
Pour leur activité et leurs perspectives de développement, l’horizon se veut de longue date international dans les grands groupes. Et la mondialisation a souvent étendu le périmètre des flottes : une nouvelle filiale génère vite un petit parc supplémentaire, et une acquisition peut ajouter d’un coup plusieurs centaines ou milliers de véhicules.
Mais après des années de croissance, ou quand celle-ci vacille dans certaines régions, vient souvent l’heure de la reprise en main par l’échelon central, soucieux de restaurer son contrôle. En l’occurrence le contrôle des coûts de la flotte car des dizaines de millions d’euros peuvent être en jeu,...
Pour leur activité et leurs perspectives de développement, l’horizon se veut de longue date international dans les grands groupes. Et la mondialisation a souvent étendu le périmètre des flottes : une nouvelle filiale génère vite un petit parc supplémentaire, et une acquisition peut ajouter d’un coup plusieurs centaines ou milliers de véhicules.
Mais après des années de croissance, ou quand celle-ci vacille dans certaines régions, vient souvent l’heure de la reprise en main par l’échelon central, soucieux de restaurer son contrôle. En l’occurrence le contrôle des coûts de la flotte car des dizaines de millions d’euros peuvent être en jeu, parfois même plus.
En matière de multinationale, difficile de faire plus emblématique que L’Oréal où le scénario précédent s’illustre parfaitement. Il y a 18 mois, le groupe a engagé l’internationalisation de l’approche automobile, sous l’égide de Romain Trébuil, en charge de la flotte au titre de manager des achats RH (voir le reportage).
Une vision globale du parc et des dépenses
Un vaste travail de cartographie des besoins a ainsi conduit à délimiter le périmètre de la flotte : environ 10 000 véhicules dans le monde et largement plus d’une cinquantaine de millions d’euros de dépenses annuelles. « Un tel enjeu se devait d’être mis à contribution dans la politique d’optimisation qui irrigue un groupe comme L’Oréal où la remise en question est permanente », poursuit Romain Trébuil.
« La démarche s’est d’abord attachée aux 5 500 véhicules en Europe, mais l’Amérique du Nord et l’Asie sont au programme en 2016 », indique Romain Trébuil. Quant au gain visé, il pouvait difficilement relever d’un objectif fixé a priori, défini d’en haut. En avançant, les marges d’optimisation se précisent, et semblent pouvoir se chiffrer en millions d’euros. Quant au potentiel de réduction des émissions de CO2 de la flotte, il est de l’ordre de 25 %. Reste à mobiliser les différents pays pour favoriser l’adhésion aux contrats-groupes et faire effectivement évoluer les habitudes de fonctionnement. D’où l’accent mis sur la méthodologie et la conduite du changement.
Visibilité sur les coûts, meilleur contrôle et économies d’échelle : les motivations pour une approche internationale ne changent guère, relève Stéphane Rénie, directeur marketing et commercial d’ALD International. Et la formule suscite de l’intérêt : cette branche du loueur dédiée aux appels d’offres internationaux en a traité entre 80 et 90 par an ces trois dernières années, contre à peine une douzaine il y a dix ans.
Les loueurs passent en mode international
« Cette tendance marque bien la prise en main de ces grandes flottes par les acheteurs. Ils sont très majoritairement nos interlocuteurs, même si le déploiement d’une telle approche peut impliquer nombre de parties prenantes dans ces organisations souvent complexes. D’où l’accent mis sur la méthode et l’adhésion. En revanche, dans les entreprises de moindre taille qui se lancent à l’international, la démarche peut être plus verticale », explique Stéphane Rénie.
L’actualité du sujet se voit confirmée du côté d’Arval. Le nombre d’appels d’offres internationaux traités y est en croissance de presque 25 %, dépassant la centaine sur l’année écoulée. « Et entre 25 et 30 % des commandes enregistrées relèvent de nos 110 grands clients internationaux, dont les parcs totalisent plus de 150 000 véhicules dans 25 pays », décrit Jean-Loup Savigny, directeur de l’International Business Office (IBO) d’Arval.
Quant à la mise en route d’une telle approche, Jean-Loup Savigny prévient qu’elle peut durer jusqu’à un an pour en concevoir les principes, pour monter puis déployer des accords sur les volets loueurs et constructeurs, et éventuellement engager la réforme des modes de gestion ou de la car policy. « Mais le jeu en vaut la chandelle car l’économie est toujours au rendez-vous. Au moins pour les petits pays qui bénéficient de meilleures conditions commerciales ou contractuelles, et profitent de la maturité des flottes plus avancées », assure-t-il.
Consolider les achats avec pragmatisme
L’ascensoriste Schindler arrive justement au terme de cette première année de travail, entamée avec l’arrivée début 2015 de Guillaume de Subercasaux au poste de Global Category Manager Fleet & Travel au sein des achats indirects groupe. La globalisation de l’approche faisait partie de sa feuille de route alors qu’il a déjà œuvré sur ce type de projet dans deux multinationales (voir le témoignage).
Tout a débuté par un gros travail d’analyse de l’existant et des bonnes pratiques, à l’échelle d’une flotte totalisant 20 000 véhicules dans 32 pays. « De cette phase de diagnostic, il est ressorti que nous travaillions avec pas moins de 18 loueurs et une douzaine de constructeurs. L’objectif était évidemment de rationaliser ces relations fournisseurs, en faisant valoir un volume de commandes de 3 à 4 000 véhicules par an, compte tenu des renouvellements ou de notre développement sur des marchés », relate Guillaume de Subercasaux.
Sur ce volet, Guillaume de Subercasaux avait en tête des objectifs assez radicaux, comme de ne retenir que deux constructeurs par région. « Mais en avançant, il a paru judicieux de pouvoir assouplir la formule, pour tenir compte d’attentes propres à des pays, ou de la compétitivité d’un fournisseur sur un marché », complète-t-il. En rappelant l’importance de rester pragmatique.
Maintenant que l’essentiel des accords ont été négociés et signés, il suit au plus près la façon dont les pays s’en saisissent et dont la consolidation des relations fournisseurs se concrétise. Couplé avec l’évolution des modes de gestion, l’impact attendu sur les dépenses va de 2-3 % à 15 % selon les pays, leur volume de commandes ou la marge d’évolution des pratiques.
Des démarches internationales à systématiser
Cette consolidation, le groupe Sodexo l’avait engagée de longue date : dès 2007 à une échelle européenne. « Compte tenu de notre culture très décentralisée, nous avions privilégié une logique de référencement, en montant des contrats-ombrelles européens avec deux loueurs et trois constructeurs. Mais la négociation à proprement parler restait du ressort de chaque pays », se souvient Didier Julien, l’acheteur senior européen en charge du dossier automobile chez le spécialiste des services. Des économies se sont bien matérialisées mais sans que l’échelon central ait une parfaite visibilité sur l’évolution concrète des dépenses et des pratiques dans chaque pays (voir le témoignage).
Depuis, la flotte de Sodexo a augmenté d’un bon tiers pour atteindre 6 300 véhicules dans quinze pays et une facture annuelle de plusieurs dizaines de millions d’euros, tout compris. Et c’est pour aller plus loin dans l’optimisation qu’une nouvelle dynamique s’est mise en marche courant 2014, à l’échelle des huit pays qui concentrent l’essentiel des besoins.
« La démarche se veut plus centralisée. Avec l’accent sur la négociation des conditions commerciales en matière de prix comme de services, et sur un déploiement des accords plus poussés et systématiques », précise Didier Julien. Et ce volet fournisseurs n’est qu’un des quatre piliers d’une stratégie qui associe désormais les directions achats, finances et RH.
Des remises attendues des constructeurs
Reste que les accords globaux ou régionaux constituent la pierre angulaire de toute approche internationale. Avec, selon les volumes en jeu, la dispersion des besoins ou les pays concernés, plus ou moins de leviers de négociation pour l’acheteur. En général, il s’efforce de mener de front les volets constructeurs et loueurs, essentiels pour concrétiser l’intérêt d’une proposition commerciale dans une logique de TCO. Toutefois, ces deux types d’accords internationaux s’abordent différemment.
Sur le volet constructeurs, les avantages économiques à négocier n’ont rien de très nouveau. On parle remises de fin d’année (RFA) liées au nombre de commandes passées à l’échelle de toute la flotte, et pourcentages de remise sur la gamme ou sur des modèles, modulés selon la politique commerciale de la marque dans tel ou tel pays.
Évidemment, les entreprises qui se lancent à l’international disposent d’un atout : le potentiel de consolidation de leurs commandes, réparties jusque-là entre une douzaine ou une quinzaine de marques. L’Oréal et Schindler ont choisi de les concentrer sur deux fournisseurs principaux par région, avec d’éventuels challengers en fonction de contraintes ou d’opportunités locales.
Notons d’ailleurs que Romain Trébuil et Guillaume de Subercasaux ne ferment pas la porte à des discussions en local. Par exemple avec des concessionnaires qui ont leur propre marge de manœuvre commerciale ou qui peuvent fiabiliser la livraison des véhicules.
Des points pas forcément faciles à soulever dans un appel d’offres global qui demanderait des mois de préparation. En pratique chez L’Oréal, celui mené courant 2015 à l’échelle de la France a permis de sonder différents constructeurs, et d’entamer le montage et la négociation d’accords plus vastes. Chez Schindler, le dialogue s’est engagé avec les deux constructeurs les plus significatifs au sein de la flotte, pour rapidement déboucher sur des accords bien formalisés.
Vers une standardisation des besoins ?
Pour aller plus loin sur ce volet constructeurs, d’aucuns suggèrent d’harmoniser, voire de standardiser les besoins. « Cela pourrait être une piste : les métiers de Schindler sont similaires d’un pays à l’autre et on peut imaginer d’unifier les car policies encore définies localement », note Guillaume de Subercasaux. Mais pour avoir évoqué l’hypothèse avec les RH groupe, il sait les barrières nombreuses.
Cette harmonisation des besoins à l’international paraît un peu moins hypothétique chez Sodexo qui s’est justement efforcé d’aligner les rubriques des car policies, à défaut d’en aligner le contenu. Mais avec « seulement » 6 000 véhicules en Europe, Didier Julien n’est pas sûr que cela ouvre des marges de manœuvre considérables avec les constructeurs. « Les pistes d’optimisation à venir portent moins sur l’amélioration des conditions d’achat que sur la rationalisation des processus de gestion, le déploiement d’outils pertinents ou de catalogues maîtrisés », estime-t-il, en évoquant les chantiers à venir pour 2016.
Une concurrence à double détente
Car c’est en fait sur le versant loueurs que l’évolution des approches se fait la plus manifeste. Ainsi, le montage et la négociation des accords internationaux n’est souvent plus qu’un premier volet de la mise en concurrence. Et c’est ensuite au fils des besoins que des demandes de cotation sont adressées à plusieurs des loueurs sous contrat, dans une logique de concurrence très directe où le TCO proposé à l’instant t emporte la décision.
Ce principe de concurrence s’est fait connaître sous le nom de « multibidding ». On le retrouve aussi bien dans la démarche de L’Oréal, qui enjoint les pays à mettre systématiquement deux loueurs en concurrence, que dans les bonnes pratiques de gestion recommandées en central chez Sodexo. Et Schindler pousse cette logique plus loin en recourant aux enchères inversées.
Le développement du multibidding, surtout dans une variante d’enchères inversées, n’est pas forcément fait pour réjouir les loueurs. Chez Arval, Jean-Loup Savigny met en garde contre des visions trop court-termistes qui reviennent à bouleverser la donne négociée dans l’accord-cadre. Avec pour les loueurs, le sentiment d’avoir un peu travaillé pour rien en se prêtant au jeu de l’appel d’offres international, de la négociation de tout un cadre économique et contractuel, et de services associés.
« Au contraire, l’avantage de ces accords internationaux est plutôt d’installer la relation dans la durée. On entre dans un processus de trois à quatre ans au moins, au cours duquel on récolte énormément d’informations sur les modes de gestion, la qualité de service ou le fonctionnement des marchés dans tous les pays. Autant de pistes pour définir de nouveaux plans d’action », argumente Jean-Loup Savigny. Et d’imaginer par exemple une réforme de la car policy qui tienne compte des opportunités de marché sur certains segments de véhicules, dans tel ou tel pays.
Inscrire l’international dans le long terme
Pour ALD, Stéphane Rénie relève qu’une première expérience à l’international recherche surtout un impact direct et rapide sur les coûts. Et il est toujours au rendez-vous selon lui, vu le contexte très concurrentiel des marchés constructeurs et loueurs. « En revanche, l’approche des clients évolue avec le temps, au fil des deuxième puis troisième cycles d’appels d’offres. La dimension qualitative prend plus d’importance dans le cahier des charges », remarque-t-il.
Dans ce cadre, se met alors en place une trame internationale d’indicateurs (KPI) ou des niveaux de services (SLA) à préciser en local : sur le temps de fourniture d’une cotation, les conditions et délais de livraison, la justesse de facturation ou encore la satisfaction des conducteurs. « L’internationalisation n’est pas qu’un vecteur de consolidation des relations fournisseurs, c’est aussi un vecteur d’harmonisation des pratiques. En interne chez nos clients, comme chez les loueurs ces dernières années », insiste Stéphane Rénie. Et ce n’est pas le moindre des défis.
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