
En matière de prévention routière, il n’existe pas de traitement unique au sein des entreprises : les moyens déployés et les sujets traités se veulent non seulement multiples, mais ils changent au fil des ans. Chez l’assureur Axa à la tête de 2 000 véhicules, les formations, à l’origine plutôt théoriques, ont par exemple évolué vers des stages très pratiques de conduite.
« Il y a une quinzaine d’années, les formations étaient dispensées sous forme de sensibilisations théoriques pour l’ensemble de notre personnel commercial lors de leur arrivée sur les sites », retrace Christophe Gerum, le responsable du département santé, sécurité, exploitation d’Axa en France. Cette première mouture s’est ensuite transformée en actions de sensibilisation au cours de journées spécifiques de 2016 à 2018. « Mais cela restait encore théorique », estime le responsable.
Un passage de la théorie au terrain
Depuis 2019, l’assureur renouvelle une partie de son dispositif par le biais d’une formation beaucoup plus pratique. Avec le recours à des spécialistes de la formation au pilotage, les salariés sont désormais formés sur circuit, et la partie théorique se réduit à 30 % du total. Pareillement, le public visé a été élargi : ce n’est plus seulement le personnel commercial qui est concerné, mais aussi le personnel administratif itinérant qui se déplace en clientèle.
Avec la mise en conditions sur circuit, les formations donnent aux participants une meilleure compréhension du fonctionnement du véhicule et de son comportement sur la route, argumente le représentant d’Axa : « Les conducteurs peuvent prendre conscience de la gravité des problèmes comportementaux au volant, liés à la consommation d’alcool ou à l’usage du téléphone portable, poursuit Christophe Gerum. Ils apprennent aussi à maîtriser leur véhicule lors d’un évitement en urgence, à faire face à une perte d’adhérence ou à un freinage d’urgence. Il y a également une simulation de la conduite sur neige avec des pneus spécifiques. »
Les sessions, qui s’effectuent avec un formateur pour trois personnes par véhicule, sont complétées par une sensibilisation à l’éco-conduite. Pour une prise de conscience plus efficace, « les stagiaires sont tous évalués en fin de cycle de formation, entre autres sur la partie éco-conduite, explique Christophe Gerum pour Axa. Ils conduisent au début de la journée sur un parcours standard avec l’enregistrement de leurs performances ; le parcours est ensuite refait en fin de journée après la formation pour comparer les résultats. »
Des formations avant tout « pratico-pratiques »
Des formations pratiques qui confrontent directement les conducteurs à la réalité des dangers de la route et les orientent vers une amélioration de leur comportement, c’est aussi l’objectif recherché par le centre hospitalier Esquirol de Limoges pour son personnel. Dans cette structure à la tête de 122 véhicules dont 25 utilitaires, les stages de conduite viennent en complément des journées de sensibilisation.
« Les actions de formation à la conduite sont dispensées en interne grâce à un simulateur, mais nous avons aussi noué un partenariat avec une auto-école pour des formations en situation, notamment autour des distracteurs au volant comme le téléphone », indique Géraldine Barruche, ingénieure en charge du département qualité et gestion des risques pour le centre hospitalier Esquirol.
Sur le modèle des formations proposées chez Axa, ce centre hospitalier offre un autre type de formation pratique avec des inspecteurs du permis de conduire. « Celle-ci se déroule avec trois professionnels par voiture qui vont rouler en ville. C’est un stage à visée pédagogique pour dispenser un rappel sur le code et mettre en lumière les mauvaises habitudes », décrit Géraldine Barruche.
Ces formations ne ciblent toutefois pas une catégorie entière de personnel avec des stages systématiques, sur le modèle de ce que fait Axa. L’assureur prévoit en effet de former 800 conducteurs dans l’année avec des stages pratiques. À l’hôpital Esquirol, ces stages ne sont pas imposés (voir le témoignage). « Compte tenu du manque de disponibilité du personnel, nous essayons de mettre en avant des formations qui ne prennent pas trop de temps. Nous préférons des formations plus courtes et efficaces, sur deux demi-journées », justifie Géraldine Barruche.
S’adapter aux disponibilités du personnel
Et ces formations s’adressent bien sûr en priorité aux personnels roulants. « Nous privilégions les équipes qui vont au domicile des patients mais aussi les assistantes sociales, ambulanciers, services logistiques ou les vaguemestres. Mais ces formations sont ouvertes à tous les professionnels », complète Géraldine Barruche.
Dans des proportions beaucoup plus modestes mais tout aussi efficacement, de petites entreprises déploient elles aussi, à leur échelle, des dispositifs de prévention à destination de leurs salariés. Dans ces structures, il n’existe pas de politique RSE ou de responsable de département sécurité pour élaborer une politique de prévention structurée.
Chez GMT Conseil, une TPE de huit salariés spécialiste de l’intégration de solutions de gestion au sein des entreprises, la réflexion a débuté il y a quatre ans : un accident routier de son épouse, Nathalie Terquem, qui travaille aussi dans l’entreprise, a alors déclenché la prise de conscience du dirigeant de l’entreprise Pierre Terquem. Les premières formations ont démarré il y a deux ans. « Les stages suivis sont de nature pratique ou théorique, ils se déroulent respectivement tous les ans et tous les deux ans », précise Pierre Terquem.
Les TPE-PME s’y mettent aussi
Dans cette petite flotte de cinq véhicules, les observations sur les comportements de conduite lors des trajets effectués en commun par plusieurs salariés déterminent le choix des thématiques des formations. « Les stages annuels permettent d’aborder des thèmes précis comme la conduite sur verglas. Les stages bisannuels eux ont pour but de revenir sur des aspects plus théoriques comme la révision du Code. Ils sont prévus pour se dérouler à terme tous les cinq ans », anticipe le responsable.
Quelle que soit la taille des entreprises concernées, reste un élément commun à ces formations à la sécurité routière, la question de leur coût. Chez GMT Conseil, le coût du programme de formation n’est pas neutre. « En 2019, nous en sommes quasiment à 5 000 euros annuels », estime Pierre Terquem. Ce montant est intégré dans le budget de l’entreprise, « avec les frais pour les déplacements que nous assurons pour les clients mais qui ne sont pas facturés et font partie de notre prestation globale », souligne le dirigeant de GMT Conseil.
Difficile d’obtenir des détails aussi précis sur les coûts assumés par les grandes entreprises pour le poste de la sécurité routière. « Avec le retour d’expérience sur ces cursus chez certains de leurs clients, nos organismes de formation avancent une diminution des consommations de carburant et de l’accidentologie. Ce qu’Axa France devrait constater d’ici fin 2019 et qui constituera un retour sur investissement gagnant-gagnant », préfère avancer Christophe Gerum pour l’assureur.
Le nombre de salariés formés laisse supposer des coûts élevés mais pour les grandes structures, des solutions restent possibles pour maîtriser ces dépenses. « Pour les formations à la conduite, nous activons les leviers disponibles pour les rendre les moins onéreuses possible : nous possédons un simulateur à demeure, financé sur des ressources internes. Les inspecteurs du permis de conduire dispensent leurs formations dans le champ d’un partenariat-cadre avec la préfecture. L’auto-école nous facture 500 euros pour la demi-journée de formation », détaille Géraldine Barruche pour le centre hospitalier Esquirol.
Quels coûts pour la sécurité routière ?
Autre levier de maîtrise de ces coûts, cette fois chez le spécialiste du service aux entreprises Onet : « La responsable de notre flotte a négocié la formation dans le contrat de LLD des véhicules. Renault représente 80 % de notre parc et le constructeur collabore avec le prestataire ECF pour remplir ses objectifs écologiques avec la formation des conducteurs », expose Nathalie Da Silva, responsable prévention des risques routiers et éco-mobilité. Et la flotte d’Onet pèse lourd avec entre autres 3 761 véhicules dont 826 VP et 2 935 VU.
Et en matière de sécurité routière, toutes les actions ne sont pas nécessairement coûteuses. Des initiatives simples sont elles aussi garantes de l’apprentissage des bonnes pratiques par les salariés, comme la remise de la charte conducteur à chaque livraison de véhicule.
« Lors des audits, je me suis aperçue que la plupart des conducteurs ne savaient pas utiliser les équipements des véhicules. Quand les véhicules sont livrés en agence, le collaborateur dialogue avec le commercial ou le jockey. Mais quand ils sont livrés à la direction régionale, la prise en main ne se fait pas ou mal. Pour résoudre ce problème, j’ai demandé à la responsable de flotte de mener des opérations de prise en main », ajoute Nathalie Da Silva (voir le témoignage).
Ces actions montrent aussi que l’efficacité de la prévention routière passe par un travail constant. À l’instar des stages d’éco-conduite, les rappels sont indispensables pour entretenir l’attention des salariés sur ces questions.
Des formations de longue haleine
« Certaines entreprises ne nous ont pas attendus pour mettre les moyens dans la formation à la conduite mais elles peuvent être à court d’idées après plusieurs années de formation », pointe Michel Duchêne, responsable de l’association de la sécurité routière en entreprise du Maine-et-Loire, l’ASRE 49. Pour relancer l’intérêt des salariés, cette structure départementale met en avant des opérations variées. « Nous avons des actions “clefs en main“ : jeu concours, évaluation du risque routier, radar pédagogique, mallette “Code de la route“, valise “alcool“, borne de gonflage, sensibilisation des salariés au risque routier, etc. », énumère Michel Duchêne.
Des propositions qui montrent aussi l’importance pour une entreprise de recourir à des ressources extérieures, telles les associations, pour améliorer ou faire évoluer ses actions de prévention. Une réunion est d’ailleurs prévue mi-juin au ministère de l’intérieur avec Emmanuel Barbe, le délégué interministériel à la sécurité routière, et les associations pour la sécurité routière en entreprise, « pour une journée d’échanges avec les clubs déjà existants et leurs partenaires, tels que l’Assurance Maladie et la direction générale du travail (DGT) », a annoncé la Sécurité routière. Alors que des clubs de prévention routière en entreprise existent déjà dans certains départements, la Sécurité routière souhaite désormais généraliser leur déploiement à l’échelle nationale.
À destination de leurs salariés ou agents, collectivités et entreprises organisent des journées de sensibilisation à la sécurité routière. « Au cours de ces journées, dans la région Nord puis en Île-de-France, nous avons fait intervenir l’association Axa Prévention qui contribue au développement de comportements responsables notamment sur la route, et qui dispense aussi une formation consacrée aux typologies d’accidents et aux comportements à risque », détaille Christophe Gerum, le responsable du département santé, sécurité, exploitation d’Axa en France.
Pour le centre hospitalier Esquirol, de telles journées offrent de toucher un public plus large que son personnel. « Nous avons un atelier pour les deux-roues puisque nous hospitalisons aussi des adolescents. Et nous avons voulu ouvrir la journée à d’autres structures voisines, un collège et un institut médico-éducatif (IME) », complète Géraldine Barruche. Dans le cas des entreprises, une telle ouverture peut aussi être l’occasion de mettre en commun les réflexions locales en matière de sécurité routière ou de mobilité.
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