

Le changement vers une mobilité plus verte n’est pas chose facile. « Dans le processus de gestion du changement, il faut tenir compte de deux parties », pose Gilles A. Léchot, dirigeant suisse de Compas Management Services, spécialisé dans le management stratégique et auteur de Stratégie et conduite du changement (Maxima – Laurent du Mesnil Éditeur, 2020). « La première action consiste à construire une solution aux problèmes de mobilité, avec trois à cinq défis principaux à surmonter pour y apporter des réponses sur mesure. La seconde action vise à élaborer une tactique pour disposer de...

Le changement vers une mobilité plus verte n’est pas chose facile. « Dans le processus de gestion du changement, il faut tenir compte de deux parties », pose Gilles A. Léchot, dirigeant suisse de Compas Management Services, spécialisé dans le management stratégique et auteur de Stratégie et conduite du changement (Maxima – Laurent du Mesnil Éditeur, 2020). « La première action consiste à construire une solution aux problèmes de mobilité, avec trois à cinq défis principaux à surmonter pour y apporter des réponses sur mesure. La seconde action vise à élaborer une tactique pour disposer de l’aval des salariés dans ce changement », résume Gilles A. Léchot.
Reste donc à mettre en place un travail participatif pour intégrer ces salariés. Car co-construire la nouvelle mobilité avec ces derniers facilite grandement les choses. « En matière de mobilité verte, il faut avancer doucement », ajoute Mathieu Eymin, président de l’association Les boîtes à Vélo, représentant 117 entreprises et 300 individus. Avec un crédo : réaliser au moins 75 % de leurs trajets en vélo.

Mathieu Eymin, paysagiste, effectue lui-même tous ses travaux en vélo à assistance électrique. « Cette nouvelle mobilité doit être un projet de longue haleine avec des phases de tests. Il ne faut pas imposer et faire attention à ne pas vouloir remplacer le véhicule mais à proposer des solutions alternatives. Et ce, tout en promouvant les employés vertueux, ceux qui circulent autrement. Il peut notamment s’agir de mettre en avant des témoignages de salariés dans le journal interne de l’entreprise. Cela incitera les autres à sauter le pas vers une mobilité plus verte », expose Mathieu Eymin.
Proposer et non imposer
Car le changement peut aussi faire peur. « Mieux vaut alors recourir aux termes d’“évolution“ou d’“adaptabilité“, recommande Valérie Moissonnier, coach en entreprise chez Self Coaching et auteure de Pro en… conduite du changement : les 66 outils essentiels (Vuibert, 2018). Je préconise ensuite de définir un planning du changement, étape par étape, semaine par semaine, et de communiquer le plus possible dessus, même si ce planning n’est pas respecté. Enfin, dernière étape, il faut fêter la réussite du changement, récompenser, créer un événement pour marquer les choses et donner envie de recommencer », rappelle Valérie Moissonnier.
Chez le transporteur de petits colis DPD France, filiale de La Poste, tout a commencé par la volonté de la direction de neutraliser l’impact en carbone des transports. Le but était aussi de « sauver » la planète et de se présenter aux clients et aux consommateurs comme particulièrement vertueux. Ce que les spécialistes du management du changement appellent le « pourquoi du projet ».
L’exemple de DPD France

« Nous avons pris comme engagement de diminuer tout d’abord notre consommation de carburant avec des cours d’éco-conduite, l’utilisation de véhicules électriques ou l’implantation de dépôts à l’intérieur des villes alors qu’ils se situaient auparavant en périphérie. L’objectif : réduire de 30 % nos émissions de CO2 par colis d’ici 2025 », expose Amélie Ranaivojaona, responsable RSE et logistique urbaine de DPD France.
La flotte d’utilitaires se compose de 3 000 véhicules dont 500 en propre et 2 500 gérés par les sous-traitants. Amélie Ranaivojaona reprend : « Nous avons aussi pris l’engagement de compenser le reste de nos gaz à effet de serre en finançant des projets d’énergie renouvelable au Brésil ou en Inde. Résultats : malgré le surcoût moyen de 200 euros par mois d’un véhicule électrique, nous poursuivons ce verdissement soutenu par nos directions. »
Pour convaincre les troupes, le service RSE du transporteur a démarré le projet en s’attachant à comprendre les besoins des équipes : cubage nécessaire et autonomie indispensable des véhicules. « Nous limitons la peur du changement en comprenant les attentes des salariés, puis en multipliant les tests grandeur réelle », complète sur ce point Amélie Ranaivojaona. C’est pourquoi DPD France a effectué de nombreux essais de véhicules électriques. Le service a ensuite analysé les retours d’expérience. « Concernant le véhicule MAN e-TGE, les chauffeurs étaient ravis. Nous avons donc commandé plus de quarante fourgons e-TGE avec une autonomie de 120 km en charge complète. »
Jouer la transparence
« Cette première étape permet de vérifier l’intérêt du véhicule et de bénéficier des premiers ambassadeurs, chauffeurs et chefs d’agence, qui vantent le véhicule auprès de leurs collègues, poursuit Amélie Ranaivojaona. Nous avons donc testé, recueilli les retours et communiqué en toute transparence sur ce qui allait et ce qui n’allait pas pour que l’ensemble des salariés s’approprie le changement et les outils de ce changement. In fine, la décision leur revient toujours », conclut cette responsable.

« Il est essentiel d’adopter une approche globale du sujet, qui intègre une analyse précise des besoins mais aussi des contraintes éventuelles, confirme de son côté Sandrine Dalais, responsable du parc automobile France de 560 véhicules du groupe Expleo, spécialiste de l’ingénierie informatique. Depuis plusieurs années, notre entreprise travaille à développer des solutions de mobilité écoresponsable. Un mode de transport alternatif comme le vélo peut faire sens sur des trajets courts, beaucoup moins sur de longues distances… Je crois donc profondément en la pertinence de la multi-modalité afin d’adapter l’offre aux différents types de déplacements », détaille-t-elle.
Pour réussir un verdissement, les gestionnaires de flotte s’appuient, en second lieu, sur la communication autour du projet. Ils définissent alors le quoi, le comment et le pourquoi. Mais il faut peaufiner la qualité des arguments car trop de changements sont menés avec des arguments de faible qualité. Il faut aussi y associer la question de la formation aux outils. Cette politique est celle menée par l’entreprise familiale de travaux publics Charier.
Illustration avec Charier

L’objectif de Charier était ainsi de réduire de moitié les gaz à effet de serre émis par ses engins, soit 500 véhicules. La stratégie a consisté à acheter français et à faire appel à un intermédiaire – en l’occurrence le télématicien WeNow. Le but : bénéficier de conseils d’éco-conduite via un boîtier interactif analysant la conduite des chauffeurs pour leur restituer des conseils de conduite décarbonée. « Nous avons ajouté à cela des challenges entre entités pour récompenser avec un trophée les équipes qui freinent le moins, qui consomment le moins, qui roulent en dessous de 120 km/h sur l’autoroute », relate Constant Charier, le directeur de projets qui gère la flotte.
« Pour verdir la flotte, j’ai d’abord travaillé mon dossier. L’idée était d’installer le boîtier communiquant pour améliorer la conduite des chauffeurs. Mais qui dit boîtier dit mouchard et flicage. Je suis donc allé voir nos filiales pour expliquer le projet et montrer ses avantages pour l’entreprise et ses salariés. J’ai expliqué qu’il n’était pas question de géolocalisation mais d’aide à la conduite, et que nous globaliserions les données – pas question de personnaliser les informations », expose Constant Charier.
Le second axe de travail a été de communiquer très régulièrement, tous les quinze jours, sur ce projet et ses résultats par agence. « Cela a créé une émulation pour que les chauffeurs conduisent de mieux en mieux. Enfin, j’estime indispensable de répondre rapidement aux questions posées et de le faire en toute transparence en impliquant le “top management“. Et le fait que je sois un membre de la famille des fondateurs a aussi joué en faveur de l’acceptation de cette politique », avance Constant Charier.
Tenir compte des attentes
Charier a aussi mis l’accent sur cette politique décarbonée avec l’acquisition de véhicules électriques, hybrides ou thermiques dévolus aux salariés selon leur kilométrage et leurs besoins. « Il est contreproductif de remettre un hybride, plus lourd, à quelqu’un qui ne fait que de l’autoroute et qui n’utilise pas la recharge électrique, illustre Valérie Mas, codirigeante du prestataire WeNow impliqué dans la démarche de Charier. Dans ce cas de figure, un hybride consomme plus qu’un thermique. Il faut donc aussi affiner la car policy, éduquer les salariés, donner des informations concrètes. »
Valérie Mas rappelle à ce propos que chaque Français émet 12 t de CO2 par an alors que la terre ne peut en absorber que 1,5 t, et qu’une voiture de fonction en rejette, toujours annuellement, 4 t. « Il faut expliquer tout cela », ajoute-t-elle. Tout en faisant gagner de l’argent. Pour l’entreprise Charier, cette politique a ainsi fait économiser 180 000 euros la première année en baissant de 17 % la consommation de carburant. « Les pneus sont aussi changés moins régulièrement et nos sinistres responsables ont chuté de 60 % de 2018 à 2020. Nous marquons des points auprès des assureurs et nous disposons de salariés plus en forme », s’enthousiasme Constant Charier.
Pour réussir une politique de mobilité verte, les salariés doivent donner leurs avis, leurs attentes, leurs réflexions, leurs craintes, leurs impossibilités (voir aussi l’article). Dans ce volet de collaboration et de co-construction du projet, il faut donc programmer un temps important d’expérimentation pour tester et retester. Il peut s’agir de faire essayer le covoiturage pendant un mois, puis de recueillir les griefs et les points positifs de cette forme de mobilité. C’est la pratique de Brest Métropole, la ville et ses communes environnantes, avec les 1 000 véhicules que gère Laurent Bouvet, responsable du service véhicules et engins.
Construire ensemble le projet

« Notre communauté de communes travaille, depuis 2015, sur l’acquisition de véhicules électriques, explique Laurent Bouvet. Les conducteurs ont rechigné : il n’est pas simple de passer d’un engin à boîte manuelle à de l’automatique. Les craintes étaient nombreuses : peur de tomber en panne, problème d’autonomie, méfiance face à la nouveauté. » Le parc électrique représente 6 % des véhicules de Brest Métropole. L’idée est de faire passer ce chiffre à 20 % de la flotte.
« Pour réussir ce pari, nous avons fait tester des engins. Nos chauffeurs ont au final pris conscience de la facilité de leur usage et de leur agrément. Nous avons donc installé des véhicules électriques en pool pour que les conducteurs les essaient et réalisent entre autres que l’autonomie nécessaire est au rendez-vous. Nous avons accompagné ce processus d’un déploiement de bornes pour que la recharge se fasse la nuit », poursuit Laurent Bouvet.
Expliquer pour convaincre
Le représentant de Brest Métropole souligne aussi l’importance d’une communication sur l’intranet pour expliquer le fonctionnement des engins, comment les réserver, les recharger. « Il ne faut surtout pas forcer la main des salariés. Car ce faisant, on se retrouve avec des collaborateurs qui pointeront tous les dysfonctionnements du véhicule avec des probabilités non négligeables de casser la dynamique du changement. Il faut donc convaincre, expliquer, rendre fier de conduire des véhicules qui n’émettent pas de gaz carbonique. Tout en améliorant les conditions de travail, recommande Laurent Bouvet. Et nous avons aussi expliqué à nos concitoyens cette politique de verdissement avec l’acquisition de Zoé électriques que nous avons floquées à nos couleurs. »
Vient ensuite le bloc implication-engagement. Il convient ici d’associer sanction et valorisation. Il faut promouvoir ceux qui opèrent le changement. Cela peut passer par des primes aux bons salariés ou des valorisations collectives. Cette valorisation doit être associée à une mise à disposition des éléments du changement comme la possibilité de rouler en vélo électrique.
Autre piste suivie par Charier : « Notre politique se conclut, toujours avec WeNow, par une compensation des émissions carbone en plantant un arbre par tonne de CO2 émise par notre société. Nous avons, par exemple, rejeté 5 200 t en 2018. Nous avons donc planté 5 200 arbres en 2019, en Bretagne ou en Vendée, tout en invitant nos salariés à la mise en terre des plants », rapporte Constant Charier. À vos marques !
Dossier - Mobilité verte : comment la faire adopter en interne ?
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