
Petit à petit, une prise de conscience émerge selon les experts. « Les entreprises qui remplissent un Document Unique sont de plus en plus nombreuses à y intégrer le risque routier », signale Jean-Claude Robert, délégué général de l’association PSRE (Pour la maîtrise du risque routier en entreprise). Cependant, pour Fabrice Norgeux, ingénieur conseil et référent risque routier à la Carsat Aquitaine, « trop d’entreprises considèrent encore le risque routier comme un risque naturel sur lequel elles ne peuvent pas agir. »
« Il reste beaucoup de travail de prévention à mener sur le risque routier qui demeure la première cause d’accidents mortels...
Petit à petit, une prise de conscience émerge selon les experts. « Les entreprises qui remplissent un Document Unique sont de plus en plus nombreuses à y intégrer le risque routier », signale Jean-Claude Robert, délégué général de l’association PSRE (Pour la maîtrise du risque routier en entreprise). Cependant, pour Fabrice Norgeux, ingénieur conseil et référent risque routier à la Carsat Aquitaine, « trop d’entreprises considèrent encore le risque routier comme un risque naturel sur lequel elles ne peuvent pas agir. »
« Il reste beaucoup de travail de prévention à mener sur le risque routier qui demeure la première cause d’accidents mortels au travail. Cette prévention demeure souvent reléguée au second plan, surtout dans un contexte économique peu favorable. Les bénéfices sont considérés comme trop diffus, peu chiffrables. Pourtant, je peux vous dire ce que l’absence de prévention coûte ! », renchérit Julien Tonner, ingénieur conseil au pôle risques physiques et technologiques de la Cramif.

La sinistralité, des coûts directs et indirects
Cette absence de prévention peut notamment coûter cher au chef d’entreprise qui sera le premier au banc des accusés en cas d’accident. Car il doit « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale » de ses salariés (article L. 4121 du Code du travail). Sa responsabilité civile peut être invoquée pour « faute inexcusable ». Et au pénal, s’il est établi un défaut de mesures de prévention, il est passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende.
Sans oublier des coûts pour l’entreprise : « Certains sont bien identifiés, comme la hausse des primes d’assurance, les franchises lors des réparations, les frais de restitution chez le loueur. D’autres le sont moins comme les journées de travail perdues, l’augmentation des cotisations d’accidents du travail, les véhicules de remplacement, etc. », énumère Marc Bodson, directeur général de Beltoise Évolution, spécialiste de l’éco-conduite.
« Mettre en place un plan de formation et de sensibilisation peut faire baisser la sinistralité de moitié en trois ans, reprend Marc Bodson, avec un véritable retour sur investissement. À condition qu’il y ait une implication du management, un suivi et des formations régulières, au moins tous les trois ans. Et pas seulement de petites actions de temps en temps pour se donner bonne conscience. Actuellement seules 10 % des entreprises mènent des actions structurées. »
1 / Ne pas oublier le D.U.
En matière de prévention, l’outil majeur et obligatoire dans toutes les entreprises reste le Document Unique (D.U.) d’évaluation des risques professionnels, qui doit intégrer une analyse des risques et des solutions. « Certaines entreprises considèrent ce D.U. comme un simple document administratif alors qu’il va les aider à faire de la prévention s’il est correctement rempli et géré », souligne Fabrice Norgeux pour la Carsat Aquitaine. Qui conseille d’y intégrer quatre grands leviers d’action : la gestion des déplacements, des véhicules, des communications et des compétences.
L’obligation de produire ce D.U. est respectée dans les grandes entreprises où « les instances représentatives des salariés participent à sa rédaction et sont plus sensibilisées », note Julien Tonner de la Cramif, mais peu dans les petites. Selon une étude réalisée en mai dernier par l’Ifop pour l’assureur MMA auprès d’entreprises de moins de cinquante salariés, seules 21 % ont rédigé un D.U. intégrant le risque routier.
2 / Mesurer la responsabilité de l’employeur
La méconnaissance du risque routier professionnel est largement partagée : toujours selon l’étude MMA, seul un dirigeant de TPE-PME sur quatre le classe au premier rang de ses risques. Si 62 % de ces dirigeants savent leur responsabilité engagée en cas d’accident de mission, 51 % se croient juste redevables d’une amende. Enfin, 63 % se pensent exonérés de toute responsabilité en cas d’accident lors du trajet domicile-travail, alors que de nombreux cas de figure les engagent : un véhicule de société mal entretenu, un pot d’entreprise trop arrosé en fin d’après-midi, une surcharge de travail, etc. (voir le schéma ci-dessus).
Autre obligation légale : depuis le 1er juillet 2012, l’employeur, quelle que soit la taille de son entreprise, doit désigner un référent en santé et sécurité du travail (SST), déjà compétent ou formé spécifiquement. Il peut faire partie des effectifs de l’établissement ou appartenir à une structure externe (service de santé du travail inter-entreprises, organisme professionnel de prévention).
Pour les grandes structures qui possèdent un CHSCT, il ne s’agit que d’une formalité administrative. En revanche, pour les PME, c’est un moyen de les inciter à se préoccuper des risques professionnels. Il n’y a certes pas de sanction prévue pour l’absence de désignation d’un référent SST, mais cette infraction au Code du travail représente un motif sérieux pour une qualification en circonstance aggravante en cas d’accident grave. Sur ce dernier point, les PME restent à la traîne : selon un sondage réalisé en 2014 par l’Ifop pour l’association PSRE, 74 % des entreprises de moins de 500 salariés n’avaient désigné aucun référent.
3 / Favoriser la prise de conscience
« Dans le monde des petites entreprises, la prise de conscience varie selon l’activité. Dans le BTP, les sociétés se montrent plus sensibles au risque en général et donc au risque routier. Souvent, cela répond à un élément déclencheur : une prime d’assurance en hausse, un accident corporel grave. Souvent également, les entreprises se félicitent de n’enregistrer aucun accident grave et se contentent de ce constat sans se préoccuper des petits incidents ou accidents. C’est une erreur car ces derniers sont annonciateurs des accidents corporels », pointe Alain Rohel, président de l’association La Vie Routière, qui suit 30 000 véhicules en accompagnant des entreprises dans leurs plans de prévention.
En effet, selon le principe de la pyramide des accidents de Heinrich, sur 330 accidents, 300 seront bénins, 29 entraîneront de simples dégâts matériels, et un sera un accident corporel grave. « Le seul moyen d’éviter ce dernier, c’est de s’attaquer à la base de la pyramide. Il faut donc prendre en compte l’ensemble des accidents, y compris les petits sinistres révélateurs d’un comportement à risques », précise Jean-Philippe Monnatte, P-DG de l’Automobile Club Prévention.
Une fois le risque identifié, la prévention demeure la règle d’or. Ici encore, tout dépend de la taille de l’entreprise car 83 % des dirigeants de TPE-PME ne mènent aucune action en matière de risque routier, toujours selon le sondage MMA (voir le schéma ci-dessus).
« Toute prévention efficace passe par la volonté et l’implication du chef d’entreprise et du management, souligne Julien Tonner de la Cramif. Il faut que la prévention soit une culture d’entreprise pour que le salarié se sente aussi évalué sur cette base. Alors son comportement change. »
Pour aboutir à ce résultat, la hiérarchie doit aussi évoluer. « Avant, pour la direction, un bon commercial était celui qui amenait le plus de contrats mais aussi souvent des amendes et des accidents, relève Jean-Philippe Monnatte. En fait, un mauvais conducteur est aussi un mauvais commercial qui ne prépare pas ses rendez-vous avant de monter dans son véhicule, et ne sait pas non plus s’organiser. »
4 / Impliquer les salariés à tous les échelons
Dans ce contexte, le manager constitue la pierre angulaire de la prévention. « Il faut le former pour qu’il puisse analyser le comportement routier des collaborateurs et organiser des plans de prévention, qu’il ait une légitimité à aborder le sujet avec les conducteurs, qu’il sache comment les sensibiliser, mener des entretiens avec un salarié après un sinistre, et lancer des actions correctives », énumère Barbara Gay, directrice consulting chez Arval.
Pour obtenir des résultats, « il faut analyser en amont et en aval, puis construire les plans de prévention. Nos clients recherchent des outils à la fois quantitatifs pour mesurer la fréquence des accidents, et qualitatifs pour évaluer leur gravité et leur typologie », affirme cette responsable d’Arval.
Le rôle des managers se veut donc déterminant et les entreprises qui externalisent leurs actions de prévention prennent « le risque d’un désengagement en interne », juge Jean-Philippe Monnatte. Les grandes entreprises choisissent d’ailleurs de plus en plus de nommer des formateurs sécurité en interne, comme Danone (voir le reportage) ou Dalkia (voir le témoignage).
Chez GRTgaz, à la tête de 1 220 véhicules, les managers sont « formés pour effectuer des visites comportementales de sécurité », indique Bernard Falcou, responsable du département véhicules du gestionnaire du réseau de transport de gaz. Ils réalisent des inspections deux fois par an afin de vérifier le bon état du véhicule mais aussi l’attitude du collaborateur au volant (voir le témoignage).
5 / Choisir des véhicules adaptés et sûrs
Avec la prévention, le levier n° 1 à actionner consiste à mettre à disposition des modèles adaptés et dotés des meilleurs équipements. « Avant de choisir, il faut établir un cahier des charges selon les types de routes utilisées, le nombre de kilomètres parcourus, les charges transportées, etc. Et il est nécessaire d’aller dans le détail. Par exemple, il ne faut pas donner une Clio à une personne très grande ! », préconise Fabrice Norgeux pour la Carsat Aquitaine. Les critères de sélection ne doivent donc pas se limiter au TCO, à la fiscalité et aux émissions de CO2.
Côté équipements de sécurité, les VP sont généralement bien dotés, y compris le plus souvent de radars de recul. Mais d’autres options peuvent se montrer très utiles comme le freinage d’urgence. « Les détecteurs de distance qui régulent automatiquement la vitesse, et le système d’alerte en cas de franchissement de ligne sont des solutions intéressantes pour réduire l’accidentologie », avance Alain Rohel de La Vie Routière.
Au sein du laboratoire pharmaceutique Takeda France, on s’intéresse de près à ces options : « Nous allons définir une nouvelle car policy en septembre et nous comptons inclure des équipements comme le détecteur de fatigue et le régulateur automatique de distance. C’est utile pour nos collaborateurs qui roulent 40 000 km par an en moyenne », anticipe Nathalie Soulhol, responsable de la flotte de 170 VP loués auprès d’Arval.
Les équipements font leurs preuves
Nathalie Soulhol a déjà noté une diminution des infractions et un meilleur respect des distances de sécurité avec le régulateur-limiteur de vitesse, ainsi qu’un moins grand nombre de petits chocs et sinistres avec le radar de recul.
Chez le spécialiste de la propreté Onet, Patrick Cézard, référent risques routiers, teste le Mobileye : « Cette caméra embarquée-troisième œil alerte d’une distance de sécurité insuffisante, d’un risque de collision, ou quand un piéton entre dans le champ de vision. Elle reconnaît aussi les panneaux de limitation de vitesse » (voir le témoignage).
Mais ces outils sont à manier avec prudence, à l’image du GPS qui peut devenir dangereux si le conducteur lit les informations sur l’écran plutôt que de se laisser guider par la voix. De même, le régulateur de vitesse est à « proscrire en cas de fatigue car il peut favoriser l’endormissement, ajoute Jean-Claude Robert de PSRE. Les équipements d’aide à la conduite, ajoute-t-il, ne sont pas des médailles de saint Christophe qui permettent de tout faire ! Il ne faut pas que les conducteurs se reposent sur ces outils, mais qu’ils apprennent à bien les employer. Cela s’apprend, tout comme la manière d’équilibrer les charges. »
6 / Porter une attention particulière aux VUL
Dans les VUL, certains équipements ne sont pas de série malgré leur utilité. En outre, des équipements spécifiques sont nécessaires comme des points d’ancrage pour arrimer les charges, des casiers pour le rangement, une grille ou une paroi de séparation. « Dans les fourgons, nous installons des cloisons pleines avec une partie vitrée grillagée pour accroître une visibilité nettement plus réduite », explique Bernard Falcou, pour GRTgaz.
Pour Fabrice Norgeux, l’équipement des VUL reste un sujet sensible : « À la Carsat, nous répétons que les grilles de séparation ne suffisent pas. Il faut des cloisons pleines et conformes aux normes. Nous insistons aussi sur les arrimages : à 50 km/h, un objet de 30 kg se transforme en projectile de plus d’une tonne. »

Pendant quelques années, les Carsat ont proposé une aide financière de 3 000 euros aux entreprises de moins de cinquante salariés pour l’achat d’un VUL équipé de six dispositifs de sécurité. Un des objectifs était d’inciter les constructeurs à passer ces équipements en série. Mais ces dispositifs restent toujours en option : « Le témoin de surcharge, celui pour le contrôle de la pression des pneus devraient être de série sur les VUL. Tout comme le détecteur d’angles morts et les caméras de recul », estime Fabrice Norgeux.
7 / Suivre le véhicule et son entretien
L’étape suivante consiste à accompagner le collaborateur dans la prise en main d’un véhicule et de ses équipements. « Quand on confie un ordinateur à un salarié, on lui en explique le fonctionnement. Avec une voiture, c’est pareil », résume Alain Rohel de La Vie Routière. « Cette démarche est nécessaire, confirme Nathalie Soulhol pour Takeda. Lors du dernier renouvellement, nous avons demandé à Volkswagen de ne pas seulement livrer le véhicule en remettant les clefs, mais de prendre le temps d’expliquer son fonctionnement et ses équipements. »
Le conducteur doit aussi veiller à ce que son véhicule soit régulièrement entretenu et demeure en bon état. « Il faut des procédures écrites, diffusées et appliquées, donc contrôlées », souligne Jean-Claude Robert de PSRE. Takeda privilégie une communication régulière qui incite les collaborateurs « à ne jamais négliger une alerte qui clignote, à aller immédiatement au garage. Nous les responsabilisons et leur rappelons régulièrement que c’est indispensable pour leur sécurité », décrit Nathalie Soulhol.
Sylvain Baron, coordinateur qualité sécurité environnement du Groupe Cadiou, spécialiste de l’électricité industrielle, a établi trois types de vérification : « La première est effectuée par le gestionnaire logistique du site une à deux fois par an, et fait l’objet d’un relevé. Il recourt à une «checklist» pour contrôler les organes de sécurité comme les feux, les pneus, etc. mais aussi la propreté et le permis des collaborateurs. »
Définir et appliquer les procédures d’entretien
Par ailleurs, lors de l’entretien annuel avec la hiérarchie, l’état du véhicule est également vérifié. « Enfin, des visites de sécurité inopinées sont aussi réalisées sur les chantiers pour en autres vérifier en situation l’état du véhicule », complète Sylvain Baron qui porte beaucoup d’attention au respect des charges et des arrimages. L’entreprise compte six agences et possède un parc de 175 véhicules (70 % de VUL et 30 % de véhicules de service deux places).
Chez GRTgaz, Bernard Falcou, qui conserve jusqu’à sept ans les véhicules achetés et non loués, impose une visite de contrôle détaillée chez un garagiste tous les ans. Celui-ci vérifie l’état des véhicules selon une liste de douze points qui comprend le niveau d’huile, les pneus, les plaquettes de frein ou bien encore le bon fonctionnement de l’éclairage.
« Le conducteur doit aussi être incité à faire le tour du véhicule, à vérifier les organes de signalisation ou bien les pneus. Mais encore faut-il qu’il puisse signaler en retour le moindre dysfonctionnement. Ce qui suppose la définition des procédures de communication pour faire remonter les informations », relève Fabrice Norgeux de la Carsat Aquitaine, en insistant sur l’importance du carnet de suivi.
8 / Établir une charte des devoirs du conducteur
En matière de sécurité routière, il n’est pas non plus inutile de répéter, de mettre les règles noir sur blanc et d’établir une charte du conducteur. « Il faut aussi la lui faire signer. Cela a un double effet de pédagogie et de responsabilisation », souligne Barbara Gay pour Arval.
La remise du véhicule constitue aussi l’occasion de rappeler le conducteur à ses devoirs. « À la livraison, nous vérifions la conformité du véhicule et des équipements choisis en fonction des besoins du salarié et de sa zone géographique. Nous faisons un rappel sur les règles de bonne conduite et le conducteur signe une charte avec un engagement en quinze points. Il s’engage à être toujours en possession des documents obligatoires, à être responsable de sa conduite, à respecter le Code de la route et les charges autorisées, à maintenir son véhicule logoté en bon état, ce qui participe à la bonne image de l’entreprise », énumère Sylvain Baron pour le Groupe Cadiou.
La charte doit aussi être adaptée à l’entreprise, à ses missions et ses véhicules : « Aux utilisateurs de fourgons, il faudra signaler les risques d’accrochage et les dangers liés à la largeur de la caisse pour les piétons », précise Alain Rohel de La Vie Routière. Côté organisation, il convient de spécifier au conducteur d’éviter les déplacements inutiles.
Certaines entreprises privilégient le canal du règlement intérieur qui doit rappeler quelques évidences comme l’interdiction de l’alcool au volant, la nécessité d’effectuer régulièrement des pauses, les protocoles de communication. Autant d’informations qui pourront contribuer à dédouaner un chef d’entreprise en cas d’accident grave.
Parmi les vérifications essentielles à réitérer régulièrement figure aussi en tête celle d’un permis valide. Une évidence… Pourtant, selon le sondage PSRE de 2014, seules 54 % des entreprises de moins de 500 salariés pensent à effectuer ce contrôle ! « Nombre d’entre elles se contentent d’une photocopie, ce qui est risqué, d’autres demandent l’original, ce qui est a priori interdit. Une solution consiste à faire signer une déclaration sur l’honneur », suggère Jean-Claude Robert pour PSRE.
9 / Résoudre le casse-tête des amendes

Parmi les devoirs du collaborateur, les infractions, et donc le règlement des amendes, font souvent débat. Un débat qui devrait se clore prochainement, du moins sous l’angle juridique : « L’actuel projet de loi Justice pour le XXIe siècle comprend un volet sur la responsabilisation des conducteurs. Il y aura donc pour l’entreprise l’obligation d’indiquer le nom du conducteur et de mettre en place les moyens pour le désigner. Par ailleurs, il est prévu la possibilité, pour les entreprises de transport routier, d’interroger le fichier national pour vérifier qu’un conducteur possède bien un permis valide. À noter que les loueurs n’ont pas demandé l’accès à ces fichiers puisque cette responsabilité liée au permis incombe à leurs clients », détaille Alexandre Rochatte, adjoint au délégué interministériel à la sécurité routière.
Pour Sylvain Baron du Groupe Cadiou, qui suit de près les infractions routières des collaborateurs depuis 2012, « le salarié est responsable de sa conduite et donc des infractions commises. C’est une question d’image pour l’entreprise. Au-delà de l’aspect prévention, nous prévoyons aussi des sanctions en interne pour les éventuels récidivistes, comme l’obligation de ramener chaque soir le véhicule. »
Une amende offre aussi l’occasion de rappeler les bonnes pratiques. « S’il s’agit d’un excès de vitesse, je demande au responsable hiérarchique de faire un point avec le conducteur pour lui rappeler les incidences des distances de freinage ou des écarts de temps pour avoir roulé quelques kilomètres au-dessus de la vitesse autorisée », note Sylvain Baron. Par définition, une entreprise qui ne désigne pas ses collaborateurs pourra difficilement les sensibiliser à chaque infraction…
L’amende, une occasion pour responsabiliser
Et cette pratique est payante : les entreprises du Groupe Cadiou enregistrent une petite dizaine de PV par an pour 3,5 millions de kilomètres parcourus et le nombre d’infractions a été divisé par quatre depuis 2012. « Nous essayons aussi de passer des messages lors des périodes les plus propices aux infractions en nous basant sur les statistiques des années précédentes. Ainsi, en avril 2016, nous n’avons enregistré aucune infraction, sachant que ce mois était le moins bon de ces dernières années », se réjouit Sylvain Baron.
Initiative originale, une entreprise qui renonce encore à dénoncer a construit… un permis à points en interne : « À chaque infraction, des points sont décomptés, relate Jean-Philippe Monnatte de l’Automobile Club Prévention qui suit cette société. Quand il reste six points, le conducteur entre dans la catégorie à risques ; il est mis sous surveillance et se voit proposer une formation individuelle. »
10 / Sensibiliser sans relâche
« Le comportement sur la route compte pour 40 % dans l’évaluation des coûts d’une flotte, rappelle Barbara Gay. Agir sur le comportement des conducteurs revient donc à faire baisser à la fois la consommation de carburant, le poste assurance, les “hors contrats“ et les frais de restitution », souligne la représentante d’Arval.
Pour Nathalie Soulhol chez Takeda France, l’essentiel reste de sensibiliser mais aussi de responsabiliser. « Je prends soin des conducteurs, ils doivent prendre soin de leur véhicule et de leur sécurité. Les messages doivent être récurrents. Et cela fonctionne. » Son loueur, Arval, envoie aux conducteurs de Takeda une lettre trimestrielle avec plusieurs focus sur la sécurité, en fonction notamment de l’analyse de la sinistralité des mois précédents.
« En outre, reprend Nathalie Soulhol, je fais suivre au moins tous les deux mois des e-mails avec de petites vidéos. La dernière montrait la tenue sur route de deux véhicules ; l’un, avec des pneus sous-gonflés, avait tendance à zigzaguer. J’ai eu de nombreux retours de collaborateurs qui sont allés aussitôt vérifier la pression de leurs pneus. Je martèle aussi qu’il faut s’arrêter en cas de fatigue, faire des pauses. Il ne faut donc pas hésiter à répéter. Cela porte ses fruits. » De fait, ces communications régulières ont plus d’impact sur des conducteurs comme ceux de Takeda qui sont formés à l’éco-sécurité.
Communiquer par tous les moyens
Au sein du Groupe Cadiou, la communication, doublée de vérifications très régulières des véhicules, est considérée comme un levier essentiel. Tous les mois, des campagnes de prévention sont lancées et environ une campagne sur quatre concerne le risque routier, en choisissant des thématiques liées à la période de l’année.
« Par exemple, nous communiquons par affiches et SMS sur les risques routiers avant les départs en vacances, les problèmes de verglas et d’adhérence durant l’hiver. Mais aussi les dangers de l’alcool et des stupéfiants, ceux de la vitesse, etc. Et dans le cadre de notre certification MASE (amélioration santé sécurité environnement des entreprises), nous réunissons depuis 2015 les collaborateurs plusieurs fois par an pour des causeries sécurité. Au moins une annuellement est consacrée à la sécurité routière », décrit Sylvain Baron du Groupe Cadiou.
11 / Passer en mode formation
Pour réduire l’accidentologie, les formations à la conduite sont souvent mises en avant. « Tous nos conducteurs ont suivi une formation à l’éco-sécurité avec Arval, par groupe de dix personnes sur simulateur et sur route. Cela amène à remettre en cause les habitudes, à porter un autre jugement sur des comportements ou des situations. C’est une vraie prise de conscience », estime Nathalie Soulhol, pour Takeda France. Qui compte bien recommencer : « Tous les ans, c’est indispensable, à la fois pour faire une piqûre de rappel et pour aborder de nouveaux points, mais aussi pour être mis face à d’autres situations de conduite. »
Chez Monsanto France, Audrey Masero, responsable de l’environnement de travail, veille à l’adéquation des formations pour les conducteurs des 200 véhicules de la flotte : « Les risques ne sont pas les mêmes selon que le collaborateur roule en ville ou à la campagne », constate-t-elle. Les 600 salariés de la filiale française du semencier suivent tous un petit entraînement de sensibilisation chaque année pendant une demi-heure. Tous les nouveaux conducteurs sont envoyés une journée en formation chez Centaure et à nouveau tous les trois ans.
Enfin, Monsanto fait réaliser un audit de conduite tous les ans par un prestataire externe « pour mieux identifier les mauvaises habitudes et les besoins spécifiques, ajoute Audrey Masero. Auparavant, cet audit était réalisé par le manager ou un collègue. Mais cela posait un problème de légitimité et des doutes sur le sérieux de l’audit. En procédant avec plusieurs niveaux de formation, nous collons plus aux besoins et aux profils des collaborateurs », note la responsable (voir le témoignage). « La formation doit être acceptée par les salariés. C’est un préalable qui est de la responsabilité de l’employeur », confirme Marc Bodson de Beltoise Évolution.

Cibler les catégories de conducteurs
Chez GRTgaz, une solution mixte a été adoptée : « Les nouveaux collaborateurs suivent une formation d’une journée dans l’année de leur arrivée. Tous les salariés qui parcourent plus de 20 000 km par an passent un audit de conduite individuel tous les trois ans chez un prestataire comme Centaure ou Beltoise. Ensuite, une formation d’éco-conduite et de conduite en sécurité est ouverte tous les deux ans à l’ensemble des conducteurs. La forme varie : il peut s’agir d’une mise en situation sur circuit, d’un travail sur simulateur sur notre site avec un formateur, etc. », explique Bernard Falcou.
Parmi les astuces pour sensibiliser les conducteurs, les challenges entre collaborateurs ont la cote. Une démarche mise en place par le Groupe Cadiou : « Nous avons mené des challenges d’éco-conduite pendant deux ans, en 2014 et 2015, relate Sylvain Baron. La consommation de carburant est directement liée à l’amélioration de la sécurité routière car consommer moins, cela veut dire mieux anticiper les freinages, rouler de manière plus souple et conserver les bonnes distances de sécurité. Certes, étant donné les différences de modèles en parc et d’âge des véhicules, nous avons basé ces challenges non sur la consommation mais sur sa diminution. » Avec des résultats plus que probants : les conducteurs des entreprises du Groupe Cadiou consomment désormais 6,8 l/100 km en moyenne, contre près de 8 l en 2013.
12 / Analyser la sinistralité
Mais pour limiter la sinistralité, une règle incontournable consiste à la mesurer. Ce qui n’est pas toujours facile : « Se baser sur les taux de fréquence des accidents, c’est un peu simpliste. Il peut être plus judicieux de prendre en compte le nombre de kilomètres parcourus, l’environnement, différent pour un collaborateur en ville ou en campagne, voire le type de missions », observe Sylvain Baron pour le Groupe Cadiou, qui travaille sur un nouvel outil de mesure grâce à l’association SRE29 (Sécurité Routière en Entreprises du Finistère) dont l’entreprise est adhérente. « Et au même titre que pour les accidents du travail, complète Sylvain Baron, il est intéressant prendre en compte les incidents liés à la circulation pour mener un travail efficace. Or il est plus difficile de faire remonter ces informations car elles ne font pas l’objet de déclaration d’assurance. » Avec cet outil de mesure, ce responsable QSE espère approfondir la démarche car il juge « important d’analyser et de creuser cette partie immergée de l’iceberg ».
Distances de sécurité et accélérations
Alain Rohel de La Vie Routière met en avant quelques statistiques : « 58 % des accidents sont liés à des manœuvres, 25 % à de trop faibles distances de sécurité. En gérant bien ces distances et le pied sur l’accélérateur, on évite 80 % des corporels. Ensuite, environ 20 % des accidents sont dus à une mauvaise anticipation de l’environnement avec des causes multiples : fatigue, surcroît de travail, téléphone, mauvaise préparation du trajet qui oblige le collaborateur à chercher sa route, etc. »
Autre point noir, le non-respect des distances de sécurité – une infraction depuis 2003 – qui génère « 48 % des accidents mortels sur autoroute, selon Alain Rohel. Et peu de conducteurs connaissent la règle : le véhicule doit respecter une distance de sécurité équivalente à sa distance parcourue en deux secondes, laquelle augmente avec la vitesse. À 90 km/h, il faut compter 27 m par seconde, donc 54 m au total. » Enfin, sur autoroute, la somnolence est « la première cause d’accident », conclut Marc Bodson de Beltoise Évolution.
13 / Réaliser des entretiens post-accidents
Pour Alain Rohel de La Vie Routière, qui mène des entretiens post-accident avec les collaborateurs des entreprises adhérentes, « 90 % des salariés reconnaissent que l’accident était évitable et 85 % sont capables de formuler les actions qu’il aurait dû faire pour l’éviter ». Cette pratique offre de bons résultats : « 35 % de baisse globale de la sinistralité », avance cet expert.
Cette démarche est d’ailleurs de plus en plus employée. « Je privilégie un entretien rapide, juste après l’accident car l’objectif est de permettre au salarié de réfléchir sur le scénario de l’accident, son enchaînement, et de trouver lui-même ce qu’il aurait pu faire pour l’éviter. Il s’agit souvent d’une succession de facteurs à risques. Le conducteur, par exemple, n’a pas vu un stop, mais cette erreur peut être liée à un pare-brise trop sale, donc à un défaut d’entretien », détaille Jean-Philippe Monnatte de l’Automobile Club Prévention.
Pour être efficaces, ces entretiens doivent aussi prendre en compte l’ensemble des sinistres, y compris les plus petits. Mais la réponse et le débriefing peuvent être gradués selon la gravité : GRTgaz distingue ainsi les accidents non responsables et responsables.
Autre illustration avec Engie Cofely : « Les accidents sont suivis très attentivement par les gestionnaires de flotte et les responsables des assurances. Pour un accident simple, nous en analysons la cause et un débriefing a lieu entre le conducteur et le manager de proximité. Nous procédons bien sûr avec discernement en tenant compte de la régularité des accidents et de la zone géographique. Pareillement, après un accident de travail, y compris un accident de trajet qui a entraîné un arrêt de travail, une rencontre a lieu entre le salarié et un manager de haut niveau de proximité. Des stages de conduite avec une mise en situation réelle chez Centaure sont prévus pour les conducteurs les plus accidentogènes », décrit Thierry Drai, directeur outils et méthodes d’exploitation (voir le témoignage).
14 / Limiter et mieux gérer les trajets
Mais pour réduire le risque routier, la formule la plus évidente revient logiquement à limiter le temps passé derrière le volant. De nombreuses entreprises fixent des kilométrages maximum, des temps de pause : « Notre règlement intérieur stipule que tout trajet routier de plus de 300 km par jour doit être exceptionnel et qu’un temps de pause de vingt minutes toutes les deux heures est obligatoire », indique Bernard Falcou de GRTgaz.
Autres solutions : privilégier les vidéoconférences et les trajets en transports en commun. Cependant, dans les grandes entreprises, les responsables de flotte ou des ressources humaines ont parfois des difficultés à initier de véritables changements en matière de déplacement, car l’organisation des trajets et tournées relève souvent des directions opérationnelles.
Fabrice Norgeux, pour la Carsat Aquitaine, cite cette entreprise qui réunissait chaque semaine ses salariés dispersés dans la région : « Certains, pour les plus éloignés, avaient plus de cinq heures de déplacement. Dorénavant, cela se fait par téléconférence. »
Repenser les déplacements des salariés
Fabrice Norgeux donne quelques bons conseils : privilégier l’autoroute, moins dangereuse que les petites routes ; préparer son trajet pour éviter d’avoir à chercher l’endroit une fois au volant ; bien choisir les créneaux horaires pour s’épargner le stress du retard, etc. « Quant au chef d’entreprise, il doit prévoir de payer une nuit d’hôtel à un collaborateur plutôt que de le laisser prendre la route après un long déplacement éloigné. Et également de ne pas lui programmer un rendez-vous à 8 h 00 du matin le lendemain au siège ! », rappelle-t-il.
Pour Julien Tonner de la Cramif, le principal problème demeure l’organisation : « Malgré tous les nouveaux outils de communication disponibles, les salariés se déplacent toujours autant et le télétravail reste marginal. Par exemple, les sociétés de maintenance ont su faire évoluer leurs organisations et réaliser une partie des diagnostics par téléphone avant de déclencher une intervention. » Pour cet expert, quelques pistes sont intéressantes comme les espaces de cotravail créés par des entreprises auprès de gares de seconde couronne en Île-de-France.
15 / S’équiper en outils
Pour limiter les trajets et mieux les organiser, la télématique embarquée offre une aide non négligeable. « Nous avons équipé la flotte des techniciens itinérants d’un outil d’optimisation des tournées à la source (géo-optimisation), sans géolocalisation. Tous les vendredis, chaque conducteur est informé de son plan de charge pour la semaine à venir, en veillant bien à restreindre au maximum le nombre de kilomètres des tournées », explique Thierry Drai pour Engie Cofely.
Thierry Drai gère une flotte de 3 400 véhicules, dont 90 % de petits utilitaires attribués à des techniciens itinérants qui se déplacent sur 33 000 points d’intervention dans l’Hexagone. « Les première et dernière interventions se situent au plus proche du domicile du technicien et 80 % d’entre elles sont planifiées. Pour les 20 % restantes qui couvrent des dépannages, autant que faire se peut, nous faisons appel au technicien le plus proche géographiquement », ajoute ce responsable.
Un outil pour accompagner les conducteurs
Chez Engie Cofely, ce système été généralisé en 2013 en dotant tous les techniciens d’un iPad dénommé AMI, pour Assistant Mobile Interfacé, « qui est véritablement leur compagnon. L’outil de télématique n’est donc pas implanté dans le véhicule, reprend Thierry Drai. Cela nous a amené à réduire le nombre de kilomètres parcourus de 15 %. En nous basant sur ce chiffre, pour la totalité de la flotte, nous pouvons dire que nous évitons un accident par semaine. C’est important même si 90 % de nos accidents concernent de la tôle froissée », précise ce responsable.
Autre bénéfice : la conduite est plus apaisée. Il n’y a plus d’aléas sur une tournée, l’enchaînement est logique puisque tout est planifié et connu d’avance. Engie Cofely a par ailleurs réussi à diminuer de 40 % les interventions en urgence sur une agence grâce à l’intervention à distance sur des installations connectées.
Autre intérêt de la télématique embarquée : analyser le comportement du conducteur, comme le pratique Arnault Peugniez, responsable des services achats et du parc matériel de Fayat Énergie Services, à la tête de 1 280 véhicules : « Nous remontons les comportements au volant, les freinages ou virages trop brusques, les temps de pause et de conduite. Ces informations sont transmises à la direction générale et servent à cibler les personnes qui bénéficieront prioritairement d’une formation, en se basant aussi sur la sinistralité du conducteur et le nombre d’amendes – que le conducteur doit régler et assumer pour les points de permis. » Et Arnault Peugniez envisage de faire remonter ces informations au conducteur pour une meilleure prise de conscience (voir le témoignage).
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