
« Nous n’avons jamais connu une si belle année sur trois mois. » Cette déclaration de Pascal Gradassi, directeur commercial de Point S, résume à elle seule la fin de l’année 2021. Une année faste pour l’ensemble des spécialistes des pneumatiques. Et pas seulement pour les réseaux indépendants. « Cette embellie a aussi profité aux réseaux constructeurs traditionnels, comme les concessionnaires », témoigne Laurent Decallonne, directeur commercial de Feu Vert Entreprises. Le quadrimestre d’octobre 2021 à janvier 2022 reste la période de référence pour cette enseigne. Ses ventes ont connu une croissance de 19 % en volume sur le marché des flottes,...
« Nous n’avons jamais connu une si belle année sur trois mois. » Cette déclaration de Pascal Gradassi, directeur commercial de Point S, résume à elle seule la fin de l’année 2021. Une année faste pour l’ensemble des spécialistes des pneumatiques. Et pas seulement pour les réseaux indépendants. « Cette embellie a aussi profité aux réseaux constructeurs traditionnels, comme les concessionnaires », témoigne Laurent Decallonne, directeur commercial de Feu Vert Entreprises. Le quadrimestre d’octobre 2021 à janvier 2022 reste la période de référence pour cette enseigne. Ses ventes ont connu une croissance de 19 % en volume sur le marché des flottes, comparativement à 2019. Les prestataires préfèrent en effet prendre 2019 comme référence. Tant 2020 a été atypique du fait de l’impact de la crise sanitaire sur l’économie dans sa globalité.
La loi montagne tire le marché
Point S a pour sa part affiché une croissance en volume de ses ventes de 10 % en 2021. Mais Pascal Gradassi se hâte de préciser que le marché, lui, n’a augmenté dans son ensemble que de 1 % par rapport à 2019. Une observation partagée par Jean-Philippe Duhoux, directeur commercial de Wyz Group : « Entre octobre et décembre 2021, la hausse a été spectaculaire mais à périmètre constant. Par rapport à 2019, nous avons retrouvé un roulage classique », précise-t-il. Qu’importe, les prestataires ne boudent pas leur plaisir face à un dynamisme retrouvé sur le marché des pneumatiques.
La principale explication de ce rebond n’est pas à chercher bien loin. De toute évidence, la loi montagne, entrée en vigueur en novembre 2021, a eu l’impact espéré auprès des flottes. Mais pas sur la totalité du marché : les particuliers s’y seraient montrés moins sensibles. De leur côté, les professionnels ont joué le jeu. Et l’annonce de l’absence de sanction, seulement une semaine avant la mise en application de la loi, n’a rien changé aux intentions des gestionnaires de flotte. Peut-être a-t-elle juste apporté de l’oxygène au marché qui a pu poursuivre son équipement sans pression. Et, sanction ou pas, tout ce qui a été fait l’année dernière en amont de la loi montagne a été efficace. « Les manufacturiers ont suffisamment fabriqué, les grossistes et distributeurs suffisamment stocké, souligne Laurent Decallonne pour Feu Vert Entreprises. Et les flottes ont suffisamment anticipé. »

Les flottes au rendez-vous
Tous les prestataires notent cette maturité dont les entreprises ont fait preuve. Et les faits sont là, quelles que soient les raisons pour lesquelles ces flottes se sont empressées d’équiper leurs véhicules. À savoir : le respect de la loi montagne. Ou, plus généralement, la prise en compte accrue des problématiques de sécurité des conducteurs . Et de tout ce qui est lié à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ce qui a entraîné, dans leur sillage, un cercle vertueux. « Le fait de parler pneus de façon plus marquée grâce à la loi montagne a créé des questionnements. Cela a généré beaucoup d’appels auprès de notre plate-forme. Bon nombre de conducteurs ont vérifié l’état de leurs pneumatiques en atelier », rappelle Jean-Philippe Duhoux pour Wyz Group.
Au cours du dernier trimestre 2021, cette forte croissance a eu des conséquences assez attendues sur les différents segments du marché des pneumatiques. Les quatre saisons ont ainsi encore affiché de solides performances. De nombreuses entreprises situées hors des régions dites « blanches » ont opté pour ce « compromis » fort utile. Du moins pour toutes celles qui n’ont pas besoin de se déplacer souvent dans les départements où la loi montagne s’applique. « Il s’agit principalement d’entreprises qui ne s’équipaient pas en pneus hiver », fait remarquer Pascal Gradassi pour Point S. Les prestataires ont de fait connu en 2021 des progressions spectaculaires des ventes de ces quatre saisons. Soit deux fois plus que l’année précédente chez Feu Vert. Ou encore un bond de 85 % chez Euromaster par rapport à 2019, selon Aline Lojié, directrice marketing VL de l’entreprise.

Quatre saisons ou hiver ?
Mais les pneus hiver n’en ont pas moins continué de s’imposer. Les entreprises habituées à s’en équiper n’ont pas changé leurs habitudes. Avec par exemple une augmentation de 15 % des volumes chez Norauto. Et avec, pour le marché, une part stable à 30 % environ des volumes pour ces pneus hiver, selon Aline Lojié. Dès lors, le seul segment à avoir quelque peu souffert en 2021 est resté celui des pneus été. Et ce, du fait de la croissance des quatre saisons. Sans oublier qu’avec une qualité des pneus hiver qui va croissant, des entreprises choisissent de rouler avec toute l’année.
« Le marché se scinde de plus en plus en deux. D’une part, les pneumatiques classiques, d’autre part, des pneus de haute technicité pour des véhicules plus lourds comme les SUV. Des pneus si techniques que certains choisissent de les garder l’été compte tenu de leur meilleure tenue de route, confirme Pascal Gradassi. Ce ne sont pourtant pas des pneus quatre saisons », ajoute-t-il.
Du côté des équipements de pneus pour l’hiver, identifiés par la loi montagne comme pouvant convenir dans les départements où elle s’applique, les chaussettes ont aussi bénéficié de l’intérêt des flottes. Traditionnellement, ces produits restent pourtant peu employés par les professionnels. Mais la nouvelle réglementation a incité ceux qui ne souhaitaient pas s’équiper en quatre saisons (il y a encore des « irréductibles » qui ne veulent pas de ce « compromis ») à choisir ces textiles pour protéger leurs pneumatiques dans les régions couvertes par la loi montagne. Plus les chaussettes que les chaînes d’ailleurs, elles aussi autorisées à équiper les pneus selon la loi. C’est en tout cas l’avis de Feu Vert Entreprises et Eurofleet.
Tous les prestataires ne partagent pas cette conclusion. Pour Laurent Decallonne de Feu Vert Entreprises, la demande s’est orientée vers les chaussettes essentiellement pour une question de coût. D’où des effets importants sur les approvisionnements de ce type de produits. L’ensemble de la chaîne de fabrication et de distribution a bien anticipé le marché des pneumatiques. Mais les fabricants et distributeurs de chaînes et de chaussettes ont plutôt été pris au dépourvu. « C’est un marché où les produits sont fabriqués un an à l’avance, explique Aline Lojié pour Euromaster. La loi montagne n’était pas encore passée quand les fabricants ont lancé leur production. Alors que ces produits restent d’habitude peu demandés par les flottes. » Résultat, de sérieuses difficultés d’approvisionnement sur ce segment de marché. Au point de parler de pénurie.
Les chaussettes ont la cote
Pas de pénurie donc avec les pneumatiques eux-mêmes. C’est un autre satisfecit pour les prestataires. Avoir réussi, à peu près, à répondre à la demande sans rupture forte d’approvisionnement. Mais avec quelques nuances. « Cela s’est bien passé dans un premier temps, en septembre et en octobre, relate Pascal Gradassi pour Point S. Après, compte tenu de la demande, il a fallu chercher d’autres sources d’approvisionnement. » « Il y a eu des tensions, admet Aline Lojié pour Euromaster. Nous avons pu être en rupture occasionnelle. » Mais l’ensemble des prestataires s’accordent à dire que les difficultés d’approvisionnement ont été pour la plupart ponctuelles. Sans réellement provoquer de pénurie ou de blocage.
Mais dans certains cas, il a fallu faire preuve de souplesse et d’astuce pour trouver ce qui pouvait manquer par moments. Car les manufacturiers et leurs partenaires, loueurs, distributeurs, prestataires indépendants, ont tendance à privilégier des marques par rapport à d’autres. Et les gestionnaires de flotte ont aussi leurs préférences. D’où la nécessité de rompre un peu avec ces habitudes pour pouvoir être livrés. « Les responsables de parc se sont montrés plus ouverts », rappelle Laurent Decallonne pour Feu Vert Entreprises. Peut-être aussi parce que ces derniers ont pris conscience des difficultés d’approvisionnement auxquels ont été confrontés leurs prestataires.

Un marché en tension
À ces difficultés d’approvisionnement que l’on espère provisoires s’ajoute une complexité que les distributeurs et prestataires doivent apprendre à gérer avec la progression exponentielle du nombre de gammes et de modèles. « Nous sommes à l’aube d’une complexité de références, affirme Jean-Philippe Duhoux pour Wyz Group. Car nous avons une gamme supplémentaire, en plus des pneus été, hiver et quatre saisons. Il s’agit des pneumatiques pour les véhicules électriques. » Des pneus qui vont eux aussi se décliner en hiver, été et quatre saisons. Pareillement, note Jérôme Bonnaire, responsable commercial de Norauto Pro, « il existe aussi une forte croissance des pneumatiques à destination des utilitaires, notamment de taille moyenne. Alors que leur part de marché parmi les VN augmente. »
Sans oublier l’essor de nouvelles dimensions. Un essor lié entre autres au succès des véhicules de type SUV. « Il y a une croissance énorme des pneus de 18 ’’ et de dimensions supérieures, poursuit Jérôme Bonnaire. Avec en parallèle une atomisation de l’ensemble du parc de véhicules en France du fait d’un mix dimensionnel en très forte hausse. » Un phénomène loin d’être négatif. Après tout, comme le remarque Laurent Decallonne pour Feu Vert, les quatre saisons ont contribué à appréhender plus sereinement la dernière saison hiver. « Rester sur les seuls pneus hiver aurait sans doute été plus difficile. Les quatre saisons ont permis de mieux absorber la demande et de faciliter le stockage », expose-t-il. D’autant que les prestataires ont par moment dû faire face à un manque de personnel. La faute à l’épidémie de covid qui a cloué au lit un grand nombre de salariés dans les ateliers.
Les référencements se complexifient
Mais cette complexité croissante du référencement ne va pas sans conséquences sur les stratégies des prestataires. « Quelles marques et quels modèles doit-on avoir, et à quel moment ? », s’interroge Benjamin Filippi, directeur d’Eurofleet. Nous avons des outils de prévision, certes, mais ils ont des limites. Nous devons donc sans cesse améliorer cette science de la prévision, la manier le mieux possible », complète-t-il.
La stratégie des achats demeure donc essentielle dans les démarches des prestataires. « C’est une véritable intelligence des achats pour trouver les bons partenaires, ne pas vouloir travailler avec tout le monde. Et avoir des références dans les grandes catégories de pneus, les premium, milieu de gamme et gammes “budget“ », énumère Aline Lojié pour Euromaster.

Des stocks en hausse…
« Il faut aussi surveiller les derniers véhicules qui sortent et les nouveautés en matière de pneus. Surtout pour ce qui concerne leurs dimensions », complète Aline Lojié. Avec des conséquences majeures en termes de stockage. Il faut d’abord disposer des surfaces adéquates pour stocker un grand nombre de références. C’est pourquoi Norauto a déplacé son centre logistique d’Arras à Orléans afin d’obtenir une surface plus importante. « Plus les gammes s’élargissent, plus on réduit le volume de pneus par référence. Et plus cela devient difficile à gérer. Il faut être plus précis dans les prévisions », résume Jérôme Bonnaire pour Norauto Pro.
Outre les difficultés d’approvisionnement, la complexité croissante des références et les modifications profondes des mix pneumatiques, l’augmentation des prix a aussi marqué l’ensemble du marché en 2021. « Nous avons connu quatre hausses de barème au cours de l’an dernier. Alors qu’en général, c’est deux au grand maximum », se souvient Jérôme Bonnaire. Les prix ont ainsi augmenté de 10 à 15 %, voire plus encore, selon les prestataires. Il est donc d’autant plus remarquable que les gestionnaires se soient engagés dans l’adaptation de leurs flottes à la loi montagne. Pour un coût non négligeable, supérieur sans doute à ce qui avait été envisagé.
Ces hausses répétées s’expliquent par le renchérissement des matières premières et, surtout, par les tensions industrielles et logistiques depuis 2020. Hausses que les prestataires doivent répercuter à un moment donné. Tout du moins en partie. « Nous n’avons répercuté que deux des hausses imposées par les manufacturiers. Nous avons amorti les autres sur notre compte », révèle Jérôme Bonnaire.
… tout comme les tarifs
Pour les flottes, la situation constitue aussi un vrai casse-tête. « Avec nos clients, nous abordons d’emblée l’optimisation des postes pneus et entretien, dès la signature des contrats, illustre Benjamin Filippi pour Eurofleet. Et sur ce poste des pneus, certains peuvent passer de marques premium à des marques de seconde ligne. Celles-ci restent moins chères d’environ 15 %. Mais ce n’est pas facile compte tenu de possibles préoccupations liées à la RSE. Dans ces cas-là, il vaut mieux se tourner vers des marques premium. C’est vraiment une étude au cas par cas. Et c’est encore plus complexe quand il faut prendre en compte les changements majeurs auxquels les flottes commencent à faire face. Mais aussi les problématiques de rejet de CO2, les incitations gouvernementales, l’électrification des véhicules, etc. », détaille Benjamin Filippi.
Le sujet de l’optimisation reste donc plus que jamais d’actualité. Un sujet qui ne cesse d’agiter les flottes dans leur volonté de maîtriser TCO et autres coûts d’usage. Et les prestataires de rappeler les différentes initiatives et solutions qu’ils proposent depuis longtemps à leurs clients. Dont certaines demeurent encore mal identifiées. A l’image du convoyage en zones urbaines, « service encore méconnu », selon Benjamin Filippi pour Eurofleet. Des solutions qui peuvent pourtant aider à optimiser le poste entretien dans sa globalité, entre autres avec l’éco-conduite.
Des pneus à surveiller

Pour les pneumatiques en particulier, les prestataires travaillent sur la meilleure façon de les entretenir et de vérifier et contrôler leur usure. Pour Norauto Pro, Jérôme Bonnaire rappelle d’ailleurs l’obligation de contrôler la pression des pneus, mais aussi les défauts de géométrie. « Si la direction est mal réglée, les pneus s’usent prématurément », justifie-t-il. Ce prestataire affirme réfléchir sur différents outils pour mesurer l’usure des pneus.
Norauto Pro met également en avant l’usage de l’azote pour gonfler les pneus dans ses ateliers, « un gaz qu’on peut utiliser tous les deux à trois mois, moins donc que l’air comprimé traditionnel, pour une meilleure stabilité du pneu et donc une usure moindre », avance Jérôme Bonnaire. Norauto commercialise aussi depuis ce printemps ses pneus rechapés, produits avec Mobivia, sa maison-mère, et la société Blackstar, sur le site de Béthune (62), demeuré longtemps la propriété de Bridgestone. Le prestataire en vante les qualités techniques pour un prix de milieu de gamme. Un autre levier pour optimiser le poste des pneumatiques.