Chez Bouygues Construction, l’électrique représente moins de 1 % de la flotte. Mais le tournant est pris. « Afin de répondre aux demandes croissantes, nous allons installer plus de 65 nouvelles bornes de recharge au siège Challenger de Saint-Quentin-en-Yvelines (78), indique Michel Cozic, directeur du développement du véhicule électrique chez Bouygues Énergies et Services. Nous travaillons sur les trois segments à la fois : véhicules de fonction, de service et utilitaires. »
Pour les véhicules de service, Bouygues Construction commence à cibler les conducteurs qui peuvent basculer en Kangoo Z.E. ou en Zoé en fonction des usages. Une deuxième tranche sera lancée dès que l’arrivée de nouvelles bornes sera suffisante dans la région couverte. « Nous devons en effet résoudre le problème des équipes qui partent sur des chantiers itinérants et doivent recharger un peu partout en France. Nous étudions aussi les statistiques d’utilisation des véhicules et regardons s’il est nécessaire d’installer une borne au domicile du collaborateur », ajoute Michel Cozic.
La recharge a ses limites
Mais malgré leur bonne volonté, les entreprises restent souvent contraintes par les difficultés liées à la recharge électrique. Bouygues Énergies & Services connaît bien la question avec plus de 4 000 points de charge publics en service : « Le déploiement des bornes et des services associés s’appuie sur une règlementation précise et des normes de sécurité », précise Michel Cozic.
Forte de près de 300 véhicules électriques en parc, Orange fait partie des précurseurs de l’électromobilité, notamment en ce qui concerne la recharge. « Au départ, nous avons appris sur le tas. Nous avions conclu un accord avec Renault-Nissan qui nous offrait une borne de recharge pour trois véhicules loués. Nous ajoutions les deux bornes manquantes pour nous assurer d’avoir une borne par véhicule », explique Patrick Martinoli, directeur délégué innovation projets et expertise automobile. Près de 300 bornes ont déjà été installées. Mais pour aller plus loin, l’opérateur télécoms se heurte à des limites techniques. « Nous sommes freinés car les possibilités d’ajout de bornes ne sont pas infinies dans un bâtiment. Nous comptons donc différencier les places de parking et celles destinées à la recharge, avec comme objectif de libérer la borne dès que le véhicule est rechargé. Il va donc falloir bâtir un système de supervision des bornes pour gérer la file d’attente. Et il est aussi nécessaire de posséder une cartographie des bornes disponibles », anticipe Patrick Martinoli (voir son témoignage).
Ensuite, en installant des bornes de manière centrale, deux véhicules pourront se positionner de chaque côté. En fin de charge, la borne sera déverrouillée pour que le second véhicule puisse charger. À l’avenir, Orange compte aussi équiper les bornes de deux prises, une lente et une rapide ou semi rapide. Autre réflexion en cours : la possibilité de facturer l’énergie pour les salariés qui viennent avec leur propre véhicule électrique et pour les visiteurs, « car nous ne pouvons pas maintenir l’énergie gratuite », conclut Patrick Martinoli.
Dans sa volonté d’électrifier sa flotte, Dentsu Aegis Network France, spécialiste des médias, du digital et de la création de campagnes de communication numérique, fait aussi face à un frein technique. « Il faut respecter quantité de règles pour installer des bornes, rappelle Stéphane Belair, office manager et gestionnaire du parc. Nous sommes actuellement restreints pour notre parking souterrain. Il faudrait faire appel à un bureau d’études pour connaître le nombre de bornes de recharge potentielles. Ce que nous envisageons. En outre, le collaborateur doit pouvoir recharger à son domicile, soit grâce à une prise dans son garage, soit en prenant un abonnement pour recharger sur les emplacements Autolib’ » (voir son témoignage).
En attendant le réseau intelligent
Pour la recharge, SAP Labs mise à terme sur le réseau intelligent ou Smart Grid. « Dans le cadre d’un partenariat avec Nissan, nous allons bientôt expérimenter ce type de recharge qui permet de récupérer de l’électricité à partir de la voiture. Le véhicule électrique, c’est un stockage gratuit d’énergie. La Leaf peut charger de l’électricité mais aussi en donner, ce qui est intéressant pour un véhicule qui recharge la nuit ou reste inutilisé sur un parking dans la journée. L’expérimentation comprend l’installation de panneaux solaires pour la production d’électricité afin d’alimenter les voitures », explique Benoît Duval.
À noter que La Poste, à la tête de 14 000 modèles électriques sur un total d’un peu plus de 60 000 véhicules en parc, a mis en place des bornes avec les trois types de recharge disponibles (normale, semi rapide et rapide). Et l’opérateur postal réfléchit pareillement à des bornes « intelligentes » avec une puissance de charge différenciée en fonction des horaires.
Des freins techniques et administratifs
Pour l’entreprise de conseil en innovation et ingénierie Altran qui s’appuie sur un parc de 700 véhicules tous thermiques à l’exception de quelques hybrides, l’infrastructure de recharge rend ce développement impossible à courte échéance. « Notre souhait serait d’intégrer des modèles électriques mais les freins demeurent encore nombreux », constate Stéphanie Bideaux, responsable de la flotte du groupe.
Parmi ces freins, il y a le fait qu’Altran est une entreprises multi-sites et que tous ses sites ne sont pas équipés en bornes. Au siège à Vélizy (78), le bailleur n’a ainsi pas équipé le bâtiment pour des questions de coût. Le site de La Défense (92) n’offre pas non plus de possibilités de recharge. « À Neuilly (92), des bornes ont en revanche été installées ; si un collaborateur a un véhicule ou un scooter électrique à titre personnel, il peut charger gratuitement. Une chose est sûre, si nous devions envisager aujourd’hui une installation sur un nouveau site, la présence de bornes constituerait un critère important », souligne Stéphanie Bideaux.
Pour sa part, Sepur a fait le choix de s’appuyer sur un solide réseau de bornes dans l’ensemble de ses trente dépôts. « Ce qui coûte cher, ce n’est pas seulement la borne en tant que telle, mais l’ensemble, c’est-à-dire le raccordement, le changement d’abonnement ou de transformateur pour bénéficier de la puissance électrique nécessaire », note Philippe Crassous, directeur matériel et achats du spécialiste de la collecte des déchets et de la propreté urbaine qui possède 156 véhicules électriques.
SAP Labs, filiale R&D de l’éditeur allemand de logiciels, a lui installé 28 points de recharge sur son site de Mougins (06), une trentaine à Paris en commun avec SAP France, et quatre sur le site de Caen (14). Une infrastructure suffisante, d’autant que les collaborateurs possèdent un badge Freshmile pour recharger sur des bornes publiques, juge Benoît Duval, responsable du parc de 270 véhicules dont une cinquantaine électriques (voir le témoignage).
Un changement de mentalité
Pour Michel Cozic de Bouygues Énergies et Services, le comportement de l’usager du véhicule électrique évolue dans le temps : « Au début un peu inquiet quant à l’autonomie ou à la présence de bornes de recharge, il prend très vite goût et devient souvent un fervent défenseur de l’électromobilité. » Mais il doit aussi changer ses habitudes : « Aujourd’hui, avec les véhicules thermiques, il faut s’arrêter pour faire le plein alors qu’avec l’électrique, on fait le plein à l’arrêt ! »
Pour Michel Cozic, les mentalités changent. « Dans une famille qui dispose à la fois d’un véhicule thermique familial et d’un véhicule électrique en seconde voiture, on s’aperçoit que la voiture électrique devient très vite le premier véhicule utilisé, y compris le week-end. Et certains n’hésitent plus à se séparer du véhicule thermique, quitte à en louer un trois fois par an pour les vacances. C’est plus économique. »
Une conduite à repenser
Plus largement, cette question des infrastructures de recharge implique aussi directement les conducteurs des véhicules électriques. Des conducteurs qui doivent prendre en compte l’autonomie limitée de leur voiture et anticiper les « pleins ».
Chez Sepur, les Zoé parcourent 30 000 km par an. Le groupe a donc dû sensibiliser ses salariés pour qu’ils rechargent tout au long de la journée, dès qu’ils en ont la possibilité. « Ils repassent régulièrement dans les dépôts entre deux chantiers pour régler des questions administratives. Ils ont donc dû changer leur manière de travailler et prendre le réflexe de mettre le véhicule en recharge à chaque passage au dépôt », décrit Philippe Crassous.
Les salariés de Sepur peuvent aussi mettre les Zoé à recharger chez eux ou sur des emplacements Autolib’. « Mais certains n’en ont pas besoin en fonction des secteurs qu’ils couvrent. Notre objectif, grâce aux multiples bornes de recharge sur le site, consiste à limiter, voire à éviter les besoins de recharge à domicile. Ce qui lève encore un frein », ajoute Philippe Crassous.
Pour Benoît Duval de SAP Labs, l’autonomie n’est plus vraiment un problème : « Avec les Tesla ou la Jaguar I-Pace, le collaborateur peut même partir en vacances. Comme il est recommandé de faire régulièrement des pauses, il peut alors en profiter pour charger et récupérer de l’autonomie. Ce qui compte, c’est d’avoir des bornes disponibles sur le chemin. »
La recharge, une responsabilité partagée
Mais avant que tous les conducteurs de véhicules électriques ne soient équipés de modèles premium, la multiplication des bornes publiques de recharge se veut un véritable enjeu pour assurer le développement de l’électrique : « C’est de la responsabilité à la fois des collectivités, des acteurs privés qui permettent au public de recharger leurs véhicules, et des entreprises pour leurs réseaux internes », conclut Michel Cozic.