
Entretien avec Gilles Bernard, président de l’Afirev.
Flottes Automobiles : Quelle idée a présidé à la création de l’Afirev ?
Gilles Bernard, président de l’Afirev : Nous avions plusieurs idées en tête. Les bornes doivent être des objets connectés et supervisés par des opérateurs de recharge. Leur déploiement doit se faire de manière très concertée à l’échelle européenne. Autre principe, l’écosystème concerne d’abord les bornes accessibles au public mais peut s’étendre aux bornes privées des flottes. En outre, il doit permettre de gérer les appels de puissance des recharges. Si tous les véhicules se rechargent en même temps, le disjoncteur...
Entretien avec Gilles Bernard, président de l’Afirev.
Flottes Automobiles : Quelle idée a présidé à la création de l’Afirev ?
Gilles Bernard, président de l’Afirev : Nous avions plusieurs idées en tête. Les bornes doivent être des objets connectés et supervisés par des opérateurs de recharge. Leur déploiement doit se faire de manière très concertée à l’échelle européenne. Autre principe, l’écosystème concerne d’abord les bornes accessibles au public mais peut s’étendre aux bornes privées des flottes. En outre, il doit permettre de gérer les appels de puissance des recharges. Si tous les véhicules se rechargent en même temps, le disjoncteur saute ! Mettre en œuvre cet écosystème implique donc de superviser ces infrastructures. Pour couvrir les besoins de déplacement et gérer les appels de puissance, Il faut aussi multiplier les opportunités de recharge. La nécessité de disposer de solutions ouvertes au public suppose donc des opérateurs qui gèrent l’accès à la prise et à la puissance de recharge, et proposent des abonnements et des services à leurs clients.
Pourquoi recharger est-il plus complexe que faire le plein ?
Le problème réside dans la puissance nécessaire pour recharger. Dans un pistolet délivrant de l’essence en station-service, vous obtenez une puissance équivalente à un TGV lancé à pleine vitesse, soit proche d’un mégawatt. C’est le carburant le plus dense énergétiquement. La recharge électrique à la puissance de l’essence serait très coûteuse. Les industriels s’y essaient sur les bornes rapides avec des puissances jusqu’à 300 kW. Quoi qu’il en soit, reproduire le modèle de l’essence irait à l’encontre de l’objectif écoenvironnemental du passage à l’électrique.
Pourquoi un réseau de bornes est-il plus complexe à déployer que des stations-service ?
Toute borne n’est pas forcément compatible avec le véhicule de l’utilisateur : il existe des bornes plus ou moins rapides. L’opérateur de mobilité doit accompagner l’usager dans cette complexité. Il va lui indiquer s’il a accès à la borne avec sa voiture et s’il peut recharger avec son badge. Il lui donne aussi accès aux bornes de multiples opérateurs de recharge. Les rôles des opérateurs de recharge et des opérateurs de services de mobilité doivent être distingués. Cet écosystème repose sur une architecture informatique et des protocoles de communication. L’Afirev établit des normes pour que ces acteurs réalisent les transactions de recharge et les règlent entre eux. La plate-forme Gireve est un centre de truchement pour faciliter la connexion entre les opérateurs en France comme à l’échelon européen où interviennent des milliers d’opérateurs de recharge et de mobilité.
Comment les réseaux de recharge organisent-ils l’interopérabilité ?
La définition précise des services aux utilisateurs constitue le premier élément et doit être partagée par tous les acteurs impliqués dans leur production. Avec l’interopérabilité, l’utilisateur sait où se trouvent les bornes accessibles au public, quels soient leurs caractéristiques (puissance, type de prise, etc.), leur statut (disponibles, occupées, en maintenance), etc. Ces services reposent sur la transmission des données, d’où la codification et la publication de ces données par les producteurs selon des protocoles encadrés par la loi. Ainsi, si un conducteur envoie une requête à son opérateur de mobilité pour réserver une borne à destination, ce dernier envoie une requête à l’opérateur de recharge pour connaître l’état et les caractéristiques de l’infrastructure, pour savoir si la réservation est possible et pour être guidé jusqu’au site. Ces échanges doivent être codifiés avec des protocoles de communication qui ne sont pas encore tous standardisés. Mais des normes européennes sont en cours d’élaboration.
Et pour le paiement ?
De par les législations française et européenne, deux modalités doivent être possibles : le paiement à l’acte à l’opérateur de recharge, et le paiement via l’opérateur de mobilité auquel l’utilisateur est abonné. Le paiement à l’acte peut se faire par carte bancaire sans contact ou avec une application smartphone, comme pour le stationnement. Le paiement via l’opérateur de mobilité (le client règle celui-ci sur facture récapitulative et l’opérateur de recharge est payé par l’opérateur de mobilité), nécessite une identification à la borne du contrat de service à l’aide d’un badge RFID ou d’une application smartphone avec lecture d’un QR Code affiché sur la borne. L’usage du badge se réduira à l’avenir parce qu’il sera remplacé par le « plug and charge » : le véhicule transmettra automatiquement les informations du contrat de service à la borne par le câble de recharge et, demain, par induction pour sécuriser la transaction. Ces informations pourront aussi gérer la puissance de la recharge (ISO 15118).
D’autres questions se posent : ma voiture est-elle compatible avec la borne, pourrai-je m’y brancher, etc. ?
Ces interrogations renforcent le rôle de l’opérateur de mobilité qui pourra aussi contribuer à la gestion des appels de puissance avec les opérateurs de recharge. Il peut optimiser le recours à la recharge selon les caractéristiques du véhicule et du trajet à effectuer. Pour ses collaborateurs, l’entreprise peut choisir un opérateur de mobilité pour mettre à disposition un véhicule électrique avec un badge sur des périodes spécifiques, sur un territoire donné, etc. Le choix de l’organisation de l’itinérance en marché ouvert est politique et porté par les règlements européens et français. Il s’oppose à la juxtaposition de modèles propriétaires fermés où les bornes sont réservées aux possesseurs d’un véhicule d’une marque. Il est plus complexe dans sa mise en œuvre mais globalement beaucoup plus efficient.
Sur quels critères choisir son opérateur de mobilité ?
Tout l’écosystème est en place. L’obligation de l’accès en itinérance est effective. Une entreprise peut choisir un opérateur de mobilité en faisant jouer la concurrence. Il existe des « pure players » comme Chargemap, d’autres qui sont aussi opérateurs de recharge de réseaux comme Bouygues Energies & Services, Freshmile, Izivia, etc. Il existe aussi des sociétés de services plus spécialisées pour les professionnels. Le cahier des charges devrait définir le territoire à couvrir, les caractéristiques des véhicules et des trajets à réaliser (kilométrage et durée, distance maximale à parcourir pour atteindre une borne, etc.). La recharge doit-elle se faire lors du déjeuner ? Le cahier des charges peut couvrir l’installation de bornes aux domiciles des conducteurs qui rentrent chez eux avec un véhicule d’entreprise. Il faut partir des scenarii d’activité professionnelle pour bâtir un cahier des charges définissant les besoins. On peut y ajouter des conditions financières, du reporting, etc. Selon les temps d’arrêt et les distances à parcourir pour une certaine activité, la recharge normale (jusqu’à 11 kW) peut suffire. La recharge rapide (supérieure à 22 kW) peut être requise pour des déplacements intensifs avec arrêts courts. Et les caractéristiques des véhicules doivent être adaptées en conséquence.
Quel est le coût de la recharge ?
La recharge la moins chère se fait la nuit dans l’entreprise ou à domicile, et revient à 0,20 euro/kWh environ. Récupérer 40 kWh pour une autonomie de l’ordre de 200 km coûte donc 8 euros environ, contre près de 30 euros d’essence pour la même autonomie. La recharge sur un point de charge public reste plus cher : le coût de la borne est plus élevé et elle nécessite une supervision et une maintenance particulières. Le prix dépend aussi de la puissance et peut être jusqu’à dix fois plus important qu’à domicile. Le cahier des charges doit donc être rédigé avec soin pour que l’opérateur de mobilité réponde au meilleur prix.
Comment peut-on passer d’un opérateur à un autre ?
Cette question est importante mais les entreprises n’y pensent pas forcément dès l’appel d’offres. Elles doivent faire attention à la fin de contrat et aux conditions de reprise par un autre prestataire. Pour l’organisation de l’itinérance, nous attirons l’attention des entreprises sur la bonne gestion des identifiants : identifiant de point de recharge et identifiant de contrat de service. Ces identifiants, règlementés, sont créés à partir d’un préfixe que nous attribuons afin qu’il soit unique en Europe.
Ce marché des opérateurs de recharge et de mobilité va-t-il se concentrer ?
Nous sommes dans une forte dynamique d’innovation. Il y davantage de créations d’entreprises que d’absorptions. La conception ouverte de l’écosystème pour l’itinérance implique qu’aucun acteur ne soit en monopole. Les perspectives de développement de l’électrique, du « smart charging » et de la mobilité multimodale poussent à une forte dynamique d’initiatives qui diffèrent du marché actuel des carburants pétroliers qui a connu de fait une concentration. La mobilité électrique sera très diversifiée dans ses modalités et impliquera pour longtemps encore une multiplication des prestataires.
Quels conseils donner à une entreprise pour sa recharge ?
Elle doit se poser la question de l’organisation de sa flotte pour que sa mobilité soit la plus efficiente par rapport à ses besoins. Si recharger à domicile le soir et sur le site de l’entreprise suffit, elle ne doit pas négliger un possible recours ultérieur à l’itinérance. Il faut une vision d’ensemble. Au-delà de l’équipement de son propre parking, il peut être adéquat de choisir un prestataire capable de couvrir la recharge à domicile et en itinérance. Il faut privilégier un acteur qui voit large quand des besoins plus étendus apparaîtront. La mobilité future sera multimodale et constitue un nouveau monde à anticiper.
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