
Longtemps, la loi Montagne II a été attendue par tous les acteurs du monde des pneumatiques. Attendue parce que les entreprises et les conducteurs seraient enfin guidés dans les décisions à prendre pour s’équiper en pneus hiver.
Cette nouvelle loi Montagne a donc été votée et promulguée après des années d’attente, et elle entrera en vigueur le 1er novembre prochain. Mais au lieu de clarifier les enjeux en matière d’équipement durant l’hiver, elle ajoute une incertitude dans un marché par nature incertain, compte tenu des aléas climatiques rencontrés chaque hiver. À cette date, les préfets auront en effet la possibilité de rendre obligatoire,...
Longtemps, la loi Montagne II a été attendue par tous les acteurs du monde des pneumatiques. Attendue parce que les entreprises et les conducteurs seraient enfin guidés dans les décisions à prendre pour s’équiper en pneus hiver.
Cette nouvelle loi Montagne a donc été votée et promulguée après des années d’attente, et elle entrera en vigueur le 1er novembre prochain. Mais au lieu de clarifier les enjeux en matière d’équipement durant l’hiver, elle ajoute une incertitude dans un marché par nature incertain, compte tenu des aléas climatiques rencontrés chaque hiver. À cette date, les préfets auront en effet la possibilité de rendre obligatoire, dans 48 départements, l’équipement des véhicules en pneus (hiver ou quatre saisons) et accessoires capables d’affronter des conditions climatiques hivernales (pour en savoir plus sur la loi Montagne). Avec cependant une précision : le non-respect de la loi n’entraînera pas, cet hiver en tout cas, de sanctions.
La loi en questions
Mais une question demeure : quels préfets décideront d’activer la loi dans leurs départements (voire dans des parties des départements en question) ? Une incertitude qui risque de gêner les gestionnaires de flotte dont les véhicules roulent beaucoup à travers l’Hexagone : comment équiper des véhicules qui traversent des départements non concernés, puis concernés, par cette loi Montagne ?
Les acteurs du marché sont loin de critiquer la loi dans son principe. Et dans son ensemble, ils reconnaissent son utilité. « Cette loi vient conforter les entreprises et asseoir tout ce que les prestataires et manufacturiers ont pu leur dire pendant des années », remarque Jean-Philippe Duhoux, directeur commercial du prestataire WYZ Group. Elle fait aussi preuve d’un sens de l’équilibre : on n’aurait pas imaginé que tout le monde soit soumis à l’obligation de s’équiper en pneus hiver, même si certains le souhaitaient.
Mais sans doute aurait-il fallu que les règles soient mieux définies pour les zones blanches, c’est-à-dire les 48 départements où cette nouvelle législation s’appliquera. On espère ici et là qu’il y aura une forme de concertation des préfets pour donner plus de cohésion à leurs décisions. C’est en tout cas ce qu’exprime Didier Di Meglio, directeur des ventes BtoB de l’enseigne Euromaster. Dans ce contexte, les acteurs du pneumatique s’appuient sur quelques certitudes pour préparer au mieux cette saison d’hiver inédite. La première : toutes les entreprises des régions blanches, habituées aux équipements liés à l’hiver, ne changeront pas leurs habitudes. Un constat dont ces prestataires, rompus à l’exercice prédictif, ont tiré les conséquences dans la constitution de leurs stocks.
L’hiver tire le quatre saisons
Seconde certitude : d’autres entreprises, qui ne s’équipaient jamais ou peu en pneus hiver, seront amenées à choisir les quatre saisons. De fait, tous les prestataires anticipent une hausse importante des livraisons de quatre saisons durant le dernier tiers de cette année, ce qui renforcera sensiblement la part de marché de ce segment. Cette part des quatre saisons atteindrait actuellement environ 15 %, soit à peu près celle des pneus hiver, selon Jean-Philippe Duhoux pour WYZ Group.
Cette progression des quatre saisons semble donc assurée, malgré l’hostilité affichée des loueurs longue durée qui continueraient de refuser cette catégorie de pneus. « Ces pneus sont 10 à 15 % plus chers que les pneus été et leur coût d’usage reste difficile à quantifier, ce qui représente peut-être un problème pour des loueurs habitués à lisser leurs tarifs mensuellement », explique Clément Legent, responsable grands comptes de Viasso, enseigne née en 2017 du rapprochement de deux réseaux indépendants.
Mais ces certitudes ne cachent pas les appréhensions des prestataires quant à la façon dont les choses vont se dérouler cet automne. Des appréhensions qui varient d’un acteur à l’autre : pour Clément Legent, les flottes sont « en gros » déjà prêtes à appliquer la loi Montagne, alors que Jean-Philippe Duhoux n’en est pas sûr du tout. Et pour Euromaster, Didier Di Meglio note que toutes sont loin d’être au courant.
Les flottes au premier rang
Tout dépend bien sûr de la taille des flottes. Si celles d’envergure nationale maîtrisent bien les changements en cours, la situation serait plus difficile avec les plus petites, précise Benjamin Filippi, directeur du prestataire Eurofleet. Mais cette évolution reste difficile à appréhender pour toutes ou presque : « Les flottes ont d’autres chats à fouetter, avec l’électrification des véhicules ou encore la gestion des bonus-malus etc. », rappelle Benjamin Filippi. Un mot d’ordre commun à tous les prestataires : il leur faut prêcher pendant les mois précédant la décision de s’équiper, quel que soit le niveau de préparation de leurs clients.
Quels pourraient être les sujets d’inquiétude ? Après tout, les prestataires savent gérer les périodes complexes de l’avant saison d’hiver. Ils sont habituées à commander des stocks suffisants de pneus hiver et quatre saisons pour faire face à la demande, sans oublier de relancer les flottes afin d’assurer à temps les précommandes. Mais la loi Montagne risque de générer une demande tardive due aux décisions des préfets des départements concernés. Ce qui pourrait entraîner un encombrement des ateliers, voire pire, peut-être une pénurie. Avec cette difficulté à anticiper les réactions de dernière minute, l’incertitude demeure donc de mise.
Une incertitude
« Nous n’entendons pas tant parler de la loi Montagne, surtout du côté du BtoC, pointe Clément Legent pour Viasso. Nous ne savons donc pas si cette évolution va véritablement drainer du monde dans les enseignes. » Et l’ensemble des prestataires rappellent que la crise sanitaire a immobilisé de nombreux véhicules et installé le télétravail en mode de fonctionnement permanent, avec en conséquence un impact sur les lois de roulage des flottes.
Mais à l’inverse, le risque potentiel de pénurie pourrait constituer la principale menace. Sur ce sujet, des prestataires se montrent plutôt optimistes : comme l’observe Jean-Philippe Duhoux pour WYZ Group, cela fait bien dix ans que la France n’a pas connu de pénurie de pneus. Mais certaines enseignes se font plus pessimistes, avec des appréhensions alimentées par d’autres facteurs. Ces inquiétudes touchent tout d’abord à la production des pneus en amont. « Les manufacturiers fabriquent toujours au plus juste », justifie Laurent Decallonne, directeur commercial de l’enseigne Feu Vert Entreprises. Et la crise sanitaire est venue perturber cette production, entre autres avec les pénuries de matières premières qui affectent de nombreux secteurs dont celui de l’automobile. « Les manufacturiers ont promis de produire un peu plus », veut pourtant rassurer Laurent Decallonne.
D’autres enseignes se reposent sur leur expérience et leurs relations avec les manufacturiers. Un constat d’autant plus vrai pour les prestataires qui appartiennent à des pneumaticiens, à l’image d’Eurofleet détenu par Bridgestone. « C’est plus facile pour nous approvisionner auprès de Bridgestone. Mais nous sommes multi-marques et nous devons donc construire la programmation des pneus hiver très en amont avec d’autres marques, Michelin en tête », expose Benjamin Filippi.
Les craintes de certaines enseignes se concentrent aussi sur un aspect spécifique de l’approvisionnement en pneus. « Les précommandes sont en général livrées, reprend Benjamin Filippi. Mais le réassort peut être difficile. La planification des stocks est un exercice que nous maîtrisons de longue date, mais les véhicules neufs, et notamment les modèles électriques, s’équipent de pneus été en première monte. » En attendant de passer aux pneus hiver…
Simplifier la donne ?
Un autre problème va concerner les flottes qui veulent simplifier la donne en s’équipant de pneus quatre saisons. Faut-il laisser les pneus été s’user jusqu’au bout et éventuellement s’équiper de chaînes et de chaussettes en attendant ? Ou encore faut-il user jusqu’au bout les pneus hiver avant d’envisager de passer aux quatre saisons ?
Les dimensions
Autre sujet de préoccupation, les dimensions des pneus, plus précisément pour les véhicules neufs. Ces dernières années, les enseignes ont dû faire face à un foisonnement des dimensions : il y en avait seulement quelques centaines il y a quelques années, elles sont aujourd’hui plusieurs milliers, rappelle Benjamin Filippi d’Eurofleet.
Pour Jean-Philippe Duhoux de WYZ Group, les stocks en pneus hiver et pneus quatre saisons sont importants – ce qui rassure. Spécialiste des solutions numériques pour l’approvisionnement automobile, WYZ Group bénéficie d’une bonne vision de la disponibilité en pneumatiques. Mais il est possible de rencontrer des difficultés sur certaines dimensions, appréhende ce responsable. En citant le Peugeot 3008 et ses pneus de 17 et 18 pouces, « des dimensions très typées, souligne-t-il. Les manufacturiers ne fabriquent pas les pneus hiver pour la première monte, mais seulement après. Ce qui peut parfois poser problème s’ils n’en produisent pas assez. Cela peut paraître anecdotique mais si une flotte possède une dizaine de véhicules de ce modèle, la situation peut être compliquée », illustre Jean-Philippe Duhoux.
Toutefois, la majorité des flottes s’équipe en véhicules de marques françaises, avec pour l’essentiel les mêmes dimensions de pneus, rappelle aussi Didier Di Meglio pour Euromaster. Mais face à des dimensions parfois qualifiées d’« exotiques », il faut compter sur son savoir-faire en termes de mix « dimensionnel ».

De la logistique…
« Couvrir les pneus été, hiver et quatre saisons est un travail pointu. Cela ne signifie pas que toutes les dimensions sont présentes, mais nous appuyons aussi sur notre plate-forme logistique pour approvisionner les stocks tampons », décrit Laurent Decallonne pour Feu Vert Entreprises. Avec à la clé une expertise logistique, mais aussi numérique par le biais de reportings qui permettent de connaître les dimensions utilisées dans les flottes, comme le souligne Euromaster. « Tous les mois, nous remettons à jour les dimensions par profil », illustre Aline Lojié, directrice marketing VL de cette enseigne.
« Néanmoins, cette science n’est pas exacte, insiste Benjamin Filippi pour Eurofleet. Quand on achète un véhicule, il y a quatre ou cinq possibilités différentes de monte : on ne sait pas forcément quels pneus va avoir tel véhicule qui vient d’être acquis. » D’où l’idée d’être le plus proactif possible et de suivre l’équipement des flottes au plus près. C’est ainsi qu’Eurofleet va généraliser un service réservé jusque-là à un nombre limité de clients. Et ce service de conseil en matière d’équipement en pneus aidera aussi à mieux gérer les stocks en amont.

… mais aussi beaucoup d’organisation
Mais quoi qu’il en soit, les enseignes ont largement anticipé la demande en pneus hiver. Feu Vert Entreprises a par exemple organisé sa logistique, avec tous les stocks dont l’enseigne estime avoir besoin. Mais ce prestataire compte également sur des effectifs supplémentaires dans les zones blanches le moment venu. Et il mise aussi sur le déplacement de ses unités mobiles de pose dans ces zones blanches. « Nous réfléchissons en outre à une solution pour renforcer le gardiennage dans les départements concernés », complète Laurent Decallonne. Cette solution devrait être disponible en cette rentrée.
De son côté, Allopneus reste plutôt confiant pour la saison à venir, et a préparé son stock, l’un des plus importants de France avec 1 million de pneus, selon l’enseigne. « Nous collaborons aussi avec un réseau de 6 000 garages. Tout le monde a donc accès à un de ces garages à moins de 10 km de son domicile ou de son lieu de travail, avance Mathieu Maurage, responsable activités professionnelles BtoB. Il est donc facile d’avoir un rendez-vous rapidement. » Allopneus met aussi en avant ses capacités de montage et démontage sur site pour lisser son activité, si d’aventure la demande se faisait plus forte que prévu. Et cette enseigne n’oublie pas non plus les stocks de chaînes et de chaussettes dont la demande va inévitablement augmenter.
Ces chaînes et ces chaussettes peuvent en effet constituer une véritable alternative pour les flottes qui hésitent à prendre une décision radicale quant au changement de pneus. Et ces équipements contribueraient aussi à faire durer un peu plus longtemps une monte classique en pneus été. Autre avantage, selon Clément Legent de Viasso, les chaînes et les chaussettes reviennent moins cher. « Mais on en parle assez peu, regrette-t-il. Cependant, ils ne sont pas si faciles à trouver. » À vos marques !
Dossier - Pneus hiver : la loi Montagne rebat la donne
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