

Pour les gestionnaires de flotte, la charge est lourde. « Ces salariés doivent être joignables très facilement, d’où une disponibilité et une flexibilité élevées », explique Delphine Vassal, directrice pour le cabinet de recrutement Fed Office. Cette structure recrute une dizaine de gestionnaires de flotte par an pour de grands groupes. Conclusion, ces cadres n’occupent pas des postes aux 35 heures mais fonctionnent la plupart du temps avec des forfaits jours et un statut cadre. « Ils travaillent donc plus que la moyenne », avance Delphine Vassal. Ce que reconnaît Philippe, gestionnaire de 30 000 véhicules...

Pour les gestionnaires de flotte, la charge est lourde. « Ces salariés doivent être joignables très facilement, d’où une disponibilité et une flexibilité élevées », explique Delphine Vassal, directrice pour le cabinet de recrutement Fed Office. Cette structure recrute une dizaine de gestionnaires de flotte par an pour de grands groupes. Conclusion, ces cadres n’occupent pas des postes aux 35 heures mais fonctionnent la plupart du temps avec des forfaits jours et un statut cadre. « Ils travaillent donc plus que la moyenne », avance Delphine Vassal. Ce que reconnaît Philippe, gestionnaire de 30 000 véhicules dans le secteur industriel, qui souhaite rester anonyme : « Le travail ne manque pas. Mon contrat cadre est standard avec douze jours de RTT. Je dois travailler 35 heures mais la semaine dure plutôt 40 à 42 heures, avec une arrivée vers 8 h 30 pour un départ vers 18 h 00. Ma plage horaire offre une belle amplitude pour répondre à mes collègues en agence. Il faut bien cela pour bien “faire le job“, avec un aménagement du temps de gré à gré avec le chef, pas d’acceptation du télétravail et de nombreux problèmes à résoudre. »
Des tâches multiples

Chez Château d’Eau, spécialiste de la livraison de fontaines à eau aux entreprises, le travail de Mohamed Amrane montre la diversité des tâches assurées, mais aussi le rôle central du gestionnaire de flotte pour le suivi des véhicules. « J’analyse tous les mois les sinistres pour mieux suivre mon parc et pouvoir mener des audits de terrain. Je contrôle aussi les permis de conduire au minimum une fois par trimestre, avec signature des conducteurs et transmission aux RH. Cette démarche évite toute dérive et responsabilise car il est de notre ressort que les conducteurs soient exemplaires sur la route », énumère Mohamed Amrane. Qui mène aussi des suivis du carburant pour éviter la fraude, et des conduites agressives susceptibles de provoquer des accidents. « Je mets enfin en place des réunions téléphoniques avec les managers et les conducteurs pour que tout le monde soit informé de ce qui s’est passé le mois précédent et le mois en cours », conclut ce responsable supply chain et parc automobile, à la tête de 230 véhicules dont 50 voitures de fonction.
Pour Robert Maubé, consultant et formateur spécialiste en gestion de flottes du cabinet RRMC, « le travail du fleet manager se décompose en deux parties : un métier très procédural et administratif tout d’abord. Avec de multiples règles à respecter et une charge importante, faite de commandes à passer, de contrats à recevoir, d’avenants à signer ou encore d’entretiens à mener. » Vient ensuite l’autre facette, plus réflexive : les achats, la recherche d’économie, l’optimisation, la car policy.
Un périmètre en évolution
« À cela s’ajoute de plus en plus la volonté des directions de faire évoluer ce périmètre vers la gestion de la mobilité avec d’autres moyens alternatifs de locomotion : autopartage, plan de mobilité de l’entreprise, transports en commun, véhicule à assistance électrique, etc. », complète Robert Maubé.
On s’en doute, tout cela prend du temps et peut imposer, si l’on y prend garde, de rester longtemps au bureau. « Ce métier exige de la disponibilité, confirme Ludivine Nzuzi, gestionnaire de flotte pour l’hôtelier Accor et responsable des 200 véhicules du siège. La voiture demeure un élément anxiogène et un collaborateur qui a des soucis doit donc être reçu rapidement, constate-t-elle. Et au cours de la journée, d’autres compétences sont mises en œuvre : accueil, explications claires sur les processus. Mais il faut aussi faire de la gestion, de l’organisation pour attribuer les véhicules, du travail sur tableur. Il m’arrive de devoir déplacer un véhicule pour résoudre un problème ou de faire procéder à de très légères réparations. Et le contact avec les loueurs prend du temps : cela nécessite des compétences managériales car ces derniers doivent répondre à mes attentes », expose Ludivine Nzuzi.
Yannick Drouin officie lui chez FM Logistic Corporate, une entreprise de conditionnement, transport et stockage. Ce Mobility Purchasing et Fleet Manager est à la tête de 800 véhicules dont 400 en France et autant à l’international. « Nous n’avons pas de plages horaires journalières définies, note-t-il. Les cadres sont annualisés avec 217 jours de travail, dix jours de RTT et 25 jours de congés payés. Ce n’est pas le cas de tous les collaborateurs : les agents de maîtrise sont eux aux 35 heures avec une RTT mensuelle ».
Une amplitude horaire étendue
Dans ce contexte, Yannick Drouin précise que « les objectifs doivent être tenus dans une organisation souple où les collaborateurs bénéficient d’une amplitude horaire étendue : ils peuvent arriver plus tard le matin et travailler pendant leur pause déjeuner ou le soir. Notre système est basé sur la confiance, une des valeurs de FM Logistic Corporate », reprend-il.

Pour Yannick Drouin, cette amplitude horaire et cette flexibilité globale ont permis de mieux gérer les plannings et missions de chacun : « Je ne vois pas le forfait annuel comme une pénibilité, ni comme une incitation aux longues journées, mais comme la possibilité d’acquérir une autonomie acceptable. Je gère mes journées tout en les optimisant, avec en contrepartie des RTT, des trajets facilités et des journées de télétravail. » « Mes horaires restent aléatoires, souligne anonymement Jacques, gestionnaire de flotte dans le service public. Je peux commencer de bonne heure, finir tard, commencer tard. Je peux venir le samedi. J’adapte mes horaires en fonction des tâches à réaliser. Je suis aux 39 heures mais avec des horaires variables. Chaque semaine, je me recale pour arriver à 39 heures avec des journées d’onze heures, suivies d’une amplitude de six heures le lendemain. Avant, je travaillais dans le transport routier. Le secteur public est “mieux-disant“, surtout pour les congés payés avec 57 jours par an. »
La question du temps de travail
Marion Dupacq Aregay est responsable achat frais généraux pour Lur Berri, chargée des 150 véhicules de cette coopérative agricole. En tant que cadre, elle travaille pour sa part environ 42 heures par semaine, avec quinze jours de RTT et cinq semaines de congés payés. « J’ai aussi un jour de travail à domicile par semaine, où je suis plus efficace car moins interrompue », pointe-t-elle.

Guy Pierrard, responsable de la flotte de Suez siège, soit 1 650 véhicules, commence de son côté la plupart de ses journées à 7 h 45 et les finit à 18 heures avec une pause d’une heure. « Cela fait neuf heures par jour et 45 heures par semaine. Je suis donc un cadre au forfait de 210 jours avec dix jours de RTT et 26 jours de congés payés, un temps de travail classique pour la profession », commente-t-il. Ces temps de travail importants s’expliquent avant tout par une situation que les professionnels du secteur considèrent comme le résultat de « faire toujours plus avec un peu moins ». « On est tous “limite“, reconnaît un gestionnaire qui préfère ne pas être cité. Avec la quasi-obligation d’assurer l’exploitation du parc tout comme sa gestion. Il faudrait donc du renfort mais ce n’est pas dans l’air du temps. Nous sommes considérés comme des centres de frais, avec l’obligation de réduire les budgets et de générer des économies. »
Attention à la surchauffe !

Conclusion : dans la gestion de flotte, un cadre qui quitte son bureau à 18 h 00 doit s’estimer heureux avec en plus, dans les grandes métropoles, un temps de transport domicile-travail qui peut atteindre les trois heures par jour. Ce qui ne va pas sans incidences sur la santé, avec à la clé de l’absentéisme. Un constat validé par Julien Remy, responsable de l’offre « Qualité de vie au travail et absentéisme » pour le spécialiste du conseil Gras Savoye Willis Towers Watson, et auteur de l’étude « Résultats statistiques de l’absentéisme en 2018 », parue le 26 aout 2019 : « L’absentéisme s’accroît dans tous les secteurs et les fonctions en France. L’augmentation du temps de travail en constitue l’une des causes pour les cadres et les non-cadres. Je suis convaincu qu’il s’agit plus d’une question de rythme de travail que de durée, avec une régularité et des habitudes qui peuvent faciliter les choses », avance Julien Remy.
Pour l’ancien responsable de flotte Franck Warnet, aujourd’hui dirigeant du fleeter lyonnais spécialisé en conseil et externalisation de flotte FWT (270 véhicules en gestion), « les responsables de flotte n’ont pas d’horaires. Salarié, je me rendais disponible de 8 h 00 à 20 h 00. Soit de 50 à 55 heures par semaine, avec des passages exceptionnels pour épauler un collaborateur qui faisait face à de gros soucis avec son véhicule. C’était une sorte d’astreinte pour la bonne marche du service, sans contrepartie financière et sans récupération non plus. J’étais cadre au forfait à 218 jours de travail par an, avec de quinze à vingt jours de RTT par an et 25 jours de congés payés. C’est classique pour les responsables, moins pour les gestionnaires qui peuvent être aux 35 heures par semaine sans remettre en cause le bon fonctionnement du service », explique-t-il.

Un état de fait qui se veut aussi la rançon du succès et la traduction du poids pris par la gestion de flotte dans bon nombre d’entreprises. « Une mauvaise gestion peut impacter négativement le résultat d’une société si personne ne surveille la sinistralité, la consommation de carburant ou les réparations des véhicules, rappelle Christine Lesueur, responsable de la flotte de Konecra France, spécialiste du levage et de la manutention (170 véhicules en gestion). »
Des résultats palpables
Christine Lesueur poursuit sur ce sujet : « Le fleet manager doit être en veille tant interne qu’externe pour éviter de forts dépassements financiers. Un exemple ? Si la vignette Crit’air n’est pas apposée sur le pare-brise, cela peut conduire à une amende. Si l’on ne fait pas attention aux sorties de véhicules moins émetteurs en CO2, cela peut déboucher sur des surcoûts élevés. Avant, on se souciait moins de tout cela mais ce n’est plus vrai : la car policy est devenue un élément très important. »

Tellement important même, qu’un bon gestionnaire de flotte peut faire gagner à son employeur des sommes considérables. « Nous avons fait en sorte que les modèles proposés aux conducteurs soient les mieux adaptés possibles. Depuis, ils y font plus attention. Nous les avons favorisés et nous avons donc moins de sinistralité. Les conducteurs se sont responsabilisés, avec à la clef, entre 2017 et 2018, une économie de 15 % sur le seul poste des remises en état-petites réparations : celles-ci ont baissé de 40 000 euros en un an », détaille Julien Pouymayon, responsable moyens et méthodes, notamment en charge de la gestion du parc d’Avenel. Cette ETI spécialisée en prestations de services et de travaux dans les métiers du bâtiment s’appuie sur un parc de 355 véhicules.
Reste maintenant à équilibrer atteinte des résultats et temps de travail…
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