Amusé. Voici le sentiment général des responsables de parc quand on leur demande de dessiner l’avenir de leur métier d’ici 2035. Amusé mais inquiet. Car certains estiment que l’avenir du gestionnaire de flotte est de « disparaître » doucement mais sûrement pour se transformer en gestionnaire de la mobilité. Une mutation considérable.
C’est l’avis de Bruno Renard, coordonnateur de la responsabilité sociétale du CEA de Grenoble et président de la Fédération des acteurs des plans de mobilité. Volontiers provocateur mais pragmatique, celui-ci se trouve à la tête des 130 véhicules de cet organisme public. Allant jusqu’au bout de sa logique, Bruno...
Amusé. Voici le sentiment général des responsables de parc quand on leur demande de dessiner l’avenir de leur métier d’ici 2035. Amusé mais inquiet. Car certains estiment que l’avenir du gestionnaire de flotte est de « disparaître » doucement mais sûrement pour se transformer en gestionnaire de la mobilité. Une mutation considérable.
C’est l’avis de Bruno Renard, coordonnateur de la responsabilité sociétale du CEA de Grenoble et président de la Fédération des acteurs des plans de mobilité. Volontiers provocateur mais pragmatique, celui-ci se trouve à la tête des 130 véhicules de cet organisme public. Allant jusqu’au bout de sa logique, Bruno Renard dessine un monde avec moins de gestionnaires de flotte alors que le nombre de VP en entreprise devrait baisser fortement.
Moins de véhicules à gérer

« En 2035, de très nombreuses villes auront intégré les zones à faibles émissions (ZFE) interdisant le diesel (voir aussi l’article et le dossier). Les flottes auront alors “verdi“ et il ne restera majoritairement que des véhicules techniques, anticipe Bruno Renard. Tous les autres auront été remplacés par du covoiturage, du transport autonome, du transport à la demande », voire des drones, pourrions-nous ajouter. Des changements annoncés qui amènent les spécialistes du transport à faire évoluer leurs offres mais aussi les véhicules en parc. Sans oublier la croissance multiforme des services d’autopartage ou de covoiturage qui ciblent aussi la clientèle professionnelle.
Ces évolutions ne sont pas sans conséquence sur le métier de gestion de flotte qui devrait se scinder en deux catégories. La première regrouperait des gestionnaires qui travailleront pour des prestataires commercialisant auprès de leurs clients des offres de déplacement au sens large, tant pour les personnes que pour les marchandises. En toute logique, les loueurs pourraient exercer ce métier, tout comme les « pure players » présents sur ce marché. Les gestionnaires de flotte quitteraient alors les entreprises « classiques » pour rejoindre ces spécialistes du transport : loueurs, constructeurs, spécialistes de plates-formes, etc. Ce qui suppose de renforcer leur niveau de compétences pour savoir analyser, convaincre ou former. Car ces responsables de la mobilité deviendront spécialistes du choix de nouvelles stratégies, de nouveaux véhicules et de nouveaux modes de déplacement.
Deux profils de gestionnaire
La seconde catégorie de gestionnaires continuerait à travailler pour des entreprises privées ou des entités publiques avec de moindres besoins en flotte. Le responsable de parc se définira alors comme un salarié polyvalent qui sait gérer des contrats avec des volumes en recul, tout en respectant les cahiers des charges. Ainsi, au CEA de Grenoble, l’objectif visé est que la moitié du personnel n’ait plus besoin de se déplacer, avec en parallèle une implication du gestionnaire dans les services liés à la mobilité ou à la responsabilité sociale des entreprises, mais aussi un rôle dans les formations à l’éco-conduite ou encore à la sécurité routière. « Dans cette optique, ce gestionnaire disparaîtrait petit à petit pour réapparaître en mobility manager », précise Bruno Renard.
« Dans quinze ans, les entreprises auront avant tout besoin de responsables de la mobilité, confirme Laurent Petit, chef du département marketing et business développement du loueur Alphabet. Notre monde est de plus en plus changeant. Les jeunes générations sont moins enclines à posséder une voiture. Le coworking et le télétravail se développent. Le véhicule sera donc un outil comme beaucoup d’autres. Le gestionnaire de flotte devra gérer tout cela », synthétise Laurent Petit.
Vers le mobility management
Pour sa part, Cédric Bernard imagine un responsable de parc qui gère la mobilité des collaborateurs mais aussi les accords signés avec des collectivités locales notamment, dans l’objectif de transformer la flotte, centre de coût, en élément de rentabilité. « L’entreprise pourrait mettre à disposition des citoyens une partie de sa flotte avec une baisse des coûts pour la commune et une rentabilisation du parc par ces locations de courte durée », envisage ce président-cofondateur de Weproov, le créateur de Proovstation, un portique qui réalise un état des lieux extérieur des véhicules lors des restitutions (voir aussi l’article).

« Nous allons arriver à une fragmentation des offres pour coller aux besoins des utilisateurs et nous serons aidés, pourquoi pas, par l’intelligence artificielle avec des données massives, ponctue Patrick Martinoli, responsable projet et innovation flotte et mobilité pour Orange. Notre avenir est dans la MAAS (mobility as a service) avec une imbrication des mobilités multimodales et deux credos pour le gestionnaire de flotte : proposer le bon véhicule pour le bon déplacement, tout en sachant que le meilleur déplacement est celui que l’on évite. Conclusion : la gestion de flotte est d’ores et déjà, pour nous, intégrée dans le facility et le mobility management avec le télétravail et la téléconférence », poursuit Patrick Martinoli pour Orange, à la tête des 17 500 véhicules dont 1 500 VP.

Quelles seront les incidences de ces scénarios sur le nombre de gestionnaires de flotte en 2035 ? Personne n’en sait vraiment rien. Car les équations comportent plusieurs inconnues. « À l’hôpital, nous devrions réduire la flotte dans les quinze ans mais le nombre de trajets devrait au moins se maintenir. D’où la nécessité de recourir à d’autres modes de déplacement : autopartage, covoiturage, transport en commun pour répondre par exemple au développement de l’hospitalisation à domicile, expose Didier Dupeyron, responsable du parc automobile du CHU de Grenoble, soit 130 véhicules. Le nombre de gestionnaires de flotte devrait diminuer d’un côté mais augmenter de l’autre avec, pour mon cas, un objectif de maîtriser les hausses des coûts budgétaires d’ici 2025… »
Le secteur public est aussi concerné
Avec Didier Dupeyron, nous nous situons dans la seconde catégorie de la typologie des gestionnaires de flotte que nous avons établie, soit les responsables de parc qui continueront à œuvrer au sein des entreprises ou des collectivités. Une fonction qui existera toujours mais qui paraît condamnée à décroître inexorablement d’ici 2035. En face, nous retrouvons la première catégorie de notre typologie, soit des responsables qui vont migrer vers des spécialistes du déplacement et du transport, sous-traitants des entreprises de la première catégorie.
S’il n’y a pas unanimité sur les conséquences de ces changements, tout le monde estime en revanche que le gestionnaire de flotte « débordera de son cadre ». Aujourd’hui, il gère des véhicules. Demain, il sera au cœur des déplacements de ses collègues, mais aussi de ses clients, voire peut-être de ses concitoyens.

« Dans mon agglomération, nous venons de lancer les premiers appels à projets pour améliorer le déplacement durable de nos concitoyens, commente Cyrille Collet, ingénieur de formation et directeur logistique de Nantes Métropole et de la ville de Nantes. Nous réfléchissons à la façon dont notre collectivité pourrait offrir au public des solutions logistiques pour se déplacer durablement. Certes, il s’agit de décisions stratégiques traitées à très haut niveau mais le gestionnaire de flotte pourrait y apporter sa connaissance des véhicules, de la consommation, des implantations pour de futures stations de mobilité, etc. », énumère Cyrille Collet qui manage 90 salariés et gère 1 650 véhicules.
Plus de nouvelles technologies…
Le gestionnaire de flotte de 2035 devra être aussi devenu un spécialiste en informatique. « Dans une collectivité comme la mienne, d’ici 2035, il devra avoir acquis des compétences en nouvelles technologies : géolocalisation, utilisation accrue des moyens informatiques. C’est et ce sera une évolution majeure dans les quinze prochaines années », reprend Cyrille Collet.

« Nous allons connaître des difficultés pour faire arriver nos matériels dans les villes, souscrit Alain Motz, secrétaire général d’Eurofeu, un spécialiste de la sécurité incendie à la tête de 750 véhicules pour 1 000 salariés. Les gestionnaires de flotte devront trouver des solutions pour réaliser les derniers kilomètres. D’où l’obligation de maîtriser les outils informatiques pour apporter d’autres propositions. »
De fait, quel que soit le scénario qui prévaudra, le travail du responsable de parc se situera à l’interface de plusieurs systèmes en provenance de son employeur, de ses clients, de ses conducteurs, de ses loueurs et prestataires. Et il devra en être le chef d’orchestre. Car en 2035, tout le monde se servira de son informatique personnelle pour transmettre des données à un système central coordonné par ce gestionnaire.
« Tout sera automatisé avec des factures importées et des outils pour affecter des véhicules sans l’intervention du gestionnaire de flotte. Dans 25 ans, la gestion des révisions sera aussi organisée par le véhicule qui prendra lui-même les rendez-vous, anticipe Maxime Sartorius, dirigeant du fleeteur Direct Fleet. Pour répondre aux besoins de son employeur, le gestionnaire devra donc maîtriser l’informatique et les flux de données. »
Avec un point positif : cette évolution pourrait aussi supposer moins de travail administratif. « Le responsable de parc devra résoudre des tâches à plus haute valeur ajoutée, prévoit Olivier Rigoni, formateur et fondateur de Cogecar, spécialiste du conseil en gestion de flotte. À l’heure actuelle, il anticipe peu, tant il est pris par un quotidien chronophage. Demain, grâce à l’informatique, à la télématique embarquée, aux techniques de gestion communiquant avec la voiture, son métier tiendra avant tout du pilotage. »
… moins de travail administratif
Avec pour impératif de savoir manipuler des données et les analyser. Ce qui supposera de devenir un gestionnaire au sens propre du terme. « On demandera à l’administrateur de flotte de faire plus de gestion. Tout en résolvant une équation différente : faire en sorte que les salariés de son entreprise se déplacent mieux et moins à moindres coûts écologiques et économiques. D’où la nécessité d’être pluridisciplinaire, créatif et imaginatif pour envisager d’autres manières de se déplacer ou pas », explique Robert Maubé, directeur consultant du cabinet RRMC, spécialiste de la gestion des flottes d’entreprise et consultant pour Flottes Automobiles.
Cette évolution correspond aux conclusions des travaux menés par l’universitaire, entrepreneur et auteur de l’ouvrage Les compétences du 21e siècle, Jérémy Lamri. « Les gestionnaires de parc sont concernés par l’émergence des quatre compétences nécessaires au XXIe siècle : la créativité, la communication, l’esprit critique et la coopération. Ils ne doivent pas se croire à l’abri de ces changements », note Jérémy Lamri.
Maîtriser les données, un impératif
Jérémy Lamri souligne aussi l’importance de l’analyse des chiffres. « Les tableaux Excel resteront réalisés par la machine mais l’analyse sera du ressort du gestionnaire de flotte. Et on attendra de ces populations “techniques“ de se différencier. Ceux qui se développeront ne seront pas les meilleurs experts mais ceux dotés du meilleur relationnel et de la plus grande aptitude à résoudre les problèmes. Le marché du travail recherchera toujours une expertise mais celle-ci s’acquerra plus vite et durera moins longtemps. D’où l’importance de savoir apprendre à apprendre », conclut Jérémy Lamri.
Baudouin de Mégille, consultant en gestion de flotte et ancien dirigeant du parc de Veolia Environnement, ne dit pas autre chose : « Le bon gestionnaire de 2035 devra être doté d’une vision et savoir agir pour utiliser les données massives, rappelle-t-il. Actuellement, il passe beaucoup de temps à rassembler des informations. Dans l’avenir, cette tâche sera effectuée par les nouvelles technologies. Sa mission consistera alors à analyser finement ces données pour les décliner en un plan d’actions. Il passera donc son temps non à collecter les informations, mais à réfléchir pour optimiser les coûts et effectuer un contrôle de gestion. »
Cette évolution vers le contrôle de gestion suppose en parallèle une montée en gamme du métier. Bref, des gestionnaires de flotte moins nombreux mais avec une fonction plus importante, plus stratégique et donc une rémunération plus élevée. « Il faudra générer des rapports, mettre en avant des actions, faire évoluer les systèmes », ajoute Baudouin de Mégille.
Développer le « savoir-être »
Dans ce contexte, ce gestionnaire devra se tenir encore plus à l’écoute des besoins de ses « clients internes ». Les notions de coût, qualité, délai se feront prépondérantes. Il faudra aussi accompagner les utilisateurs pour les changements et usages de la mobilité. Cela implique de travailler ses qualités en communication pour à la fois émettre de l’information et en recevoir, et pour devenir un communicant et un diplomate sachant convaincre, former les salariés, reformer les récalcitrants…
« Pour maintenir et/ou développer leur employabilité, les gestionnaires de flotte devront s’appuyer sur leur “savoir être“. Les employeurs vont avoir besoin de responsables polyvalents, très agiles et très curieux », résume Philippe Ambon, directeur général et associé de Holson, un cabinet de conseil spécialiste de la gestion de flotte.
Ces transformations auront des incidences sur le niveau d’études demandé aux futurs responsables de parc. Qui devront plutôt choisir de se former à la gestion, au droit ou à la logistique qu’à la mécanique. Le niveau d’études attendu devrait aussi progresser. En entreprise, il leur sera demandé un niveau bac + 3/5 pour savoir prendre du recul. Ils devront être capables d’instruire les dossiers d’assurance, ceux des accidents, mais aussi de conseiller le dirigeant sur les achats à réaliser.
« C’est un métier plein d’avenir, ponctue Philippe Ambon. De nombreuses choses sont à réaliser, à découvrir. Si le gestionnaire de flotte peut gagner en crédibilité, il pourra épauler le financier, contenter les ressources humaines, se faire apprécier par le service responsabilité sociale de l’entreprise et satisfaire, in fine, la direction. »
La formation, toujours un impératif
Mais il faudra évoluer. Ce qui passera par la formation continue, le travail de réseau avec ses pairs, l’apprentissage par la presse spécialisée, les journées de spécialisation ou les visites dans des salons. « Enfin, reprend Philippe Ambon, les gestionnaires devront maîtriser le métier des fournisseurs. Disposer d’une expérience dans des sociétés d’agrégation de mobilité ou chez des voyagistes type Expedia ou Carlson Wagonlit Travel constituera une compétence qui fera la différence en 2035. » Vous êtes prévenu-e-s.