
Pour un gestionnaire de flotte, il y a maintenant obligation d’intégrer ses véhicules à la politique RSE, souligne d’emblée Laurent Petit, chef du département marketing et business development du loueur Alphabet France. La société attend d’une entreprise qu’elle se montre responsable socialement et environnementalement. Tout le monde est concerné. Le gestionnaire de flotte aussi car il n’existe plus d’entreprise qui ne soit pas concernée par la RSE », poursuit Laurent Petit.
Mais pour certains responsables de parc, la RSE ne constitue pas une préoccupation majeure. « Nous avons déjà tellement de travail, précise l’un d’entre eux, à la tête...
Pour un gestionnaire de flotte, il y a maintenant obligation d’intégrer ses véhicules à la politique RSE, souligne d’emblée Laurent Petit, chef du département marketing et business development du loueur Alphabet France. La société attend d’une entreprise qu’elle se montre responsable socialement et environnementalement. Tout le monde est concerné. Le gestionnaire de flotte aussi car il n’existe plus d’entreprise qui ne soit pas concernée par la RSE », poursuit Laurent Petit.
Mais pour certains responsables de parc, la RSE ne constitue pas une préoccupation majeure. « Nous avons déjà tellement de travail, précise l’un d’entre eux, à la tête d’un parc de 1 000 véhicules en région grenobloise. Je ne peux pas me permettre d’y inclure la RSE… »
RSE : les flottes…
Ces responsables sont-ils à blâmer ? Non, tant RSE et mobilité ne vont pas toujours de soi. Prenons les nouveaux cursus courts consacrés à la RSE par l’Essca. Cette école de management propose des formations sur un ou deux jours. L’objectif : « Apprendre aux salariés et dirigeants d’entreprises, collectivités ou organisations à limiter les impacts négatifs de leurs activités et à optimiser les impacts positifs en matière de gouvernance, droits humains, conditions et relations de travail, etc. » Mais comme le précise le service de presse, « la notion de mobilité n’est pas abordée dans la formation ». Dommage.
« Pourtant, la gestion de flotte représente un levier fondamental pour le développement durable, avec une double action additive et multiplicative. Additive par les économies d’échelle qu’elle entraîne, et multiplicative par un effet d’imitation sur son environnement. Les flottes sont visibles dans les rues : c’est un message vertueux envoyé aux salariés et à la population », note Sébastien Fosse, enseignant-chercheur en management, en charge du module RSE au sein du master of science (MSc) Transforming Mobility de l’ESC Clermont Business School/école d’ingénieurs Sigma Clermont.
… doivent s’imposer
Pour Sébastien Fosse, la gestion de la mobilité durable va au-delà de la simple décarbonation : elle peut aussi offrir un accès au travail pour des populations qui n’y ont pas accès faute de voiture. Une démarche que mène un groupe comme Adecco. En outre, une telle politique renforce la qualité de la sécurité routière en fournissant des véhicules bien équipés aux salariés. Et elle réduit l’empreinte carbone.
Car la mobilité reste très émettrice de gaz à effet de serre. « Pour une société de service classique, 31 % de ses rejets en CO2 sont liés au transport et 51 % de ces émissions sont dus aux trajets domicile-travail. C’est donc un enjeu aux conséquences multiples, allant du gain financier aux obligations réglementaires, en passant par les questions RH (qualité de vie au travail et amélioration de la marque employeur), ou par les impacts environnementaux », expose Jean-Christophe Giannesini, cofondateur d’Ekodev, un cabinet de conseil et d’accompagnement en RSE et développement durable.
Comment, dès lors, pour un responsable de parc habitué à la gestion de sa flotte au jour le jour, atteindre des objectifs RSE ? Voici quelques pistes à suivre.
1. Approcher le responsable de la RSE
Pour impliquer la gestion de flotte dans la RSE, le responsable de parc doit nouer des alliances avec la personne en charge de cette RSE. Car il y a complémentarité entre ces deux services. Le responsable RSE se considère comme un chef d’orchestre. Il a donc besoin de « premiers violons » qu’il emploiera comme relais. Le responsable de parc doit alors le rencontrer, écouter ses attentes, prendre en considération ses positions puis, si besoin, se former sur tel ou tel point de la RSE. Certains considèrent ce responsable RSE comme un ennemi. C’est en fait un allié.
Ensuite, si l’entreprise ne possède pas de service RSE, le gestionnaire de flotte aura toute la légitimité pour prendre en charge cette fonction. C’est l’occasion d’élargir son périmètre de travail, ses responsabilités et, on peut l’espérer, d’augmenter son salaire. Les négociations se dérouleront alors avec le responsable du personnel pour bâtir un plan de mobilité permettant à ce gestionnaire de créer de la valeur par un triple travail économique, environnemental et social.
Trouver sa place
Un gestionnaire de flotte en charge de la RSE constitue aussi une combinaison qui mêle l’opérationnel et le concret avec la stratégie RSE. Ce qui peut intéresser une direction générale. D’autant que de nombreux salariés ou candidats à l’embauche se plaignent des beaux discours, du « green washing » sans actions concrètes. Ce gestionnaire est alors le mieux placé pour lancer des mesures immédiatement visibles : voitures électriques, forfait mobilités durables, développement du vélo, etc.
« Pour porter la RSE, il faut impliquer plusieurs salariés. Et comme le collaborateur en charge de la flotte gère souvent la plus grosse part des rejets, il est légitime pour embarquer les autres. Il devra alors expliquer pourquoi une stratégie bas carbone est importante pour attirer de nouveaux candidats, satisfaire des partenaires, des fournisseurs, des investisseurs, se préparer aux ZFE-m (zones à faibles émissions-mobilité), à l’interdiction des moteurs thermiques, etc. », énumère Marine Fouquet, directrice carbone pour WeCount. Ce prestataire forme, outille et accompagne les salariés souhaitant décarboner leur entreprise. Et il propose, avec l’école de management ESCP, des cursus de trois mois à destination des entreprises pour réaliser leur bilan carbone et définir une stratégie de transition bas carbone.
Une collaboration nécessaire
Directrice de la RSE du Groupe Adecco France, Cécile Mathivet revient sur l’importance de la collaboration entre gestion de flotte et RSE. « La mobilité reste l’un des principaux postes d’émissions de CO2. Chez Adecco, je réfléchis sur le verdissement de la flotte, le forfait mobilités durables ou le crédit mobilité. Je ne peux donc pas travailler sans l’expertise de mon responsable de flotte », souligne cette responsable. Et d’ajouter : « Je conseille vivement à un gestionnaire de flotte d’appuyer les politiques RSE de son entreprise. De toute façon, s’il ne s’y met pas, il aura du mal, tout simplement, à travailler dans sa fonction ». Le message est clair.
2. Discuter avec la direction générale
La seconde étape, pour ce gestionnaire, consiste à proposer des solutions RSE à sa direction. Et il sera d’autant mieux reçu que les « top managers » sont convaincus de l’intérêt des politiques RSE pour améliorer l’image de marque de leur entreprise, décrocher des contrats avec des donneurs d’ordres ou respecter les lois environnementales. Ces directions générales recherchent des leviers, du concret, pour mettre en place des orientations qui améliorent les impacts économiques, environnementaux et sociaux de l’entreprise. Dans ce cadre, il faut prendre rendez-vous et, concrètement, négocier. C’est la technique employée par Philippe Legrand, directeur avant-vente et membre du comité exécutif de Fujitsu. La flotte de ce fabricant de solutions et de matériels informatiques comprend 150 véhicules.
Prendre rendez-vous et négocier
« Pour convaincre le comex de décarboner notre mobilité, j’utilise la règle des 3 P : “people, profit, planet”, résume Philippe Legrand. Le premier P (people) permet d’offrir des solutions de mobilité pour mieux recruter, donner du sens à son travail et fidéliser. Le P de profit indique que nous allons diminuer nos achats de pétrole et séduire mieux et plus de clients avec cette politique “environnementale”. Enfin, côté planète, nous avons divisé nos rejets de CO2 par cinq avec une trajectoire 0 émission en 2050 », complète Philippe Legrand.
Associé en charge des questions de RSE au sein du cabinet de conseil KPMG, Brice Javaux revient sur la question du profit : « Si l’on n’intègre pas la mobilité dans sa RSE ou de la RSE dans sa mobilité, le risque de ne pas se faire référencer par un client est non négligeable. Son entreprise peut alors perdre des marchés. Dans le mouvement qui pousse les entreprises vers un monde décarboné, il y a plus d’opportunités à participer à cette transition que de la subir ».
Étayer son discours par des prévisions de gains économiques reste aussi une technique à privilégier, ce que promeut Élodie Bouvart, responsable marketing de glide.io, un prestataire qui, depuis 2015, équipe les véhicules pour les transformer en véhicules « autopartageables » : « L’autopartage amène à réduire sa flotte de 25 % et à l’électrifier avec les gains réalisés », avance-t-elle.
L’argument des économies
Sébastien Nosenzo est, lui, responsable QSSE (qualité santé sécurité environnement) du Groupe JLO, un spécialiste du conseil en RH, qualité de vie et conditions de travail, à la tête de 120 salariés et de dix agences. Sa politique RSE en matière de mobilité contribue aussi à générer des économies importantes qui peuvent servir « d’arguments massues » dans une négociation avec le comité exécutif.
« Sur une période de cinq ans, précise Sébastien Nosenzo, notre politique a fait baisser nos rejets liés aux déplacements routiers de 1,99 t à 1,44 t de CO2 par collaborateur et par an, soit une réduction de l’ordre de 30 %. Mais c’est aussi une économie de 200 l de carburant consommés en moins par an et par collaborateur. Nous avons également maillé le territoire en ouvrant des agences locales : cela aide à limiter nos trajets en nous situant au plus près de nos clients régionaux. En effet, nombre de nos concurrents sont basés à Paris et font donc de plus longs trajets », poursuit Sébastien Nosenzo. Le parc du Groupe JLO comprend 52 véhicules dont 23 hybrides.
3. Impliquer les collaborateurs
La négociation avec les dirigeants réussie, le gestionnaire de flotte doit convaincre le personnel. « Avec la mobilité, je préconise de ne rien lancer sans l’aval des collaborateurs, conseille Thomas Côte, dirigeant-fondateur de Wever, une solution informatique pour accompagner les collaborateurs vers des modes de transport plus vertueux. Il faut alors miser sur une logique participative car c’est une clé importante du changement. Ne pas associer les salariés constitue, en revanche, un facteur d’échec », prévient Thomas Côte.
« Pour décarboner une flotte, ma première recommandation est de sensibiliser, en amont de toute autre action, les collaborateurs aux questions environnementales. On ne réduit bien ses émissions de CO2 que si l’on comprend pourquoi il faut le faire. C’est une couche essentielle à positionner avant de mettre en place d’autres mesures », confirme Axel Girard, directeur marketing de Sami. Avec un logiciel, ce prestataire aide ses entreprises clientes à mesurer et baisser leurs émissions de gaz à effet de serre.
Poser les enjeux
Axel Girard recommande au gestionnaire de flotte, accompagné du responsable RSE, de rappeler aux salariés les enjeux du réchauffement climatique et la responsabilité des gaz à effet de serre. « On expliquera aussi comment mesurer les rejets de CO2 et comment les limiter. On mettra en avant la responsabilité du CO2 à l’échelle mondiale, les volontés de diminution puis de neutralité carbone à l’échelon planétaire et l’implication au niveau de son entreprise. L’idée est que tout le monde comprenne, au-delà de la mobilité et des flottes, pourquoi il faut agir. Ensuite, il sera temps de travailler sur la mobilité », préconise Axel Girard.
« Il faut communiquer le plus possible avec les collaborateurs, valide Philippe Legrand pour Fujitsu. Nous avons ainsi lancé une formation “fresque du climat” obligatoire pour les collaborateurs, afin d’expliquer les tenants et les aboutissants des questions environnementales. Nous n’aurions pas eu une telle adhésion à notre politique de décarbonation de nos déplacements sans ces communications. Il faut “préparer” les collaborateurs. Nous les interrogeons donc régulièrement, tous les trois à six mois. Cela a facilité le passage à l’électrique. Il y avait de la résistance, de l’incompréhension, de la peur de tomber en panne. La discussion a permis de passer outre », complète Philippe Legrand.
Interroger les salariés
Pour Sami, Axel Girard suggère aussi de d’abord mesurer l’impact des transports des salariés avec un questionnaire à adresser aux collaborateurs. « On y recherchera qui est en télétravail ou en présentiel, les typologies de déplacements, de la marche à pied à la voiture électrique ou thermique, en passant par le vélo et les transports en commun. L’idée est de calculer les rejets de CO2 de son entreprise. En France, ces émissions liées aux trajets des salariés avoisinent quand même 30 % des rejets totaux d’une entreprise. C’est donc souvent la première source d’émissions pour les employeurs du tertiaire », expose Axel Girard.
Et il restera, une fois tous ces calculs effectués, à rédiger le plan de mobilité employeur. « Ce PME (ex plan de déplacement entreprise, PDE) a été instauré pour pousser les entreprises à organiser la mobilité de leurs employés afin qu’ils soient moins dépendants de la voiture et moins “émetteurs” », ajoute Axel Girard.
Axel Girard rappelle aussi que, depuis le 1er janvier 2020 et l’entrée en vigueur de la loi d’orientation des mobilités (LOM), les entreprises de plus de cinquante salariés doivent intégrer à leurs négociations annuelles obligatoires (NAO) la problématique de l’amélioration des mobilités quotidiennes des personnels. « Si aucun accord n’est trouvé, la mise en place d’un plan de mobilité est obligatoire. Dans ce cadre, je recommande d’opter pour le forfait mobilités durables. Ce forfait, en offrant aux salariés du privé un budget jusqu’à 700 euros exonéré d’impôt et de cotisations sociales, les encourage à faire appel aux mobilités douces », conclut Axel Girard.
4. Motiver les salariés
Car la RSE peut de fait faciliter la vie des salariés et donc les motiver. C’est par exemple l’un des résultats du système d’autopartage inter-entreprises Sqy Share lancé à Saint-Quentin-en-Yvelines (78). Catherina Le Borgne, consultante, est coordinatrice de ce service qui comprend neuf voitures partagées et regroupe quatre employeurs : Enedis, la Banque Populaire Val de France, l’équipementier LEONI et le spécialiste de l’ingénierie et du conseil en innovation Assystem. « 130 salariés font appel à ce système et quelques employeurs autorisent leurs collaborateurs à emprunter les voitures le week-end et le soir à titre privé, avec un tarif préférentiel. Pour les trajets professionnels, cela ne leur donc coûte rien », décrit Catherina Le Borgne.
Des récompenses…
Pour faire avancer les nouvelles mobilités, il faut aussi multiplier les actions et savoir récompenser. « En matière de décarbonation de la mobilité, il n’y a pas de petites actions. C’est mon premier conseil. Et les moindres démarches sont importantes, comme adopter l’éco-conduite avec sa voiture thermique ou préférer d’autres horaires pour éviter les bouchons. Cela engage les salariés à faire des gestes quotidiens, avec des impacts immédiats et importants. Car il faut se rappeler que l’éco-conduite avec un moteur thermique réduit de 20 à 40 % les émissions de CO2 et la dépense de carburant », préconise Anas Mbasso, dirigeant de Moovance. Cette application encourage les salariés à emprunter les moyens de transport bas carbone. Le principe est simple : plus les salariés se déplacent en mode décarboné, plus ils gagnent de points transformables en cadeaux. Une façon comme une autre de les motiver.
… et une démarche positive
Anas Mbasso recommande également d’adopter une démarche positive. « C’est un point essentiel. Car le prisme de l’encouragement reste le bon. Cela donne envie aux salariés de poursuivre leurs efforts et évite qu’ils s’estiment impuissants. Et fait bouger les choses et donne l’espoir de décarboner sa mobilité à son échelle. Cela réalisé, il faudra mesurer les effets du verdissement de la mobilité. C’est un bon moyen de valoriser l’effort et chaque action individuelle. Cela permet de continuer à faire des efforts », détaille Anas Mbasso.
Enfin, il faut surprendre ses dirigeants et les collaborateurs. L’inventivité doit donc prendre le pouvoir. Le spécialiste des télécoms Nokia, qui vient de s’implanter à Massy en Essonne, mise ainsi sur des solutions novatrices pour faciliter la mobilité de ses 2 200 salariés. Assurément la solution la plus efficace.