
Pour rappel, alors que la France s’est fixé pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, l’État français a défini une stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné. Cette dernière « vise à développer, d’ici 2030, 6,5 GW de capacité d’électrolyse pour produire de l’hydrogène. C’est 700 fois ce que nous faisons actuellement à partir de l’électrolyse, a rappelé le coordonnateur de cette stratégie, Hoang Bui. Le recours à cet hydrogène bas carbone, que ce soit pour la mobilité lourde ou dans l’industrie, va permettre d’éviter l’émission de 6 millions de tonnes de CO2 par an. » Précisons que le gouvernement compte en parallèle sur la création de 150 000 emplois par la filière.
Produire de l’hydrogène par électrolyse
Mais pourquoi miser sur l’hydrogène électrolytique ? Selon Hoang Bui, ce choix découle de la stratégie française de souveraineté énergétique et technologique. Pour rappel, la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 impose l’arrêt progressif de la recherche et de l’exploitation des hydrocarbures en France d’ici 2040. « Il est donc logique que la production d’hydrogène passe par des électrolyseurs qui utilisent l’électricité produites par les énergies renouvelables et le parc nucléaire », explique Hoang Bui. Il s’agit également de rentabiliser les investissements effectués sur les procédés d’électrolyse.
En pratique, 7 milliards d’euros seront investis d’ici 2030 dans le cadre du plan de relance post-covid, dont 3 milliards engagés d’ici 2023. L’objectif : faire baisser les coûts pour que l’hydrogène décarboné devienne aussi compétitif que l’hydrogène produit à partir d’hydrocarbures fossiles. À titre d’exemple, deux appels à projets ont été lancés en octobre 2020, dont l’AAP « Écosystèmes territoriaux hydrogène » qui soutient des collectivités dans leurs projets de déploiement de véhicules hydrogène (bus, cars, camions, bennes à ordures, utilitaires) et d’électrolyseurs. « Plus de 50 projets portés par les territoires ont été déposés et sont en instruction pour pouvoir être soutenus », s’est félicité Hoang Bui.
En effet, dans le domaine de la mobilité, l’hydrogène répondrait aux usages auxquels le véhicule électrique à batterie ne sait pas répondre, alors que l’Europe veut réduire les émissions de polluants à l’échelle locale. « L’hydrogène répond aux besoins de forte autonomie, de rapidité de recharge, de compacité ou alors de masse contenue, notamment pour les avions », a énuméré Gaëtan Monnier, directeur du centre de résultats Transports de l’Ifpen. Ce dernier a rappelé quelques chiffres : « 1 kg d’hydrogène est l’équivalent d’environ 3,5 l de carburant, de 6 l d’éthanol et de 33 kWh d’électricité, soit la capacité totale de la batterie de la nouvelle Dacia Spring. En revanche, l’hydrogène liquide prend quatre fois plus de volume qu’un hydrocarbure. »
Un retour d’expérience du projet Zero Emission Valley
Certains territoires ont pris de l’avance, comme la région Auvergne-Rhône-Alpes avec le projet « Zero Emission Valley », lancé en 2017. Ce dernier s’est inspiré du projet Hyway qui expérimentait dès 2015 le développement de deux stations de distribution d’hydrogène en même temps que la mise en œuvre de dix Kangoo Z.E. H2. Là aussi, « le projet consiste à déployer en même un réseau d’infrastructures de production d’hydrogène renouvelable, de distribution de cet hydrogène et d’une flotte de véhicules captive pour les entreprises et les collectivités de façon à mettre en place un système économique pérenne sur la durée », a résumé Catherine Azzopardi, directrice de la direction de l’environnement et de l’énergie de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Une société commerciale publique-privée, baptisé Hympulsion, porte le réseau d’infrastructures, la région étant entrée au capital à hauteur de 33 %, comme permis par la loi d’orientation des mobilités dès 2017. Le projet mise sur des écosystèmes locaux coordonnées et animés par des agglomérations volontaires. Les acquéreurs de véhicules hydrogène ont accès à des subventions assises sur le nombre de kilomètres parcourus par véhicule et s’engagent sur un forfait minimum de consommation d’hydrogène. L’objectif : « que l’entreprise ou la collectivité identifie un véhicule de sa flotte qui soit le plus roulant possible, afin de permettre une rentabilité des stations », a expliqué Catherine Azzopardi.
« Il y a des difficultés, a-t-elle toutefois pointé. Nous imaginions que les véhicules arriveraient beaucoup plus vite dans notre business model, or les utilitaires attendus plus tôt ne sont toujours pas là. » Les acteurs du projet travaillent dont à étendre l’écosystème initial au gré des opportunités, avec par exemple le rétrofit de trains et de cars hydrogène ou bien le recours à des dameuses hydrogène pour les stations de ski.
Côté avitaillement, le projet prévoyait au départ 20 stations de distribution et 15 électrolyseurs répartis sur le territoire, considérant que 5 stations autour de Lyon pouvaient bénéficier d’un électrolyseur centralisé. « Nous nous sommes rapidement rendus compte, après une première expérimentation à Chambéry, que malgré les subventions et les optimisations techniques, un électrolyseur produisant 200 kg d’hydrogène par jour ne permettait pas d’avoir une rentabilité et d’offrir aux usagers un prix compétitif de l’hydrogène, soit 9 euros/kg, a signalé Catherine Azzopardi. Nous nous orientons aujourd’hui sur trois électrolyseurs de 2 MW, produisant chacun 800 kg par jour, avec un électrolyseur centralisé par bassin économique qui mutualise les usages industriels, énergétiques et de mobilité. »
Un vecteur énergétique à industrialiser
Pour baisser le coût final, les acteurs de la filière tentent aujourd’hui d’atteindre l’échelle industrielle. « Le projet Masshylia, annoncé en début d’année, est un projet intégré de production renouvelable de 100 MW avec un électrolyseur de 40 MW, a indiqué Adamo Screnci, vice-président Hydrogène chez Total. Il produira en moyenne 5 t par jour d’hydrogène décarbone pour alimenter la raffinerie de La Mède et ainsi diminuer ses émissions de CO2. » En parallèle, Adamo Screnci a appelé à industrialiser également la demande d’hydrogène décarboné, au travers de mécanismes d’incitation ou de pénalités ; et à favoriser l’interconnexion des infrastructures à l’échelle européenne, voire mondiale.
Précisons que l’hydrogène peut servir à stocker de l’électricité d’origine renouvelable avant d’être retransformé en électrique, comme c’est généralement le cas dans les véhicules à pile à combustible à hydrogène. Il devient alors « un sous-vecteur énergétique de l’électricité, a pointé Gaëtan Monnier, directeur du centre de résultats Transports de l’Ifpen. Dans ce cas, il faut faire attention à l’efficacité énergétique globale : on parcourt deux à trois fois plus de kilomètres en utilisant directement l’énergie électrique dans un VE qu’avec un véhicule à pile à combustible hydrogène. »
Par ailleurs, l’Ifpen a rappelé qu’en termes de motorisation, l’hydrogène ne rime pas nécessairement avec électrification. « Il y a deux options aujourd’hui, a résumé Gaëtan Monnier. Soit le groupe motopropulseur est électrique et le besoin d’autonomie est assuré par une pile à combustible qui va transformer de façon électrochimique l’hydrogène avec l’oxygène de l’air pour produire de l’eau et de l’électricité pour propulser le véhicule. Soit on a une propulsion mécanique directe au travers de la combustion de l’hydrogène avec l’oxygène de l’air pour produire de l’eau. Cette transformation d’oxydo-réduction génère directement du travail sans passer par l’intermédiaire d’un moteur électrique. »
L’hydrogène aussi comme carburant
Chacune de ces solutions présente des avantages et des inconvénients. Le véhicule à pile à combustible hydrogène n’émet aucun polluant localement et permet de bénéficier de l’agrément et du faible bruit de la motorisation électrique. « Son rendement est élevé – jusqu’à 65 % chez Toyota ou Hyundai – mais généralement à faible puissance, autour de 15 à 20 % de la puissance maximale, a indiqué Gaëtan Monnier. Plus on augmente la puissance de la pile, plus le rendement se dégrade. » Autres limitations : la pile doit être refroidie, elle est sensible à la pureté de l’air ambiant qui doit donc être filtré – ce qui peut poser problème pour des engins de chantier –, et l’hydrogène lui-même doit être très pur pour ne pas perturber son fonctionnement. Enfin, son coût reste élevé du fait de la présence de platine dans les électrodes.
De son côté, le moteur à combustion hydrogène est susceptible d’émettre des polluants atmosphériques tels les NOx. « Il faut donc trouver des solutions permettant de les éviter en limitant par exemple la température de combustion ou bien utiliser des systèmes de post-traitement comme sur les motorisations conventionnelles, a précisé Gaëtan Monnier. Suivant les usages, on pourra donc utiliser l’une ou l’autre solution. »
Et l’hydrogène ouvre encore d’autres potentialités. « On peut aller plus loin en transformant l’hydrogène lui-même en un autre vecteur énergétique, c’est-à-dire en d’autres molécules plus sophistiquées utilisables dans d’autres applications, a signalé Gaëtan Monnier. Il peut être transformé en ammoniac pour alimenter les moteurs des navires ou en carburant de synthèse. » Reste à savoir quels cas d’usages se développeront et se pérenniseront à l’avenir.