
Plus de livraisons mais avec moins d’émissions et moins de congestion, telle est la difficile équation à résoudre pour les spécialistes de la logistique urbaine. Ces derniers font en effet face à des flux toujours plus importants. « Si elle ne représente pas la majorité des flux, la logistique urbaine affiche 8 % de croissance annuelle, voire 10 % en région parisienne. Cette tendance a débuté pré-covid et devrait se renforcer », indique Charlotte Migne, directrice du développement durable chez FM Logistic.
Anticiper les contraintes

Ce spécialiste de la logistique, de...
Plus de livraisons mais avec moins d’émissions et moins de congestion, telle est la difficile équation à résoudre pour les spécialistes de la logistique urbaine. Ces derniers font en effet face à des flux toujours plus importants. « Si elle ne représente pas la majorité des flux, la logistique urbaine affiche 8 % de croissance annuelle, voire 10 % en région parisienne. Cette tendance a débuté pré-covid et devrait se renforcer », indique Charlotte Migne, directrice du développement durable chez FM Logistic.
Anticiper les contraintes

Ce spécialiste de la logistique, de l’organisation du transport et du reconditionnement de produits opère avec 351 véhicules en France, auxquels s’ajoutent ceux de ses 33 sous-traitants. Et les clients urbains ont des exigences élevées. « Ils veulent une livraison à la fois gratuite, flexible, pratique, transparente et facilement retournable, avec un impact environnemental restreint, énumère Charlotte Migne. Et dans les villes ultra-urbaines, leur choix se porte plus souvent sur la livraison à domicile, ce qui renforce la tension en termes d’externalités négatives, principalement la congestion et la pollution. »
Les flottes de logistique urbaine sont également soumises à des contraintes réglementaires à l’échelle européenne et nationale, avec notamment la récente loi Climat-Résilience, et désormais à l’échelon territorial. « Chez FM Logistic, nous arrivons encore à livrer en ville avec du diesel, sauf dans des villes comme Madrid et Rome. Mais cela ne sera plus possible d’ici quelques années, anticipe Charlotte Migne. Soit cela coûtera plus cher avec des taxes directes ou indirectes, soit cela sera plus compliqué opérationnellement, avec par exemple des horaires limités de circulation. »
Dans ce contexte, les spécialistes de la logistique urbaine innovent. Et sans surprise, cela passe en premier lieu par un travail sur les motorisations. C’est le cas chez Heppner, une entreprise organisatrice de transport qui effectue principalement du groupage de colis de 60 à 80 kg pour la livraison du dernier kilomètre. En France, son parc en propre compte 274 poids lourds ; d’ici fin 2021, 25 % rouleront avec des motorisations alternatives, majoritairement du GNC (voir le témoignage). Pareillement, Urby, spécialiste de la livraison du premier et du dernier kilomètre pour les flux supérieurs à 15 kg, mise sur le GNV et l’électrique pour agrandir sa flotte de 200 véhicules (voir le témoignage).
Verdir les véhicules
Chez FM Logistic, le choix dépend des régions. « En Europe de l’Ouest, nous misons sur l’électrique en urbain et peut-être l’hydrogène pour des besoins plus importants en puissance et en consommation, tels des flux à température dirigée ou très fréquents, expose Charlotte Migne. Inversement, en Europe de l’Est, l’électricité est très carbonée et les conditions climatiques rendent l’électrique moins performant, tandis que le gaz est très peu cher. »
« À courte et moyenne échéance, les investissements vont cibler des technologies qui ont fait leurs preuves, tels le GNV et l’hybride », estime Christophe Schmitt, directeur des relations institutionnelles d’Heppner et président de la commission logistique urbaine de l’Union des entreprises de transport et logistique de France (TLF).
« La flotte d’Urby va évoluer davantage vers du GNV, confirme Delphine Janicot, directrice marketing et communication d’Urby. L’électrique en poids lourd reste très complexe, avec des limites sur la durée de vie de la batterie et son recyclage. Le GNV a un meilleur ratio entre coût, capacité et contraintes métiers. Il nous fait bénéficier d’une autonomie plus élevée, comparable à celle d’un modèle essence. Mais nous sommes prêts à tester de nouvelles motorisations si les modèles répondent à nos contraintes métiers. »

Des solutions pour la longue distance
Les entreprises doivent aussi trouver des solutions pour le transport longue distance dont il faut limiter les émissions. « C’est un véritable enjeu car la logistique ne s’arrête pas à la ville. Rares sont les flux où les entrepôts se situent à l’entrée de la ville pour le dernier kilomètre, pointe Charlotte Migne chez FM Logistic. Nous envisageons plutôt l’hydrogène à moyen terme mais il y aura toujours un mix énergétique. » « Les biocarburants comme le diesel B100 seront dans un premier temps de bonnes solutions pour les longues distances », juge Christophe Schmitt pour Heppner.
Un avis partagé par Charlotte Migne, bien que le B100 soit controversé : « Il n’est pas très adapté pour les trajets urbains : s’il diminue de 60 % les émissions de CO2 par rapport à un diesel, il ne réduit pas celles de polluants atmosphériques. Et il est produit à partir de cultures agricoles, d’où des questions d’autonomie alimentaire et environnementales. Le B100 est toutefois une énergie de transition intéressante car il est possible de rétrofiter des véhicules diesel. »
Adapter les véhicules…

La transition énergétique semble donc en marche. Reste un souci : « Les constructeurs n’ont pas forcément dans leur gamme les véhicules pour organiser cette transition, constate Christophe Schmitt. Il y a beaucoup de choix jusqu’à 6 t avec des hybrides, des électriques et un peu de gaz. À l’autre bout de la gamme, à partir de 19 t, on trouve du GNV, voire de l’électrique. En revanche, entre 6 et 19 t, il y a un trou dans la raquette. »
S’ajoutent des contraintes techniques : « La caisse des 14 et 19 t roulant au GNV est moins grande que celle d’un diesel, ce qui limite le volume de chargement et peut restreindre nos usages », reprend Christophe Schmitt. Des constats que partage Delphine Janicot pour Urby : « La logistique urbaine est un marché émergent et nous avons un vrai débat avec les constructeurs sur la charge utile, la disponibilité et la configuration des utilitaires et poids lourds. Il y a un délai de six à douze mois pour obtenir un véhicule GNV et plus on monte en tonnage, moins il y a de stock. » Autre écueil, la configuration des véhicules ne répond pas forcément aux usages. « Nous recherchons un modèle à l’intérieur minimaliste pour maximiser l’emport et optimiser nos tournées, décrit Delphine Janicot. Nous avons ainsi fait supprimer un siège passager sur nos 3,5 t pour passer de trois à deux places, et fait allonger la caisse d’un 7,5 t ou encore fait abaisser la caisse d’un 3,5 t pour charger des palettes de plus de 2 m. »
Au dernier trimestre 2021, Urby va tester en conditions réelles le Volta Zero, un prototype de poids lourd électrique conçu pour la logistique urbaine. « Il peut emporter 16 palettes avec un poids moyen de 500 kg – contre seulement huit dans un 3,5 t –, ce qui autorise des livraisons pondéreuses à une vitesse maximale de 90 km/h », précise Delphine Janicot. L’enjeu sera ensuite d’industrialiser ce type de véhicule. « Beaucoup d’innovations ne sont pour l’instant pas adaptées à la logistique urbaine », regrette Delphine Janicot.
… et leur utilisation

En conséquence, les entreprises doivent parfois revoir leurs méthodes de travail. Ce qu’a fait Heppner lors du déploiement d’un véhicule électrique à Strasbourg, suite à la création de la ZFE-m dans l’ultra-centre-ville. « Nous avons optimisé l’usage de ce véhicule en programmant deux tournées matin et après-midi avec une session de recharge entre les deux, relate Christophe Schmitt. Ce dispositif fonctionne bien car la localisation entre notre agence et nos clients le permet. Cette adaptation est possible ailleurs, mais pas partout ni dans les mêmes conditions. Cela dépend de la géographie de chaque site, de chaque usage et des charges emportées. La problématique sera différente dans une ville médiévale ou au Havre. »
Autre limite : la construction d’infrastructures ne suit pas toujours. « La France compte à peine un peu plus de 200 stations de gaz publiques. Les transporteurs se trouvent alors confrontés à des stations trop éloignées ou bien saturées, ce qui fait perdre du temps et pèse sur les coûts de production. Heppner n’a pour l’instant alloué aucun véhicule au gaz à la région Sud-Est car il n’y a pas les stations nécessaires », observe Christophe Schmitt. « De nombreuses villes comme Nice, Marseille ou Clermont-Ferrand n’ont pas de stations GNV alors qu’elles nous demandent d’utiliser des véhicules à faibles émissions, complète Delphine Janicot pour Urby. Nous collaborons donc avec les énergéticiens pour faire évoluer les collectivités sur ce sujet. »
Organiser la recharge et l’avitaillement

De son côté, Heppner réfléchit à modifier ses propres infrastructures. « Depuis mars, nous avons équipé notre agence du Mans d’une station GNV en propre et de futures implantations sont à l’étude, se félicite Christophe Schmitt. Mais le dispositif technique de ces stations est plus complexe que celui d’une station classique et il est sujet aux pannes. La technologie doit donc encore être améliorée. »
Heppner étudie également la piste des stations partagées. « Toutes les stations GNV installées dans nos agences seront ouvertes à nos sous-traitants, rappelle Christophe Schmitt. Nous envisageons aussi des stations publiques-privées afin de les ouvrir à nos voisins et pourquoi pas de partager l’investissement. Nous avons déjà réussi à négocier avec l’opérateur de transport public de Strasbourg pour mutualiser la station. Cette démarche commence à mûrir dans les entreprises mais il faut qu’elle soit animée par les institutions. »
Reste, pour être encore plus vert, à s’alimenter en biogaz. Mais cela est encore plus complexe. « Contrairement à la grande distribution ou au retail dont les fournisseurs ont des déchets agricoles qui peuvent s’employer pour produire du biogaz, nous n’avons pas facilement accès à cette énergie, ce qui implique des enjeux de dépendance », argue Charlotte Migne pour FM Logistic. Qui teste plutôt l’hydrogène. « Nous expérimentons à petite échelle la production d’hydrogène décarboné dans notre site d’Illescas, près de Madrid. Nous avons installé des panneaux photovoltaïques et un électrolyseur pour convertir tout ou partie de notre production d’électricité en hydrogène. Ce dernier sert ensuite à alimenter des VUL qui livrent des biens dans Madrid », détaille Charlotte Migne.
Un projet similaire devrait voir le jour en France en 2023 dans le Loiret. « L’hydrogène alimentera nos chariots élévateurs et sera vendu aux collectivités pour leurs bennes à ordures et leurs véhicules de transport public, anticipe Charlotte Migne. Puis, nous convertirons nos poids lourds à l’hydrogène lorsque des modèles seront proposés sur le marché, à partir de 2025. En attendant, nous ferons tourner la station, sachant que l’installation prend du temps, nos sites étant souvent classés Seveso. »
Des modes alternatifs de livraison
Autre solution pour livrer en ville malgré les contraintes : déployer des modes alternatifs de livraison. « Des solutions techniques considérées comme inopérantes il y a quelques années sont devenues opérantes avec des évolutions technologiques ou des évolutions comportementales du public, souligne Christophe Schmitt pour Heppner. Nous déployons par exemple la distribution à vélo dans de nombreuses villes car il existe désormais des vélos capables de transporter des palettes de 300 kg. Et la livraison à pied prendra elle aussi son essor avec le développement de pousseurs ou d’autres technologies », illustre-t-il. Sans oublier l’approche fluviale (voir l’article).
Sur de très faibles distances, Urby mise aussi sur le vélo-cargo. « Il peut transporter une palette et livrer en dehors des horaires de circulation des poids lourds en ville, pointe Delphine Janicot. Nous travaillons avec le fabricant de remorques Flexymodal, qui offre une capacité d’emport de 150 à 200 kg, et nous allons ensuite chercher des caisses adaptées selon la taille des colis à livrer. Mais nous constatons un manque de solutions d’entretien et de réparation, sans réseau national de maintenance comme pour les véhicules standards, regrette cette responsable. C’est un vrai frein au développement du vélo-cargo alors que les modèles sont assez fragiles et roulent tous les jours. »
Source : Urby Source : Urby
Mutualiser et rationaliser les flux
Une autre solution à la fois écologique et économique, plus traditionnelle, consiste à rationaliser, voire mutualiser les flux. « Aujourd’hui, 70 % des transporteurs en propre circulent chargés à seulement 25 %, signale Delphine Janicot. Nous congestionnons les villes pour transporter de l’air ! Au lieu de démultiplier le nombre de livraisons et d’accroître la congestion, la pollution et le temps de stationnement, il faut un point central facilitant la mutualisation et la rationalisation ; c’est-à-dire partir avec le bon véhicule, au bon moment, selon la réglementation en vigueur. En pratique, dans les métropoles au périmètre géographique très large, nous rationalisons le camionnage selon les catégories de produits et les tournées en faisant de la boucle courte, ou distribution en pétales, précise Delphine Janicot. Nous avons des espaces de logistique urbaine situés à l’entrée des cœurs des villes pour faire du stockage déporté, ce qui renforce notre capacité de réassort et donc notre réactivité. »

De son côté, FM Logistic pratique depuis dix ans le « pooling » avec la création de plates-formes multi-clients. « Nous disposons d’un entrepôt à Château-Thierry, à 80 km du cœur de Paris, à partir duquel nous convoyons dans un unique camion des marchandises de différentes marques à destination des mêmes distributeurs », illustre Charlotte Migne. La société développe aussi des entrepôts urbains pour livrer les centres-villes avec des VUL à faibles émissions (voir le témoignage). Et avec la ville de Madrid, FM Logistic va transformer un parking en hub urbain dans le cadre du projet européen LEAD.
De façon générale, les spécialistes de la logistique urbaine souhaitent favoriser la livraison en sites mutualisé, afin d’éviter la livraison à domicile, plus coûteuse et plus polluante. « Nous réfléchissons à des sites de consigne qui seraient de vrais espaces de vie, ouverts aux commerçants du coin et où les clients iraient chercher leurs commandes 24 h sur 24 », expose Charlotte Migne. Ces Citylogin Corners seraient en outre des lieux de collecte : « Cela faciliterait les retours de colis et rendrait la logistique inversée économiquement viable, poursuit cette responsable. Ces sites encourageraient la consommation zéro déchet, en démocratisant l’achat en vrac pour lequel il est nécessaire de récupérer les contenants. » Plusieurs Citylogin Corners sont déjà en projet.
Co-construire les réglementations
Mais pour éviter d’avoir constamment à s’adapter, les spécialistes de la logistique urbaine souhaitent anticiper. Ils se rapprochent donc des collectivités afin d’être partie prenante lors de l’élaboration des réglementations urbaines. « Celles-ci manquent bien souvent d’harmonisation, regrette Christophe Schmitt pour Heppner. Une ville peut interdire les camions au-dessus de 12 t tandis que sa voisine les autorise jusqu’à 19 t. Nous sommes alors obligés de nous caler sur le plus petit dénominateur commun, ce qui n’est pas très compétitif. D’autre part, les élus déploient parfois de fausses solutions. Ainsi, la limitation des tonnages à 3,5 t en plus de la vignette Crit’Air 1 entraîne le remplacement d’un 12 t par une dizaine de véhicules 3,5 t, avec des impacts négatifs sur l’environnement et une congestion accrue », complète Christophe Schmitt.
Christophe Schmitt déplore aussi la limitation des horaires de livraison, comme à Strasbourg, qui entraîne une concentration de la distribution sur un horaire réduit : « Nous envoyons trois camions au lieu d’un seul car nous n’avons plus que deux heures pour livrer. Autre illustration : une collectivité qui décide de mettre du pavé à l’ancienne ne peut pas reprocher au livreur de faire du bruit avec son tire-palette, note Christophe Schmitt. Mulhouse a donc prévu des bandes de dallage lisse au milieu des pavés sans nuire à l’esthétique du centre urbain. »
Repenser la logistique urbaine
En tant que président de la commission logistique urbaine de l’Union des entreprises de transport et logistique de France (TLF), Christophe Schmitt cherche donc à discuter avec les villes en train d’implanter des ZFE-m ou d’établir des chartes de logistique urbaine durable via le programme InTerLUD. La commission logistique urbaine de la TLF vient d’ailleurs de publier un manifeste à destination des collectivités pour les inciter à prendre en compte la logistique urbaine dans leur politique d’aménagement.
En octobre 2020, FM Logistic a aussi publié un rapport intitulé « La logistique urbaine face aux défis économiques et environnementaux », réalisé en collaboration avec le cabinet de conseil Roland Berger. Ce rapport appelle là encore à développer un nouveau modèle de logistique urbaine, avec une coopération plus étroite entre les acteurs ; transporteurs, logisticiens, clients B2B et pouvoirs publics. « La crise due à l’épidémie covid-19 a permis une petite prise de conscience de son importance chez le grand public, mais il faut maintenant qu’il y ait un meilleur dialogue et une cogestion du sujet entre professionnels et collectivités », conclut Christophe Schmitt.
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