Pour électrifier les flottes, les entreprises réfléchissent à s’équiper en bornes, en parallèle à l’analyse des usages, à l’identification des conducteurs éligibles et des modèles. Et le sujet reste complexe. « Nos clients se demandent dans quel type de bornes investir et où les installer, quels câbles employer, etc. », remarque Guillaume Maureau, directeur général adjoint d’ALD Automotive France.
« Ce n’est pas évident pour les collaborateurs de passer d’une seule source de ravitaillement, la station-service, à la recharge avec trois sources : l’employeur, à domicile et en itinérance – les deux premiers modes pesant en moyenne 80 à 90 % de l’ensemble », note Régis Masera, directeur consulting d’Arval France. Et les entreprises ne sont pas toujours capables de calculer la consommation de leurs véhicules du fait de la multiplicité de ces lieux de recharge.
La recharge à domicile…
Première tendance : équiper les domiciles. « D’autant que des clients ont eu de mauvaises surprises. Car recharger sur l’autoroute revient souvent au prix d’un plein de carburant. Il faut donc mettre à jour la politique voiture en prenant en compte l’électrique, et en limitant le recours à l’itinérance et aux recharges rapides onéreuses », expose Matthieu Blaise, directeur associé du cabinet de conseil Ressource Consulting.
Pour le laboratoire pharmaceutique Pileje (210 véhicules), équiper les domiciles reste indispensable. « Avant de commander des véhicules électriques en 2023, soit pour un petit nombre de nos collaborateurs majoritairement itinérants, nous attendons de finaliser le projet d’équipement en bornes des domiciles, avance Cécile Loirat-Boulzennec, responsable nouvelles mobilités et parc automobile. Et nous privilégions d’abord les maisons individuelles. C’est nécessaire car nous voulons nous assurer que la recharge ne constitue pas un frein pour ces personnes qui ne sont jamais au bureau. Nous prendrons en charge l’investissement avec un amortissement sur trois ans, poursuit-elle. Nous avons déjà quelques PHEV pour les sédentaires et une prise Green Up suffit. Mais cette motorisation n’est pas une finalité en soi. Nous voulons passer au 100 % électrique et la hausse des prix du carburant devrait permettre d’être à TCO équivalent », ajoute Cécile Loirat-Boulzennec.
… mais comment ?
Mais il y a un frein à l’équipement à domicile : la crainte de ne pas récupérer la borne en cas de départ du collaborateur. « Des entreprises demandent alors aux salariés de prendre en charge l’investissement. Ils sont remboursés tout ou partie de cet investissement mais aussi de leur consommation électrique sous forme de notes de frais, avec l’accord de l’Urssaf qui considère qu’il n’y a pas d’AEN pour ces dépenses. Mais personne ne sait si cette politique fiscale va perdurer au-delà de 2023 », rappelle Matthieu Blaise pour Ressource Consulting.
« La location a aussi des adeptes, constate Cyril Châtelet, directeur commercial et marketing de LeasePlan France. Ce système délègue à un prestataire l’ensemble des tâches, de l’installation à la maintenance et à la refacturation des consommations. La borne appartient à l’opérateur et cette solution plaît dans les copropriétés avec la possibilité de mettre des compteurs individuels. »
Se pose aussi la question du type de borne. « Les bornes connectées avec un compteur différencient les recharges en semaine de celles en week-end ou en congés », pointe Julien Chabbal, directeur des ventes et marketing d’Alphabet. Le groupe de BTP Ramery (1 200 véhicules) s’oriente d’ailleurs vers cette solution « pour remonter les consommations. Et il faut prévoir des bornes aux domiciles pour les voitures de fonction car ces conducteurs rechargent essentiellement chez eux », complète Jean-Sébastien Horent, responsable du pôle véhicules légers.
Mais toutes les entreprises n’équipent pas les domiciles. « Les VU font souvent des boucles avec un retour dans l’entreprise pour y recharger la nuit », illustre Cyril Châtelet. C’est l’option choisie par Orange qui gère un important parc de véhicules de service et de VU. « Nous allons doubler nos investissements en bornes sur nos sites entre 2023 et 2025. Nous avons 1 300 points de charge avec l’objectif d’un point pour deux ou trois véhicules. Ce qui pose un problème avec le parc autopartagé qui va devenir 100 % électrique. Pour éviter que les véhicules ne restent accrochés à la recharge, il va falloir les déplacer », prévoit Anne Bertrand, directrice de la gestion des véhicules (15 300 véhicules).
Privilégier la recharge sur site ?
Chez Atalian (3 500 véhicules), équiper les collaborateurs est en réflexion. « Ils rechargent beaucoup en voirie ou avec une prise simple à domicile. Au siège, nous avons quatre bornes et quatre autres en commande. Sur les autres sites où nous sommes locataires, c’est compliqué et nous discutons avec nos bailleurs. Nous misons aussi sur les bornes sur les chantiers », détaille Barbara Soria, directrice des services généraux de ce spécialiste des services aux entreprises.
« Ensuite, il faut accompagner les collaborateurs qui connaissent mal l’utilisation des bornes et se trompent entre recharge lente et rapide, d’autant que la puissance est rarement indiquée sur ces bornes. Et l’entreprise doit piloter son réseau car il est rarement possible d’avoir d’une borne par véhicule », recommande Théophane Courau, président du fleeter Fatec.
De la pédagogie…
« Le défi est de faire adhérer les conducteurs, alors que certains sont persuadés de ne pas être éligibles. Il faut être pédagogue et des entreprises misent sur des “ambassadeurs“ pour montrer l’exemple », conseille Julien Chabbal d’Alphabet, en soulignant « l’importance de la formation pour optimiser les autonomies ». Pour mémoire, la loi Climat et Résilience oblige les entreprises à mettre en œuvre « des actions de formation ou de sensibilisation auprès des conducteurs des véhicules électrifiés ».
Des formations indispensables selon les responsables de parc. « Nous prévoyons une formation d’une journée à la remise du véhicule pour mieux appréhender la conduite électrique. Ensuite, nos stages de sécurité routière avec Centaure, également d’une journée, seront modifiés pour intégrer cette nouvelle donne », prévoit Diane Duvinage, responsable environnement de travail d’AstraZeneca France. À la tête de 580 VP dont 560 hybrides majoritairement PHEV, ce laboratoire veut électrifier sa flotte d’ici fin 2025. Ramery veut aussi électrifier ses 1 200 véhicules. « Mais pour décarboner le parc, il faut aussi accompagner les collaborateurs qui continuent de rouler en thermique. Nous comptons lancer des formations d’éco-conduite avec une partie axée sur la sécurité routière sur simulateur », anticipe Jean-Sébastien Horent.
… et de la formation
Pour Anne Bertrand chez Orange, ces formations restent indispensables : « Nous voulons que les conducteurs comprennent le fonctionnement de l’électrique et comment l’utiliser au mieux. Il faut conduire différemment pour régénérer l’autonomie grâce à la décélération, ce qui nécessite beaucoup d’anticipation. Avec aussi un plus au niveau du risque routier. » Anne Bertrand a ainsi mis en place un e-learning spécifique pour les conducteurs de véhicules électriques ou hybrides et « recherche un partenaire pour des formations en présentiel pour ceux qui le souhaitent ». Message transmis.