
« Difficile de vous parler de nos relations avec les conducteurs. D’autant que nous ne sommes pas des modèles à suivre. » Ce gestionnaire d’une grande flotte du secteur public est désolé. Mais il ne souhaite pas « communiquer » sur les relations avec ses conducteurs. « De grands enfants », ajoute-t-il…
« J’ai une quinzaine de gestionnaires de flotte par session de formation. Quand j’évoque la question de la relation gestionnaire-conducteurs, les fleet managers se “déboutonnent“. Le débat est passionné et l’on s’aperçoit qu’il y a vraiment un souci. L’indiscipline règne dans l’application des règlements automobiles. La petite sinistralité est...
« Difficile de vous parler de nos relations avec les conducteurs. D’autant que nous ne sommes pas des modèles à suivre. » Ce gestionnaire d’une grande flotte du secteur public est désolé. Mais il ne souhaite pas « communiquer » sur les relations avec ses conducteurs. « De grands enfants », ajoute-t-il…
« J’ai une quinzaine de gestionnaires de flotte par session de formation. Quand j’évoque la question de la relation gestionnaire-conducteurs, les fleet managers se “déboutonnent“. Le débat est passionné et l’on s’aperçoit qu’il y a vraiment un souci. L’indiscipline règne dans l’application des règlements automobiles. La petite sinistralité est devenue endémique et les collaborateurs rendent des voitures nécessitant de frais de remise en état multiples », constate Robert Maubé, directeur du cabinet RRMC, spécialiste de la gestion des flottes d’entreprise, formateur et consultant pour Flottes Automobiles (voir aussi l’encadré ci-dessous).
Devant ces gisements potentiels d’économies, de nombreuses sociétés mettent le holà et prennent des mesures. Qui peuvent, très rapidement, faire reculer les coûts de restitution et d’assurance, mais aussi tirer vers le bas les consommations de carburant et de pneus. Pour mémoire, le poste véhicules peut constituer le deuxième ou le troisième poste des frais généraux dans une entreprise.
Avant tout, responsabiliser
Face à l’ampleur de ces coûts, un contrôleur de gestion devrait être affecté au poste « flotte », avec analyse et reporting au comité exécutif tous les ans. Ce qui reste encore rare mais des cercles vertueux se mettent en place. Et en responsabilisant les conducteurs, ces derniers s’aperçoivent que rouler dans un véhicule irréprochable est finalement très agréable pour soi comme pour l’image de son entreprise.
Pour intégrer ce cercle vertueux, cinq mesures principales sont à prendre. La première est d’écouter et prendre en considération les demandes des conducteurs, leurs particularités. Et là, la majorité des entreprises doit faire des (grands) efforts. Selon une étude commanditée par Arval et réalisée en 2017 par le cabinet d’étude Audirep sur un panel de 910 conducteurs dans des entreprises de toutes les tailles, 42 % n’ont reçu aucune information sur leur véhicule lors de la commande, et 50 % ont eu connaissance des services associés par leurs collègues et non par leur entreprise…
Raisonner au plus près des besoins
Pourtant, nombre de gestionnaires de parc insistent sur l’importance d’échanger avec les conducteurs en tenant compte des spécificités de chacun. « On ne peut pas parler avec un salarié travaillant dans les Alpes comme s’il habitait la région parisienne. Ce n’est pas le même contexte », explique Patrick Martinoli, directeur délégué projets innovation et expertise automobile pour la flotte d’Orange, soit une équipe de dix personnes à la tête de 18 500 véhicules.
Patrick Martinoli illustre ce constat : « Je ne vais pas imposer des pneus 4-saisons dans les Alpes ou un passage le 15 octobre aux pneus hiver pour nos employés du bord de mer. Il faut écouter le conducteur et ses envies. Car si l’on impose un véhicule qui ne plaît pas, le salarié aura tendance à ne pas s’en préoccuper. A contrario, un véhicule qui lui convient sera mieux protégé. Chez Orange, nous appliquons la politique du “user chooser“, l’utilisateur est celui qui choisit son véhicule. »
« C’est aussi notre politique, confirme Christophe Guilmain, responsable du parc roulant de la société d’extraction de pétrole IPC Petroleum France SA, soit 50 véhicules et 50 engins. Il est important de demander leurs besoins aux utilisateurs, cela permet d’avoir un contact humain avec eux. On doit en discuter de vive voix en essayant de satisfaire le “client“ et d’adapter le véhicule à ses contraintes. »
Résultat de cette démarche chez IPC Petroleum France : les conducteurs prennent conscience que le gestionnaire fait son maximum et, en retour, ils se montrent plus respectueux des véhicules. « Mais cela ne signifie pas que le budget explose, reprend Christophe Guilmain. L’idée est de faire des concessions dans un budget contraint. Il s’agit ainsi de ne pas fournir des véhicules à motricité renforcée sur certains modèles pour en améliorer d’autres, ou encore de réduire des mensualités à un endroit pour disposer ailleurs d’une marge de manœuvre afin d’offrir des véhicules un peu plus haut de gamme. »
Une sinistralité à surveiller de près
Les responsables de parc se trouvent souvent dans des situations difficiles, avec des budgets toujours plus serrés, des conducteurs indélicats et un management de proximité qui n’impose pas à ces derniers de respecter la « car policy ». Avec, on s’en doute, des conséquences négatives sur le taux de sinistres. Cette évolution peut s’expliquer par l’usage de plus en plus développé du téléphone portable, ce qui multiplie les petits incidents et pèse sur la « bobologie ». Une évolution intensifiée par un autre phénomène : le syndrome du « c’est pas grave, c’est la boîte qui paye ».
À la clef, de petites rayures et de petits chocs qui, mis bout à bout, finissent par coûter très cher. « La sinistralité sans tiers est de l’ordre de 500 euros par an et par voiture. À cela s’ajoutent 1 000 euros de remise en état. En moyenne, pour un parc de 1 000 voitures que l’on change sur quatre ans, cela revient à donc 750 000 euros par an : 500 euros d’assurance x 1 000 véhicules + 1 000 euros de remise en état x 250 véhicules rendus par an », additionne Robert Maubé pour le cabinet de conseil RRMC.
Des chiffres qui peuvent encore grimper dans des secteurs comme le BTP ou pour des flottes composées de modèles premium à destination des cadres. « Le comportement au volant, la façon d’utiliser une voiture peut ainsi majorer le coût d’un véhicule de 20 à 40 % », complète Karen Brunot, directrice marketing du loueur Arval France.
Communiquer le plus possible
En résumé, cela implique de communiquer le plus possible avec les conducteurs, soit le deuxième axe d’une bonne relation gestionnaire-conducteurs. Et tous les moyens sont bons. Dans sa correspondance électronique, Paula Opris, gestionnaire du parc de l’agence de production de communication opérationnelle Gutenberg (75 véhicules), en profite pour faire passer des messages du type : « Quand vous regardez vos mobiles, qui regarde la route ? » En ce moment, elle conclut ses e-mails par un tonitruant « Voiture entretenue & Prudence au volant => Votre sécurité dépend de vous ! »
D’autres techniques sont suivies. L’agence d’emploi Adecco a développé un numéro d’appel unique et une adresse électronique centralisée destinés à la gestion de ses 2 200 véhicules. Ce service répond très rapidement à toutes les demandes à tout moment. « Nos clients internes, les conducteurs, nous contactent avec une réponse assurée s’ils sont coincés sur la route. C’est mieux que de devoir appeler plusieurs numéros avant d’obtenir une réponse. Plus c’est rapide, plus c’est efficace, plus nos conducteurs sont contents, plus notre parc se fluidifie », constate Lionel Bacci, le directeur des services généraux en charge de la flotte.
À son arrivée chez Adecco en 2014, Lionel Bacci a aussi lancé une newsletter à destination des conducteurs. « Nous proposons des articles sur l’actualité, la réforme des contraventions, celle sur la limitation de vitesse à 80 km/h sur les nationales, sur la sécurité, sur le coût d’un véhicule, des pneus. Nos conducteurs apprécient. Il y a des retours écrits de salariés précisant tout l’intérêt de ces newsletters. »
Cet été, Adecco a envoyé à ses conducteurs une carte postale électronique faisant le point sur ce qu’il faut prévoir pour partir en vacances avec sa voiture de fonction : gilet fluo, numéros d’urgence en cas de panne le dimanche, niveau de couverture pour l’assurance selon le pays visité, etc.
Les 5 mesures à prendre
• Écouter et prendre en considération les demandes et particularités des conducteurs
• Communiquer le plus possible avec les conducteurs
• Sensibiliser les managers de proximité
• Faire prendre conscience de l’importance de la flotte à la direction générale
• Savoir manier la carotte mais aussi le bâton
Garder le lien avec les conducteurs
« Un responsable de parc doit toujours être au service d’autrui et considérer que toute question est importante, que chaque conducteur est unique, ponctue Karine Collot, responsable des 630 véhicules du spécialiste du traitement de l’eau Culligan France. Je n’oublie jamais que ce qui me semble simple et logique ne l’est pas obligatoirement pour quelqu’un dont ce n’est pas le métier. Il faut aussi savoir se remettre en cause en permanence : si une question revient régulièrement, par un conducteur ou un ensemble de conducteurs, la raison vient peut-être du fait que notre communication n’a pas été suffisamment claire. »
S’appuyer sur le management
Le troisième conseil est de sensibiliser les managers de proximité. Pour les gestionnaires de parc, le seul moyen de maintenir un parc en très bon état est de fait de s’appuyer sur le management. Même si nombre d’encadrants n’en ont cure, prétextant que le bon salarié ne doit pas être sermonné pour sa (mauvaise) conduite automobile.
Pourtant, selon les données de la Fédération française de l’assurance (FFA), il est possible d’atteindre le taux de 5 % de sinistralité avec une bonne gestion de flotte, alors que les mauvais élèves dépassent les 20 % de sinistralité en responsabilité civile matériel hors transport de marchandises, et que la moyenne française, chiffres 2016, s’élève à 9 %. Des incitations peuvent donc avoir des effets importants que les spécialistes estiment à plusieurs centaines d’euros d’économisés par véhicule et par an si les conducteurs sont responsabilisés.
« Dans ce cadre, la “conscientisation“ des managers est importante, résume Lionel Bacci d’Adecco. La question du véhicule et de son coût sur les finances de l’entreprise et celles propres du conducteur est un combat. Un conducteur avec quatre accidents responsables dans l’année doit être responsabilisé. Cela doit déboucher sur une action pour corriger le tir. Cet état d’esprit est en train d’émerger. On a par exemple dû renforcer notre politique en matière de contraventions et nous ne tolérons aucune forme de laxisme. Ce n’est pas accepté chez nous. Je suis soutenu par la direction pour appliquer notre politique en mettant en avant la sécurité et le respect », poursuit Lionel Bacci.
Impliquer la direction
Il est aussi impératif, ce sera le quatrième pilier de cette politique, de faire prendre conscience aux directions générales de l’importance de la flotte, tant en termes d’image que de coûts. Car la façon dont on gère cette flotte constitue la partie visible du style de management d’une entreprise. Or, toutes les entreprises n’ont pas encore établi de car policy ou de règlement automobile dignes de ce nom…
« Le soutien des dirigeants est essentiel quant à la réussite d’une gestion de flotte, continue Paula Opris pour Gutenberg. Ma direction m’appuie. Si un collaborateur rend une voiture indigne, mon manager est au courant et une discussion s’engage pour que cela ne se reproduise pas. Si cela ne fonctionne toujours pas, j’envoie un e-mail au conducteur indélicat avec copie à la direction. Nous discutons en soulignant le fait que des véhicules endommagés mettent en péril l’image de marque de l’entreprise. Enfin, si cela n’a pas d’effet, mais ce n’est jamais arrivé, nous avons prévu in fine la possibilité d’immobiliser le véhicule sur site… »
Manier la carotte et le bâton
Car, cinquième conseil, il faut savoir aussi manier le bâton. Chez IPC Petroleum France SA, les mauvais conducteurs ne bénéficient pas de la prime annuelle prévue pour chaque salarié de l’entreprise. « Et les résultats sont très positifs, rappelle Christophe Guilmain, responsable du parc. Aujourd’hui, tous nos salariés reçoivent leur prime et le nombre d’incidents a été divisé par deux : 10 en 2018 contre 20 en 2013. »
Adecco sensibilise aussi ses différents départements en imputant les éventuels coûts des sinistres au centre de profits concerné. Quand il faut régler l’addition suite à un incident-accident, c’est l’entreprise qui paie mais le coût impacte donc directement les bénéfices du centre de profits.
Enfin, il faut former ses conducteurs. Chez Orange, 1 000 à 2 000 conducteurs suivent chaque année un cursus explicitant les risques routiers et l’éco-conduite. « Dans cette formation, une diapositive reste 3 secondes au vu et au su des stagiaires. On leur demande ensuite combien il y a de situations à risque sur la photo, explique Patrick Martinoli. Tout le monde en voit une. Peu en voit deux. Les plus concentrés en distinguent quatre. Il y a en sept en tout. L’idée est de faire prendre conscience à nos conducteurs que tout peut distraire sur la route. Dans ce cas, on ne voit pas, on n’anticipe pas. »
Et Orange va plus loin : « Nous avons interdit aux conducteurs d’employer leur portable en voiture et nous voulons intégrer une application rendant inopérantes des fonctions du téléphone, comme les SMS, lorsque l’on conduit. Ces diverses mesures fonctionnent : chez nous, les accidents graves sont en diminution avec un montant moyen de coût de restitution par véhicule de l’ordre de 750 euros », conclut Patrick Martinoli.
Des formations à l’éco-conduite
Avec l’éco-conduite, de façon générale, un cours théorique est tout d’abord donné aux conducteurs pour expliquer comment mieux conduire. Ensuite, des exercices pratiques sur route permettent, souvent via un boitier électronique, de mesurer en litres consommés aux 100 km les comportements au volant. « Nous montrons aux conducteurs qu’en appliquant les conseils donnés au préalable, ils peuvent consommer et polluer moins, commente Euriel Kiffer pour Hertz – CGFF (Groupe Loret). C’est très ludique et ils peuvent espérer une baisse de 5 à 10 % des émissions de CO2 et de 20 % de la consommation de carburant. » Avec aussi des effets bénéfiques sur le stress au volant, sur la durée de vie des pneus et bien entendu sur la sinistralité
Personnaliser le message
« Chaque conducteur est sensible à un sujet. Il faut appuyer sur le bon bouton, avance pour sa part Euriel Kiffer, responsable marketing et communication pour le loueur Hertz – CGFF (Groupe Loret). Un conducteur peut suivre des préceptes d’éco-conduite du fait des gains d’argent réalisés : on lui précise alors que son éco-conduite rapportera 500 euros dans l’année. D’autres se montrent sensibles à l’écologie et au fait que la baisse des rejets de CO2 dans l’atmosphère est bonne pour ses enfants et pour la planète. Chez certains, il faut actionner la corde sensible de la sécurité routière avec des lunettes simulant les effets de l’alcool sur sa conduite, et valoriser une conduite de bon père ou bonne mère de famille » (voir l’encadré ci-dessus). Il suffit d’actionner la bonne manette. À vos marques…