
Les entreprises commencent souvent par demander à voir le permis de conduire à l’embauche ou lors de la remise d’un véhicule. « Mais ce contrôle n’est autorisé que si le poste le justifie, pour s’assurer que le salarié sera en mesure de remplir ses missions (article L1221-6 du Code du travail), souligne d’emblée Vincent Desriaux, avocat pour le cabinet Michel Ledoux et Associés.
Vincent Desriaux poursuit : « Ce qui n’est pas vrai pour un cadre qui se voit attribuer un véhicule de fonction à titre statutaire et l’utilise uniquement à titre privé ou pour venir au bureau. L’entreprise ne peut pas le sanctionner pour absence de permis dans la...
Les entreprises commencent souvent par demander à voir le permis de conduire à l’embauche ou lors de la remise d’un véhicule. « Mais ce contrôle n’est autorisé que si le poste le justifie, pour s’assurer que le salarié sera en mesure de remplir ses missions (article L1221-6 du Code du travail), souligne d’emblée Vincent Desriaux, avocat pour le cabinet Michel Ledoux et Associés.
Vincent Desriaux poursuit : « Ce qui n’est pas vrai pour un cadre qui se voit attribuer un véhicule de fonction à titre statutaire et l’utilise uniquement à titre privé ou pour venir au bureau. L’entreprise ne peut pas le sanctionner pour absence de permis dans la mesure où le véhicule n’est pas indispensable à son activité. Ce cadre peut venir en transports en commun ou à vélo. Cela ne regarde pas l’employeur. »
À qui demander son permis ?

Dans la pratique, du fait de la nécessité de désigner le salarié en cas de contravention mais aussi du fait des obligations patronales en matière de sécurité des collaborateurs, les contrôles concernent souvent tous les collaborateurs susceptibles de conduire un véhicule de l’entreprise. « Nous vérifions aussi les permis à partir du moment où les collaborateurs recourent à notre service d’autopartage ouvert à tous les salariés », précise Jean Zermati, directeur adjoint Facilities and Mobility Management d’Orange qui compte plus de 2 000 véhicules en autopartage.
Il est donc nécessaire de distinguer les périodes de travail et de vie privée. En effet, dans un arrêt du 3 mai 2011, les juges de la Cour de cassation ont rappelé qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié – un retrait de permis « en dehors de l’exécution du contrat de travail » – ne peut justifier un licenciement disciplinaire. En cas d’infraction grave au Code de la route pendant son travail, comme la conduite en état d’ébriété, le licenciement pour faute peut être motivé ; mais cette infraction commise le week-end ne constituera pas une faute professionnelle.
Licencier après un retrait de permis ?

La perte de permis peut cependant motiver un licenciement du salarié si le véhicule est indispensable à ses missions. Il est donc conseillé d’insérer une clause dans le contrat de travail prévoyant que celui-ci est subordonné à un permis valide et que sa perte peut entraîner une suspension de contrat ou un licenciement. En pratique, le reclassement, s’il est possible, ou la suspension temporaire de contrat sont privilégiés. En revanche, le licenciement ne sera pas possible « en cas de suspension du permis pour raison médicale ou si des dispositions conventionnelles l’excluent », complète Vincent Desriaux.
La SNIE, pour Société nouvelle d’installations électriques, a dû gérer une fois un retrait de permis. « Le salarié nous l’a immédiatement signalé. Nous avons étudié les possibilités pour ce collaborateur de se déplacer en transports en commun et de partager le véhicule d’un collègue pour se rendre sur les chantiers, le temps qu’il récupère son permis », explique Alexandre Chauveau, gestionnaire du parc automobile et responsable du service prévention, à la tête de 260 véhicules dont 200 VUL.
« Toute sanction doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction. En cas de retrait de permis durant le week-end par exemple, nous chercherons à reclasser le collaborateur », indique Patrick Cézard, référent risques routiers chez Onet. Ce prestataire de services et d’ingénierie, notamment dans le secteur de la propreté, s’appuie sur un parc de 3 800 véhicules.
Cetup a déjà été confronté à des retraits de permis chez ses « pilotes ». « Mais cela arrive rarement du fait de nos mesures de prévention », note Laurence Capossele, cofondatrice et codirigeante de ce spécialiste grenoblois du transport sur mesure qui gère une flotte de 170 véhicules. « La convention collective prévoit alors soit la suspension du contrat de travail, soit un reclassement sur un poste ne nécessitant pas de conduite et géographiquement compatible avec le lieu de travail du salarié. Si aucune de ces options n’est possible ou si le salarié les refuse, la société n’a d’autre choix que d’envisager la rupture du contrat de travail », rappelle Laurence Capossele.
À noter : Cetup équipe ses véhicules de géolocalisation et d’un système de remontée de données relatives au comportement du conducteur à des fins d’éco-conduite (virages, freinages brusques, etc.). « Mais ces données n’ont pas vocation à être employées à des fins disciplinaires. »
Chez le transporteur Cetup, les conducteurs suivent à l’embauche une formation à la conduite de trois jours en interne et reçoivent tous les jours des rappels liés à la sécurité sur leur tablette. Et ils viennent au siège au moins quatre fois par an pour un contrôle du véhicule.
Formaliser les obligations du collaborateur
Farouk Benouniche, avocat au sein du cabinet Michel Ledoux et Associés, conseille d’inscrire dans le contrat de travail « le caractère indispensable du véhicule dans le cadre des missions, tout comme le type de permis exigé et l’obligation d’avertir l’employeur en cas de perte ou de suspension du permis. » Une précision utile en cas de sanction.
Farouk Benouniche reprend : « Le règlement intérieur doit détailler les règles d’utilisation du véhicule. Il aide aussi à baliser les marges de manœuvre de l’employeur comme les règles de contrôle des permis, les sanctions possibles dont la nature et l’échelle doivent être précisées. » « Un document écrit et signé par le collaborateur contribue aussi à responsabiliser ce dernier », résume Olivier Rigoni, président de la société de conseil Cogecar.
Dans sa procédure d’utilisation des véhicules de fonction signée par le collaborateur, Quantum France stipule ainsi la possibilité pour l’entreprise de récupérer le véhicule en cas de suspension de permis. Cette filiale d’un constructeur informatique américain fait appel à une petite quarantaine de VP de fonction (voir le témoignage de Laurence Pradeau, gestionnaire du parc et membre du CHSCT de Quantum France).
Fournir un règlement d’utilisation du véhicule

« L’obligation d’informer immédiatement la hiérarchie en cas de suspension, de retrait de permis ou de perte totale des points est inscrite dans une annexe au contrat de travail. Pour les conducteurs de véhicule de société, nous ajoutons un règlement d’utilisation », signale Patrick Cézard pour Onet. Dans sa charte du conducteur, Onet a par ailleurs inscrit l’interdiction du covoiturage rémunéré.
La SNIE ne fonctionne pas autrement : « Lors de la remise d’un véhicule de fonction, nous établissons un contrat de mise à disposition, lequel recense les obligations du salarié pour l’entretien, l’utilisation, etc., et la détention du permis. Nous y précisons explicitement que le salarié doit prendre toutes les mesures nécessaires à la conservation de son habilitation à la conduite, et informer immédiatement sa hiérarchie, à savoir le premier jour de travail suivant, en cas de perte, retrait ou suspension du permis », détaille Alexandre Chauveau.
Pour le cabinet Michel Ledoux et Associés, Farouk Benouniche conseille en outre de prévoir des contrôles réguliers des permis pour les personnes concernées. Une recommandation suivie par la SNIE : « À l’embauche, le permis fait partie des documents à fournir pour tous ceux qui seront sur la route. Et nous redemandons au salarié de le présenter lors de l’attribution de son utilitaire, puis lors des deux visites annuelles de contrôle des véhicules réalisées par un responsable de l’entreprise », expose Alexandre Chauveau.
Garder des traces du permis ?
Pour les entreprises, garder une trace du permis ou du moins de sa présentation peut être utile, entre autres pour prouver sa bonne foi en cas d’accident grave d’un collaborateur roulant sans permis. Le chef d’entreprise doit en effet prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs », stipule l’article L 4121-1 du Code du travail. Vérifier que le collaborateur est bien en possession d’un permis fait partie des obligations de l’employeur.
Faut-il alors faire mention de la présentation du permis sur un document de remise du véhicule, faire une photocopie datée et signée, réclamer une attestation sur l’honneur ? La SNIE a choisi les deux premières options. L’entreprise scanne le permis et garde cette copie dans une base de données sécurisée. « Et le document de remise du véhicule, daté et signé par le collaborateur, mentionne la présentation du permis », précise Alexandre Chauveau.
Mais cette pratique de la photocopie a été remise en cause par la Cnil dans sa délibération du 13 juillet 2017 sur le traitement des infractions et la désignation du conducteur (décision d’autorisation unique n° AU-010). La copie du permis « ne saurait être demandée » dans ce cadre, souligne la Cnil. Le RGPD (Règlement général sur la protection des données, voir notre n° 238) est aussi venu rappeler la nécessité de réduire au strict minimum les données personnelles traitées et de ne les employer que lorsque il n’y a pas d’autre moyen moins intrusif pour les personnes concernées, en fonction de la finalité.
Demander des déclarations sur l’honneur
Pourtant, pour désigner le collaborateur à l’Antai, l’employeur a besoin de connaître le numéro de permis. « Tout cela a besoin d’être clarifié. Et en l’absence de jurisprudence, il est difficile de se prononcer. Les loueurs de courte durée font des photocopies de permis à chaque fois », fait remarquer Jean Zermati pour Orange.
En l’occurrence, la déclaration sur l’honneur, signée et datée par le salarié, comportant le numéro de permis, sa date d’obtention et de validité, constitue une solution alternative. « C’est la plus simple et la plus protectrice pour l’employeur, affirme Olivier Rigoni pour Cogecar. Une copie peut avoir été faite plusieurs mois auparavant et ne garantit pas que le salarié possède toujours son permis. L’attestation engage le collaborateur. » Le salarié déclare alors être en possession d’un permis valide et avertir immédiatement l’employeur en cas de retrait. « Et avec des salariés dispersés sur le territoire, cette attestation est plus pratique à obtenir que de faire une copie », complète Olivier Rigoni.

Chez Cetup, récemment passé de la demande de photocopie à la déclaration sur l’honneur « à effectuer tous les mois », spécifie Laurence Capossele, une astuce avait été préalablement trouvée : « Le chauffeur devait photographier son permis à côté du compteur kilométrique du véhicule ». Ce qui aidait à dater la photo du permis.
Chez Onet, une photocopie du permis est jointe au dossier du collaborateur, « auquel seuls les services RH ont accès, indique Patrick Cézard. Mais je pense que nous allons abandonner cette pratique en raison de la nouvelle réglementation sur les données personnelles. Nous allons nous contenter d’une vérification visuelle tous les six mois. En cas de doute, si le salarié a accumulé les contraventions par exemple, nous pouvons toujours réaliser un contrôle supplémentaire. »
Peut-on stocker les numéros de permis ?
Le texte de la Cnil spécifie aussi la durée de conservation autorisée des données nécessaires à la désignation du conducteur, comme son numéro de permis, le lieu et la date de l’infraction, etc. Ces données peuvent être conservées dans « une base active le temps de procéder à la désignation, qui ne saurait en tout état de cause excéder 45 jours à compter de la réception de l’avis de contravention. À l’issue de cette période, les données peuvent être archivées, en archivage intermédiaire, au maximum le temps de la prescription en matière contraventionnelle, à savoir douze mois. »
Une précision qui peut sembler contradictoire avec la désignation, selon Jean Zermati : « Les grandes entreprises comme la nôtre, qui gèrent tous les jours des contraventions, ne peuvent le faire manuellement sur le site de l’Antai et utilisent des procédures automatisées. Ce qui nécessite de stocker le numéro de permis du collaborateur, certes de manière sécurisée. » Chez Orange, le collaborateur-conducteur doit remplir une fois par an une attestation sur l’honneur « et renseigner son numéro de permis sur internet. Ce numéro peut aussi être fourni à l’embauche ou au plus tard lors de la première infraction », poursuit Jean Zermati.
Les points : une donnée personnelle et sensible
Enfin, le texte de la Cnil rappelle la possibilité pour l’entreprise « de réaliser des statistiques anonymes sur la base de données traitées » à condition qu’elles « ne permettent en aucun cas d’établir un lien entre un conducteur et la commission d’infractions. » « Il n’est pas possible de faire des relevés individuels des contraventions, notamment pour évaluer le nombre de points restants », confirme Laurence Capossele pour Cetup.
Quant au nombre de points, la règle est claire : « Les informations relatives au nombre de points détenus par le titulaire d’un permis de conduire ne peuvent être collectées que par les autorités administratives et judiciaires qui doivent en connaître, à l’exclusion des employeurs, assureurs et toutes autres personnes physiques ou morales » (article L. 223–7 du Code de la route). Et demander à un salarié son nombre de points « constitue une infraction pénale », ajoute Vincent Desriaux pour le cabinet Michel Ledoux et Associés.
Une situation complexe
Pour les entreprises, la situation n’est donc pas simple : « Avec les pertes de points, il y a un problème d’alignement entre la protection nécessaire des données personnelles et ce que veut faire le gouvernement en matière de sécurité routière. Avec la désignation obligatoire, nous allons vers plus de transparence. Mais nous ne pouvons pas demander à un collaborateur son compte de points, ni le vérifier nous-mêmes. Cette situation pourrait peut-être changer. En effet, la réglementation l’autorise depuis peu pour les salariés qui transportent des personnes », expose Daniel Rosenberger. Ce coordinateur santé sécurité à la direction commerciale de Danone produits frais France suit 1 500 véhicules et occupe aussi la fonction de référent sécurité pour le groupe (voir le témoignage de Daniel Rosenberger).
Il existe cependant quelques solutions : « L’employeur peut avoir des doutes s’il a reçu trois contraventions rapprochées avec perte de points pour un salarié, sans jamais avoir de certitude car ce dernier peut perdre des points au volant de son véhicule personnel. Mais cette succession de contraventions peut inciter l’employeur à sanctionner le salarié par un avertissement, voire une mise à pied. À condition que l’employeur ne soit pas lui-même en faute, comme en fixant des plannings de tournées intenables », prévient Vincent Desriaux.
Pour les conducteurs de ses 1 500 véhicules de fonction, Danone mise sur la prévention. Dans les six mois suivant son embauche, le collaborateur bénéficie de deux journées de formation, une sur l’éco-conduite, l’autre de sensibilisation aux risques.
Miser sur la prévention
Faut-il ensuite aider les collaborateurs à récupérer leurs points en finançant tout ou partie d’un stage ? Deux avis s’affrontent. Certains estiment que cela revient à cautionner une mauvaise conduite. « Cela n’est pas du ressort de l’employeur et c’est un peu “limite“ », estime Olivier Rigoni pour Cogecar. Mais l’employeur doit donner à son collaborateur le meilleur cadre possible pour éviter les infractions. » Une politique suivie par Cetup : « Nous ne finançons pas de stages de récupération de points dans la mesure où nous mettons tout en œuvre pour que les collaborateurs respectent le Code de la route et évitent l’infraction », affirme Laurence Capossele.
Une démarche partagée par Onet : « Nous ne finançons pas ces stages. Nous préférons insister sur la formation et la sensibilisation. Les conducteurs suivent en moyenne tous les trois ans un stage sur simulateur. Nous avons déjà 5 200 formations à notre actif. Parallèlement, nous sensibilisons au fil de l’eau. En ce moment, nous communiquons sur la limitation de vitesse à 80 km/h qui prendra effet le 1er juillet », souligne Patrick Cézard.
« La sécurité est l’une de nos cinq valeurs essentielles. Les véhicules sont bridés à 130 km/h. À l’embauche, les conducteurs suivent une formation à la conduite de trois jours en interne et reçoivent tous les jours des rappels liés à la sécurité sur leur tablette. Et ils viennent au siège au minimum quatre fois par an pour un contrôle du véhicule. C’est aussi l’occasion de procéder à des piqûres de rappel », précise Laurence Capossele pour Cetup.

Financer ou non le stage de récupération ?
À la SNIE, les bénéficiaires d’un véhicule attribué ont deux jours de formation avec le spécialiste de la sécurité routière Centaure (voir le témoignage d’Alexandre Chauveau). Ils ont aussi la possibilité de bénéficier d’un stage de récupération de points chez Centaure, à leurs frais dans une optique de responsabilisation. « Et ils le savent », conclut Alexandre Chauveau. Avantage évident, les salariés hésitent moins à signaler quand leur compte de points commence à baisser dangereusement.
De son côté, Orange finance 50 % du stage de récupération, au maximum tous les deux ans, « mais pas plus car cela équivaudrait à déresponsabiliser le conducteur », nuance Jean Zermati. Dans ce domaine, mieux vaut prévenir : tous les ans, Orange fait passer environ 2 000 salariés en formation à l’éco-conduite et à la sécurité routière.

Pour le Groupe Cadiou, spécialiste de l’électricité industrielle à la tête de 150 utilitaires, Sylvain Baron n’est pas favorable à ces démarches : « Cela revient à cautionner ce type de comportement et c’est contre-productif. Je préfère miser sur des actions de prévention et un suivi des infractions pour sensibiliser et agir si nécessaire », constate ce coordinateur qualité sécurité environnement (voir le témoignage de Sylvain Baron).
Avec des arguments à la clé : « Il y a quatre ans, la moitié d’une équipe d’un chantier multipliait les contraventions. Dès lors, nous avons organisé une rencontre avec toute l’équipe et leur avons fait part de ce dysfonctionnement. Une fois n’est pas coutume, nous avons souhaité inverser la situation en leur demandant de nous proposer, sous un mois, des solutions de prévention afin de changer leur comportement routier. Différentes actions ont ensuite été mises en œuvre. Depuis, le constat est sans appel : aucun avis de contravention n’a été déclaré », relate Sylvain Baron. À suivre
Dossier - Permis de conduire : des droits et de la prévention
- Permis de conduire : des droits et de la prévention
- Daniel Rosenberger, Danone produits frais France : « Nous demandons des attestations sur l’honneur »
- Alexandre Chauveau, SNIE : « Sensibiliser régulièrement les salariés »
- Sylvain Baron, Groupe Cadiou : « Des vérifications multiples et un suivi minutieux »
- Laurence Pradeau, Quantum France : « Communiquer au fil de l’eau »
- Alcool, drogue : une tolérance (presque) zéro