
Les usines automobiles sont-elles aussi intelligentes que les voitures qu’elles fabriquent ? La réponse, on s’en doute, n’est pas simple. L’innovation ne se réduit pas aux seules hautes technologies, elle se conçoit au sein d’une vision plus globale.
Quand Renault s’installe à Tanger au Maroc, pas question d’imaginer l’usine sous l’angle unique de la technologie, voire d’une totale automatisation. « L’avantage d’une nouvelle usine, c’est de partir d’une page blanche et d’y appliquer les meilleures pratiques du groupe, illustre ainsi Paul Carvalho, directeur du site (voir ci-dessous). Tout robotiser revient trop cher, seules le sont certaines...
Les usines automobiles sont-elles aussi intelligentes que les voitures qu’elles fabriquent ? La réponse, on s’en doute, n’est pas simple. L’innovation ne se réduit pas aux seules hautes technologies, elle se conçoit au sein d’une vision plus globale.
Quand Renault s’installe à Tanger au Maroc, pas question d’imaginer l’usine sous l’angle unique de la technologie, voire d’une totale automatisation. « L’avantage d’une nouvelle usine, c’est de partir d’une page blanche et d’y appliquer les meilleures pratiques du groupe, illustre ainsi Paul Carvalho, directeur du site (voir ci-dessous). Tout robotiser revient trop cher, seules le sont certaines activités qui demandent des manipulations très précises. »
Toyota tient un discours proche et évacue d’emblée la question technologique pour se recentrer sur l’humain : « L’important pour les usines du futur, c’est la connaissance technique des individus, avance Luciano Biondo, directeur général de TMMF (Toyota Motor Manufacturing France). La qualité des véhicules dépend de la façon dont on place les hommes qui les fabriquent au cœur de l’entreprise », poursuit-il.
Innover, une démarche avant tout globale
Toyota insiste sur la performance globale de l’entreprise : l’innovation ne peut se faire que dans la mesure où elle impacte l’ensemble de ce qui fait et de ce que fait le constructeur, avec des usines qui produisent mieux et plus propre, mais aussi avec un souci de la qualité et de la sécurité – celle des salariés et celle de ceux qui conduiront les véhicules.
C’est donc à une conception large de l’innovation que s’attachent les constructeurs. Dans un certain sens, Toyota a été le précurseur d’une nouvelle vision de l’usine automobile. Le fabricant japonais a inventé « l’usine étendue » en déléguant tout un ensemble d’activités à ses fournisseurs et sous-traitants. Ce faisant, il a véritablement modifié la taille et le fonctionnement de ses usines, opérant ce que l’on pourrait appeler un « downsizing ».
L’exemple de Toyota à Valenciennes reste à cet égard frappant. « Notre site est hyper compact, décrit Luciano Biondo, de 40 à 50 % moins grand que la taille moyenne des sites de production en Europe et même ailleurs. » Compact et capable de mieux travailler avec ses fournisseurs grâce à une logistique infaillible.
Ce principe du downsizing s’est généralisé. « La plupart des usines fonctionnent désormais en mono flux », constate Christophe de Baynast, directeur de la performance et de la stratégie industrielle du groupe PSA Peugeot Citroën. Avoir des usines en mono flux (avec une ligne de montage) permet aussi d’adapter les capacités de production au niveau de marchés qui ont fortement baissé en Europe.
Un downsizing des sites industriels automobiles
Une usine en mono flux se fait aussi plus facile à manager car deux lignes de production constituent en quelque sorte deux usines dans l’usine. C’est le cas du site de Mulhouse de PSA qui va geler l’une de ses deux lignes pour préparer l’introduction de la nouvelle plate-forme EMP2, une plate-forme « modulaire » pour les véhicules des segments C et D faisant appel à des matériaux légers innovants. En 2020, Mulhouse passera définitivement en mono flux.
La logistique étendue, la supply chain comme la qualifient les constructeurs, concerne les relations des usines entre elles, avec les fournisseurs et les sous-traitants, mais aussi à l’intérieur des usines. « Aujourd’hui, tout le monde sait faire cela », affirme-t-on chez Toyota. Mais cette supply chain n’en demeure pas moins un enjeu.
D’où les recherches chez Renault et PSA pour un fonctionnement le plus efficient possible avec des méthodes de distribution de pièces afin que celles-ci arrivent « juste à temps » pour le montage. Comme avec ce que PSA nomme le « kitting », des chariots équipés pour que le montage se fasse dans les règles. Cela signifie moins de transport pour l’opérateur et moins d’erreurs, explique en substance Christophe de Baynast.
Pour ce dernier, la supply chain doit être la plus précise mais aussi la plus flexible possible. « Nous mettons les clients au centre du système de production ; il faut donc travailler pour que la supply chain soit la plus adaptée à la personnalisation des véhicules demandées par ces clients », précise Christophe de Baynast. L’ère du mono produit est finie. Et si les productions standards en série s’imposent toujours, la production doit s’adapter à des modèles presque « sur mesure ».
Supply chain, juste à temps et robotisation
Cette fluidité et cette flexibilité supposent une organisation sans faille, un soutien numérique – les logiciels ont leur mot à dire –, mais aussi le recours à une automatisation accrue. Illustration avec Audi à Ingolstadt en Bavière. Le constructeur y expérimente le robot Ray qui transporte des voitures depuis la production jusqu’à la zone de stockage. Deux exemplaires sont en test afin d’évaluer l’impact sur l’ergonomie du travail des employés. « L’objectif est de leur éviter de marcher sur de longues distances », note Xavier Benoît, directeur des relations publiques chez Audi France.
Les constructeurs présentent toujours l’automatisation comme une aide à l’activité humaine, jamais comme un rival du travail des hommes. La question reste délicate sous l’angle éthique et social, à tel point que d’emblée, parler de robots dans les usines automobiles du futur revient systématiquement à remettre au centre du débat les personnes qui y travaillent.
Les constructeurs ne veulent pas être pris en faute sur ce sujet. En résumé, Paul Carvalho, citant l’usine Renault de Tanger, dit oui à l’automatisation pour des tâches pénibles comme la peinture et la soudure, non pour le montage et l’assemblage. On a alors deux univers, l’un où l’automatisation s’occupe des tâches pénibles, et l’autre dévolu au reste, apanage des humains.
Certains constructeurs mettent aussi en avant les limites des robots. Pour Mercedes Benz, « l’automatisation est déjà à son apogée dans certains secteurs. Il est bien sûr possible de réaliser un automate très perfectionné pour accomplir une tâche ciblée, mais entretemps, la tâche de production peut avoir complètement changé. »
Faire collaborer les robots et les hommes
Pour PSA, Christophe de Baynast met le doigt sur une évolution déjà en cours, la collaboration entre les hommes et les robots. « Les constructeurs y travaillent », souligne-t-il. Cela signifie l’effacement, au moins partiel, de cette frontière rigide entre les deux mondes, frontière maintenue pour des raisons de sécurité mais aussi d’éthique.
Là encore, Audi vient illustrer cette évolution avec le robot Part 4 you. Celui-ci prend les composants dans les boîtes et les donne aux employés sur la ligne d’assemblage, sans barrière de sécurité, au bon moment et dans une « position ergonomique optimale », selon les termes d’un communiqué. Les employés n’ont ainsi plus besoin d’atteindre les éléments sur de longues distances, ou de se pencher de manière répétée.
Faire évoluer la relation homme-machine
Dans le même registre chez Audi, un autre robot, la « chairless chair », permet aux employés une position semi assise qui les soutient pour éviter de se fatiguer : ils entrent dans les véhicules et y travaillent de façon plus fluide et confortable.
Le sujet de la collaboration entre l’homme et le robot se pose au centre de toutes les recherches et prospectives. Pour l’observatoire Fives des usines du futur qui a organisé une conférence le 17 décembre dernier, « la question de la place de l’homme est au cœur de toutes les facettes de l’usine du futur, et en particulier celle de la coopération entre ces deux faux ennemis que sont l’opérateur et le robot. » Ont notamment été évoquées des entreprises qui ont réussi à rester compétitives grâce à l’automatisation, sans impact négatif pour l’emploi.
Mais cela pose des défis technologiques. « Le robot doit être, comme l’opérateur, doté d’une perception afin d’agir adroitement et sans danger avec l’opérateur ; son interface et son ergonomie doivent donc faire l’objet d’une attention spécifique », comme l’a décrit Bernard Carera, directeur général de Stäubli Robotics, une société spécialisée dans la fabrication de robots industriels.
En matière d’innovation, un autre enjeu reste lié à l’emploi de matières plus évoluées afin de fabriquer plus économiquement et plus proprement. Ces matières composites sont de plus en plus utilisées dans les voitures et les usines adoptent ces processus de fabrication. Chez PSA, Christophe de Baynast évoque à ce propos une technique de liaisons de soudure discontinues qui autorise à substituer des matières plus légères à celles précédemment utilisées, plus épaisses.
Soulignons aussi l’innovation qu’apporte la fameuse impression 3D, un concept de fabrication qui, à partir d’une conception faite sur ordinateur, aboutit à la réalisation d’un fichier 3D envoyé vers une imprimante spécifique qui le découpe en tranches et dépose ou solidifie de la matière couche par couche pour obtenir la pièce finale. Un procédé de l’impression 3D est employé par Audi pour des pièces très complexes, avec de la poudre d’aluminium. C’est l’entrée de plain-pied de la réalité virtuelle dans les modes de fabrication.
Matériaux composites et impression 3D
Par définition, les sources d’innovation dans les usines sont nombreuses, ce qui impose aussi de la prudence dans les choix. « Pour n’en citer que quelques-uns, de nombreux domaines influencent les processus de production : l’internet des objets, la légèreté des nouveaux procédés de construction, les technologies d’assemblage pour des matériaux composites comme le métal et le plastique, les flux dans les usines, énumère-t-on chez Mercedez Benz. Le défi consiste à éviter de se perdre dans de multiples petits projets d’optimisation, mais bien plutôt de se concentrer sur une vision globale de la production. La flexibilité et l’ouverture à de nouvelles idées sont nécessaires, mais il faut une équipe expérimentée et une organisation structurée pour les appréhender. » La voie de la sagesse.
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