
Le risque routier constitue l’un des principaux risques professionnels, comme en témoignent le nombre de décès et celui des journées de travail perdues. » En citant Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail, le récent rapport de la mission parlementaire sur la sécurité routière braque les projecteurs sur le coût financier et humain des accidents de la route survenus au cours des missions professionnelles ou sur les trajets du domicile au travail. Le ministère du travail et la direction générale du travail considèrent ce sujet comme prioritaire.
Mieux prendre en compte la sécurité routière
Pour l’État, la sinistralité routière doit...
Le risque routier constitue l’un des principaux risques professionnels, comme en témoignent le nombre de décès et celui des journées de travail perdues. » En citant Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail, le récent rapport de la mission parlementaire sur la sécurité routière braque les projecteurs sur le coût financier et humain des accidents de la route survenus au cours des missions professionnelles ou sur les trajets du domicile au travail. Le ministère du travail et la direction générale du travail considèrent ce sujet comme prioritaire.
Mieux prendre en compte la sécurité routière
Pour l’État, la sinistralité routière doit être prise en compte par les entreprises au même titre que les risques de cancer et les troubles musculo-squelettiques. À ce titre, la route doit être intégrée au document unique d’évaluation des risques avec un diagnostic et des actions de prévention. Si les intentions politiques sont clairement affichées, les entreprises n’ont pas encore pris la mesure des enjeux. L’inspection du travail a procédé à 2 700 contrôles entre le 1er avril et le 30 juin dernier. Bilan : seule une société sur deux a intégré le risque routier au sein du document unique d’évaluation. Encore plus probant : seule une minorité d’entreprises a déployé des procédures de prévention.
Pour faire avancer ce dossier, la commission parlementaire sur la Sécurité Routière conseille de rendre obligatoire l’évaluation du risque routier dans le document unique dans un délai rapproché. En clair, la sensibilisation ne suffisant pas, les députés veulent désormais passer par l’obligation.
Le 10 octobre dernier, les dernières statistiques du ministère de l’intérieur sont tombées. Entre le 1er novembre 2010 et le 31 octobre 2011, 3 980 personnes ont trouvé la mort sur la route. Après un début d’année alarmant avec un nombre de tués en hausse de 13 % sur les quatre premiers mois, la situation s’est tellement redressée que le nombre de morts sur la route n’avait jamais été aussi bas depuis la dernière guerre – alors que le trafic n’a cessé d’augmenter entre temps. Néanmoins, la situation reste préoccupante. Les chiffres publiés par l’Assurance Maladie permettent d’évaluer l’importance du risque routier pour les entreprises. En 2009, 398 salariés ont été tués lors d’un accident routier à l’occasion d’une mission professionnelle ou alors qu’ils se déplaçaient de leur domicile à leur lieu de travail.
Selon les assureurs, le coût moyen d’un accident s’élève à 1 200 euros de façon générale. Mais à ce montant viennent s’ajouter la franchise, les conséquences financières d’une mission avortée, les frais d’immobilisation et de remplacement du véhicule, les dépenses liées à l’arrêt de travail, au remplacement du collaborateur, etc. Selon les spécialistes de la prévention des risques routiers, les coûts indirects multiplient la perte financière initiale par deux ou trois.
Au-delà de ces chiffres, un accident de la route peut démobiliser un service et l’entreprise dans son ensemble. Dernière conséquence, la responsabilité civile et pénale du chef d’entreprise peut être engagée devant les tribunaux si les risques n’ont pas été évalués et si aucune mesure n’a pas été mise en place pour les limiter.
Pour lutter contre les accidents de la route, les spécialistes de la prévention ont élaboré un programme d’actions en plusieurs étapes. La première d’entre elles consiste à établir un état des lieux de la sinistralité en analysant les données statistiques des deux ou trois dernières années. Ce bilan doit évaluer l’efficacité des actions déjà menées et mesurer l’influence de l’organisation du travail sur les accidents. « Cette première étape est fondamentale pour construire un programme d’action adapté et efficace », explique Caroline Brun, directrice des ventes d’Automobile Club Prévention (ACP). Après cet état des lieux, l’entreprise définit son plan de prévention, fixe des objectifs chiffrés et évalue périodiquement les progrès réalisés pour adapter sa stratégie.
Utiliser tous les outils disponibles
Avant de former les conducteurs sur circuit, les responsables disposent de nombreux outils pour sensibiliser leur collaborateurs : réunions d’informations, communication sur intranet, e-learning, simulateur de conduite, etc. « Je ne suis pas partisan des formations sur piste dont le côté ludique brouille le message », affirme Max de Font-Réaulx, président de Théorème, courtier en assurance actif sur le marché des flottes.
En 2005, le laboratoire GlaxoSmithKline a ainsi déployé un plan de prévention très ambitieux. À travers des formations théoriques et pratiques, un plan de communication d’envergure et des événements récurrents, le laboratoire a réussi à faire passer la fréquence des sinistres de 51 à 38,5 % en trois ans. L’économie réalisée équivaut au triple de l’investissement. Avec des résultats aussi importants, les entreprises ont donc tout intérêt à s’impliquer dans la prévention des risques routiers. Lorsque la situation initiale est particulièrement mauvaise, le nombre d’accidents peut baisser de 20 % au cours de la première année. Encore faut-il pouvoir maintenir ces résultats dans le temps. Les mauvaises habitudes ont tendance à reprendre rapidement le dessus après la formation initiale ou les premières actions de sensibilisation. Agir efficacement contre les accidents de la route ne peut se faire ponctuellement. Cette volonté doit venir de la direction générale et ce sujet doit être traité comme un véritable projet d’entreprise où la prévention devient l’un des éléments des procédures de fonctionnement. Bénin ou grave, chaque accident demeure un événement anormal que les responsables doivent gérer au quotidien. La prévention des risques routiers ne fonctionne que dans la mesure où le plan est conçu dans une optique de conduite du changement. Les actions menées doivent marquer les esprits des collaborateurs et inscrire les bonnes pratiques dans leur quotidien.
Le point le plus important : agir dans la durée
« Le plus difficile est de changer les habitudes, mais une fois que le pli est pris, le style de conduite est pérenne », constate Jean-Pierre Beltoise. L’ancien champion automobile a créé le centre de formation Beltoise Évolution il y a plus de vingt ans. Sa recette pour inscrire la prévention dans le long terme : « Il faut étonner le stagiaire pour que son imagination travaille. C’est une question d’intelligence et de réflexion. »
Mais avant de mener des actions de prévention, des mesures de bon sens limitent les risques d’accident et font baisser la sinistralité de l’entreprise. À ce titre, l’usage du téléphone est symptomatique. Il est impliqué dans 10 % des accidents et le nombre d’appels acceptés par les conducteurs au volant est encore beaucoup trop élevé. En 2010, les services de l’État ont enregistré 506 000 infractions pour usage du portable tenu à la main. Dans ces conditions, demander aux collaborateurs de ne pas répondre au téléphone quand ils sont au volant constitue une mesure simple et facile à mettre en œuvre.
En 2003, la conduite avec un téléphone à la main a été interdite. Dans la foulée, les volumes de ventes de kits mains-libres ont explosé. Mais le problème n’a pas été résolu avec cette nouvelle législation. Dans les mois qui ont suivi, la Sécurité Routière a tiré la sonnette d’alarme. Selon les experts, avec ou sans kit mains-libres, téléphoner au volant multiplie par quatre les risques d’accident. En mai dernier, un rapport de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) affirmait qu’un accident sur dix serait associé à l’usage du téléphone.
Le téléphone et les kits mains libres sur la sellette
Philippe Houillon, rapporteur de la mission parlementaire sur la sécurité routière, voulait interdire purement et simplement l’usage des kits mains-libres. Lorsque ses intentions ont été dévoilées, les professionnels sont montés au créneau. Pour Daniel Jaubert, président de Dam’s, distributeur de produits électroniques auprès des entreprises, « il existe une certaine hypocrisie sur le sujet. Si les kits mains-libres étaient interdits un jour, il faudrait également prohiber les GPS. C’est impossible car l’enjeu économique est trop important. » Et selon les défenseurs des kits mains-libres, les cadres, s’ils ne peuvent téléphoner au volant, sont beaucoup plus stressés et ne respectent pas les limitations de vitesse pour arriver plus vite à destination.
Dans son rapport final, la mission parlementaire affirme pudiquement qu’au cours de ses auditions, « elle a été confrontée à une certaine modération dans la critique spécifique de l’usage du téléphone au volant, un consensus ne se dégageant pas en faveur de son interdiction totale. » En clair, les professionnels sont passés à l’action et les députés sont revenus sur leur intention d’interdire les kits mains libres. Le rapport final se contente de proposer un ensemble de mesures pour en limiter l’usage.
À l’issue de la mission parlementaire sur la sécurité routière, le Comité interministériel de la sécurité routière a décidé de renforcer les sanctions pour l’usage du téléphone tenu en main. Désormais, le contrevenant devra payer 130 euros d’amende au lieu de 35 et perdra 3 points sur son permis contre 2 actuellement. En outre, le Comité interministériel a décidé de développer, avec les opérateurs de télé phonie mobile, un système de diffusion de messages de prévention lorsque le téléphone est utilisé au volant.
Sensibilisation, incitation et sanction
La mission parlementaire veut aller encore plus loin en proposant d’interdire les kits mains-libres, lorsqu’ils nécessitent des manipulations comme la composition d’un numéro ou le réglage du micro, et de bannir l’usage des oreillettes. À terme, les députés souhaitent que seuls soient autorisés les équipements totalement intégrés au véhicule et fonctionnant grâce à la reconnaissance vocale. Parallèlement, les constructeurs automobiles et les opérateurs seraient incités à développer des systèmes pour limiter la conversation à quelques minutes si l’appel n’est pas lié à une situation d’urgence. Dernier axe de cette offensive contre le téléphone au volant, une campagne de communication devrait être lancée. Son thème : téléphoner ou conduire, il faut choisir.
Prévenir les risques avec des incitations
Devant cet arsenal dissuasif, chacune des entreprises peut d’ores et déjà réagir. Des pratiques de bon sens permettent de limiter les risques : couper la sonnerie en situation de conduite, brancher la messagerie, s’arrêter à un endroit adapté pour passer un appel ou écouter les messages. Des recommandations à inscrire dans le règlement automobile de l’entreprise et à faire signer par chacun des conducteurs. Pour la prévention des risques routiers, la sensibilisation doit s’accompagner de fortes incitations et d’un règlement strict qui peut être assorti de sanctions. La prévention des risques routiers est l’une des composantes de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Mais elle demeure encore trop souvent négligée.