Mobilité hydrogène : les projets se concrétisent dans les territoires

L’association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (Afhypac) a organisé les 10 et 11 juillet à Marseille la 7e édition de ses Journées hydrogène dans les territoires. L’occasion de faire le point sur les projets de mobilité hydrogène qui se concrétisent, mais aussi sur la stratégie des acteurs de la filière.
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Station hydrogene Circuit Paul Ricard
La station hydrogène du Circuit Paul Ricard dans le Var a été déployée dans le cadre du projet Hynovar.

L’évènement était accueilli par la métropole d’Aix-Marseille Provence qui ambitionne de devenir un « hub méditerranéen d’hydrogène vert » d’ici 2025-2030. « La métropole va déployer 3 bus hydrogène à Fos-sur-Mer dès 2020 et nous étudions le basculement d’une partie de notre flotte de véhicules de services à l’hydrogène », a annoncé Béatrice Aliphat, conseillère déléguée à l’industrie et aux réseaux d’énergie au sein de la métropole Aix-Marseille Provence. La métropole soutient en outre deux expérimentations : une station d’avitaillement pour le transport logistique lourd et longue distance dans le cadre du projet Hyammed (Hydrogène à Aix-Marseille pour une Mobilité Écologique et Durable), et une station pour les flottes captives du pôle logistique urbain de Marseille. « L’objectif est ensuite que des opérateurs du territoire basculent eux aussi leur flotte en hydrogène, notamment des chariots élévateurs, des bennes à ordures et des poids lourds », a précisé Béatrice Aliphat.

Le fournisseur d’énergie Compagnie nationale du Rhône (CNR) a de son côté annoncé la suite du projet Hyway qui compte déjà deux stations hydrogène de 20 kg/jour à destination d’une flotte captive de 50 Kangoo Z.E. H2 à Lyon et Grenoble. « Nous mettrons en service d’ici fin 2019 un quai des énergies à l’extrême nord de la future ZFE, avec une production d’hydrogène par électrolyse de 80 kg/jour, aux côtés de bornes de recharge et d’une station GNV », a indiqué Frédéric Storck, directeur de la transition énergétique et de l’innovation à la CNR. Le premier client sera le Sytral avec deux bus hydrogène pour la Vallée de la Chimie, suivi par une décheterie fluviale. De plus, « nous inciterons les entreprises à utiliser ces énergies alternatives en réduisant le coût de location de notre futur hôtel de logistique urbaine sur le port de Lyon. »

Des projets qui allient production et mobilité

À terme, la CNR veut créer un démonstrateur industriel de production d’hydrogène adossé à l’usine hydroélectrique de Pierre-Bénite. Tandis que l’hydrogène alimenterait les stations, l’oxygène produit par l’électrolyse pourrait être valorisé dans l’incinérateur, lui-même connecté au réseau de chaleur de Lyon. « L’objectif est de tester ces outils et de regarder comment les répliquer dans la vallée du Rhône à l’horizon 2030 pour se débarrasser des côtés négatifs de l’intermittence des EnR que nous produisons », a résumé Frédéric Storck.

La cimenterie de Saint-Égrève à Grenoble prévoit aussi de produire de l’hydrogène. « Il servira à alimenter une flotte de poids lourds sachant que la cimenterie voit passer 100 à 150 camions par jour, a argué Marie Godard-Pithon, directrice adjointe innovation du cimentier Vicat, qui a déjà commandé 10 camions hydrogène. L’oxygène produit lors de l’électrolyse pourra en outre être utilisé dans le four pour améliorer ses performances, et inversement la chaleur fatale du four pourra servir à faire de l’électrolyse haute température. » À noter que la station sera ouverte au public, et notamment aux véhicules du projet Zero Emission Valley.

Autre projet local, Hynovar vise la construction de deux stations hydrogène dans le Var (83). « Nous transformerons la station éphémère de 2 kg/jour sur le circuit Paul Ricard en une station pérenne de 20 kg/jour, adossée au parc d’activités du plateau de Signes qui abrite 2 000 emplois », a annoncé Hervé Moine, directeur des grands projets et directeur adjoint de la CCI du Var. Une seconde station de 400 kg/jour sera installée sur le port de Bregaillon à destination de 20 VUL, deux bus et une navette maritime mis en service en 2021. « Située au pied de la voie ferrée, elle pourra potentiellement alimenter un train hydrogène et des engins de manutention portuaire, mais aussi les bus et les PL, a précisé Hervé Moine.

L’idée est de mutualiser les infrastructures et les usages pour réduire les coûts. ». Selon lui, l’hydrogène sera « certainement produit dans notre arrière-pays sur une quarantaine d’hectares situés sur le plateau de Signes ». En parallèle, Durance Luberon Verdon agglomération est en train de s’équiper de bus hydrogène. Elle ambitionne de produire environ 30 t d’hydrogène par jour dès 2027 à partir d’un parc photovoltaïque de 1 500 ha, et de le stocker dans des cavités naturelles.

Mobiliser les entreprises locales

Le président de la communauté de communes Touraine Vallée de l’Indre Alain Esnault a quant à lui fait un état des lieux de l’avancement du projet de mobilité hydrogène Hysoparc. « Nous avons acquis une station de distribution et créerons dans une seconde phase une station de production, de stockage et de distribution. Elle alimentera une quinzaine de VUL, dont 10 premiers Kangoo Z.E. H2 achetés par 8 communes qui seront livrés avant le 15 août et entreront en fonctionnement dès septembre, s’est-il félicité. De plus, nous avons déjà une vingtaine de lettres d’intention d’entreprises et d’artisans locaux pour l’achat de ce type de véhicule. Reste à résoudre le problème du prix en créant des aides à l’achat. »

La collectivité dispose aussi depuis 15 jours d’une flotte captive de 15 vélos hydrogène mis à disposition de loueurs. Elle devrait en outre tester dès septembre 2020 une benne à ordures hydrogène pour une durée de 4 ans dans le cadre du projet européen Hector. Enfin, « nous travaillons aussi sur un autre projet pour répondre au nouvel appel à projets de l’Ademe, axé sur le transport en commun à Tours en partenariat avec Transdev », a conclu Alain Esnault.

En Vendée, le Syndicat départemental d’énergie et d’équipement de la Vendée (Sydev) prévoit d’utiliser son premier parc éolien datant de 2003 et aujourd’hui amorti pour produire de l’hydrogène à un coût acceptable, à raison de 300 kg/jour. « Nous travaillons avec un certain nombre d’entreprises intéressées par des poids lourds, des bus, des bennes à ordures et des chariots élévateurs, a précisé Alain Leboeuf, président du Sydev. Et nous construisons un bateau hydrogène pour relier l’île d’Yeu au continent. » Restera à trouver la matière première – l’eau – en cas de massification de la production.

Du côté de l’Île-de-France, le projet Last Mile, qui vise le transport de marchandises, est encore en phase de financement. « L’idée est de boucler le plan de table cette année pour construire les véhicules l’année prochaine et être opérationnel en Île-de-France en 2021, puis à Bordeaux, Lyon et Marseille en 2022, a indiqué Éric Callé, directeur R&D produits serviciels et interactifs chez JC Decaux, l’un des partenaires du projet. Nous sommes donc à l’étape où nous nous demandons si les véhicules existent, s’ils correspondent aux besoins, s’ils peuvent être pris en LLD, avec quelle valeur résiduelle et avec ou sans reprise de la pile à combustible par le loueur. »

Nous avons aussi eu un premier retour d’expérience du projet EashyMob dans la Manche : « Nous avions prévu de déployer 15 stations, il n’y en aura finalement que 9 pour des raisons économiques et parce que nous avons choisi d’installer des stations de plus grande capacité, nous a informé Julien Brunet, responsable du projet chez Symbio. Une dizaine de voitures ont déjà été déployées à Rouen pour Engie, la métropole, la ville, La Poste ou encore Eurovia et bientôt Dalkia. Plusieurs autres sociétés se sont engagées, comme Lhottelier ou bien dans l’Eure les PME Treuil, Team Réseau et Terre Solaire. » Tous les véhicules sont équipés en télématique : « La métropole de Rouen a un véhicule utilisé par un coursier qui a parcouru 30 000 km depuis août 2017, soit environ 15 000 km par an », a indiqué Julien Brunet.

Pour cela, il faut selon lui que les utilisateurs ne soient pas contraints d’utiliser le véhicule, mais aussi formés et accompagnés : « Les Kangoo Z.E. H2 sont des VE à batterie avec un système hydrogène d’une grande capacité mais d’une faible puissance qui joue le rôle d’un prolongateur d’autonomie. L’ensemble est excellent pour les usages urbains et périurbains, mais plus limité en milieu rural. Si l’on roule à plus de 90-100 km/h, la batterie perd plus d’énergie que la pile à combustible hydrogène ne lui en apporte et il faut ensuite savoir gérer l’autonomie du véhicule avec des phases plus lentes », explique Julien Brunet. Et pour accéder aux stations, Symbio a fait le choix de développer une application mobile basée sur un protocole de communication open source, mais travaille sur le paiement par carte bancaire.

Enfin, l’Afhypac a profité de l’événement pour annoncer le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt par l’UGAP pour des bus à hydrogène, sachant que l’association ambitionne un déploiement progressif de 1 000 bus hydrogène dans les quatre prochaines années.

Des freins qui restent à lever

Tous ces projets témoignent d’une volonté d’encourager une approche intégrée du développement de la mobilité hydrogène. « Pour résoudre le problème de la poule et l’œuf, il faut faire émerger en même temps les infrastructures et les usages. C’est ce que l’on encourage et que les projets démontrent, avec une spécificité un peu française de viser les usages professionnels », a confirmé Luc Bodineau, coordinateur de la thématique hydrogène à l’Ademe. « Le côté intégré permet de dialoguer directement sur la mise en œuvre avec les différents acteurs, même s’il y a toujours une logique commerciale sur les prix de l’hydrogène et le TCO des véhicules », a estimé Éric Callé, directeur R&D produits serviciels et interactifs chez JC Decaux.

La filière a toutefois encore quelques freins à lever pour assurer un déploiement massif et à grande échelle, en particulier dans le secteur de la mobilité. La création d’un réseau d’entretien et de maintenance est sans doute aussi importants

e que le réseau d’avitaillement. « La maintenance des stations a été confiée à des professionnels et celle des véhicules est assurée par Renault et Symbio, mais nous allons mettre en place une formation pour créer une maintenance locale », a indiqué Alain Esnault pour le projet Hysoparc.

À Rouen, « le service est efficace grâce à la connectivité, car nous savons presque avant le client que le véhicule est en panne, mais aujourd’hui nous attendons encore le réseau », a indiqué Julien Brunet de Symbio. Le Syndicat mixte des transports Artois-Gohelle – qui déploie actuellement une ligne de bus à haut niveau de service 100 % hydrogène dans le Pas-de-Calais (62) –, a quant à lui acheté à GNVert une station avec un contrat de maintenance sur six ans et une garantie de disponibilité de la molécule, mais pour les bus, « nous essayons au maximum de faire la maintenance chez nous », a précisé Fabrice Sirop, directeur général du syndicat. D’où l’importance pour la filière de travailler sur la partie formation.

Christelle Werquin, déléguée générale de l’Afhypac, a également rappelé quelques freins réglementaires. « Il y a un vide réglementaire quant à la circulation de véhicules hydrogène dans les tunnels, hors transport de matières dangereuses, ainsi que des questions de métrologie légale pour valider la quantité d’hydrogène délivrée par les stations, sans oublier la certification et la vérification des stations. » En outre, « les pompiers nous posent des questions sur ce qui se passerait en cas d’incendie si leurs équipes de reconnaissance passent à côté d’un véhicule hydrogène dans un parc de stationnement couvert, a-t-elle ajouté. Nous avons donc convenu fin juin d’évaluer la dose thermique à laquelle ils seraient exposés en cas de libération d’hydrogène. »

La production en question

Enfin, il s’agit de s’assurer que l’approvisionnement en hydrogène s’effectuera de manière vertueuse, mais à coût acceptable, comme l’a rappelé Cédric Léonard de la direction économie des systèmes électriques de RTE. « Nous ne sommes pas inquiets quant à la consommation d’électricité que peut générer le développement massif d’électrolyseurs, a-t-il indiqué. L’intensification des énergies renouvelables (EnR) et la prolongation du nucléaire devraient fournir une base de production décarbonée conséquente de plus de 600 TWh/an en 2035 et largement supérieure à la demande qui devrait se situer sous les 500 TWh/an, tandis que les électrolyseurs devraient consommer 30 TWh/an. »

En revanche, il est plus difficile de trouver des modèles d’affaires pertinents. Selon Cédric Léonard, en faisant fonctionner les électrolyseurs en période d’excédent d’EnR, l’électricité est décarbonée et peu chère et cela permet de lisser la consommation pour le système électrique, mais l’électrolyseur ne va potentiellement pas fonctionner beaucoup, ce qui pose des problèmes d’amortissement des coûts et de livraison de l’hydrogène. De plus, pour éviter une variabilité trop importante entre les années, il faudra a priori stocker l’hydrogène.

Inversement, si les électrolyseurs fonctionnent en base, le bilan CO2 n’est pas garanti et l’électricité est très chère. « On peut imaginer des achats de garanties d’origine verte mais celles-ci n’étant pas datées il n’y a aucune traçabilité des électrons », estime Cédric Léonard. Un compromis consisterait donc à produire de l’hydrogène sur les marges des EnR et du nucléaire.

Une dernière solution reste l’autoproduction : « Le coût de l’électricité est contrôlé avec des durées de fonctionnement potentiellement significatives, mais il faut s’assurer que cela ne se substitue pas à des EnR installées à d’autres fins ou l’apport environnemental ne sera pas certain », nuance Cédric Léonard.