
« La prévention au risque routier a longtemps été un sujet pas très vendeur. Mais on s’aperçoit que dans les appels d’offres de gestion de flotte ou de LLD, ce volet se fait de plus en plus présent alors que les demandes de formations augmentent, souligne Jean-Philippe Monnatte, P-DG d’Automobile Club Prévention (ACP), spécialiste de la prévention routière. Une prise de conscience émerge en parallèle d’actions autour de la qualité de vie au travail qui devient une vraie valeur d’entreprise », ajoute-t-il.
« Les grandes entreprises, dotées d’un CSE (ex CHSCT) ou d’un service RSE, ont intégré depuis plusieurs années le risque routier et même le...
« La prévention au risque routier a longtemps été un sujet pas très vendeur. Mais on s’aperçoit que dans les appels d’offres de gestion de flotte ou de LLD, ce volet se fait de plus en plus présent alors que les demandes de formations augmentent, souligne Jean-Philippe Monnatte, P-DG d’Automobile Club Prévention (ACP), spécialiste de la prévention routière. Une prise de conscience émerge en parallèle d’actions autour de la qualité de vie au travail qui devient une vraie valeur d’entreprise », ajoute-t-il.
« Les grandes entreprises, dotées d’un CSE (ex CHSCT) ou d’un service RSE, ont intégré depuis plusieurs années le risque routier et même le risque lié aux mobilités. Car les nouveaux modes de déplacement comme les trottinettes ou les vélos sont aussi dangereux en milieu urbain, complète Olivier David, directeur commercial de Coyote, un acteur de la télématique embarquée. Quant aux PME-PMI, notre cœur de cible, elles découvrent que les déplacements font partie des situations à risque. Mais cette prise en compte est encore incomplète bien que ces entreprises aient souvent la volonté de traiter le sujet. »
Motivations et prise de conscience

De fait, les pionniers sont souvent de grands groupes. « Nous avons commencé à mener des actions il y a plus de vingt ans », rappelle Martine La Roche, responsable de la flotte de Johnson & Johnson France (1 200 VP). Chez ce spécialiste de la santé, le programme Safe Fleet lancé à l’échelle internationale se décline localement, avec des standards identiques pour tous. À commencer par une formation, lors de chaque embauche, au plus tard dans les six mois.
« Environ les trois quarts des entreprises mentionnent la nécessité de baisser la sinistralité. C’est un enjeu majeur, souvent à l’origine de leur prise de conscience et de leurs demandes de suivi et de formation », estime Joël Chabas, directeur de Catalytix France, le service de conseil et de data science du télématicien Masternaut. Un constat qui s’explique notamment par le coût de la sinistralité, « véritable millefeuille. Pour 1 euro remboursé par les assurances en cas de sinistre, il y a 2 à 5 euros de coûts cachés : véhicule à remplacer, immobilisation du salarié, temps passé à gérer le sinistre qui peut facilement atteindre six heures en moyenne, perte du matériel transporté, hausse de la prime d’assurance, impact sur les franchises, etc. Sans compter les problèmes liés à l’image, difficilement quantifiables », énumère Joël Chabas.
Un élément déclencheur

Pour le spécialiste du travail intérimaire Randstad France, la sinistralité a ainsi constitué l’élément déclencheur. « Le groupe mène une politique en faveur du bien-être des salariés et dispose d’un service RSE. Nous sommes donc sensibles aux actions de prévention. Le montant de la prime d’assurance nous a incités à mener des actions », relate Delphine Robic, responsable des services généraux, à la tête d’environ 2 200 véhicules. « En 2016, notre assureur nous a accompagnés dans un plan d’actions de prévention qui a porté ses fruits, précise-t-elle. Avec les frais de remise en état, un des indicateurs à suivre, nous sommes passés d’environ 1 000 euros par véhicule en 2012 à moins de 500 euros aujourd’hui, ce qui est un bon score selon nos loueurs. Nous avons aussi généralisé un processus qui comprend le passage d’un expert en présence du conducteur, avant le retour du véhicule », poursuit-elle (voir le témoignage).

Même prise de conscience chez Acorus. Ce spécialiste des services d’entretien d’actifs immobiliers est passé en dix ans de 80 collaborateurs et 50 véhicules à 900 collaborateurs et 650 véhicules. Difficile dans ces conditions de suivre efficacement la flotte, d’autant que le poste de gestionnaire vient d’être récemment créé et confié à Michaël Goncalves. « Nous avons décidé en 2019 d’abandonner l’assurance intégrée dans le contrat du loueur et de passer par le courtier Théorème, avec une franchise de l’ordre de 5 000 euros et une partie en auto-assurance dont les bris de glace. Cela a été le déclic. Pour éviter des coûts trop élevés, nous avons décidé de travailler sur la prévention routière. Théorème a d’ailleurs été retenu pour sa capacité à mener un diagnostic et à proposer des actions et des formations », détaille Michaël Goncalves (voir le témoignage).
Motorisations vertes, nouvelles mobilités
D’autres motivations poussent à s’intéresser aux actions de formation, selon Jean-Philippe Monnatte d’ACP : « Les entreprises prennent conscience de la nécessité d’accompagner les collaborateurs dans la prise en main des modèles électriques ou hybrides afin de modifier les comportements de conduite. En effet, sans formation préalable, la consommation peut très rapidement atteindre des coûts astronomiques avec les hybrides. Et cela favorise indirectement une conduite plus sécuritaire. Dans ce cadre, les salariés sont aussi toujours plus demandeurs. »
D’autres entreprises sont à la recherche de cet accompagnement vers de nouvelles mobilités mais aussi de solutions face aux conditions difficiles de circulation. « Ce qui les conduit à des réflexions sur la prévention du risque routier. De ce fait, les actions évoluent : nous ne sommes plus sur des formations de conduite sur verglas ou en situation d’urgence, mais plus sur de la prévention des risques quotidiens, sur de l’anticipation », reprend Jean-Philippe Monnatte.
Pour Olivier David de Coyote, la première mesure essentielle, « c’est la pédagogie, le rappel d’un certain nombre de principes de base sur les règles d’utilisation des véhicules et une sensibilisation régulière avec des communications sur l’interdiction du téléphone, la surveillance de la pression des pneus, le nombre maximal d’heures de conduite, etc. Et ces règles doivent être écrites. » Autre incontournable pour Olivier David : « La répétition, autant en termes de pédagogie que de formations. La prévention, si l’on s’en occupe juste une fois, ne fonctionne pas. »
Individualiser les formations
Avec la sécurité routière, les actions se font plus diversifiées et individualisées. « Les cours à plusieurs sont souvent abandonnés au profit de formations ciblées, surtout pour les conducteurs les plus accidentogènes », constate Jean-Philippe Monnatte d’ACP. « Et ces actions doivent différer en fonction des problématiques de l’entreprise, des métiers et des problèmes rencontrés », précise Joël Chabas pour Masternaut. Ce dernier déconseille aussi les actions larges de formation : « Elles sont coûteuses et immobilisent sur un grand volume d’heures les véhicules et les collaborateurs alors qu’en général seuls 20 à 25 % des conducteurs en ont vraiment besoin. »
Patrick Clemens, chargé de développement du département prévention du risque routier pour le prestataire ECF, insiste pour sa part sur la « nécessité de donner du sens aux comportements ». Et mise sur une analyse détaillée des données pour individualiser au maximum les actions : « Les indicateurs nous amènent à définir des typologies de conducteurs en fonction notamment des types de sinistres (chocs avant, arrière, avec ou sans tiers, etc.) et de leur fréquence. Nous regardons aussi la saisonnalité de ces sinistres. Parfois, il y a une recrudescence l’été avec des embauches temporaires. Et nous prenons en compte l’activité de l’entreprise. Former tout le monde lors d’une grande session n’est donc pas efficace : les problèmes rencontrés par les uns ne sont pas ceux des autres », expose Patrick Clemens. Qui met aussi en garde contre les formations qui visent à « donner plus de maîtrise », dans des situations comme le freinage d’urgence ou la perte d’adhérence. « On crée alors des conducteurs encore plus accidentogènes. Il faut au contraire miser sur la compréhension de ses comportements par le conducteur et sur une prise de conscience. »
Des solutions diversifiées
« Ce qui marche le mieux, c’est un mix de plusieurs solutions », reprend Jean-Philippe Monnatte pour ACP. Et celles-ci ne manquent pas : quart d’heure sécurité, communication sur intranet, entretien post-accident, sensibilisation des nouveaux entrants, formation, e-learning, tutoriel, etc. Parmi les initiatives originales, Patrick Clemens cite un client qui envoie chaque mois à ses salariés une BD avec un accident anonymisé, sur le thème « c’est arrivé chez nous ».
Chez Randstad, plusieurs actions ont été menées en parallèle : « Tout d’abord, nous avons équipé les véhicules en télématique, mais sans géolocalisation, afin d’analyser le comportement des conducteurs. Nous avons lancé des actions de sensibilisation lors de la prise en main des véhicules qui se fait de manière groupée, par lot de 30 ou 40 véhicules. C’est aussi l’occasion de remettre en avant la charte du conducteur, les règles d’utilisation du véhicule et de la carte carburant, etc. Lors de ces mini-sessions, un responsable de notre partenaire ECF intervient. Il présente les chiffres du risque routier et prodigue quelques conseils », décrit Delphine Robic. Un autre volet concerne la communication avec un petit quizz sur l’intranet du groupe, plusieurs fois par an. Et les formations ciblent essentiellement les conducteurs « identifiés comme les plus à risque. »
Des programmes structurés
Chez Johnson & Johnson, la prévention passe à la fois par la formation, les « débriefings » post-accident et des actions de communication dans le cadre du programme Safe Fleet. Tous les salariés sont ainsi formés par le prestataire Beltoise après leur embauche, puis durant une journée tous les trois ans. « Nous essayons de varier les thématiques. Lors du dernier cycle, la partie pratique s’est déroulée sur route avec un moniteur. Depuis cette année, nous avons mis en place des exercices sur circuit, par exemple pour travailler les distances de sécurité. Les choix se font en fonction de l’accidentologie. En effet, nous avons identifié un nombre important de chocs avant et arrière ces derniers temps », explique Martine La Roche.
Deuxième axe de Safe Fleet : les débriefings post-accident et incident, réalisés par Beltoise. « Pour qu’ils soient mieux acceptés, il est préférable de prendre un prestataire extérieur plutôt que de faire appel à un manager en interne. L’objectif n’est pas de stigmatiser – une des craintes des salariés – mais de faire réfléchir le collaborateur sur ce qu’il aurait pu faire pour éviter l’accident : 95 % des accidents sont évitables. Cela permet au collaborateur de mieux comprendre ses réactions au volant et ses comportements », souligne Martine La Roche. Troisième axe : la communication avec entre autres une newsletter mensuelle ou une vidéo, en alternance un mois sur deux. Et tous les canaux sont mobilisés, y compris les réseaux sociaux internes.
Des résultats tangibles
Dernier point et pas le moindre : les actions menées doivent ensuite être mesurées, « en termes de sinistralité, d’économies sur la consommation mais aussi sur les pneus, l’entretien, la prime d’assurance, etc. », énumère Jean-Philippe Monnatte d’ACP. « Et il est utile de se fixer des objectifs au préalable : cela implique l’ensemble des acteurs et donne un cap à suivre et à contrôler. Quand on n’a pas d’objectif, on ne risque pas de le dépasser », ajoute Olivier David pour Coyote.
« 20 à 25 % des conducteurs comprennent vite. Il s’agit souvent de collaborateurs les plus sensibles à l’aspect sécuritaire et aux enjeux environnementaux. Il y a donc un petit quart de leaders qui modifient rapidement leurs comportements, une grosse moitié de suiveurs et un petit quart de réfractaires. Pour ces derniers, il peut être nécessaire d’opter pour des formations spécifiques, note Joël Chabas pour Masternaut. En moyenne, des actions simples de prévention avec un bon coaching font déjà diminuer de 14 % la sinistralité, avant même de passer par la case formation. »
Chez Johnson & Johnson, les performances de chaque collaborateur en matière de sécurité sont calculées selon un dispositif de points (voir notre article), mais aussi en fonction du respect des règles comme celles pour l’entretien du véhicule, les frais de restitution, etc. « Ainsi, le fait de ne pas se rendre à une formation pèse dans la balance. Cette performance sécuritaire globale est un élément intégré dans les objectifs de performance globaux et peut avoir un impact les primes annuelles et les hausses de salaire », indique Martine La Roche. Assurément efficace.
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