
Sur le papier, le principe est simple : faire valoir le potentiel de sa flotte à l’international doit amener à négocier de meilleures conditions auprès des constructeurs et des loueurs. Et la remise à plat du mode de gestion dans les pays doit générer de nouvelles économies en interne. Mais en pratique, l’internationalisation tient à la fois du marathon et de la course d’obstacles pour les gestionnaires de flotte ou les acheteurs.
Chez Coca-Cola Enterprises, il aura fallu deux ans avant que se concrétise l’approche internationale élaborée par Wim Buzzi, le manager européen de la flotte. C’est en effet l’été dernier qu’un nouveau mode de gestion...
Sur le papier, le principe est simple : faire valoir le potentiel de sa flotte à l’international doit amener à négocier de meilleures conditions auprès des constructeurs et des loueurs. Et la remise à plat du mode de gestion dans les pays doit générer de nouvelles économies en interne. Mais en pratique, l’internationalisation tient à la fois du marathon et de la course d’obstacles pour les gestionnaires de flotte ou les acheteurs.
Chez Coca-Cola Enterprises, il aura fallu deux ans avant que se concrétise l’approche internationale élaborée par Wim Buzzi, le manager européen de la flotte. C’est en effet l’été dernier qu’un nouveau mode de gestion a été déployé pour les 4 600 véhicules que la société compte dans sept pays.
L’international pour unifier le mode de gestion
« À la fin des années 2000, chacun avait sa façon de travailler, sa politique et ses contrats, sans véritable partage d’expérience ou d’informations entre responsables locaux. Des échanges ont commencé il y a trois ans sur les nouveaux enjeux, tels que les émissions CO2 ou les véhicules propres », se souvient Wim Buzzi, qui présidait alors aux destinées de la flotte belge. Ces discussions ont finalement abordé les appels d’offres que chacun menait en local, et soulevé la question de l’opportunité d’une démarche conjointe. « J’en ai dessiné des contours dès la fin du printemps 2010, mais il a fallu du temps pour que la confiance s’installe sur le plan et ses objectifs. Il s’est écoulé une année avant le feu vert me permettant de bâtir un modèle d’affaires détaillé. Puis une autre pour monter et négocier les accords, avant leur déploiement », ajoute Wim Buzzi.
Il faut dire que le mode de gestion choisi par Coca-Cola Enterprises va très audelà de l’internationalisation : c’est une refonte totale de l’approche qui confie un rôle-clé à un gestionnaire de flotte externe. « L’objectif était d’avoir une vision consolidée de l’ensemble du parc et d’aiguillonner la compétitivité des loueurs, poursuit Wim Buzzi. Chaque pays étant jusque-là mono-loueur, il fallait trouver un juste équilibre entre le jeu de la concurrence et la complexité administrative qui risquait d’en découler. » En l’occurrence, c’est à Fleet Logistics qu’il revient désormais d’arbitrer entre les loueurs référencés pour chaque mise à la route, selon un principe d’enchère systématique, ou « multi-bidding ».
La formule déployée chez Coca-Cola renvoie à celle adoptée par Cisco au tout début de sa démarche internationale… en 2003. Pionnier, le spécialiste des réseaux avait signé un accord à l’échelle européenne avec Fleet Logistics. « L’idée était de confier la gestion de la flotte à des gens dont c’est le métier, plutôt que de mobiliser un collaborateur dans chaque pays, sans qu’il puisse s’y consacrer à 100 % et développer une véritable expertise », retrace Marie-Laure Tamas- Danfa, responsable flotte automobile de Cisco pour la zone EMEAR (Europe, Moyen-Orient, Afrique et Russie).
Internationalisation rime avec simplification
« Dans ce cadre européen, les relations avec les prestataires ont été réévaluées. Certains loueurs refusaient la collaboration avec Fleet Logistics et, in fine, deux ou trois ont été conservés dans chaque pays. Côté constructeurs, les relations se sont structurées avec une dizaine de marques, alors qu’une trentaine étaient représentées dans la flotte. N’ont été retenues que les plus attractives, qui concentraient les gros flux de commandes dans les pays », relate Marie-Laure Tamas-Danfa. L’ensemble de ces initiatives ont dégagé de nouvelles marges de négociation et d’optimisation des coûts pour Cisco. « Et comme il ne s’agissait pas de réduire les budgets automobiles, cela s’est traduit par une hausse de pouvoir d’achat et par l’accession à des véhicules plus premium. Cisco s’est donc doté d’une flotte dont la qualité constitue un atout pour recruter et retenir ses collaborateurs », souligne la responsable.
Reste qu’en matière d’approche internationale, Cisco s’est montré pragmatique et n’a pas hésité à rebattre les cartes. « La formule n’a pas donné satisfaction sur la durée : il n’était pas sûr qu’elle confère un avantage économique par rapport à d’autres solutions, sans compter que des désaccords sont apparus sur des clauses contractuelles », rappelle Marie-Laure Tamas-Danfa. Finalement, une nouvelle formule a été montée en 2008-2009, sur fond de crise et de pression accrue sur les coûts. Le principe d’un interlocuteur unique pour l’ensemble de l’Europe a été conservé, avec le loueur LeasePlan. À ce jour, l’accord couvre 4 000 véhicules dans 23 pays d’Europe, et le budget dépasse 40 millions d’euros, carburant compris.
À l’international, le pragmatisme est de rigueur
Les questions soulevées chez Coca-Cola ou Cisco relèvent des fondamentaux de la gestion de flotte, nationale comme internationale : comment organiser la concurrence entre fournisseurs ? Comment avoir une connaissance exhaustive de sa flotte et de son coût ? Comment faire face à la raréfaction des compétences en interne ? Dans les deux entreprises, les réponses apportées ont été plutôt radicales, mêlant une externalisation poussée et des choix mono-fournisseur. Pourtant, toutes les approches internationales ne tiennent pas de la révolution interne.
Au sein du cabinet de conseil Accenture, par exemple, la démarche mise avant tout sur l’adhésion et s’approfondit par touches successives. Jusqu’à dépasser aujourd’hui la dimension européenne. « La première évocation d’une approche internationale remonte à fin 2005 », note Alain Duez, directeur des achats Benelux, France & Maurice, et responsable global de la flotte.
« Mon parcours dans le groupe m’avait conduit à identifier les marges d’optimisation économique derrière une possible mutualisation des achats et l’harmonisation des modes de gestion. Mais la structure de l’entreprise et sa culture interne imposaient de convaincre les managers locaux de la valeur ajoutée d’une telle démarche », décrit Alain Duez. D’où un travail d’évangélisation qui aura pris un an, en parallèle d’un recensement des pratiques dans les principaux pays d’Europe occidentale où le parc d’Accenture atteint 7 500 véhicules.
Un travail de conviction à mener en interne
La consultation du marché de la LLD s’est ensuite étalée sur neuf mois, en 2007, pour aboutir à cinq accords européens, dont l’un n’a pas été déployé. « Ces contrats-parapluies figent des principes et services qu’il n’est plus besoin de négocier pied-à-pied en local », reprend Alain Duez. Comme la possibilité de sortir des prestations du giron des loueurs. Sur l’assurance, il peut ainsi y avoir jusqu’à 30 % à gagner sur les primes, à condition que le pays ait les ressources pour piloter le dossier en direct. Une autre clause stipule la possibilité d’une remise anticipée de 5 % du parc sans pénalités, vu l’important turnover dans le conseil.
In fine, la pertinence de l’approche d’Accenture s’illustre par l’extension de son périmètre : à d’autres pays pour le volet LLD, à d’autres marques pour le volet constructeurs. « Le Brésil et l’Argentine ont rejoint la démarche, puis l’Inde et ses 2 000 et quelques véhicules en 2011. Cela porte à 10 000 le nombre de modèles relevant d’une gestion internationale », complète Alain Duez. Dans le même temps, c’est à la demande des utilisateurs que trois accords constructeurs ont été négociés avec Fiat, Volvo et PSA, qui s’ajoutent à ceux signés de plus longue date avec le groupe Volkswagen, BMW et Mercedes.
Assurer le déploiement dans l’espace et le temps
C’est aussi le déploiement géographique de la démarche que fait valoir Marie-Laure Tamas-Danfa, chez Cisco. « Historiquement, la réflexion sur l’internationalisation s’est amorcée sur une dizaine de pays d’Europe de l’Ouest, et très vite douze puis seize. Son extension à l’Est s’est fait attendre, des pays restant sceptiques sur leur intérêt direct et compte tenu du défi en termes de gestion du changement. L’impact du Car Program sur le standing de la flotte et la simplification de la gestion ont emporté la décision : sept autres pays ont rejoint le contrat négocié avec LeasePlan International fin 2009 », détaille-t-elle.
Cette prestation assurée pour Cisco fait plutôt figure d’exception dans le portefeuille clients de LeasePlan International. Moins par la taille du périmètre que par l’exclusivité de l’accord. « À la différence du multi-bidding, plutôt en vogue, le mode mono-loueur devient moins courant », reconnaît Hervé Kohler, responsable des ventes Europe du Sud. Selon lui, ce mode présente pourtant d’indéniables avantages pour le client. Et il est idéal pour le loueur qui peut se consacrer à l’optimisation de la flotte, de ses coûts ou de ses émissions, avec l’assurance de voir ses plans d’action appliqués sur tout le périmètre.
« Cependant, on ne peut que constater la grande diversité des modes de fonctionnement des flottes, notamment dans la façon dont s’orchestre la concurrence entre loueurs. C’est particulièrement vrai dans les approches internationales, conditionnées par le mandat dont peut se prévaloir le manager de la flotte en central : sa capacité – ou pas – à faire partout déployer les accords avec les loueurs et constructeurs référencés et à généraliser le mode de gestion préconisé », considère Hervé Kohler. Mais il n’écarte pas non plus le rôle que jouent les mécanismes propres aux contrats internationaux pour favoriser l’adhésion des différents pays.
Savoir ménager les intérêts des parties prenantes
Chez Accenture, le déploiement de la démarche repose en partie sur ces avantages susceptibles de bénéficier aux pays. Selon Alain Duez, la bonification d’une relation à l’international avec un constructeur peut suivre plusieurs axes. « Le premier est économique : un bonus lié à des objectifs de commandes annuelles, fixés sur la base de prévisions ventilées par pays et par marque », explique-t-il, en faisant valoir que plusieurs milliers de véhicules sont renouvelés chaque année.
Pour Alain Duez, le constructeur doit aussi avoir le mandat pour prendre la main et débloquer un éventuel problème local, par exemple lié à des commandes. « Enfin, l’ensemble des propositions de prix faites dans les pays doivent bien prendre en compte le potentiel que pèsent les 10 000 véhicules du parc d’Accenture », ajoute Alain Duez. En moyenne, il estime que l’approche internationale revient à améliorer le prix d’encore 2 à 3 %, pour le renouvellement d’un véhicule autour de 30 000 euros. Sur le volet loueurs, en revanche, il lui est plus difficile de valoriser les avantages conférés aux pays. « Il y a bien des bonus liés à des renouvellements ou au développement des parts de marché, mais l’ensemble est difficile à faire apparaître dans le contexte d’une approche en TCO. Nous communiquons toutefois sur les conditions négociées dans les contrats-parapluies », poursuit Alain Duez. Le terme des accords de LLD déployés en 2008 approchant, une réflexion se met d’ailleurs en marche sur l’évolution de la démarche, a priori vers plus de rationalisation. Cette nouvelle étape se veut en tout cas plus structurée, notamment en matière de gouvernance.
Bien définir le mandat des responsables de flotte
Chez Coca-Cola Enterprises, ces questions de mandat et de gouvernance avaient été réglées en amont, dans la foulée du feu vert du management de juillet 2011. Un comité de pilotage avait été institué, ainsi qu’une équipe projet confiée à Wim Buzzi, alors nommé European Fleet Manager. « Le déploiement des accords à l’été 2012 a ensuite été l’occasion de faire de la gestion de flotte un département à part entière, non plus rattaché aux achats, mais placé sous l’égide des finances stratégiques », précise-t-il.
À la différence de Cisco ou Accenture, la question de l’extension de la démarche ne se pose guère, car le champ d’action de l’entreprise se borne aux sept pays concernés, compte tenu de la segmentation complexe des activités dans l’univers Coca-Cola. Cela n’empêche pas Wim Buzzi d’avoir des performances à faire valoir : « Aucun élément de prix n’est négocié dans les contrats, et c’est le multi-bidding qui amène chaque loueur à se positionner, véhicule par véhicule. Sur les premiers mois et par rapport au fonctionnement mono-loueur par pays, l’économie moyenne est de l’ordre de 8 %. Et il est arrivé que les 15 % soient atteints », note-t-il, en admettant qu’il n’en escomptait pas tant.
Dans les relations économiques avec les loueurs et les constructeurs, Coca-Cola Enterprises a aussi mis l’accent sur la simplification. « Comme partout, ces relations étaient devenues complexes avec des mécanismes de bonus, des questions de taux d’intérêt ou de valeurs résiduelles. Autant d’éléments qui ne font plus partie des négociations lors du référencement des loueurs. Les enjeux ont été ramenés à trente questions fermées : sur l’acceptation des principes contractuels, la révision des couples durée/km ou la cessation d’un service à tout moment », énumère Wim Buzzi pour Coca-Cola.
Coca-Cola mise sur la transparence
Ni bonus, ni remboursement ou transaction additionnelle : Wim Buzzi souhaitait essentiellement se dégager de tout l’appareillage commercial qui sous-tend les contrats dans le monde des flottes d’entreprise. « L’idée est que le volontarisme d’un loueur s’exprime uniquement dans ses propositions de prix, véhicule par véhicule. Pour travailler avec nous, c’est à ce moment-là qu’il faut se montrer compétitif. À charge pour nous d’assurer une totale transparence sur la flotte et son évolution », conclut Wim Buzzi. S’il devait faire école, le principe ne manquerait pas de bouleverser la donne des relations entre loueurs, constructeurs et entreprises.