alternatives au thermique avec l’obligation dès 2022 – sans sanctions prévues pour le moment – de choisir des véhicules à faibles émissions, à hauteur de 10 % des renouvellements au sein des flottes de plus de 100 véhicules », analyse Marc Jaubert, consultant senior du cabinet de conseil Ayming.
« Le véhicule professionnel, ajoute-t-il, pèse 50 % des ventes de véhicules neufs et une grande part du marché de l’occasion. Les entreprises ont donc une responsabilité dans le développement des véhicules propres. »
Entre LOM et ZFE-m
« Les flottes sont aussi de plus en plus concernées par la mise en place des ZFE-m (zones à faibles émissions-mobilité). En outre, une sensibilité au développement durable et à la nécessité de baisser les émissions émerge avec le développement des stratégies RSE », souligne François Gatineau, président de Mobileese, spécialiste des projets de mobilité électrique.
Selon ce dernier, pour réussir le passage à une mobilité plus décarbonée, « il faut dépasser l’idée du simple coût pour raisonner en tant qu’investissement. Ce nouvel état d’esprit est souvent l’occasion de revoir l’ensemble de la politique énergétique, par exemple en installant des ombrières photovoltaïques sur les parkings, lesquelles fournissent l’électricité nécessaire pour les véhicules, voire approvisionnent une partie du site. En actionnant l’ensemble des leviers, en modifiant les usages, en optimisant les véhicules, en formant les collaborateurs à la recharge, etc., on arrive parfois à réduire de 20 % les coûts liés la mobilité », avance François Gatineau.
Cette évolution vers des flottes plus vertes peut aussi être soutenue par les conducteurs. « Notre statut d’“entreprise à mission“, un statut issu de la loi Pacte, et notre population de collaborateurs, des jeunes de 29 ans en moyenne, nous incitent à réfléchir sur des modes de déplacement plus doux. A Paris, nous avons des demandes de vélos électriques. Nous réfléchissons à mettre des vélos en libre-service pour ceux qui restent dans les bureaux et nous comptons aussi proposer deux ou trois véhicules électriques en autopartage à Toulouse », expose Loïc-Marie Péquignot, dirigeant de Bugbusters, un spécialiste du déploiement de solutions numériques.
Des directions impliquées
Mais dans la grande majorité des cas de figure, l’impulsion vient de la direction. « La volonté de la direction générale a un effet d’entraînement et les équipes suivent, estime Théophane Courau, président du fleeteur Fatec. Et il vaut mieux décarboner de sa propre initiative que d’attendre d’y être contraint. C’est positif et cela se passe nettement mieux. »
Chez LVMH, la baisse des émissions des 195 véhicules de la flotte fait partie d’un programme global de développement durable, Life 360, et les émissions de CO2 par véhicule sont passées de 140 g en 2016 à 99 g fin 2020. « Ces émissions ont globalement reculé de 30 % alors que le parc s’est accru de 40 % », se félicite Grégory Rouca, responsable des services généraux de la holding de ce spécialiste du luxe (voir le témoignage).
La démarche n’est pas très différente au sein du groupe chimique et pharmaceutique Bayer. « Les renouvellements en véhicules verts constitue un engagement fort, au-delà des contraintes de la LOM. Nous avons identifié un potentiel de véhicules électriques et hybrides de l’ordre de 30 % dont 5 % pour l’électrique. Nous sommes assurés de dépasser les 10 % de renouvellements en véhicules propres en 2022 », décrit Isabelle Bonnet, gestionnaire d’un parc de 1 000 véhicules dont 90 % de VP en France.
Des engagements environnementaux
Plus largement, Bayer se projette dans une stratégie de neutralité carbone à l’horizon 2030 ; la flotte, « soit le deuxième plus gros poste émetteur de CO2 », est donc dans le collimateur. « Nous effectuons un bilan carbone global à l’échelle du groupe tous les ans alors que la législation nous impose cet exercice tous les quatre ans. Cela permet d’avoir une bonne visibilité en termes d’émissions », note Lise Lemonnier, directrice de la communication de Bayer (voir le témoignage).
Dans ce contexte, les règles liées aux déplacements sont clairement définies chez Bayer. La politique voyages spécifie que « le train est obligatoire en métropole pour tous les trajets de moins de 3 h 30. Au-delà, l’avion est autorisé », indique Lise Lemonnier. Et remplacer la voiture par le train est également une option : « Des clients réfléchissent à interdire les déplacements routiers pour certaines distances et à rendre obligatoire le train, comme sur un Marseille-Lyon, alors que par habitude et par facilité, le collaborateur aura tendance à utiliser son véhicule. Il existe encore des commerciaux qui n’hésitent pas à prendre le volant pour un Marseille-Paris ! », s’étonne Fabien Dieu, directeur général du fleeteur Ask.
Flottes zéro émission : la piste électrique
Une simple prise de conscience du bilan carbone de la flotte pousse parfois les entreprises à sauter le pas de l’électrification, comme chez Bugbusters où Loïc-Marie Péquignot a pris la décision d’électrifier la totalité de ses 77 véhicules, accompagné par son prestataire Ask. « Je suis sensibilisé à l’électrique car l’entreprise Zeborne, installateur de bornes de recharge, faisait auparavant partie du périmètre de mon groupe. Nous avions ainsi intégré 70 véhicules électriques chez Zeborne. Chez Bugbusters, nous avons pris la décision d’électrifier, en 100 % électrique ou en PHEV, la totalité des véhicules. Ce qui devrait être bouclé dans les six mois. Cela devrait nous faire économiser 60 % des 700 t de CO2 émises chaque année », anticipe Loïc-Marie Péquignot (voir le témoignage).
Ce verdissement implique un travail en profondeur pour connaître les usages et déterminer les collaborateurs éligibles aux véhicules verts. « Il faut savoir si le collaborateur passe au siège et aura donc la possibilité de recharger, connaître son kilométrage et la typologie de ses trajets, s’il transporte des charges, si son domicile est éloigné de son lieu de travail, etc. », expose François Gatineau pour Mobileese.
Un travail en profondeur sur les usages
« On ne peut plus donner le même véhicule à deux conducteurs différents. Les véhicules ne sont plus interchangeables entre les collaborateurs », poursuit Fabien Dieu pour Ask qui privilégie la télématique « pour mieux connaître les trajets types et les usages, et sélectionner les collaborateurs éligibles, tout en favorisant l’éco-conduite. » L’enjeu : « trouver pour chaque collaborateur la solution pertinente pour les trois ans à venir. Et ce n’est pas évident », juge Marc Jaubert pour Ayming.
Lorsque les usages n’autorisent pas à passer à l’électrique en permanence, des solutions « offrent une certaine souplesse. L’entreprise peut miser sur l’autopartage avec le déploiement de véhicules électriques pour les petits trajets urbains, ou permettre à ceux qui roulent en électrique au quotidien de bénéficier d’un véhicule thermique pendant les vacances ou les week-ends », avance David Decultot, directeur conseil d’ALD Business Intelligence, le service de conseil du loueur.
Cette offre, Switch chez ALD, existe chez quasiment tous les loueurs (AlphaElectric chez Alphabet, e-Flex chez Arval, Flex 2Use chez Athlon, etc.). « Elles aident souvent à lever les réticences », confirme François Gatineau. Mais pas tous les freins, objecte Marc Jaubert : « Le salarié doit être très motivé pour accepter de se déplacer en agence, à chaque départ en vacances, pour récupérer un véhicule thermique. De plus, les véhicules, en provenance essentiellement des réseaux des loueurs courte durée, ne sont pas toujours disponibles l’été. »
La piste du crédit-mobilité
Autre piste à suivre, le crédit-mobilité (voir aussi notre dossier). « Le véhicule n’est plus qu’une composante de la mobilité et le crédit-mobilité répond à une demande toujours plus importante. D’autant que dans les nouvelles générations de collaborateurs urbains, tous n’ont pas de permis de conduire. Il est possible de supprimer la voiture de fonction ou d’attribuer un modèle plus petit, électrique par exemple, et de faire en contrepartie bénéficier le collaborateur de la catégorie supérieure dans le cadre de la politique voyages (trains en première classe, hôtels de catégorie supérieure) et de crédits-mobilité pour ses trajets personnels », expose Fabien Dieu pour Ask. Mais avec des limites : « En pratique, le crédit-mobilité se heurte encore à des incertitudes quant à la politique de l’Ursaff sur les AEN qui s’appliqueraient », avertit Marc Jaubert Jaubert pour Ayming.
Plus avant, des entreprises font même évoluer les pratiques pour faciliter l’électrification. « Il nous arrive d’adapter les processus pour que des collaborateurs deviennent éligibles à l’électrique », illustre Patrick Martinoli, directeur délégué des projets innovation pour la flotte et les mobilités chez Orange. Qui met en place un simulateur pour mieux identifier le véhicule adapté à chaque collaborateur. Et l’électrification a eu un effet positif sur les émissions du groupe : « Entre juin 2019 et avril 2021, les recharges effectuées sur nos sites ont fait économiser 416 t de CO2. Il s’agit à 99 % des véhicules de notre flotte, les salariés pouvant charger au bureau leur propre véhicule moyennant une tarification très modérée », complète ce responsable. Orange est à la tête de 17 200 véhicules dont près de 1 200 véhicules électrifiés (50 % électriques et 50 % hybrides rechargeables), et de 918 points de charge.
Repenser l’organisation
« Il ne faut pas se limiter aux pratiques actuelles, résume François Gatineau pour Mobileese. Il faut parfois trouver des solutions, changer les pratiques, optimiser les tournées. Et souvent ces évolutions sont bénéfiques pour les salariés et les entreprises car elles optimisent les déplacements et baissent les coûts. » Dans cet objectif, limiter le nombre de trajets reste le meilleur moyen de décarboner. « Tout déplacement évité constitue aussi une vraie économie », ajoute Théophane Courau pour Fatec. « Et également moins de temps perdu », souligne David Decultot pour ALD Business Intelligence.
« La mobilité décarbonée, cela va de pair avec une nouvelle façon de travailler, reprend Lise Lemonnier pour Bayer. Déjà, avant le covid-19, deux jours de télétravail étaient possibles dans l’entreprise. En moyenne, les collaborateurs en prenaient un. Avec les confinements, nous nous sommes rendu compte que de nombreuses réunions pouvaient se faire en distanciel. Il va falloir trouver un équilibre entre ce qui se pratiquait avant et le 100 % en télétravail. Même les commerciaux ont découvert que certaines visites pouvaient se remplacer par du distanciel. Cela touchera sûrement une partie de leurs missions à moyen terme », anticipe cette responsable.
L’impact du télétravail
La diminution des kilométrages et des déplacements pourrait perdurer en partie après la crise sanitaire, mais le lien de cause à effet avec une potentielle réduction du nombre de véhicules n’est pas évident. « Nous ne constatons pas de baisse du nombre de véhicules. La voiture de fonction reste un moyen d’attirer des talents et un outil des RH. Attribuer un véhicule coûte généralement moins cher qu’une augmentation salariale », rappelle Gérard de Chalonge, directeur commercial et marketing d’Athlon France.
Sans oublier les impératifs de sécurité sanitaire qui amènent à éviter les transports en commun au profit de la voiture individuelle. Selon le dernier baromètre d’Arval Mobility, les entreprises soulignent « la nécessité de fournir un moyen de déplacement sûr à leurs employés dans le contexte du covid-19 (31 %), élargissant de fait les critères d’éligibilité à un véhicule de fonction (30 % contre 17 % en 2020) ». Elles prévoient aussi « une croissance de leur activité qui requiert des voitures de fonction (59 %). »
Flottes zéro émission : aller plus loin
Pour aller plus loin, l’entreprise peut aussi compenser ses émissions en participant au financement de projets de reforestation ou de production d’énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.). « Mais la compensation carbone n’a pas vocation à se substituer au plan de baisse des émissions de l’entreprise. Elle doit venir en complément d’une politique d’électrification de la flotte, par exemple afin de compenser les émissions des véhicules qui n’auront pas pu être basculés en électrique. Ce n’est pas un droit à polluer », avertit David Decultot pour ALD Business Intelligence.
Dernier levier à actionner et pas des moindres : la formation des conducteurs. « Pour tirer le plein potentiel d’un électrique et d’un PHEV, il faut adopter une approche d’éco-conduite. Cela nécessite d’accompagner les conducteurs à l’utilisation de ces véhicules, d’autant qu’il s’agit de boîtes automatiques », précise Fabien Dieu pour Ask. Orange a ainsi dispensé des sessions d’e-learning sur le bon usage de l’électrique et du PHEV, et publié deux fiches sur l’utilisation de ces véhicules dont une sur les temps de recharge en fonction des bornes.
Le levier de la formation
Chez Lidl, qui mise sur le PHEV comme transition vers le 100 % électrique, la formation est aussi d’actualité : « Nous allons accompagner les collaborateurs avec des formations d’éco-conduite en cours d’élaboration et nous allons proposer une formation plus spécifique sur la conduite du PHEV. Nos conducteurs s’intéressent beaucoup à ces nouveaux véhicules mais avec de nombreuses questions sur l’autonomie, la recharge, etc. », expose Ousmane Mbodje, responsable du pôle mobilité en charge du fleet et du travel management de cette enseigne de distribution à la tête de 2 200 véhicules (voir le témoignage).
La démarche n’est pas très différente au sein du groupe industriel ABB. « Notre objectif est d’électrifier totalement la flotte d’ici à 2030. La pédagogie est importante car cela constitue un vrai changement pour les salariés. Outre le point individuel que je fais avec chaque conducteur intéressé par l’électrique ou le PHEV, nous avons mis en ligne l’interview d’un commercial qui roule en PHEV. Il parle du mode de conduite, de la recharge et donne quelques astuces. Nous avons aussi lancé plusieurs documents dont l’un sur les recharges », détaille Lucie Roiron, Business Partner, en charge des achats indirects et de la flotte de 450 véhicules (voir le témoignage).
À noter que cet effort de formation ne se limite pas au seul véhicule électrifié. « Bayer a prévu de lancer des formations d’éco-conduite, notamment pour ceux qui roulent encore au diesel et ne sont pas éligibles à l’électrique ou au PHEV en raison de leurs usages et du nombre important de kilomètres parcourus chaque année. Il est démontré que la réduction de la consommation peut atteindre 20 % mais cela nécessite des piqûres de rappel périodiques. Nous les ferons par rotation », indique Lise Lemonnier. Une bonne idée à suivre.
Dossier - Flotte : vers la mobilité décarbonée
- Gestion de flotte : objectif zéro émission
- Mobilité décarbonée : le PHEV, une transition ?
- Loïc-Marie Péquignot, Bugbusters : « Réduire de 60 % nos émissions de CO2 »
- Lucie Roiron, ABB France : « Un point avec chaque collaborateur qui choisit un véhicule électrifié »
- Ousmane Mbodje, Lidl : « Commencer par l’hybride rechargeable »
- Lise Lemonnier, Bayer : « Des actions pour sensibiliser les salariés »
- Grégory Rouca, LVMH : « Une flotte électrifiée pour moitié à la fin de l’année »
- Véhicules électrique en entreprise : s’équiper en bornes de recharge
- C-Cube : un challenge inter-entreprises pour le climat
- Autopartage et covoiturage : moins de véhicules, plus de mobilité
- Bruno Renard, CEA de Grenoble : « Le TCO de la flotte largement réduit avec l’autopartage »
- Vélo : la petite reine du décarboné
- Agama : le vélo de fonction sinon rien