
C’est un peu une révolution culturelle. La révision générale des politiques publiques engagée par l’État depuis juillet 2007 a conduit ce dernier à prendre un certain nombre de décisions concernant la gestion du parc de la fonction publique. Or, celle-ci est habituée depuis toujours à l’achat, et dispose aussi de ses propres garages. Adopter d’autres financements et modes de gestion, c’est travailler autrement, c’est faire appel au fleet management et s’ouvrir à la location longue durée. Un changement profond s’est amorcé, lent certes, mais sûr. Encore faut-il savoir de qui on parle. La fonction publique, c’est aussi bien l’administration centrale que les collectivités locales et territoriales. Et les deux ne vivent pas cette « révolution culturelle » de la même façon.
« Après plus de vingt ans de décentralisation, l’État a une vision assez floue de son parc et de son utilisation », observe ainsi Jean-Marc Borne, responsable du département véhicules à la direction des achats de l’UGAP. « C’est moins vrai pour les collectivités, qui en ont une vision plus précise. » Résultat, il a fallu que l’État procède à un audit. Mais il a un avantage sur les collectivités locales et territoriales, un pouvoir de décision qui facilite l’impulsion du changement. C’est ainsi par exemple que le Ministère de la Défense a basculé dans l’externalisation totale de la gestion de son parc automobile non stratégique il y a trois ans, soit une économie de 25 à 30 % selon un observateur du marché. C’est ainsi également que d’autres Ministères se sont largement ouverts au fleet management. Les collectivités, elles, sont confrontées à des difficultés spécifiques qui freinent la prise de décision. « Il y a eu en effet la création de communautés d’agglomérations qui ont rendu les décisions plus complexes », souligne Bernard Roland, directeur du cabinet conseil en gestion de parcs BRC. Sans compter tous les transferts de compétences, notamment des différentes DDE dans les départements, supportés par les collectivités. « Il en résulte un gros problème d’organisation et d’harmonisation qui suppose un vrai travail de mise en commun », ajoute le consultant Bernard Roland.
L’UGAP ouvre la voie
Dans ce contexte, l’implication de l’UGAP dans la gestion de parcs va aider de nombreuses collectivités. Le groupement d’achats publics a en effet passé deux importants marchés : l’un récent (fin 2009) concernant le fleet management avec ALD Automotive pour la gestion des véhicules légers et Aon Auto pour les poids lourds, l’autre (fin 2008) portant sur une offre de location longue durée avec Dexia LLD, la joint venture partagée entre le loueur Arval et l’établissement financier spécialiste de la fonction publique Dexia. La centrale d’achats a ainsi négocié pour le compte des collectivités la possibilité de recourir à ces offres de gestion de parcs. Elles ne sont donc pas forcées de passer des appels d’offres. Mais s’il facilite la tâche des collectivités, l’UGAP ne les empêche pas de se poser la question de savoir quelle solution choisir. Le parc des collectivités se caractérise par de nombreuses spécificités : un kilométrage moindre que dans le privé, 10 000 km par an est une moyenne souvent avancée par les acteurs concernés, un parc qui dure plus longtemps, l’âge moyen du parc est d’environ 6 ou 7 ans, de nombreux véhicules lourds à l’usage et l’entretien très spécifiques (véhicules de nettoyage par exemple). Dans ce contexte, choisir le fleet management ou la LLD revient à analyser très précisément les avantages de l’un et de l’autre selon la composition du parc de la collectivité et sa structure de coût.
« Nous évaluons en permanence la pertinence économique des choix possibles », évoque ainsi Gilles Debergue, directeur adjoint logistique et services généraux du conseil général des Alpes Maritimes. « Or, nos dernières évaluations confirment que le coût de LLD est supérieur à celui de l’achat avec contrat de maintenance. Les loueurs ne sont pas très à l’aise avec nos usages et la LLD est surtout intéressante pour les gros rouleurs. Nous avons des coûts de maintenance faibles et pouvons faire durer nos véhicules bien au-delà des durées classiques de location, de 48 ou 60 mois, jusqu’à 7 ans. » Le conseil général n’utilise donc la LLD que de façon très ponctuelle, il a un peu plus recours au fleet management qui est un « bon compromis », estime Gilles Debergue.
Pour d’autres, l’équation est différente. Patrick Geoffroy, responsable des achats au conseil général de Saône et Loire, explique qu’après une étude comparative effectuée chaque année et segment par segment, le recours à la LLD s’est répandu pour les berlines. « 65 % de notre parc est en location », évoque-t-il. « Le recours à ce mode de gestion est d’autant plus intéressant actuellement que les contrats ont tendance à s’allonger compte tenu des difficultés qu’ont les loueurs à revendre leurs véhicules sur le marché de l’occasion. »
Autre argument en faveur de la LLD avancé par Patrick Geoffroy : « nous savons acheter, nous ne savons pas si bien revendre que ça. » Mais de nombreux segments échappent encore à ce mode de gestion, les pneumatiques par exemple, pour lesquels « il n’est économiquement pas intéressant » conduisant ainsi le conseil général à passer un appel d’offres spécifique, et aussi de manière surprenante certains petits VU. « Jusqu’à il y a peu, les conditions étaient à peu près équivalentes, elles sont aujourd’hui meilleures à l’achat », estime Patrick Geoffroy.
Lignes budgétaires et recours à la LLD
Pour une communauté d’agglomération, les enjeux financiers sont identiques, mais la nature même de ces structures relativement récentes peuvent conduire à une réflexion un peu différente. « Nous avons des compétences bien précises d’ingénierie territoriale et avons rarement de garages ou d’équipes d’agents comme les communes », explique Guillaume Lenoble, directeur financier de la CAVAM, Communauté d’Agglomération de la vallée de Montmorency dans le Val d’Oise. « La gestion de parc n’est pas notre métier, nous n’avons pas de personnel dédié et d’un point de vue financier nous avons intérêt à lisser le coût sur la durée de la location. Qui plus est l’avantage avec la LLD, c’est qu’on dispose d’un prestataire disponible tout de suite avec un haut niveau de qualification. » Autant d’arguments qui militent en faveur de la location, sauf un qui peut être handicapant : « sur un plan financier, nous ne récupérons pas la TVA conformément aux règles territoriales », précise Guillaume Lenoble.
Cet argument souvent avancé par les collectivités, fait bondir Stéphane Spitz, directeur commercial de Dexia Longue Durée. « Certes, elles ne récupèrent pas la TVA, mais sur la valeur d’usage du véhicule, non sur la valeur totale de celui-ci, la somme perdue est nettement inférieure à ce que l’on dit et c’est mineur comparé aux économies dégagées par la LLD. » Ce que Guillaume Lenoble confirme à sa manière en précisant que la comparaison des coûts au km entre la régie (l’achat donc) ou la location est relativement proche, mais qu’il faut intégrer au modèle financier les coûts indirects de la régie, comme la formation. Résultat, la CAVAM dispose de 15 véhicules en LLD et 30 en régie. « Cela a un peu valeur de test auprès des élus, inquiets du devenir des garages de leurs communes », ajoute-t-il.
Un autre argument avancé par les collectivités contre la LLD en fait réfléchir aussi plus d’un. « La location pèse sur le budget de fonctionnement qui a tendance à diminuer tandis que l’achat fait partie du budget d’investissement, avec lequel nous avons plus de marge », témoigne Daniel Dagnicourt, directeur du centre technique d’agglomération de St Quentin, dans l’Aisne. « C’est un point fondamental, une vraie spécificité du service public », admet Stéphane Spitz. « Il faut convaincre de majorer le budget de fonctionnement, en faire quelque chose de mesurable, stable de façon à disposer d’une visibilité budgétaire sur plusieurs années, et rappeler que le budget d’investissements doit avant tout être consacré directement aux services à apporter au public. » Sous-entendu, les véhicules de fonction n’ont pas à entrer dans ce budget.
Le choix du fleet management se fait aussi en fonction de l’existence ou pas de garages intégrés, et de la préoccupation qu’ont beaucoup d’élus de préserver l’activité des garagistes indépendants. Pour Jean-Marc Borne, le fleet management est le système le plus souple car il n’est pas engageant pour l’avenir comme peut l’être la LLD. De toute évidence, la question ne se pose pas pour des véhicules lourds très spécifiques, ceux qui s’occupent du ramassage des ordures par exemple, ou de l’entretien des espaces verts, qui intéressent de fait assez peu la LLD, et même les contrats d’entretien externalisés. Dans ces cas-là, le maintien de garages intégrés est évident. Le fleet management permet de rationaliser l’usage des garages qui sont maintenus, quelles que soient leurs compétences. Et souvent il est accompagné de mesures d’optimisation du parc qui aident à faire ces choix.
« Nous avons mis en place un système de réservation pour notre flotte de véhicules type berlines », évoque ainsi Frédérique Macarez, directrice de cabinet à la mairie de St Quentin. « Nous avons donc besoin de moins de véhicules et concernant l’entretien, nous avons un garage mutualisé au lieu de deux, un garage qui s’occupe de la maintenance de premier niveau et parfois de plus haut niveau dans la mesure de nos possibilités. » La mutualisation devrait se généraliser à tous les types de véhicules, y compris ceux, plus techniques. Cette collectivité dispose d’un parc assez important, 274 véhicules, et, accessoirement, elle compte bien utiliser prochainement un logiciel de gestion de parc, indispensable selon Daniel Dagnicourt, à ce niveau d’équipement. Un appel d’offres en ce sens sera bientôt lancé.
Des attentes fortes sur l’environnement
Le dernier critère que les collectivités, tout autant que l’administration centrale, considère dans la définition de leurs marchés en matière de gestion de parc, est celui de l’environnement. Le dernier, mais pas le moindre. Compte tenu des obligations légales qui pèsent sur les collectivités, acquérir 20 % au moins de véhicules propres lors du renouvellement de leur flotte, les collectivités sont aux aguets de toutes les technologies qui permettent de réduire leurs émissions de CO2. Et là aussi, un examen très attentif et régulier leur permet d’évaluer les performances techniques dans ce domaine. « Nous avons établi une simulation pour vérifier quel est le carburant qui émet le plus de CO2 entre le GNV et le Diesel, et nous avons constaté que le GNV est entre 10 et 20 % supérieur au diesel, exclusion faite de toutes les autres matières polluantes », affirme Patrick Geoffroy. « De plus, le ravitaillement est mal assuré, les 2 stations d’alimentation auxquelles nous avons accès sont régulièrement en panne et leur autonomie est de 25 % en-dessous de ce qui est annoncé. »
D’une manière générale, les collectivités sont dans l’attente de véhicules propres dignes de ce nom. Peut-être plus encore que dans le privé, estime Jean-François Chanal, directeur général d’ALD Automotive. Mais il faudra trouver le bon modèle financier pour gérer ces véhicules, notamment électriques. « Le coût annoncé des futurs modèles qu’on attend pour fin 2010 est d’environ 30 000 euros primes déduites », s’inquiète Gilles Debergue. « Il faudra trouver le point mort qui permettra les économies d’échelle suffisantes pour absorber le surcoût » ajoute Stéphane Spitz. Tout le monde n’est pas prêt. En attendant, les collectivités renouvellent leurs parcs avec des véhicules moins polluants et continuent de tester les nouvelles technologies.
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