
C’est toujours avec une certaine nervosité que les enseignes spécialistes du pneu préparent l’équipement des flottes en vue de la prochaine saison hiver. Mais cette année, elles affichent au contraire une relative sérénité. Peut-être parce qu’il n’y a pas d’évènement perturbateur à court terme, susceptible de brouiller le marché, à l’image de la crise sanitaire ou des difficultés d’approvisionnement dues à la guerre en Ukraine. Et la fébrilité liée à l’application de la loi Montagne semble avoir disparu.
En cette fin d’été, au moment où nous avons interrogé ces prestataires, c’est avec calme et un sentiment d’attente que ces derniers...
C’est toujours avec une certaine nervosité que les enseignes spécialistes du pneu préparent l’équipement des flottes en vue de la prochaine saison hiver. Mais cette année, elles affichent au contraire une relative sérénité. Peut-être parce qu’il n’y a pas d’évènement perturbateur à court terme, susceptible de brouiller le marché, à l’image de la crise sanitaire ou des difficultés d’approvisionnement dues à la guerre en Ukraine. Et la fébrilité liée à l’application de la loi Montagne semble avoir disparu.
En cette fin d’été, au moment où nous avons interrogé ces prestataires, c’est avec calme et un sentiment d’attente que ces derniers envisageaient la saison hiver, alors que les flottes commencent en général à réfléchir aux pneus hiver à partir de septembre. Avec un constat : le marché ne devrait pas rencontrer de difficulté notable, même si d’aventure un épisode neigeux important arrivait d’ici la fin de l’année. D’autant que prestataires sont habitués et organisés pour y faire face, à l’instar d’Euromaster qui n’hésite pas à parler d’organisation quasi militaire. « Chacun est à son poste et sait ce qu’il doit faire », résume Stéphanie Decompois, directrice marketing et communication de l’enseigne.
Le quatre saisons en croissance…
Surtout, un élément important est venu apaiser, depuis plusieurs années, les tensions qu’entraînait autrefois l’arrivée de l’hiver sur le marché des pneus. Cet élément, c’est le quatre saisons. Un pneu qui, d’année en année, avec sa croissance irrésistible, peut désormais jouer sur les grands équilibres du marché et rendre moins centrale l’organisation liée à la permutation des pneus été et hiver, qui se fait en majorité durant le dernier trimestre de l’année. Mieux, alors que la croissance des quatre saisons mordait surtout sur le segment des pneus été les années passées, laissant aux pneus hiver leur relative stabilité, de nombreuses enseignes constatent, cette fois, que les pneus hiver ont vu leurs ventes diminuer significativement.
… le pneu hiver en repli
« Depuis octobre 2022 sur le marché B to B, le moteur de notre croissance est vraiment le quatre saisons, confirme Laurent Decallonne, directeur commercial de l’enseigne Feu Vert. Notre croissance globale atteint 12 %, portée par une augmentation de 40 % des ventes des quatre saisons, alors que les pneus hiver s’affichent en repli de 10 %. À 24 %, la part des quatre saisons dans notre chiffre d’affaires B to B reste toutefois inférieure à celle des pneus hiver, à 27 % », poursuit-il.
Pareillement chez Point S, on constate un recul des pneus hiver de l’ordre de 15 %. Chez BestDrive, le segment pneus hiver pesait 26 % des ventes de l’enseigne en 2021, contre seulement 22 % en 2022 ; mais ce recul devrait ralentir cette année, autour de 21 % pour les pneus hiver, selon Pierre Hamard, directeur commercial et marketing de BestDrive.
Pire, cette baisse concerne aussi les professionnels situés dans les fameuses zones dites « blanches », ciblées par la loi Montagne. Des professionnels qui privilégiaient jusque-là les pneus hiver dans ces zones vues quasiment comme un sanctuaire pour ces enveloppes, face à l’irrésistible ascension des quatre saisons. C’est en tout cas le point de vue de Laurent Decallonne, pour Feu Vert, mais aussi d’Arnaud Bazin, directeur des achats du fleeter Fatec : « Les pneus hiver deviennent en quelque sorte des spécialités. Ils vont se cantonner dans les zones de haute montagne, la Savoie et la Haute-Savoie par exemple. Mais déjà, dans des départements comme l’Ardèche qui sont couverts par la loi Montagne, ils sont concurrencés par les quatre saisons », expose Arnaud Bazin.
Quelques très grandes flottes ont donné le la en basculant la quasi-totalité de leurs véhicules vers les quatre saisons. Ainsi en va-t-il d’Orange ou encore de La Poste, évoque Benjamin Filippi, directeur d’Eurofleet Tyres & Services (Speedy, First Stop et Côté Route). Sans oublier que cette croissance des ventes de quatre saisons rebat aussi les cartes de la permutation des pneus été/hiver, et du gardiennage des pneus.
Le marché se cherche
Avec une nuance de la part d’Euromaster qui souligne l’importance persistante des pneus hiver au sein du marché professionnel : « Certes, les quatre saisons sont toujours en croissance, d’autant que leurs performances se sont améliorées au fil du temps, pointe Stéphanie Decompois. Mais pour nous, ils n’empêchent pas les flottes de conserver leur attachement aux pneus hiver qui génèrent encore 30 % de nos ventes, au contraire du marché grand public qui s’est orienté résolument vers le quatre saisons », explique cette responsable. Pour Stéphane Touquet, responsable grands comptes TC4 de Point S, les pneus hiver ne seront jamais totalement remplacés par les quatre saisons. En réalité, les parts de marché « se cherchent », précise-t-il.
Mais quatre saisons ou pneus hiver, un autre objectif préoccupe aussi les flottes : poursuivre les efforts d’optimisation du budget pneus pour tenir leurs objectifs. De fait, le sujet des prix des pneus reste d’actualité, bien que l’ensemble des enseignes souligne la stabilité des tarifs depuis le début de 2023, avec quasiment pas de hausse, voire quelques baisses aussi minimes soient-elles, à – 0,2 ou – 0,3 %, selon Jérôme Bonnaire, chef des ventes B to B de Norauto. Mais les prix n’en demeurent pas moins très élevés. « La situation n’est pas revenue à la normale. Et le marché a besoin d’un atterrissage progressif afin d’éviter les problèmes liés aux valeurs de stock », souligne Cécile Vasquez, directrice des opérations chez Viasso (Point S et Siligom).
La deuxième ligne
La nécessité d’optimiser le poste des pneus passe bien sûr par le choix des quatre saisons ou le maintien de l’alternance été/hiver. Les fortes augmentations des prix subies en 2021 et 2022, tout comme la loi Montagne, ont favorisé les premiers. Il est cependant un autre choix auquel sont confrontés les entreprises et le secteur public, c’est le maintien ou non des pneus premium dans les car policies.
Tout comme les pneus hiver semblaient garder la confiance des flottes, les pneus premium sont longtemps restés le profil principal, et de loin, retenu par les grandes flottes, face aux produits de deuxième ligne, voire de troisième ligne. On notait, ici et là, quelques percées des produits de deuxième ligne, mais rien de vraiment significatif, selon les prestataires. Et cette année, tout comme ces enseignes soulignent le recul des pneus hiver dans le choix des flottes, elles évoquent la percée réelle de ces produits de deuxième catégorie. Qui rappelons-le, restent des pneus de grande qualité, mais ne sont pas forcément les produits les plus récents et les plus performants. Avec surtout une différence de prix par rapport aux pneus premium, qui peut aller jusqu’à 15 % en fonction des enseignes.
« Ce changement ne représente pas un bouleversement, mais il y a une véritable évolution », estime Cécile Vasquez, pour Viasso. Ce qu’illustre l’offre des prestataires : celle-ci s’enrichit de marques de distributeurs (MDD) de deuxième ligne précisément, qui bénéficient d’efforts commerciaux soutenus de leur part, chez Point S ou Feu Vert entre autres.
La « déprémisation »
Norauto vend aussi du premium et du deuxième ligne que Jérôme Bonnaire appelle plutôt « quality » – cette catégorie de pneus est souvent nommée différemment selon les prestataires. Norauto va jusqu’à un créer un néologisme en parlant de « déprémisation », laquelle serait sur le point de se produire. « On voit des flottes passer de Michelin à Hankook », illustre Jérôme Bonnaire.
Quels critères de sélection permettraient aux entreprises d’aller plutôt vers du deuxième ligne que du premium ? Face à cette question, les enseignes se veulent souvent force de conseil et se positionnent pour apporter des réponses. Bien souvent, elles préconisent les pneus premium pour les gros rouleurs. « Mais pour des vitesses moins élevées, on peut étudier l’usage des pneus de deuxième ligne, note Arnaud Bazin, pour Fatec. Tout dépend de la façon dont les gens roulent, des risques pris, de tout ce qui peut jouer sur la durabilité du pneu. Mais dans certains cas, il est tout à fait possible de proposer des pneus, y compris de troisième ligne », complète Arnaud Bazin.
Les pneus dans la car policy
Qui ajoute : « Il faut aussi tenir compte des éléments propres à un client, dont son environnement social. » Comme les demandes de CHSCTT de très grandes entreprises de bénéficier de pneus premium pour la sécurité, alors que l’alternative des pneus de deuxième ligne pourrait se justifier, compte tenu de l’usage des véhicules en question. Pareillement d’ailleurs, les objectifs liés à la sécurité peuvent faire pencher la balance vers les pneus hiver plutôt que vers les quatre saisons.
Cette réflexion, aussi bien au sujet des quatre saisons ou des pneus hiver, et de leurs catégories, peut se mener très en amont, voire dès l’établissement de la car policy. Mais cet exercice reste toujours difficile puisque les flottes n’ont pas la maîtrise de la première monte. Et d’autres éléments entrent en ligne de compte, dont la fiscalité.
« Les gestionnaires de flotte souhaitent éviter le matraquage fiscal et s’orientent vers les véhicules hybrides », constate Benjamin Filippi, pour Eurofleet. Et quand vient la nécessité de regarder du côté des véhicules électriques, il faut aussi intégrer les prix en fonction de la dimension des pneus, avec des tarifs plus élevés pour des pneus plus grands. Or, la tendance générale, nette pour l’électrique mais valable pour l’ensemble des véhicules, est à l’accroissement des dimensions, autrefois autour de 16 pouces, aujourd’hui entre 18 et 20 pouces.
Avec l’électrique, il faut aussi intégrer les coûts d’entretien au sens large. « Nous nous situons plus dans une gestion globale du TCO », rappelle encore Benjamin Filippi. Ainsi entrent en ligne de compte les caractéristiques de la flotte, avec notamment les types de véhicules, leur fonction et leur utilisation, afin de faire le choix qui apporte le meilleur rendement, soit le meilleur ratio entre durée de vie et coût du pneu, selon Pierre Hamard, pour BestDrive. Bons calculs.