
Les véhicules hybrides rechargeables (PHEV) combinent un moteur électrique et un moteur traditionnel à combustion thermique. Mais contribuent-ils réellement à réduire les émissions de gaz à effet de serre ainsi que la pollution atmosphérique ? La réponse n’est pas simple.
Tel le chat de Schrödinger qui est à la fois mort et vivant jusqu’à ce qu’on l’observe, « les véhicules hybrides rechargeables sont à la fois bons et mauvais jusqu’au moment où on les utilise », répond avec humour Emissions Analytics, faisant référence à une expérience de pensée en physique quantique. Et pour cause : les émissions de CO2 ne dépendent plus seulement des performances du véhicule mais aussi de la distance parcourue et du comportement du conducteur, qui peut notamment choisir de le recharger ou non.
De fait, plusieurs études ont mis en garde depuis quelques années les consommateurs, les gestionnaires de flotte et les autorités nationales et européennes : la consommation moyenne de carburant et donc le taux d’émissions de CO2 du véhicule en conditions réelles de conduite sont bien supérieurs aux taux officiels établis lors de son homologation.
De premiers avertissements dès 2017
Dès juillet 2017, l’International Council on Clean Transportation (ICCT) lance un premier avertissement. À l’époque, le marché mondial des véhicules PHEV connaît une forte croissance. En parallèle, la procédure d’homologation va évoluer suite au dieselgate, passant de la norme NEDC à la norme WLTP, plus représentative des conditions réelles de conduite. À cette occasion, un « facteur d’utilité » a été introduit pour les hybrides, correspondant à la proportion de kilomètres parcourus avec le moteur électrique par rapport aux kilomètres parcourus avec le moteur thermique. Mais l’ICCT estime que cette mesure restera insuffisante et que les valeurs réelles continueront de s’écarter de celles annoncées pour certains consommateurs.
Puis, en septembre 2019, c’est au tour de la société britannique Emissions Analytics de s’intéresser au sujet. Cet expert indépendant spécialisé dans la mesure des émissions des véhicules en conditions réelles de conduite mène ses propres tests. Ceux-ci révèlent qu’un véhicule PHEV essence ou diesel non rechargé consomme en moyenne 7,6 l pour 100 km et émet 193,3 g/km de CO2, soit 62,5 % de plus que les résultats NEDC. Si l’on se base sur un conducteur rechargeant son véhicule entre 24 et 78 % du temps, ce dernier émettrait en moyenne entre 46 et 151 g/km de CO2.
De nouvelles générations optimisées pour le WLTP
« La nouvelle génération de véhicules hybrides rechargeables a probablement été optimisée pour le test d’émissions WLTP et est équipée de batteries plus grandes de 10 à 30 kWh, au lieu de 3 à 6 kWh. Cela permet d’obtenir des taux d’émissions inférieurs à 50 g/km », déclare alors Emissions Analytics. En effet, les véhicules émettant moins de 50 g/km sont comptés deux fois en 2020 dans le calcul du taux moyen d’émissions des véhicules neufs vendus par les constructeurs européens, ces derniers ne devant pas dépasser 95 g/km sous peine d’amende. On parle dans ce cas de « supercrédits ».
Pourtant, en France, les hybrides rechargeables deviennent éligibles à la prime à la conversion en 2019, puis au bonus en 2020 en réponse à la crise économique due au covid-19, avec toutefois pour condition une autonomie minimale de 50 km en tout électrique.
La consommation et les émissions de CO2 au moins deux fois plus élevées que prévu
Or, de nouvelles études publiées en 2020 confirment les analyses précédentes. Ainsi, face au manque de données concernant l’utilisation réelles des hybrides rechargeables, l’ICCT et l’institut Fraunhofer ont publié un livre blanc le 27 septembre 2020. Celui-ci analyse les données de conduite remontées par 104 709 véhicules PHEV – dont 66 modèles et 202 versions –, utilisés dans six pays : la Chine, l’Allemagne, la Norvège, les Pays-Bas, les États-Unis et le Canada. La plupart sont des véhicules privés, mais l’étude comprend aussi des véhicules de fonction allemands et néerlandais.
Bilan : « la consommation de carburant et les émissions de CO2 à l’échappement des PHEV en conditions réelles de conduite sont en moyenne deux à quatre fois plus élevées que les valeurs NEDC pour les véhicules privés et trois à quatre fois plus élevées pour les véhicules d’entreprise », révèle l’ICCT. Des écarts beaucoup plus importants que pour les véhicules conventionnels.
Une utilisation en 100 % électrique fortement surestimée
De fait, la part réelle d’utilisation des véhicules en 100 % électrique est deux fois moins importante qu’escompté lors de l’homologation NEDC. Le facteur d’utilité moyen s’élève à seulement 37 % au lieu de 69 % pour les véhicules de particuliers, et à tout juste 20 % au lieu de 63 % pour les véhicules d’entreprise, avec des variations selon les pays. L’organisme s’attend à des écarts similaires en WLTP, en se basant sur les résultats d’un échantillon limité.
Au final, en conditions réelles, un véhicule hybride rechargeable consommerait entre – 43 et – 86 % de carburant et émettrait à l’échappement entre – 15 et – 55 % de CO2 par rapport à un véhicule thermique comparable.
En parallèle, Emissions Analytics a livré le 22 octobre 2020 de nouvelles données, issues de tests sur 37 véhicules PHEV réalisés pour son index indépendant Equa. Là encore, avec une batterie à zéro et en mode recharge, les émissions réelles sont deux à trois fois supérieures à celles déclarées par les constructeurs. Pour arriver au seuil de 50 g/km, il faudrait que les conducteurs rechargent au moins 72 % du temps.
Des émissions trop élevées dès 60 km
Dans le même temps, l’expert a dévoilé le 22 novembre 2020 les résultats d’autres tests menés pour le compte de l’ONG Transport&Environment (T&E). Ces derniers ont été réalisés entre le 11 juillet et le 24 août 2020 sur la base du cycle de mesure sur route RDE (Real Driving Emissions), c’est-à-dire pendant 90 à 120 minutes sur plus de 48 km répartis entre routes urbaine, rurale et autoroutes.
Ces tests concernent trois modèles hybrides rechargeables parmi les plus populaires en 2020, tous des SUV : le BMW X5, le Volvo XC60 et le Mitsubishi Outlander. Ceux-ci disposent respectivement d’une autonomie en tout électrique de 81, 35 et 45 km selon leurs constructeurs. Dans le cas présent, chaque véhicule a parcouru environ 90 km.
Surprise : sur ces trois modèles, il existe un écart entre les valeurs officielles et la réalité, même en démarrant en mode tout électrique avec une batterie pleine. Cela a conduit T&E à dénoncer un second scandale dans la lignée du dieselgate, bien que les constructeurs ne semblent pas ici utiliser de dispositifs truqueurs mais seulement profiter d’estimations optimistes quant aux distances parcourues en tout électrique.
Dans le détail, le BMW X5 est à la fois le modèle le moins émetteur en mode électrique (42,3 g/km en cycle mixte urbain et extra-urbain) mais aussi celui qui a affiché le taux d’émissions de CO2 le plus élevé en mode thermique (254,0 g/km) et en mode recharge de la batterie (384,6 g/km). De même, les deux autres modèles ont émis respectivement entre 115,3 et 241,8 g/km pour le XC60 et entre 85,8 et 216,1 g/km pour l’Outlander ; alors que leurs valeurs d’homologations s’élèvent à 71 g/km et 46 g/km.
Selon T&E, une fois passés en mode thermique, ces modèles ne peuvent parcourir que très peu de kilomètres avant de dépasser leurs valeurs d’émissions officielles, à savoir 11 km pour le X5, et 23 km pour le XC60 et 19 km pour l’Outlander. Pour respecter ces valeurs, ils ne doivent pas effectuer des trajets de plus de 61 à 86 km.
Une nécessaire évolution de la législation et de la fiscalité
Les différents commanditaires de ces études recommandent tous d’augmenter l’autonomie des véhicules, avec a minima 80-90 km, et d’en faire une condition pour l’accès à des dispositifs d’aide publique. Ils proposent également de réserver ces aides aux véhicules disposant d’ une borne de recharge à domicile. Attention toutefois à ne pas favoriser des véhicules avec de trop grandes autonomies, qui seraient alors trop lourds et donc plus polluants.
Ils suggèrent aussi d’utiliser des données de conduite en conditions réelles pour évaluer le respect des normes européennes d’émissions par les constructeurs européens, et de durcir les conditions d’attribution des supercrédits. L’UE prévoit en effet un facteur de multiplication de 0,7 dans le calcul des crédits attribués qui avantage les hybrides rechargeables.
L’ICCT recommande en outre aux gestionnaires de flotte de vérifier le comportement de leurs conducteurs avant de leur fournir un véhicule hybride rechargeable. Le cas échéant, il conviendrait d’encourager une recharge fréquente en autorisant l’utilisation illimitée d’électricité, tout en limitant le budget consacré à l’essence ou au diesel sur les cartes carburant.