Gestionnaire de flotte ? On savait la fonction malléable : parfois prise en charge par les dirigeants ou leurs assistantes dans les TPE-PME, partagée entre plusieurs postes de responsabilités dans les entreprises plus importantes (RH, direction des achats, services généraux), tandis que dans les collectivités, la fonction peut se rattacher à des postes comme celui de chef de garage.
Mais voilà que d’autres titres font leur entrée dans cette liste : directeur de mobilité ou directeur de l’environnement de travail. Cette évolution n’a rien d’anodin : elle pourrait bien donner un indice des orientations que va prendre demain la fonction. Car ces...
Gestionnaire de flotte ? On savait la fonction malléable : parfois prise en charge par les dirigeants ou leurs assistantes dans les TPE-PME, partagée entre plusieurs postes de responsabilités dans les entreprises plus importantes (RH, direction des achats, services généraux), tandis que dans les collectivités, la fonction peut se rattacher à des postes comme celui de chef de garage.
Mais voilà que d’autres titres font leur entrée dans cette liste : directeur de mobilité ou directeur de l’environnement de travail. Cette évolution n’a rien d’anodin : elle pourrait bien donner un indice des orientations que va prendre demain la fonction. Car ces dénominations émergent au moment où la gestion de flotte élargit ses ambitions au-delà des grandes lignes directrices qu’elle a suivies jusqu’ici avec la baisse des émissions de CO2 ou l’optimisation des dépenses.
Une redéfinition du métier de gestion de flotte
Car si ces enjeux de rationalisation restent toujours en ligne de mire, d’autres tâches se profilent. À l’heure où la voiture de fonction devient un peu moins attractive pour une partie des salariés, où les villes restreignent l’accès de leur centre et alors que les dispositifs d’autopartage ou de crédit-mobilité se mettent progressivement en place, les compétences du responsable de parc se modifient.
En charge des 1 500 véhicules de Danone, Manuel Martins, directeur adjoint de l’environnement de travail, cherche à proposer aux salariés les meilleures solutions pour faciliter leurs trajets. La voiture de fonction demeure certes toujours présente mais côtoie d’autres solutions comme l’autopartage ou le crédit mobilité. Pour ce dirigeant, il s’agit d’offrir plusieurs choix de mobilité selon un principe qui tend à se diffuser dans toute la profession : adapter les modes de transport à la nature du parcours.
Pour le directeur marketing d’ALD Automotive, Laurent Corbellini, la prise en main de ces services proposés aux salariés va déterminer deux évolutions possibles du gestionnaire de flotte : « L’une d’elles consiste à s’effacer pour devenir un contrôleur qui fait appel à des prestataires pour assurer les services de mobilité pour les collaborateurs. L’autre est de devenir un “super gestionnaire“ qui pilote les mobilités dans l’entreprise. »
Dans le second cas, le responsable de parc prend de la hauteur et facilite la performance de clients internes qui se déplacent mieux et plus vite. Mais « prendre de la hauteur » ne signifie pas se couper des conducteurs de l’entreprise et de leurs besoins. Bien au contraire.
Proposer des services innovants aux conducteurs
Toujours chez Danone, la quête d’une plus grande efficacité passe aussi par la recherche de services innovants de la part des prestataires notamment. Et si le recours à des fleeters a pu s’imposer comme une solution productive, il pourrait bien être remis en cause.
« Chez Danone, la gestion du parc s’est répartie entre plusieurs fleeters parce que nous ne possédions pas les outils les plus adéquats. Seul un tiers du total a été conservé en interne avec la personne pour cela », relate Manuel Martins.
Mais la situation évolue : « Envoyer un e-mail à un salarié pour lui dire de procéder à un contrôle technique dans un mois ne présente aucun intérêt, compte tenu du nombre d’e-mails que chacun reçoit aujourd’hui, pointe le dirigeant. Mais laisser un message pour dire que l’on a pris un RDV à telle date, que l’on s’est assuré auprès de l’assistante que le créneau était libre et qu’un véhicule de courtoisie est mis à disposition, voilà le type de services qui n’existent pas chez les fleeters. »
Une telle réflexion n’est pas seulement motivée par le souci de rendre un meilleur service aux salariés en interne. Si Manuel Martins peut s’engager dans cette voie, c’est aussi parce qu’il juge bénéficier désormais des moyens techniques suffisants pour le faire : logiciels de gestion de flotte, outils de télématique embarquée, applications pour téléphones, etc. Les outils potentiels sont nombreux qui ouvrent des perspectives à un meilleur suivi du parc et à une autre relation avec les conducteurs.
Des outils de gestion toujours plus nombreux
« Grâce à une électronique bien huilée et à une communication bien faite, nous pouvons entrer dans une nouvelle ère, avance Manuel Martins. Avec les tablettes, les téléphones portables et les bons outils, qu’est-ce qui nous empêche de nous prendre en main ? », interroge-t-il. Danone s’intéresse d’ailleurs déjà aux possibilités offertes par la télématique embarquée et a lancé des tests sur les premiers mois de l’année avec 80 véhicules : la moitié servent à des personnes qui circulent beaucoup, l’autre à des personnes qui font le trajet domicile-travail.
L’apport déterminant de la télématique
Avec la géolocalisation, les barrières se lèvent de fait peu à peu, même s’il faut porter une grande attention à la partie légale et à la communication vis-à-vis des salariés.
Une raison à cette évolution, partagée par un grand nombre d’observateurs : l’usage intensif des fonctionnalités de géolocalisation des smartphones dans la sphère privée pourrait contribuer à assouplir la perception de leur usage dans la sphère professionnelle. D’autre part, au fil des années, le coût des solutions de télématique a reculé. « Les freins restaient liés aux prix de l’électronique embarquée. Ces tarifs sont maintenant plus raisonnables qu’auparavant », souligne Manuel Martins.
Au sein du CEA de Grenoble, où les 69 véhicules électriques de la flotte servent à se déplacer sur le site, la géolocalisation est employée au début et à la fin de l’utilisation des voitures, avec pour seul objectif d’en améliorer la gestion. « Nous savons qui a emprunté les véhicules, pour quelles durées et sur quelles distances. En connaissant leur utilisation, nous pouvons ajouter des voitures et implanter des bornes là où cela s’impose », détaille Bruno Renard, chef du groupe logistique et responsable du PDE pour le CEA de Grenoble.
La Poste se penche aussi sur le traitement des informations récoltées grâce aux outils de télématique embarquée. Leur exploitation est en phase de test sur une partie de la flotte : « Nous remontons beaucoup d’informations : nombre de trajets, distances parcourues, temps d’arrêt, consommations instantanées, kilométrages, alertes techniques, etc. », énumère Patrick Grondin, directeur de l’exploitation et de ventes des VO de Véhiposte, le loueur de La Poste.
L’avenir dira si ces informations peuvent être exploitées avantageusement pour organiser les tournées, entretenir la flotte ou encore optimiser l’usage des véhicules électriques de La Poste. Mais déjà des pistes fructueuses émergent, notamment sur l’entretien. « Nous avons mené à bien des tests sur les éléments techniques. Pour les modèles thermiques, nous avons pu détecter ceux qui avaient un niveau d’huile en dessous de la normale et traiter préventivement. Cela est très important pour la fiabilité du moteur », rapporte Patrick Grondin.
Des données oui, mais pas toutes les données
Mais toutes les informations récoltées ne sont pas porteuses de sens. Une partie de la tâche du responsable de parc consiste donc à s’assurer qu’il a bien en main les informations pertinentes pour gérer au mieux sa flotte. « La difficulté est que nous obtenons des remontées d’informations d’outils du marché. Ils nous restituent des alertes techniques et d’utilisation mais qui ne sont peut-être pas toutes en adéquation avec nos besoins. Par exemple, lorsque l’on fait de la distribution ou de la livraison en porte-à-porte, il est normal d’avoir des accélérations un peu fortes et des freinages brutaux », illustre Patrick Grondin, en citant le cas des facteurs de La Poste.
De plus, faire remonter les informations significatives pour sa flotte ne constitue qu’une première étape. Les données recueillies doivent ensuite permettre d’atteindre un objectif essentiel : améliorer le pilotage du parc : « Nous devons déterminer de quelle manière nous allons restituer cette information pour la rendre simple. Le but n’est pas de créer un énième tableau de bord mais de dire sur des points précis : ça va ou pas », résume Patrick Grondin.
À défaut de disposer pour l’instant des outils de recueil de données ad hoc, le représentant de Véhiposte envisage d’autres solutions à plus ou moins long terme, comme « gérer l’ensemble des données dans un data center pour qualifier la flotte et donner des informations pertinentes. Cela nécessite des développements et des réflexions », reconnaît-il.
Des données pour qui et pour quoi faire ?
Toutes ces évolutions amènent aussi à se poser plusieurs questions. Face à un nombre grandissant de données, qui va prendre en charge leur remontée, leur tri et surtout leur analyse ? Le gestionnaire de flotte (s’il est outillé pour cela, avec suffisamment de temps) ? Le fleeter ou le loueur longue durée ? Ou bien encore le télématicien ? À moins que les évolutions technologiques et le marché ne rebattent complètement les cartes. Ces questions restent posées.
S’il est difficile de prévoir l’avenir, une chose est bien sûre : le gestionnaire de flotte de demain va continuer à élargir son champ d’intervention. « Il existe des complémentarités entre les flottes, la location courte durée, les taxis, l’autopartage, etc. Si l’on se limite aux seuls véhicules en parc, le gestionnaire n’est pas sûr d’optimiser les déplacements », prévient Virginie Boutueil, chercheuse pour l’École des Ponts ParisTech et le Laboratoire Ville Mobilité Transport, et spécialiste de la gestion de flottes. Qui poursuit : « Demain, le gestionnaire pourrait rejoindre les services aux collaborateurs, ce qui amène à envisager des choses tout à fait nouvelles, à concevoir la fonction comme un centre de gestion des ressources plutôt que comme strictement un poste de gestionnaire de parc », conclut Virginie Boutueil. Une conclusion que ne renierait pas Manuel Martins chez Danone.
Cette anticipation se réalisera-t-elle ? On peut supposer que les évolutions de la fonction resteront différenciées selon la taille de la structure ou la nature de la flotte. Une chose est sûre : les responsables de parc disposent d’ores et déjà des outils de demain. À eux de les façonner pour inventer la gestion de leur avenir.