
« Il y a beaucoup de défiance de la part des gestionnaires de flotte autour de la restitution », reconnaît Jean-Loup Savigny, directeur commercial et marketing de LeasePlan France. En cause : des frais de restitution jugés souvent bien trop élevés sinon injustifiés. « Ces frais sont difficiles à comprendre pour les responsables de parc : que vaut par exemple une même rayure sur deux véhicules différents ? », admet le responsable de LeasePlan.
À défaut d’explications claires, les suppositions des gestionnaires de flotte vont bon train : d’aucuns estiment « que c’est là que les loueurs font une part de leur marge », d’autres que les loueurs et...
« Il y a beaucoup de défiance de la part des gestionnaires de flotte autour de la restitution », reconnaît Jean-Loup Savigny, directeur commercial et marketing de LeasePlan France. En cause : des frais de restitution jugés souvent bien trop élevés sinon injustifiés. « Ces frais sont difficiles à comprendre pour les responsables de parc : que vaut par exemple une même rayure sur deux véhicules différents ? », admet le responsable de LeasePlan.
À défaut d’explications claires, les suppositions des gestionnaires de flotte vont bon train : d’aucuns estiment « que c’est là que les loueurs font une part de leur marge », d’autres que les loueurs et les garages s’entendent pour gonfler la facture des travaux… Mais les professionnels l’admettent également, les loueurs ne sont pas les seuls responsables du manque de visibilité sur les frais de restitution. Ce manque est aussi souvent lié à l’organisation interne des flottes.
Frais de restitution : qui est responsable ?
Ainsi, pour des véhicules dispersés sur le territoire entre plusieurs sites, le responsable de parc n’a pas forcément la possibilité de connaître l’état dans lequel a été rendu chaque modèle. Et il n’a souvent aucun moyen de savoir si la facture adressée par le loueur correspond bien à l’état de remise du véhicule.
« La difficulté reste de faire le rapprochement entre ce qui nous est facturé et l’état réel du véhicule lorsque nous l’avons remis, constate Patrick Paolozzi, responsable transport du répartiteur pharmaceutique Alliance Healthcare, à la tête de 1 100 véhicules (voir le témoignage de Patrick Paolozzi). « Compte tenu de l’usage intensif de nos véhicules, il est normal qu’ils se dégradent sur la durée de la détention. Mais suivre les dégradations au cours de la vie d’un véhicule n’est pas simple et demande de l’investissement, essentiellement humain », poursuit Patrick Paolozzi.
Pour limiter le plus possible les incertitudes autour de cette étape de la vie des véhicules, les loueurs multiplient les initiatives (voir notre article). Des solutions sont déjà proposées comme la remise du véhicule en présence d’un expert.
« Nous avons de plus en plus de rendez-vous avec les conducteurs, détaille Bertrand Durand, directeur de Macadam France, spécialiste de l’inspection des véhicules dans le cadre des fins de contrat de location longue durée. Cette année, nous allons réaliser plus de 200 000 inspections. Avant, nous avions 10 % de rendez-vous, aujourd’hui nous frôlons les 35 à 40 %. »
L’expertise pour éviter les litiges
’une durée de vingt à trente minutes, cette expertise évite les litiges sur les dommages éventuellement commis sur la voiture entre sa remise chez un concessionnaire et son expertise finale. « Quelques heures après, le rapport photographique est disponible chez le loueur et le gestionnaire de parc y a accès dans la majorité des cas », reprend Bertrand Durand (voir aussi l’encadré ci-dessous).
Idéale sur le papier, cette expertise contradictoire demeure complexe à mettre en œuvre. « Nous pouvons l’organiser mais ce n’est pas forcément évident pour le conducteur : il faut coordonner l’agenda du garage, de l’expert et du conducteur », pointe Hugues de Monteville, directeur des opérations chez ALD Automotive.
Autre écueil, le conducteur se montre souvent plus enclin à s’intéresser à la livraison de sa nouvelle voiture qu’à la restitution de l’ancienne. « Les expertises contradictoires peuvent se révéler stressantes pour le conducteur, ajoute le responsable d’ALD. En face de lui, une personne qui porte un titre d’expert fait le tour de sa voiture avec un regard critique : il se sent jugé. Les retours que nous avons des expertises contradictoires, c’est que les conducteurs les trouvent généralement très désagréables. »
Dernier inconvénient selon le responsable d’ALD, cette expertise sur le lieu de travail ou en concession a un coût supplémentaire. « Compte tenu du peu de différences constatées entre les frais facturés à la suite d’une restitution chez des concessionnaires et ceux facturés suite à la restitution avec un expert, certaines entreprises sont repassées de l’expertise contradictoire à l’expertise post-restitution », observe Hugues de Monteville.
S’impliquer lors de la restitution
Reste que d’autres leviers sont accessibles aux gestionnaires de flotte pour s’assurer du contrôle de ces frais de restitution. Certains relèvent du bon sens, comme assister aux constats de restitution chez les concessionnaires afin de limiter les litiges. « Il ne faut pas déposer la voiture sur le parking du concessionnaire et attendre le compte rendu mais assister à la restitution et attendre le papier signé », insiste Guillaume de Charentenay, responsable achats pour STO SAS.
Cette entreprise spécialisée dans l’isolation thermique compte 140 véhicules financés par deux loueurs avec sept véhicules de société et le reste en véhicules de fonction. « Chez STO, nous faisons réaliser l’expertise par Macadam avec le loueur qui nous l’impose. Cela permet d’avoir une tierce partie indépendante. Nous nous plions à l’estimation faite par Macadam », complète Guillaume de Charentenay.
Cette attention portée à la restitution chez le garagiste peut éviter toute facturation pour des dommages commis entre le dépôt de la voiture chez le concessionnaire et son expertise finale. Mais elle demande aussi un certain suivi. Le recours des loueurs aux experts pour évaluer les voitures est systématique. Ces derniers recensent les dégradations selon les critères détaillés dans le guide édité par le SNLVLD. Intitulé « État standard, restitution des véhicules de location », ce guide est en ligne sur le site du syndicat.
Une règle mais des exceptions
« Le standard du SNLVLD demeure bien “l’étalon“ mais chacun y apporte des spécificités », précise toutefois Xavier Diry, directeur de Dekra Automotive Solutions France, entre autres spécialiste de l’inspection des retours de flotte. Reste qu’une fois ces critères définis par les loueurs, ils sont employés quelle que soit la voiture, l’entreprise dont elle provient ou la taille de la flotte à laquelle elle appartient.
Une dernière précision qui a son importante : nombre de gestionnaires de flotte estiment que leurs véhicules sont plus sévèrement jugés que d’autres, notamment ceux des petits parcs en comparaison des véhicules des grands parcs. « Les personnes qui mènent les expertises ne regardent pas le contrat des clients et n’ont pas d’informations sur ceux à qui a appartenu la voiture. Ils réalisent un chiffrage identique pour un client avec dix, cent ou une voiture », clarifie Jean-Loup Savigny pour LeasePlan France.
« Quand nous expertisons une voiture, nous ne savons pas quelle entreprise l’a restituée, confirme Xavier Diry pour Dekra. Et de toute façon, à la revente, les conditions commerciales sont équivalentes : il faut bien que la description des dommages sur les véhicules soit homogène. »
Si un décalage existe dans les facturations entre différentes flottes, il n’est donc pas tant lié à l’expertise qu’à l’estimation du coût des dommages constatés. « Le standard SNLVLD ne propose pas de chiffrage des dégâts, ce qui laisse une latitude totale aux loueurs sur cette valorisation », poursuit Xavier Diry.
Chez ALD par exemple, « nous travaillons à partir de bases de données pièces et main-d’œuvre pour estimer les coûts bruts de réparation, explique Hugues de Monteville. Nous appliquons ensuite une grille de vétusté selon le kilométrage et l’âge. Il est normal qu’au bout d’un certain temps des rayures ou des impacts de gravillons apparaissent sur les véhicules. Les abattements sur les coûts des réparations s’élèvent à 20 % sur les voitures de moins de 24 mois, et vont jusqu’à 50 % pour les véhicules de 48 mois. »
Des différences à prendre en compte
Chaque loueur applique ainsi ses propres barèmes d’abattement, de taux horaire de main-d’œuvre pour les estimations des réparations, et de tolérance pour les plus petits dégâts constatés. Selon le loueur, les frais de restitution sont donc susceptibles de varier pour un même dommage sur un même modèle. « Un loueur peut offrir des loyers très intéressants commercialement mais compenser sur les frais de restitution en fin de contrat. Cela n’est pas notre position », avance Christophe Delivet, directeur du service Delivery d’Arval.
Pas toujours facile de s’y retrouver. Mais les « surprises » peuvent s’anticiper en demandant aux loueurs leurs grilles de dépréciation. « Nous nous appuyons dessus pour connaître les abattements dont nous allons bénéficier en fonction du kilométrage et de la durée d’utilisation du véhicule. Et à la restitution, nous vérifions que ces grilles sont appliquées », décrit Patrick Paolozzi pour Alliance Healthcare.
Pour aller plus loin dans cette anticipation, et mieux maîtriser les frais à échéance, une négociation peut également s’engager avec le loueur sur les conditions de facturation des véhicules à la restitution. Une négociation ardue, qui demande aussi bonne connaissance de la fiabilité des modèles et de leur usage (sur ce sujet, voir le reportage sur Still).
Une restitution à négocier en amont
« Les frais de restitution ne se négocient pas, tranche de son côté Christophe Delivet pour Arval. Nous facturons juste et nous sommes transparents. » Et ce responsable d’ajouter : « Il peut y avoir exceptionnellement des gestes commerciaux en fonction de l’âge ou du kilométrage de la voiture. Nous pouvons aussi convenir en début du contrat des conditions de restitution sur des flottes qui ont un usage particulier quand telle ou telle partie du véhicule sera forcément abîmée. »
Autre levier à actionner en amont pour réduire au final la facture des frais de restitution : une sélection pointue des modèles de la car policy, en considérant les coûts de « réparabilité ». Car si les dégradations des véhicules sont quasiment inévitables au cours de leur utilisation, les coûts générés par un dommage semblable peuvent varier selon les modèles et les marques.
Cette différence de coût est évidente entre des véhicules haut de gamme et ceux à plus grande diffusion. « Mais dans les gammes généralistes, on peut trouver certains écarts pour des dégâts équivalents », complète Xavier Diry chez Dekra. Difficile cependant de connaître ces différences de coûts de réparation à moins de « se plonger dans les méthodes de réparation préconisées par les constructeurs », pointe le responsable de Dekra.
Tenir compte de la « réparabilité »
Chez un loueur comme ALD, ce calcul des répercussions de la réparabilité est intégré dans le calcul du TCO des véhicules… et mobilise toute une équipe en interne. « Il peut y avoir des écarts de 40 % entre deux marques pour des modèles équivalents, constate Hugues de Monteville pour le loueur. Une marque peut aligner une belle remise à l’achat mais coûter plus cher de 40 % à la réparation. Parce qu’il y a des modules en aluminium ou parce qu’un choc avant gauche va demander de changer à la fois l’aile et l’optique de phare… »
Si ces deux derniers leviers ne sont pas accessibles à tous, d’autres beaucoup plus classiques n’en sont pas moins efficaces. Le suivi de l’état du véhicule tout au long de sa location en fait partie. Pour de nombreux professionnels du secteur ce suivi se veut un impératif : « Plus un véhicule se dégrade tôt, plus il va se dégrader de manière importante. Un véhicule qui sera gardé en bon état sera rendu avec moins de frais », résume Xavier Diry pour Dekra.
À défaut d’empêcher les dégradations du quotidien, un meilleur suivi aide à éviter la déconvenue évoquée plus haut des mauvaises surprises des factures de frais de restitution. « Normalement, ces frais ne constituent pas un impondérable, note Patrick Paolozzi d’Alliance Healthcare. Mais les coups de portière dans les parkings laissent des traces et sont globalement inévitables. Si nous arrivions à effectuer des contrôles réguliers de la flotte, le moment de la restitution ne devrait devenir qu’une formalité. »
Établir un suivi sur le long cours
Mais là encore, la mise en œuvre de ce suivi se fait beaucoup moins simple qu’il n’y paraît. « Il existait un suivi semestriel, mais il a été abandonné, retrace Guillaume de Charentenay chez STO dont la flotte est dispersée dans seize agences sur le territoire. Le processus était trop lourd : les managers en charge de faire le tour du véhicule ont rapidement arrêté ou alors déléguaient la mission aux collaborateurs. »
Face à ces défections, Guillaume de Charentenay envisage d’autres solutions pour suivre sa flotte, notamment grâce à une « application smartphone associée à notre logiciel de gestion de parc. Celle-ci permet de faire des photos comme une fiche véhicule. »
En facilitant le suivi de l’état au cours du temps, un tel dispositif laisse aussi la possibilité au gestionnaire de juger et de décider de la nécessité d’effectuer ou non les travaux avant la restitution. « Nous voulons améliorer l’état des lieux de la carrosserie préalable à la restitution pour éventuellement faire des réparations de remise en état quand elles sont nécessaires et ne pas attendre la facture de réparation du loueur », poursuit Guillaume de Charentenay.
Faut-il réparer en amont ?
Là encore cet arbitrage reste délicat. Difficile d’évaluer la pertinence économique d’une remise en état lorsque l’on ignore ce qui va être effectivement facturé par le loueur. Certains prestataires commencent à proposer des services pour résoudre ce problème (voir notre article).
Chez les loueurs en tout cas, on assure que compte tenu du mode de calcul des frais de restitution, l’initiative de la réparation avant restitution est moins avantageuse. « Réparer une voiture avant restitution coûte globalement plus cher de 30 % que de la laisser en l’état et payer les frais de dépréciation », estime ainsi Hugues de Monteville pour ALD.

Un constat qui tend à être partagé par certains responsables de parc. « Il nous arrive de demander des devis à des garages pour des remises en état de véhicules à restituer. À la réception des frais de restitution des loueurs, nous comparons les deux montants, détaille Patrick Paolozzi d’Alliance Healthcare. Il s’agit de tests aléatoires pour avoir un ordre d’idée de ce que peuvent coûter les réparations mais aussi pour sensibiliser les conducteurs en local sur le montant de ces frais. Jusqu’à maintenant, les frais de restitution facturés par les loueurs ont toujours été inférieurs aux devis réalisés auprès de carrossiers indépendants. »
Mais d’autres sont plus sceptiques : « En réalisant nous-même les réparations, les coûts moyens de restitution se situaient entre 500 et 800 euros. En passant par le loueur, c’était plutôt 1 100 à 1 300 euros », se rappelle David Liénard pour Vinci. À la tête de Tunzini-Antilles, une filiale de Vinci en Martinique, ce dernier avait auparavant la responsabilité de Vinci Facilities Sud-Ouest et des 80 véhicules de la flotte.
Mais aussi ardues soient ces différentes stratégies de suivi et de choix pour aboutir au final à baisser les coûts, elles ne doivent pas faire oublier un aspect essentiel des frais de restitution : dans tous les cas, les dégradations qui entraînent des frais de remise en état sont des indices du comportement routier du conducteur.
Le conducteur, clé du problème
« Notre motivation autour de la maîtrise des coûts de la restitution part du constat des dérives possibles des frais et des économies réalisables. Mais un véhicule avec une aile enfoncée sans déclaration d’accident signifie aussi un sinistre caché, conclut Patrick Paolozzi pour Alliance Healthcare. Et ce sont les risques routiers derrière qui constituent le vrai problème. » Un problème qu’il va convenir de résoudre, restitution ou pas restitution.